[Archivé] Droit vers la terreur [libre][Fête de la Prodigalité 2783]

L’apparition de leur Père à la Prodigalité ne se passerait que dans quelques heures. Pour le moment, il est encore sur Hadès, dans la Geôle devenue leur forteresse imprenable. Impossible à atteindre, impossible de s’enfuir, impossible d’être attaqués sans le voir venir d’ici.

La représentante de la cupidité est installée sur une chaise proche de son ancienne cage, le siège flotte dans les airs, des courbures et des enluminures tout autour faisant ressembler l’énorme artefact ancien à une gueule de dragon ouverte. Ce n’est pas confortable, mais elle ne le ressent même pas. Sur un siège qui pourrait lui donner l’air d’une impératrice, elle reste petite, risible, insignifiante face à la présence du Père avec qui elle débat.

- … Oui Père. Vous le savez bien, je préfèrerai vous servir un monde entier sur un plateau pour que vous vous en saisissiez. Je ne compte pas m’atteler à détruire mis à part si c’est votre volonté, j’aimerai m’escrimer à améliorer le niveau de la population qui tombera sous votre joug.

Elle sourit, un sourire vrai, plein d’émotion, destiné à leur Père, le seul à mériter une quelconque once d’émotion. Elle ferme les yeux, frotte doucement la surface de son “trône” et des images fusent dans sa tête. Le Palais d’Hypnos, un rapide coup d’oeil mental à Minos et son objet d’intérêt, Rhadamanthe. Tout se met en place. Cyriel se lève du trône et saute à terre, esquisse un autre sourire avant de dire timidement

- Nos conversations au coin de l’âtre m’ont manqué. Merci de m’accorder de votre temps et d’être encore et toujours là quand nous en avons besoin.

Après une rapide révérence, la Réprouvé éclate dans un nuage de fumée qui disparaît en un instant. Un peu plus tard, sur Rhadamanthe, à Cruor, sur la plus grande place de la ville, elle apparaît sur une estrade de bois, lève le poing et scande :

- Comme il en est coutume pour la Prodigalité, le PEUPLE se révolte sur Rhadamanthe ! Que notre voix soit entendue, nous venons laver notre honneur et reprendre les droits qui nous reviennent.

Puis Cyriel descend et s’avance avec la foule hurlante, gémissante, criante de vérité. Entre les visages en colère, leur cible se dessine sur le ciel sombre, le château est bien en vue, leur Révolution en marche, le Roi n’est pas là. Quand il reviendra, il sera bien obligé d’accepter ce qui est déjà fait.
La place était pleine à craquer d’hommes et de femmes dépouillés, abîmés, prêts à tout ravager. Des échafauds étaient installés, l’estrade de bois sur laquelle se tenait Cyriel une minute plus tôt en faisait partie.

La convalescence avait été longue et douloureuse. Le colosse sentait moins la douleur, mais largement plus du cul. Une chance pour Olik qu'il ait perdu l'odorat, et pour Paulus qu'il s'en foute complètement. Ils n'avaient néanmoins pas chômé, puisque pendant l'abscence de Monsieur et Madame Lex, ils avaient dû gérer tout un petit monde, dans l'ombre. L'incartade de la cave les avait empêché de se battre pendant quelques temps, mais ce repos leur fut profitable pour bien d'autres raisons. Un climat de tension regnait plus que le roi lui-même au sein de Rhadamante, et Paulus et Olik furent le tison de ce bois sec et affamé.
Sous l'ordre de leur lige, ils se constituèrent une brigade clandestine de sans-le-sou, de va-nu-pied, et d'autres mots avec des tirets, de gredins, de brigands, de coupe-jarret et autres malandrins, des crève-la-faim, bref, toute une racaille recrutée à coup de mandales, dans un milieu où la loi du plus fort faisait de Paulus le plus fort. Et pendant plusieurs mois, cette infâme troupe sillonnait les villages et les villes du continent, en toute discretion, pour semer le chaos et récolter la violence. Partout ils se faisaient passer tantôt pour des gens du gouvernement, tantôt pour des terroristes, toujours pour des raclures. Si bien que le climat déjà tendu de la région se retrouva prêt d'éclater. On pillait, on saccageait, on violait, sous les ordres discrets de Paulus et d'Olik (enfin surtout d'Olik, parce que faut pas exagérer quand même ! l'autre sac à viande, à part être de grand et con, il ne sert pas bien à grand chose ! Ah ça pour sûr qu'il impressionne, surtout qu'il est bien pratique pour les enrôlements de forces dans la brigade - nous on dit la brigande parce qu'il y a un jeu de mot entre brigand et brigade, et que moi, ça me fait beaucoup rire, et que, même si les autres ils ne comprennent pas, eh ben ils le disent quand même sinon je les frappe ! Enfin le gros les frappe. Moi maintenant, je ne me salis plus les mains ! Avec l'argent du patron, on a pu se payer ce qu'on voulait, alors pas question de se froutre du sang plein la tronche ! Même si le costume en satin violet de Paulus est dégueulasse maintenant, et qu'il pue la mort, il refuse de le retirer et je comprends pourquoi. C'est qu'on a travaillé dur pour l'avoir).
Une organisation secrète était née : la BRIGANDE DES CARNATORIENS ! (ça claque) pour premettre au patron de canaliser tout le chaos vers la chute du pouvoir, et de finir par le prendre lui-même. (Mais ça, les gars ils ne le savent pas. Pour eux, ils sont juste au service du mec le plus balèze du coin, et quand le vent tournera, ils iront voir ailleurs. Eux, ils travaillent pour moi, mais ils ne savent pas que je travaille pour lui. On ne signe pas de pacte de confiance nous, mais des pactes de cassage de gueule. C'est-à-dire que si tu l'ouvres, on te casse la gueule, et aussi à ceux auprès de qui tu l'as ouverte. Simple, efficace).

La fête de la Prodigalité était enfin arrivée, et elle allait être prodigue en phalange et en sang séché. A Cruor, Paulus et Olik avaient fait dégager les échafauds, pour la venue du patron. Ils avaient fait rassembler les foules devant l'estrade au moment propice.

Il était arrivé, enfin. Après tout ce temps.

Et à l'issu de son discours, quelques scélérats placés là non par hasard, embrayèrent sur les paroles de Mme Lex et appelèrent la troupe à la révolte.
Paulus grogna encore, comme un gorille prêt à frapper, puis il beugla pour la victoire. Olik, de son côté, ruminait de voir son "ami" de toujours ainsi possédé, mais souriait en lui-même d'avoir enfin une place en ce monde.

Pas un sourire sur le visage de Cyriel, qui prenait à partir d’aujourd’hui le nom d’Alexa. Pas une once d’émotion dans les yeux. Seule la victoire comptait, mais ne méritait pas non plus d’explosion de joie, juste ce qu’il fallait aux gens de joie montrée pour comprendre que c’était elle qui gagnait. Le chaos commençait déjà à se répandre dans la ville, mais eux ici au niveau des échafauds, ils étaient dans l’oeil du typhon. Quelques membres de la … brigande … s’étaient mis à restreindre les accès de la place alors qu’un court siège commençait. Un calme presque étonnant s’était donc mis à régner où ils étaient.

Cyriel avait fait rester Paulus sur place, il était étonnamment efficace par sa simplicité et elle était quasiment sûre que le présenter à un haut-gradé aristocratique comme son bras droit retournerait le cerveau du soi-disant intellectuel. Mais pour le moment elle s’en servirait comme garde du corps : Après tout il l’avait affrontée et avait tenu la distance. Très pragmatiquement cela faisait de lui un assez grand guerrier d’Elysion … Aussi étonnant que ce soit de le qualifier ainsi.

Un autre des grands organisateurs de cette Révolution lui fit signe d’un côté de la place, un signal montrant que les dangers alentours étaient écartés et que les pauvres hères qui composaient la majorité de de la population de Cruor avaient inondé et vaincu les gardes. Les échafauds étant équipés de roues pour être déplacés, ils commencèrent à rouler, poussés par les moins rabougris des révolutionnaires, dans les rues en pentes de la ville. Le but : Se rapprocher des quartiers plus bourgeois, ils avaient encore quelques heures voir plus avant que la royauté et le gratin de la ville reviennent et c’était largement suffisant pour pouvoir asseoir leur pouvoir et prendre l’ascendant, poser leur ultimatum.

Cyriel s’approcha de Paulus, toujours armé de sa hache et de son nouveau costume plus ou moins saillant, mais particulièrement éprouvant à regarder et à sentir :

- Il est temps d’aller sortir les nobles des maisons alentours et de montrer l’exemple. Notre peuple a besoin de voir qu'il peut compter sur nous pour rendre justice

Paulus acquiesça et Olik à sa suite les firent se diriger vers une artère adjacente qui abritait la maison d'un courtisan du palais, ministre de surcroit. La troupe de badauds déboucha sur une nouvelle place que des gardes avaient ordre de tenir pour protéger le grand ponte. Afin d'éviter la salissure aux mains de son maître, il descendit du char-échafaud. Les hères formèrent une haie d'honneur sur son passage. Paulus rentra tout de même son poing dans la face d'un misérable qui sortait un peu trop du rang en passant, sans même daigner le regarder. Juste un coup de poing, pour la forme. Au loin, les gardes devant la maison tremblaient comme des feuilles, fors leur commandant ni sa moustache saillante sous son casque poli. Il criait "Halte ! N'avancez plus ! Rentrez chez vous ! Dispersez-vous !" et à mesure qu'il beuglait, Paulus augmentait sa foulée et serrait sa poigne sur le manche d'Olik. La mer de manifestant se referma derrière lui et progressa à sa suite. On vit quelques outils émerger de la foule, pour devenir des armes. Fourches, torches, faux, gourdins, pieds de tables, planches... Paulus courait à présent. Les soldats brandirent leurs lances. Le commandant beugla pour la dernière fois : "Halte !"  Et la seule halte qui fut, fut le fer d'Olik planté dans son crâne. Paulus avait relevé le bras et jeté la hache de toutes ses forces. La tête du commandant explosa sans retenir rien du fer que sa trace indélébilement létale. Celle-ce se ficha dans une poutre du mur de la maison derrière lui. On entendit trois cris : celui de Paulus qui exultait sa victoire et sa rage, celui d'une personne dans la maison qui avait dû s'aventurer trop près de la fenêtre pour assister à ce macabre spectacle et enfin celui d'un garde qui rompit ensuite le rang, laissant à sa place une flaque que la peur avait provoquée. Olik s'embrasa, et le feu commença de gagner la demeure à sa suite. Le reste de la foule vint disloquer ce qui restait des soldats.
Alors que le feu montait petit à petit, on vit reparaître plusieurs silhouettes à la fenêtre : le ministre, sa femme et son fils. Ils criaient à l'aide, semblaient prêts à sauter. Paulus délogea Olik. Il croisa les yeux de Cyriel, toujours stoïque, comme pour l'interroger sur le sort de ces trois-là.

D’immenses flammes se mirent doucement à lécher la bâtisse, maison d’une famille noble, symbole de l’oppression du peuple. Alors que la petite famille ministérielle sortait, criant à l’aide sur leur balcon en criant à l’aide, perdus dans la mer de flamme et choqués par ce qu’il se passait, Paulus croisa le regard de Cyriel. Elle leva un bras, le poing tendu et la tourna, abaissant son pouce vers le bas, mettant un point final à la vie de l’homme, de la femme et de l’enfant. L’homme tenta de soulever son fils pour le montrer à la foule, implorer la pitié pour toutes leurs vies grâce à celle de son enfant. Rapidement, les armatures fragiles de la terrasse lâchèrent et le tout s’écroula et les cris de peur et d’appel à l’aide s’éteignirent sous les roches et le bois.

Un léger malaise se fit sentir dans la foule qui se révoltait, pas un mouvement qui prenait l'entièreté d’entre eux mais seulement quelques chuchotis épars. Cyriel se retourna vers la foule qui restait partiellement en arrière et montra une personne du doigt, une femme longiligne semblant trembler doucement.

- Avancez.

La jeune femme s’avança, visiblement effrayée. Cyriel lui sourit chaleureusement : un faux sourire évidemment mais il était bien difficile de démêler le vrai du faux en la regardant.

- Qu’y a-t-il ?
- Pourquoi les avoir laissé mourir Alexa ? Ce n’était pas nécessaire …
- Vous ne devez pas être très fière de votre héritage Rhadamantien pour parler ainsi.
- Si bien sûr …
- Cet homme vous a fait souffrir bien plus que de raison, sa femme l’a épaulé dans son travail quant à l’enfant … Il est né dans la mauvaise famille.
- Méritait-il de mourir pour ceci ?
- Autant que vous méritiez de souffrir parce que vos parents n’étaient pas assez riches et leur statut social pas assez élevé. Ces enfants nobles sont l’incarnation d’un mauvais système, une fois grands ils seront de nouveaux riches qui oppressent par leur simple présence vos enfants. Maintenant que c’est dit, nous laisserons vivre les enfants dont les parents acceptent de tout donner à la cause du peuple !

Une acclamation vint saluer la déclaration de “Alexa”. Elle aurait bien épargné les enfants et les gens qui n’avaient objectivement pas d’implications mais les révoltes Rhadamantiennes demandaient du sang. Pourquoi est-ce que ces enfants riches auraient droit à un traitement de faveur maintenant que les pauvres prenaient le pouvoir ? Cela ne faisait sens que si l’on était du côté de la bienveillance et si l’on cherchait à faire décroître une nation vers un régime qui se voulait “bienveillant” et nauséeux.

- Continuons