[Terminé] Le premier Loa. [Libre]

Odéline était toujours à la recherche de Béhékine, et il fallait admettre que ce n’était pas là tâche facile. Le bougre avait tendance à se volatiliser, ce qui était plutôt simple pour un être de brume, moins pour l’énorme chose qu’il était devenue. Elle avait du mal à se figurer pourquoi donc personne ne l'avait vu et n’était capable de la renseigner, alors elle faisait le tour d’Elysion sans se désespérer. Les échecs ne faisant que renforcer sa volonté. Son ami lui manquait, et elle tenait à aller s’excuser de nouveau, à renouer le lien, et à ne pas laisser les erreurs de son imbécile de mari se mettre entre eux.
Odéline avait donc repris à Siffroy son rôle de Holmes, et était partie à la recherche de son docteur Béhékine. Sans succès, mais elle ne désespérait pas.
Ses recherches l’avaient menée en ce mois de Danien sur la plage de l’île des bienheureux, suivant une piste floue sur une histoire d’île. C’est sur la plage de l’île des bienheureux qu’elle tournait, et tournait, cherchant les indices dans le sable qui auraient pu lui permettre de remonter jusqu’à son ami. Evidemment, c’était peine perdue, plus complexe encore que trouver une aiguille dans une botte de foin, surtout en tenant compte des baigneurs et bronzeurs qui se prélassaient là. Aussi, elle finit par s’éloigner un peu, se retrouvant sur une partie un peu plus sauvage, et donc déserte. Elle se laissa tomber dans le sable, sortit sa carte, tenta de comprendre ce qu’elle n’avait pas vu. Elle retournerait chaque centimètre cube d’Elysion s’il le fallait mais elle le trouverait ! C’est encore plus déterminée qu’elle repartit, mais elle fut aussitôt interrompue. Quelqu’un venait en effet de se matérialiser devant elle la bousculant au passage.

Oh, pardon, excusez-moi, je ne vous ai pas fait mal ?! fit aussitôt Odéline en époussetant la personne tout de noir vêtue face à elle. Oh vous avez un très beau masque ! Et quel mignon bébé ! Il est à vous ? ajouta-t-elle avec un sourire à la figure masquée, trop innocente pour se sentir menacée.

La femme s'excusa immédiatement et lui demanda si elle lui avait fait mal. Garmyr fronça les sourcils l'air ingénu. La femme complimenta alors son masque et son bébé. Mais c'était Odéline! Garmyr lacha un soupir de soulagement, il observa rapidement les alentours puis quand il eut la certitude que la voie était libre, il retira son masque et l'accroché à sa ceinture sans lâcher la petite. " T'en fait pas il en faut plus pour me faire mal, j'ai juste eu peur pour toi et la petite." Garmyr soupira puis afficha un léger sourire fatigué. "Salut Odéline, comment va le vieux?" Garmyr souriait à la femme, c'était agréable de voir un visage amical. Whisper qui s'était envolé au moment du choc revint se poser sur l'épaule de Garmyr et lui souffla doucement à l'oreille pour que la femme ne l'entendes pas parler. "On est à une trentaine de mètres de la plage. Il serait plus prudent de remettre ton masque." Garmyr fit un léger signe de tête et le corbeau se ré-envola pour surveiller les possibles importuns.  

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L'inconnu ne semblait pas affecté par le choc, mais il regarda partout autour de lui. Un instant, Odéline se demanda s'il cherchait une issue pour fuir, tout en se questionnant bien sur ce qui, chez elle, pourrait donc être si effrayant ! Elle ne trouvait pas de raison à ce qu'on veuille à la fuir, à ce qu'elle soit effrayante que cela justifierait de s'éloigner d'elle. Puis, il ôta son masque, et l'air concerné d'Odéline fut immédiatement remplacé par un sourire immense, rayonnant, qui lui mangeait tout le visage.

- Oh, Garmyr !

Elle dut se retenir de lui sauter au cou, à cause du bébé endormi qu'elle aurait à coup sûr réveillé si elle avait cédé à cette pulsion de tendresse joyeuse. Cependant, cette envie pouvait se lire: elle avait avancé soudain, et s'était arrêtée tout aussi brutalement, le corps vibrant d'énergie contenue. Elle ne fit même pas de remarque sur le corbeau perché sur son épaule, avec qui il semblait communiquer, le masque, ou l'accoutrement.

- Siffroy va bien ! Il est un peu occupé avec les évènements actuels, mais ça va. Ca faisait tellement longtemps que je ne t'avais pas vu ! Il sera content de savoir que je t'ai vu, et que tu as pensé à lui. Tu peux passer quand tu veux tu sais ! Tu seras toujours le bienvenu à la maison.

Elle lui posa doucement la main sur le bras. Elle voyait bien son air fatigué, ses traits tirés.

- Je le pense vraiment, tu sais. Ce n'est pas une proposition en l'air, et ce n'est pas un couvert de plus qui changera quoi que ce soit.

Elle lui sourit, et il y avait dans cette expression une vraie tendresse, profonde et sincère. Elle respirait la bonté.

- Bon, ceci dit, tu ne m'as pas répondu ! Qui est donc cette petite ? C'est la tienne ?

Son attention s'était fixée sur le bébé aux traits délicats, profondément endormi dans les bras de l'homme ours.

Lorsque Garmyr la serra contre lui d'un bras pour l'embrasser sur la joue, elle eut un léger frisson, alors qu'un sentiment tout maternel l'envahissait. Ce grand gaillard avait l'air d'avoir trente ans, et c'était très certainement son âge environ au vu de ce que lui avait raconté Siffroy. De son côté, elle n'avait jamais semblé dépasser cet âge indéterminé, situé entre 15 et 20 ans, bloquée dans le temps, sans que rien ne change dans son apparence, sans que quiconque ne puisse déterminer son âge réel (elle avait abandonné après plusieurs tentatives et visites de spécialistes infructueuses). Et pourtant, c'était elle qui se sentait comme sa mère, alors que ôte à côte on aurait pu les prendre pour un grand frère et sa petite soeur. Lorsqu'il s'éloigna, elle laissa cependant sa main sur son bras plus longtemps. Elle se doutait, quelque part, que cela lui faisait du bien. Elle savait à présent, que cela faisait longtemps qu'il s'était séparée d'Aëlia, quelques années, même à en croire l'ancienne pirate, puisque cela semblait s'être fait l'année où elle avait pris le nom de Belgan, soit déjà 4 ans plus tôt. Elle ne doutait pas qu'il ait connu des femmes depuis, mais avait-il connu un nouvel amour, une nouvelle tendresse ? Elle se permettait d'en douter.
Sa réaction, lorsqu'il parla de cette petit, de sa mère, lui démontra cependant qu'il savait encore, au moins, s'attacher au gens. Si l'enfant n'était pas de lui, il semblait vraiment s'en soucier, être vraiment préoccupé par son sort et son avenir. A chaque fois que va voix s'était brisée, Odéline lui avait doucement caressé le bras. Elle ne voulait pas chercher à en savoir plus. La mère de l'enfant était morte, malgré les soins de Garmyr, et sans doute sous les yeux de celui-ci. Au vu de ce qu'il portait, c'était extrêmement récent, trop, sans aucun doute. C'était suffisamment terrible sans avoir besoin d'en savoir plus, et elle ne pouvait qu'imaginer la souffrance de la perte d'un être que l'on avait choyé. L'homme-ours, quant à lui, semblait un peu perdu avec ce nouveau fardeau, comme si ce bébé, cette nouvelle vie, fragile et minuscule, ne cadrait en rien avec ses plans, et son mode de vie. Odéline n'en doutait pas. ce n'était pas la première personne qu'elle voyait ployer sous le fardeau d'un enfant. Elle sourit de le voir s'émouvoir devant le sourire de l'enfant. Un sourire aux anges, à n'en pas douter, au vu de sa taille. Puis, il lui fit signe, et lui proposa de prendre l'enfant dans ses bras. Elle sourit, et doucement, elle le soulagea de ce fardeau si léger. Soutenant sa tête, calée dans son coude, elle rapprocha doucement la petite de sa poitrine, lui offrant un écrin de chaleur entre ses bras repliés autour d'elle. Doucement, tendrement, elle caressa la joue de l'enfant encore endormie, si petite, si fragile ...

- Depuis combien de temps est-elle née ?

Elle avait posé cette question sans détourner son regard de la fillette, de ce tout petit bout d'être entre ses bras, aux mains fermées, aux jambes encore repliées. Pourtant, elle était encore suffisamment proche de Garmyr pour sentir sa chaleur.

Odéline cligna des yeux, éberluée. Comment ça, une semaine ? Cet enfant paraissait à peine né ! Et comment ça, pas de premier repas ? Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire de porte ? C’était à croire qu’elle avait quelques petites choses à rattraper. Aëlia n’avait pas du tout lui raconter, et quand elle avait discuté avec Nathalia, celle-ci avait aussi du retenir quelques informations. Elle avait su qu’il y avait eu des changements importants dans la vie de Garmyr, que personne ne semblait bien comprendre, mais qui avaient sans aucun doute mené à sa rupture avec Aëlia. Cependant, en cet instant précis, elle s’en fichait un peu. A vrai dire, en cet instant précis, la seule chose qui comptait, c’était la vie minuscule qu’elle tenait entre ses bras, qui n’avait pas mangé, et sans doute vécu le début de sa vie dans une autre dimension qui permettait cette infamie. Cependant, elle savait comment fonctionnaient les bébés. S’il était vrai que ce petit être n’avait rien mangé à la naissance alors … Alors il allait sans doute être vite affamé et réclamer sa pitance, or elle doutait fort de la capacité de Garmyr à lui procurer du lait, et elle-même ne risquait pas d’en produire. L'urgence était donc de trouver de quoi nourrir ce nouveau-né. Elle gromella un peu (ce qui, chez elle, ressemblait plutôt à un marmonnement il fallait l'avouer), tout en caressant tendrement le visage du bébé endormi.

*Bon. Il n’y a pas cinquante solutions. Si Garmyr avait du lait, il l’aurait déjà nourrie. Je ne fais pas de lait, et je ne connais pas de femme enceinte, ou ayant récemment accouché. Je ne connais pas non plus de nourrice. Il nous faudrait donc du lait … Et ça, j’en ai !*

Elle sourit au petit bout toujours endormi.

Allez, tu vas avoir droit à ton premier repas, petite puce, lui murmua-t-elle tendrement.

Puis, elle regarda Garmyr.

Est-ce que ça te dérange, si on va à la maison ? Il n’y aura personne je pense, mais j’aurai de quoi la nourrir.

Lorsqu’il approuva, ils partirent rapidement, et une ou deux téléportations par portails interposés, ils furent dans la cuisine où Odéline, après avoir proposé à Garmyr de s’asseoir, l’enfant toujours solidement calée dans ses bras, farfouilla dans ses placards afin de retrouver les biberons de Noia, ainsi que les tétines. Elle stérilisa ce dont elle avait besoin, et le temps que cela durait fit bouillir du lait de chèvre, qu’elle laissa un peu refroidir. Le temps qu’elle fasse tout ceci, évidemment l’enfant s’était réveillée et mise à hurler (à son volume personnel), aussi elle lui avait proposé son doigt à téter afin de l’apaiser un peu. Une fois son repas prêt, Odéline s’était assise, la petite toujours contre elle et avait commencé à la nourrir. Elle la regardait avec un certain émerveillement, un biberon dans une main, et la caressant du bout des doigts de l’autre main tout en la tenant. rares avaient été les fois où elle avait pu côtoyer un si petit être (Noïa avait dix mois lorsqu’elle l’avait récupérée), et pourtant, il lui semblait qu’elle savait faire. Tout lui venait si naturellement ! Pourtant, elle ne croyait pas à l’instinct maternel. Non, il y avait autre chose. Sa voix était un peu intervenue, pour l'aider, mais ses gestes étaient très assurés, comme si elle l’avait déjà fait. Avant. Mais quand ? Elle ne se souvenait de rien devant le canapé en cuir rouge de Siffroy. Elle chassa ces pensées en secouant la tête, et avisa Garmyr face à elle.

Oh pardon, je te l’ai un peu volée … Tu veux la récupérer ?

Elle lui sourit, un peu embarrassée, avec un petit mouvement vers lui.

En plus, je manque à tous mes devoirs d’hôtesse ? Veux-tu boire, ou manger quelque chose ? Il y a toutes sortes de boissons, et je peux te cuisiner ce que tu veux ! Il y a aussi des gâteaux et des biscuits que j’ai faits récemment.

Très vite Garmyr eut l’enfant dans les bras, et après un léger moment d’absence ou de doute manifeste, il accepta de prendre de l’eau. Elle se détourna de la scène de ce gros bonhomme costaud avec un petit être si fragile dans les bras avec un sourire tendre afin d’attraper un verre, dans lequel elle versa de l’eau. Elle le donna à l’homme-ours, puis prit une assiette sur laquelle elle disposa des biscuits, avant de la mettre également sur la table. Enfin, elle se prépara un verre de jus de fruits, et s’assit face à Garmyr et à la petite. Sur son épaule, un corbeau. Elle sourit à l’oiseau.

Tu as adopté un corbeau, en plus d’un enfant ?

Elle lui fit un clin d’oeil: c’est qu’il devenait un véritable père de famille ! Puis, elle reporta son attention sur la petite.

Alors … Que comptes-tu faire d’elle ?

C’était une vraie question sans aucun sous-entendu. Elle avait très bien vu la détresse de Garmyr, qui n'avait pas l’air d’avoir vraiment prévu d’avoir un bébé sur les bras, et ne semblait pas vraiment savoir s’en occuper, planté comme il l’était resté au milieu de sa cuisine -un peu plus il aurait pu prendre racine et se transformer en carotte ! Un enfant n’était pas une maigre responsabilité, et elle se demandait si Garmyr avait un peu réfléchi à la suite de ses aventures avec ce petit bout dans les bras (ou sur le dos, ou sur les épaules, ou même sur le torse,e n fonction de son mode de portage préféré !).

La jeune fille hocha la tête. En réalité, elle n’était pas naïve qu’elle avait l’air, et avait reconnu dans le masque de Garmyr le criminel de guerre fugitif recherché depuis des années à présent, celui que l’on surnommait Crow. Elle en connaissait les exactions -les journaux s’en étaient repus, et en faisaient régulièrement leurs choux-gras à chaque fois qu’il réapparaissait de manière aussi fugace qu’inopinée, causant toujours des scènes de violence. Elle savait aussi que ce n’étaient que ces scènes de violence qui étaient relayées; lorsqu’il apparaissait sans esclandre, elle était prête à parier que personne ne le remarquait et qu’il ne faisait rien de particulier, et que c’était quand on lui cherchait de snoises que cela dégénérait. De ce qu'elle en avait vu, de ce que lui avait dit Siffroy et des informations apportées par Aëlia puis par Nathalia, elle avait compris que non seulement Garmyr avait une histoire personnelle des plus complexes et torturées, mais en plus il avait une tendance à aimanter les problèmes à lui. Il fallait ajouter à ça un caractère téméraire, du type qui ne fuyait pas à un danger, et qui avait une certaine facilité manifeste pour régler ses soucis à grands coups de poings et en laissant derrière lui blessés et cadavres, plutôt qu’en fuyant, esquivant ou en parlementant. Cependant, cette histoire de porte et de cimetière apportée par Aëlia et mentionnée par Garmyr, tout en restant mystérieuse, expliquait ses disparitions. Son statut, quant à lui, justifiait sans doute qu’il en vienne pas aussi souvent qu’il le devrait voir son père adoptif -qui ne lui en tenait nullement rigueur, même si elle savait qu’il en était un peu affecté, tout au fond, bien caché dans le bois dur et noué dont son mari était fait. Elle avait bien compris que Garmyr avait toujours été un garçon compliqué, et que sa vie avait subi de très nombreux rebondissements en peu d’années. Elle n’en était cependant pas effrayée: il ne lui avait toujours montré que ses bons côtés, et elle n’avait aucun doute sur sa bonté, et le fait qu’il était persuadé de bien agir, ou s’en voulait lorsqu’il agissait mal. Elle était également persuadée qu’il ne se rendait pas réellement compte d’à quel point les choix de sa vie avaient pu affecter les autres, et du changement qu’il avait pu occasionner dans leurs vies. Elle avait vu Aelia vieillir et gagner en maturité très vite, se mettre en danger, renoncer, puis se battre de nouveau, espérer et désespérer en un temps record. Depuis que Natalia vivait chez eux, la pirate passait plus régulièrement, et il était fréquent qu’Odéline et elle se retrouvent à discuter autour de la table; Elles avaient peu en commun, en réalité, ni dans leurs choix, ni dans leurs croyances, ni dans les quotidien, ou même dans leurs aspirations, mais s'entendaient étrangement bien, rapprochées par leur lien avec Nathalia -sans d’ailleurs que celle-ci ne soit réellement au courant de cette entente. Odéline avait donc entendu beaucoup de choses sur Garmyr car elle fréquentait de manière régulière les trois personnes qui avaient sans aucun doute été parmi les proches de lui à des époques différentes, et qui chacune à leur manière avaient eu de l’influence sur lui, comme il avait eu de l’influence sur elles. Il était donc quelque peu étrange de confronter toutes ces représentations tous ces discours rapportés, toutes ces anecdotes à une personne bien réelle, bien vivante, respirant et bougeant dans sa cuisine, coincée sur une chaise, un bébé dans les bras, un masque sur le visage, vêtue de couleurs aussi sombres que le corbeau perché sur son épaule.

Je crois qu’il y a des choses qu’il faudra que tu me racontes, un jour, car Siffroy et moi avons loupé quelques épisodes de ta vie …

Elle lui sourit, bienveillante. Ce n’était pas un reproche, juste une constatation évidente, ainsi qu’une invitation à revenir.

Tu sais, évidemment, que tu es toujours le bienvenu ici. La maison est protégée depuis que Siffroy est au gouvernement, mais pas surveillée, car on ne surveille pas un conseiller de la reine de Minos. Il y aura toujours de la place pour toi, et quiconque tu nous amènera ici, ainsi que de quoi te nourrir. Peu importent les circonstances, d’où tu viens, ce que tu as fait.

Disant cela, elle lui posa une main douce sur la main.

Tu es un véritable fils pour Siffroy, tu le sais, et ceci me rend aussi attachée à toi qu’il l’est.

Puis, elle reporta son attention sur l’enfant.

Effectivement, un joli nom ne serait pas de trop pour ce petit bouchon. Tu as des idées ?

Sortant sa main de celle de Garmyr, elle caressa tendrement la tête du nourrisson, évitant avec attention la fontanelle. Puis, prise d’une impulsion, elle ajouta:

Tu sais, Garmyr, il y a beaucoup de choses que j’ignore sur toi, mais j’en sais quelques unes par ce qu’on m’a raconté, j’en ai deviné d’autres. Je ne veux absolument pas t’obliger à quoi que ce soit, ni te donner la sensation d’être jugée, ou encore moins que je suis en train de te faire la morale. Mais j’ai cru comprendre que tu es quelqu’un de plutôt entier et droit, qui a tendance à prendre et à assumer ses responsabilités, quitte à en souffrir. J’ai cru aussi comprendre que tu avais une vie d’aventures, plutôt trépidante. Je voulais simplement te dire que … ce n’est pas car tu as pris soin de sa mère et que tu as fait naître cet enfant, que tu l’as veillée ses premiers jours que tu as le devoir de continuer à t’en occuper seul pour la suite de sa vie. Je comprends que tu t’en sentes responsable, et que tu l’aimes. Un enfant, tu le sais, c’est énormément de responsabilités et de soucis, de joie aussi évidemment. Je ne veux pas qu’elle soit pour toi un poids et si … Si tu le souhaites, je pense que je peux m’en occuper au quotidien. Tu pourras, évidemment, venir la voir autant que tu le souhaites, mais tu n’auras rien à faire ni à craindre pour elle. Elle sera en sécurité, à l’endroit où toi aussi tu as grandi. Je lui parlerai de toi, comme j’ai parlé de ses parents à Noïa.

Elle lui sourit ensuite.

C’est une simple proposition, afin que tu aies le choix. Tu n’es pas obligé de la choisir maintenant, elle reste valable aussi longtemps que l’enfant et moi-même serons vivantes, ce qui durera je l’espère fort longtemps. Mais je préfère que tu saches que c’est une option dont tu as le droit de te saisir sans te sentir coupable de l’abandonner, car tu ne l'abandonneras pas si tu le souhaites pas, même en nous la confiant.

Elle lui resservit ensuite un verre d’eau, avant de faire de même. Elle en but quelques gorgées, pour lui laisser le temps d’assimiler ce qu’elle venait de lui dire, et pour se laisser elle-même le temps de se remettre de cette proposition audacieuse, puis sourit:

Donc, on disait, un prénom pour la demoiselle !

La jeune femme se rendit compte lorsque Garmyr ouvrit la bouche qu’elle avait percé l’armure, et que, soudain, il était prêt à parler. C’est alors un flot de paroles qui se déversa sur elle. Il lui expliqua qui il était, comment il était devenu ce qu'il était, et la manière dont il fonctionnait à présent, ce qu’il vivait, ce qu'il ressentait. Elle se demanda fugacement si Aëlia, ou Nathalia, avaient eu droit à ces explications, puis, face à la seule réponse qu'elle put trouver (sans doute pas) face à la manière dont elles parlaient de lui, elle évacua cette idée: ce n’étaient pas ses affaires. Elle l’écouta donc calmement lui expliquer la manière dont il percevait le monde, et dont cette perception le calcinait de l’intérieur.
Puis il passa au récit de la conception de l’enfant, qui la fit frissonner. Son frisson comprenait à al fois son horreur face au viol dont la mère de la petite avait été victime, mais aussi sa douloureuse prise de conscience du poids de la culpabilité que portait Garmyr, et qui semblait l’écraser. Il n’avait pas à se sentir coupable du viol de cette femme, ni du reste des misères du monde. Il ne pouvait pas tout résoudre, tout gérer. S’il lui semblait de plus en plus omnipotent, il n’avait cependant manifestement pas le don d’ubiquité.
Il n’y avait cependant rien qu'elle puisse dire, aussi se contenta-t-elle de poser tendrement sa main sur la sienne, en signe de son soutien. Elle se doutait qu’il comprendrait. Elle lui sourit avec douceur, pour appuyer son geste.
Ils restèrent ainsi un moment, le temps pour Garmyr de se calmer, se faire sécher les larmes qui semblaient avoir jailli, seules, de ses yeux. Puis, il parla de nouveau.

Renild.

Elle regarda l’enfant, et sourit.

C’est très joli. Ca lui ira très bien, et je suis persuadée que le sens de ces mots la guidera sa vie durant.

Puis, elle sourit à l’homme-ours.

Lorsqu’une porte apparut, Odéline ne fut pas foncièrement surprise -Garmyr, mais aussi Natalia et Aëlia lui en avaient déjà parlé-, elle comprit rapidement qu’il allait devoir partir. Elle le regarda avec tendresse reconnaître la petite, puis il les embrassa toutes les deux, avant de partir vers sa porte, et de lui laisser des dernières consignes. Elle hocha la tête en assentiment, avec une mimique complice, puis, après avoir enfilé son masque, il disparut, laissant Odéline seule avec le nourrisson. Elle lui caressa doucement les cheveux et la joue, en lui murmurant de jolies choses. Puis une fois qu’elle eut la sensation que la petite se sentait en sécurité, elle monta à l’étage.

Allons te faire découvrir ta chambre, ma petite puce, puis tu rencontreras les habitants de cette maisonnée.