[Terminé] La lumière des fourrés [libre]

Il faisait chaud... si chaud la journée que Jenya n'en pouvait plus presque toute la journée, alors les soirées comme celle-ci où le temps était calme le reposaient. Et puis en plus il était au bord de l'eau, un lac à l'eau fraîche qui lui faisait du bien quand il allait se baigner dedans, mais même la journée il n'allait pas souvent se baigner, il préférait dormir parce qu'il n'arrivait pas à faire grand chose de plus. Et comme les nuits sont bien plus agréables que les jours, il veillait très tard, préférant profiter de températures plus clémentes que d'un soleil trop lourd pour lui. 

Sa forme semblait ne pas aimer la chaleur. Eux, ils s'en fichaient un peu, mais leur corps devenait alors lourd, et pesant, et moite aussi des fois alors ils ne se posaient pas de question et vivaient presque la nuit. Et cette nuit-là, ils flânaient sur un arbre, en bordure du lac, et même qu'une grande semblait profiter aussi de l'atmosphère. Elle était jolie, et souriait devant des lucioles, elle avait l'air très heureuse d'en voir.

Comme l'arbre n'était pas très haut, Jenya sauta et atterrit en faisant un peu de bruit. Elle aimait bien grimer aux arbres, alors elle avait plutôt l'habitude de faire ça, mais elle ne savait pas comment certains faisaient pour ne pas de bruit du tout en atterrissant. Peut-être qu'ils étaient très légers, ou alors ils possédaient une capacité spéciale. Pourtant, une petite fille comme elle ne devait pas peser bien lourd.

Elle se dirigea vers la dame.

Salut ! Tu fais quoi ?

Jenya, elle, était en pleine forme, et ravie de parler à une inconnue.

La question était plus ardue qu'il n'y paraissait : qu'était-elle en train de faire ? Au moment où elle décida qu'elle n'en savait rien, elle s'entendit répondre :

Pas grand chose, en fait. Je me reposais un peu, parce qu'il fait trop chaud le jour. Et puis j't'ai vue, et je me suis dit qu'on pourrait être amies. Moi c'est Jenya.

La petite rendait joyeusement son sourire à la blonde ; sourire qui creusait ses fossettes. Et même si quelques mèches trop longues de sa frange se heurtaient à ses cils, sa tenue restait moins négligée que celle de la fille en chemise. Jenya gloussa, elle avait l'air intéressante, cette dame. Son ventre nu lui rappelait non sans nostalgie le moment où elle est son frère fouillaient dans celui de leur mère. Jenya se demandait la sensation qu'elle aurait si elle prenait un grand couteau et le plongeait dans la chair tiède de l'adulte en face d'elle, et si ensuite elle creusait dans ses entrailles chaudes et visqueuses. Peut-être y aurait-il quelque chose d'intéressant à y trouver ; c'est amusant, l'intérieur des gens.

Mais Jenya s'intéressait aussi à qui était la dame aux lucioles : ce qu'elle aimait faire, et manger, et si elle savait chanter, et plein d'autres choses. Elle s'approcha un peu plus d'elle, pour mieux voir à quoi elle ressemblait dans l'obscurité. Heureusement, la lune brillait clairement, et la surface du lac reflétait ses rayons limpides dans la clairière. En plus, les lucioles qui s'étaient envolées quand Jenya s'était approchée continuaient à luire un peu plus loin ; d'autres survolaient paisiblement le lac calme ; d'autres encore s'approchaient d'elles, pas trop près, mais elles émettaient quand même leur lumière phosphorescente sur elles. Grâce à toutes ces lueurs, la petite pouvait observer l'inconnue attentivement, en prenant soin de noter chaque détail - réflexe de transformiste.

Après un court examen silencieux, elle annonça son verdict.

T'es belle, Madame ! Tu veux bien qu'on soit amies alors ?

Le sourire de la petite s'élargit en entendant la jolie dame glousser d'une voix tout à fait charmante, et elle sautilla sur place de joie. Avant d'être stoppée net dans son élan lorsque Aëlia lui répondit. L'enfant rosit en se mordant la lèvre d'excitation, sans pouvoir s'arrêter, presque jusqu'au sang. Elle et son frère adoraient les compliments, et ils étaient très contents d'entendre des choses aussi gentilles sur eux.

Ton nom il est trooooooop beau !

Elle fit signe à son amie de se pencher vers elle - que c'était grand, les adultes - et sauta pour lui faire un bisou sur la joue. Elle était toute douce, sa joue, parfaite pour le fil d'une lame. Et puis elle parut enjouée à la question posée.

Hihi, Jenya n'est jamais seule, puisque Boo et Navet sont toujours ensemble ! Et puis tu es avec moi là, je suis pas seule. Elle est bizarre, ta question !

Elle éclata de rire. Les grands sont bien étranges, on est jamais seul avec une amie à côté. Mais si Aëlia parlait d'avant leur rencontre, la question pouvait se retourner contre elle puisqu'il n'y avait que les deux filles et personne d'autre aux alentours.

Et toi ? Avant de devenir amie avec Jenya, tu étais avec des gens ? Et tu aimes faire quoi ?

Elle adorait la compagnie de son frère, c'était la meilleure compagnie au monde, mais d'autres gens c'était encore mieux. Des gens qu'on ne connaissait pas, avec qui parler encore plus, découvrir et tout. Le truc c'est que si elle restait trop longtemps avec les mêmes personnes, Jenya finissait toujours seule à la fin, soit parce qu'elle voulait explorer l'intérieur de la personne, soit parce que les gens finissaient par s'éloigner d'elle avec un air de dégoût ou de peur, ou parce qu'ils voulaient lui trouver une famille d'accueil. Ca dépendait de l'apparence de Jenya.

Le sourire de sa nouvelle amie ravit Jenya. L'enfant ne gardait jamais ses amis bien longtemps, alors elle était toujours très heureuse quand ce genre de situation arrivait. Et même si l'air était tiède malgré la nuit, elle avait chaud dans le corps, comme si son sang lui-même se réchauffait peu à peu à cause de sa rencontre. C'était quelque chose qu'elle ne comprenait pas, mais qu'elle appréciait néanmoins.

La frimousse sage et attentive, elle écouta la jolie dame parler. Un bateau ? Ces maisons qui vont sur l'eau, comme dans les livres ? Et en plus elle savait conduire les bateaux ? (il lui semblait bien que c'était ce que "naviguer" signifiait) Aëlia l'impressionnait de plus en plus, elle était pas seulement jolie et gentilles alors, elle était aussi classe ! Et puis les gens sur les bateaux, ils ont des sabres non ? Alors ils savent sûrement se battre ? Jenya l'avait déjà fait avec un couteau, mais un sabre, ça a une lame beaucoup plus longue. Ca avait l'air marrant aussi, mais elle préférait l'idée de creuser dans la chair plutôt que transpercer directement. Non, ça, c'était... moins intéressant.

Et pour le bateau...

Je suis née sur Eaque, mais maintenant Boo et Navet vont partout ! On est venus sur un bateau, mais je m'en souviens pas, j'étais pas là.

Pour elle, cela signifiait clairement que c'était son frère qui était alors à bord, et elle avait parlé sans prendre en compte que elle seule savait ce qu'elle était. Quand elle s'en rendit compte, elle décida de laisser la place à son frère qui avait fait du bateau à ce moment, même s'ils n'étaient jamais bien loin l'un de l'autre. Car, après tout, bien qu'ils ne soient pas à l'origine du même sexe - chose assez abstraite pour des transformistes -, ils étaient pareils, si bien que, que ce soit l'un ou l'autre qui vive telle ou telle chose, cela revenait finalement exactement au même.

Le bateau j'ai adoré ! Y'avait que des gens que je connaissais pas en plus, et on voyait que de l'eau, que de l'eau, que de l'eau... Y'avait des gens qui avaient pas l'air bien mais j'ai pas compris pourquoi. C'est ce qu'on appelle le "mal de mer", c'est ça ? Pourquoi ça fait que les gens se sentent pas bien ?

L'enfant se tordait les doigts en regardant Aëlia. Il se sentait tellement plein d'énergie qu'il fallait qu'il fasse quelque chose, et c'était ça ou sauter sur place pour se défouler. Quoi qu'en fait, il préférait autre chose... Il s'approcha de la grande et l'enlaça d'un coup, vraiment comme un enfant, en soupirant de bien-être.

Mmh... tu sens bon.

Elle lui plaisait. Il en aurait mangé tiens.

Son amie semblait chercher quelque chose, à regarder par-dessus les épaules de Jenya. Mais Jenya était juste là, en face ! À moins que la marine ait perdu quelque chose ? Jenya aussi cherchait quelque chose, tout le temps, mais elle ne trouvait pas. Ils avaient beau creusé, leur question, leur quête intérieure restait sans résultat.

Tu cherches quelque chose ? Je peux t'aider si tu veux.

Elle la fixait, dans l'espoir de se rendre utile à Aëlia. Mais elle-ci, à la lueur évanescente des lucioles, semblait pâlir.

Qu'est-ce qui a ? Tu es malade ? Mais on est pas sur un bateau...

Ça ne devait pas être bien compliqué de soigner quelqu'un, si ? Elle avait déjà vu faire, dans un hôpital, où des gens ouvrait un monsieur et plantaient des outils dedans pour qu'il guérisse. Remuer, c'était facile, Jenya savait le faire, elle le ferait pour Aëlia s'il le fallait. Parce qu'elle l'aimait. Ils l'aimaient. Et s'ils ne se touchaient plus, ils la regardaient quand même.

C'est le mal de mer que tu as ? Si t'es une grande, tu peux l'avoir même quand t'es plus sur le bateau, si tu y es restée longtemps dessus ? Ils sourirent. On va bien s'occuper de toi, si tu es pas bien. Ou alors tu as sommeil ? Ou tu as faim ?

L'enfant s'avança lentement vers la piratesse, sans la quitter du regard. Elle n'avait pas rendu le câlin, elle n'aimait peut-être pas ça ? Dommage, Jenya aimait être près des gens, les sentir si proche qu'ils lui transmettent leur chaleur, comme papa et maman avant.

Jenya peut dormir avec toi si tu veux. Boo et Navet sont seuls...

Il lui agrippa le bas de la chemise entre deux doigts, tout penaud. Il avait l'impression que quelque chose avait changé en son amie, elle avait eu l'air malade assez subitement. Et si elle voulait dormir, le transformiste s'occuperait d'elle, il lui tiendrait chaud, et puis ils ne seraient plus seuls alors.