[Terminé][Fête du Courage et de l'Espérance 2787] Le chocolat de la bagarre [libre]

*Maudite soit-elle, pour toujours et à jamais.*

Ce fut la première pensée d'Angel lorsqu'il se matérialisa de manière soudaine dans une pièce où m'odeur de chocolat saturait l'air, aussi douce qu'écoeurante. Aussitôt, une nausée le prit, lui soulevant le coeur. Il n'était pas très chocolat; il était encore moins chocolats romantiques, tradition à laquelle il ne s'était absolument jamais plié, même du temps où il avait des histoires  avec des femmes, quelles qu'elles soient. L'idée de se retrouver, lors de cette fête à la niaiserie, entouré de chocolat et des couples se les échangeant qui allaient avec le dégoutait profondément.

Tout à cause d'Eden. C'était toujours la faute d'Eden, de plus en plus insupportable, de plus en plus tyrannique, de plus en plus humiliante, de plus en plus moqueuse aussi à son égard. Il avait du mal à supporter ce qu'elle lui imposait sans pourtant trouver la force de se rebeller. Il avait confié une partie de son âme à l'Ombre, au Maître, au Père, et c'était la mission dont on l'avait chargé: trouver cette femme, et rester auprès d'elle, Leur ramener des fidèles. Plus rien d'autre n'importait à présent, il le savait. Pourtant, il y avait en lui une vague qui parfois faisait s'échouer aux rivages de sa conscience ce simple fait: il détestait sa vie, et il se détestait avec. Il chassait cette constatation dès qu'elle lui arrivait, mais, lentement, elle contaminait tout.
Il détestait Eden, il détestait son manoir. Il détestait les soirées, les fêtes, leur musique, leur nourriture, leurs orgies. Il détestait les passes dans la chambre cramoisie, il détestait l'entendre rire avec d'autres, il détestait la voir séduire, outrancière. Il détestait le manoir, l'écrin qu'il était à la splendeur artificielle d'une femme uni n'en était pas une, et les quelques pièces qui lui étaient réservées, prison pour son quotidien minable de chien obéissant, terrorisé par un maître tyrannique. Il détestait le lent écoulement des jours, le tic-tac morne de l'horloge. Il détestait les visites, et les missions qu'on lui donnait, il détestait rendre des rapports et devoir faire des courbettes. Il détestait avoir un employeur, ne plus être libre de ses choix. Il détestait chacun des Réprouvés, leurs airs narquois, leurs attitudes supérieures alors que chacun n'était qu'un rejet d'humanité, une raclure des pires bas-fonds que l'on pouvait imaginer, bouillonnant de noirceur, d'avidité, de cupidité, de bêtise même se disait-il et il détestait surtout le fait que chacun méprise les autres plus qu'il n'aurait jamais cru possible de mépriser qui que ce soit. Il détestait leur vision de l'Ombre, leur certitude de pouvoir le renverser, il détestait leur obséquiosité à l'égard du Père et leur mépris à son égard. Il détestait le corps qui le portait, qui en semblait plus marqué par le temps, gonflé, musclé artificiellement ou presque par une drogue qui l'avait changé, et des heures, des jours, des semaines des mois, des années, une vie entière d'entraînement sans relâche, de sacrifices sans récompenses. Il détestait rêver de sa fille, de ses yeux et de son visage, tout petit, dont les traits lui avaient tant rappelé ceux de Nathalia. Il détestait ne pas la connaître ne la voir grandir que de loin. Il détestait chacun des choix, chacune des embranchures qui l'avaient mené là, de la mort de ses parents à l'explosion de sa maison en passant par la mort de son frère, et même, parfois la rencontre avec Nathalia. Il se détestait, dans chacun de ses choix, dans chacun de ses mots.
Mais il faisait tout pour y échapper, car il n'y avait pas d'issue. L'Ombre possédant son âme, il ne pouvait pas fuir, jamais. S'il mourrait avant que son Maître ne l'ait décidé, avant qu'il n'ait rempli sa mission, il ne cesserait jamais de le servir, même par delà sa disparition et il ne souhaitait qu'une chose: y échapper.
Alors, quand ce matin, dans un regard mutin et un rire charmeur elle avait proposé qu'ils participent à cette fête que d'habitude ils abhorraient pour "s'amuser". En lieu et place d'amusement, il fallait que lui se ridiculise et elle brille évidemment. Elle le dégoutait, si profondément qu'il était encore surpris de ne pas vomir dès qu'il la voyait. Pourtant, il se pliait à chacun de ses désirs et il avait évidemment passé le portait qu'elle lui avait ordonné de passer.

Cette odeur de chocolat lui emplissait les narines, et lorsqu'il ouvrit les yeux, il fronça les sourcils. Là où il s'attendait à un salon de thé dans les tons roses, rempli de rubans, de noeuds, de dentelles, de satin, de soie, de chatons, de théières fleuries, de patchouli et de petits oiseaux pépiant autour de couples aux regards plongés les uns dans les autres débordants d'amour, de sucre et de tendresse, il trouva ... un ring, dans une pièce fermée, et entouré de chocolat. Très vite, il comprit: le chocolat était la récompense du gagnant sur le ring. Ce qu'il ne comprenait pas, c'est ce qu'il entendait. Là où il avait cru à des bruits de rue, c'étaient des clameurs, des bruits de rails et ... de la musique, ou, plus précisément, quelque chose qui ressemblait à un jingle.

Que fichait-il donc auprès d'un ring en plein parc d'attractions de Minos ?

Car, s'il ne se trompait pas, les Minosiens n'étaient pas vraiment des fondus [en chocolat, haha] de bagarre. Ceci dit, même de parfaits imbéciles comme eux avaient peut-être parfois de pulsions de violence et besoin de se distraire de toute cette bienveillance sucrée dont ils s'enrobaient en permanence. Avec un nouveau froncement de sourcils, mâchoires serrées, il s'avança donc vers le ring -après tout ça semblait être la seule chose à faire !
C'est à peu près là que tout dégénéra. Il n'avait manifestement pas du tout compris le principe du ring, et c'est lorsqu'il entra dessus que s'allumèrent soudain tout plein de lanternes en forme de coeurs alors que des caméras se braquèrent sur lui et ... le vide. Derrière lui était apparue une pancarte lumineuse surdimensionnée comportant des coeurs entourant l'inscription "LE RING DE L'AMOUR". Réellement surpris, il eut un mouvement de recul, dans lequel la première caméra le suivit, alors que al seconde, jusqu'à là dirigée vers le vide après de lui, se braquait sur lui. Les autres restèrent à voleter autour tranquillement, comme mues par magie, seuls leurs zooms s'activant (maudits efferians). Ce qu'il ignorait c'était que dans le parc et ailleurs, des écrans s'étaient allumés au moment même où il entrait sur le ring, relayant les images de la pièce. Aucun ennemi n'apparut, aucun monstre ne se matérialisa. Mais soudain, on s'adressa à lui:

"Bienvenue sur le ring de l'amour ! Alors qui est la personne spéciale à qui vous souhaitez déclarer votre flamme en ce jour béni et offrir tout ce délicieux chocolat, fourni par notre partenaire la chocolaterie Charlie ?"

L'assassin cligna des yeux. Deux fois. Puis une troisième juste pour être sûr.

"- Pardon ?
- Vous êtes monté seul sur Le Ring de l'Amour, c'est donc que vous avez un coeur à conquérir .... par le chocolat ! .... mon mignonnet !"

Il eut l'impression de se prendre un coup de gourdin derrière la tête et ne sut que répondre. Il balbutia donc un borborygme incompréhensible qui donna lieu à une réaction plus surprenant encore:

"Oh non ! Regardez, ce pauvre garçon, tout seul en ce jour du Courage et de l'Espérance ! Quelle tristesse ! Vous trouverez chaussure à votre pied, amour pour votre coeur meutri jeune homme, je vous le garantis, surtout avec un si joli minois, huhu ... Afin de vous consoler, prenez ce chocolat !"

Et, avant même qu'il ait pu protester que, non, merci ça allait; il ne voulait ni amour, ni chocolat, ni chaussure, il fut expulsé de l'étrange pièce, entre le grand huit et les petits bateaux volants, sur le dos un sac qu'il aurait parié être rempli de chocolat trop doux, et un panier sous chaque bras, débordants de chocolat. Captant à son égard quelques regards égrillards (qu'il ne comprit pas, ne sachant toujours pas qu'il était passé sur écrans partout dans le parc et même ailleurs), il pressa le pas jusqu'à la sortie, maugréant entre ses dents serrées, et se demandant bien ce qu'il allait bien pouvoir faire de tout ... ça.

*Maudite soit-elle, pour toujours et à jamais.*

[Si quelqu'un veut répondre c'est open, sinon ce sera un one-shot !]

Anna avait voyagé pendant des jours dans le fond d'une cale. Assoiffée, sale, constellées d'ecchymoses et de courbatures, elle cultivait sa haine.

A son arrivée, au cours d'une nuit brumeuse dans un petit port de Minos, elle décima l'équipage. Pour la première fois de sa vie, elle en voulut également aux mères supérieures. Elle détestait les voyages en mer.

Elle voyagea rapidement au travers du plus petit des trois continents. Pas de chasse, les habitants inoffensifs des lieux n'avaient aucun intérêt pour elle. Elle déboula en quelques jours dans le parc d'attraction. Elle en avait déjà vu à Rhadamanthe mais jamais d'aussi enfantins, colorés et sucrés. Sa cible devenait tout comme elle faire particulièrement tache dans ce décor.

Elle ignorait beaucoup de choses sur elle. Alors elle sélectionna les différents individus qui pouvaient correspondre puis lui vint une idée qui pourrait l'obliger à se dévoiler.

Elle acheta un fusil de l'amour et tira sur eux les cartouches roses. Toutes personnes touchées devaient participer au jeu de son choix. Elle désigna un stand coché à l'avance. Le but était simple. Détruire un maximum de panneau en jetant l'objet de son choix.

Sa prime allait bien être obligée de révéler ses caractéristiques physiques ...

Son hostilité était indéniable mais rien ne permettait véritablement de l'extrait de la frontière encore floue séparant un individu soupe au lait, d'un tueur terrible. Dans le regard, tout de même, elle décelait quelque chose de lointain et d'enfoui. Une particule de haine, un filament d'horreur piégé dans un contrôle de soi. Il n'avait rien à faire ici, c'était une certitude, mais à quel point cela le rendait-il inquiétant ?

Les autres arrivaient en grommelant avec plus ou moins de véhémence. La démarche de l'un d'entre eux, portée par une foulée supinatrice particulièrement rare et accentuée, lui donna l'indice qui lui manquait. Sa cible était donc identifiée. Malgré tout, l'homme en face d'elle l'intéressait maintenant davantage. Coupant court à ses réflexions, elle répondit enfin à sa question, comprenant qu'une seconde de plus au sablier silencieux, l'aurait certainement fait fuir (ou plutôt partir avec colère et chocolats).

"Parce que vous êtes costauds ! J'ai visé ou plutôt, j'ai eu la chance de toucher tout un tas de gros dur ! Je m'ennuie avec les fébriles. On ne le voit pas comme ça mais j'ai de sacrés biscotos ! Après peut-être que vous avez l'habitude de vous faire malmener par des femmes plus fortes que vous ..."

Pendant ce temps, les autres sous l'influence du maître du jeu avait pris place et ce dernier invitait déjà les deux concurrents manquants à s'approcher.

Chacun était désormais "armé". Anna opta pour une vieille pétoire qui ne pétulait plus nulle part si ce n'est dans le regard amoureux du propriétaire du stand. Elle ne souciait pas vraiment de sa véritable cible. En quelques secondes, elle avait pu le jauger et l'estimait peu malin. Elle s'en occuperait plus tard. Elle se sentait bien plus absorbée par la grande tige coléro-ténébreuse.

Une pointe d'inquiétude germa au milieu de cette excitation. Ce n'était pas elle de se détourner ainsi d'un objectif. Ce type n'avait aucun intérêt factuel. Certes, il était dangereux mais pas pour elle. Elle en était persuadée, il ne l'avait pas remarquée et s'intéressait probablement pas à elle ni à personne d'autre. Pourtant, il n'y avait pas le début d'une explication logique à sa présence. Pourtant, ce n'était pas un problème non plus. Dans une mission, un tas de facteurs n'a pas de sens précis et se contente de former un réseau d'éléments tertiaires dont il n'y pas à matière à se soucier, tant la présence sera brève. Mais cette incohérence infinitésimale est là et s'adresse à elle :

- Vous jouez ?

La scène qui suivit ne s'inséra pas non plus dans l'engrenage des schémas carrés des mères. Anna prit le temps de mesurer les défauts de la carabine, de comprendre le trucage des assiettes à exploser et commença son jeu de massacre. Pourquoi un tel dévoilement ? C'était idiot.

Elle y était allée un peu fort et l'autre poteau sinistre l'avait bien compris et ne manquait pas de lui faire remarquer. Toutefois son agacement était maintenant enrobé d'une calorique condescendance.

"C’est bon, c’est terminé ? grogna-t-il.

- Non, c'est pas terminé grogna-t-elle sur une tonalité exagérément aiguë et enfantine. D'une tout le monde n'a pas joué. De deux, tu as clairement triché contre toi-même. Tu ne vas pas me dire que tu n'es pas plus doué que monsieur moustache. Désolé pour le sobriquet, je n'ai pas retenu votre nom. Bon, au boulot les autres ! "

La dernière avait été lâchée bien plus froidement que le reste et personne ne s'offensa de s'exécuter malgré l'impolitesse de celle qui était bien plus proche du sol qu'eux. Le chevalier des ténèbres voulait certainement se tirer au plus vite mais pas question de lui en laisser l'occasion. Anna se mit à faire un cirque de tous les dieux et une petite foule se pressa pour assister aux festivités. Il était maintenant difficile de quitter les lieux sans une grande bousculade et sans se faire tirer le portrait. Tu n'as pas envie de ça, monsieur je-fais-la-gueule-je-me-crois-trop-fort-mais-sauf-que-si-je-letais-tant-que-ça-jeserais-pas-dans-un-putain-de-parc.

Pourquoi était-elle aussi énervée ? Elle s'éloignait de la mission et ce qui n'était qu'une dangereuse curiosité mutait à grande vitesse en une obsession suicidaire. Il était fort, certainement plus qu'elle mais elle voulait le pousser à se dévoiler. Elle était ridicule à ne pas s'avoir s'y prendre dans un tel lieu ? A être tout simplement ici pour honorer un contrat de merde ? Elle voulait lui faire rentrer dans le crâne qu'il était mal placé pour la prendre de haut.

"Tout le monde a terminé ? Que dites-vous messieurs, mesdames d'une finale à trois ? Attention, on se donne à fond cette fois-ci, tout le monde regarde ! "

L'attroupement fit entendre son attente. Anna sourit.

Anna serrait son poing aussi fort qu'elle le pouvait et peu à peu, son rituel masochiste commençait à faire refluer sa rage. Elle revenait à sa neutralité première. Les mantras des mères résonnaient en boucle et rebondissaient contre toutes les parois de son crâne.

"La tempête n'est salutaire que lorsqu'elle est éphémère
Le feu pour le combat, l'eau dans le reste des cas
La louve dort plus qu'elle ne mord"

Même s'il la foudroyait du regard et que son boomerang de pacotille devenait de plus en plus menaçant, Anna étrangla tout désir de conflit. Oui, cet homme la fascinait tant elle avait l'intuition qu'il était lui aussi un tueur qui croulait sous un poids immense. Mais cela n'avait aucune importance. Il n'avait aucune intention manifeste d'interférer dans sa mission, c'est elle qui avait eu le geste fou de s'agripper à ce cousin hautain. Sa bêtise approchait de son terme. Il avait joué et disqualifié sa cible dans le même temps. Il ne lui restait plus qu'à tirer à son tour mais elle n'en avait plus la moindre envie. Elle fit ça rapidement et ne manqua qu'une cible. Elle avait gagné et puis rien. Elle allait emmener son porteur de prime dans un coin,  le décapiter et repartir, l'autre malgré son agacement repartirait à son étrange vie, sans se soucier de ses agissements.

Non, elle avait besoin d'une dernière ânerie. Usant de nouveau de son influence sur la foule, elle les poussa à vouloir un souvenir du  très discutable "splendide trio". Un stand obscur permettait grâce à un dispositif efferian d'obtenir une représentation rapide de ceux qui passaient devant l'écran dissimulé dans une petite pièce. Elle entra à l'intérieur avec sa future victime qui tremblait de plus en plus, depuis qu'il avait vu sa lame de près.

Au moment où il la rejoindrait, elle lui dirait qu'elle allait partir et ne plus l'ennuyer mais qu'elle voulait savoir quelle était sa chaîne à lui.

"Je vais partir et plus t'importuner mais avant ça juste une chose : qu'est-ce qui peut amener quelqu'un comme toi à se plier à des ordres absurdes ?"

"Une puissance et ses sept lieutenants, plus sombre que le plus noir des puits. Ca ferait plier n’importe qui, j’en fais le pari."

Il existait des êtres dont on ne parle que par métaphores. Les Mères appartenaient à ce groupe, les ombres de ce guerrier aussi. C'était difficile à expliquer mais Anna se sentit profondément mal. Elle ne pouvait dire précisément ce qu'elle ressentait à ce moment-là, mais c'était comme si toute son existence la compressait et le faisait sentir plus minuscule que jamais.

"C'est sans espoir alors ..."

Sa situation l'avait-elle déjà désespérée avant ? N'était-elle pas heureuse d'être Mère ? Sur l'île des bienheureux Anna fit l'expérience de la misère. Le flash s’abattit. Anna sectionna le cou de sa victime et hocha la tête en direction de ce si autre et si proche et sortit par la porte de derrière. Les cris de la foule n'allaient pas tarder à éclater. Il se retrouverait seul mais ça, à n'en point douter, il en avait l'habitude, mais sans doute moins le goût comme elle le ressentait désormais.