[Archivé] Le radeau mystérieux [libre]

Le paysage ne paraissait fait que de nuances de gris. Le ciel, gris pâle, était bas, et se confondait avec la mer, gris foncé, dont les vagues venaient lécher un sable gris clair, parsemé de coquillages grisâtres. L’air semblait saturé de sel et d’humidité. S’il ne neigeait pas ici, c'était car l’air marin l’empêchait. Le mercure était trop bas pour avoir envie de se promener sur la plage nappée d’un brouillard dense et brûlant de froid, et c’est, sans aucun doute ce qui lui permit de ne pas être vue lorsqu’elle émergea de la mer, le bas de sa robe blanche à peine mouillé.
Elle venait de passer du temps sur l'Écorce, à la demande de son frère, de son Père. Le radeau millénaire avait la réputation d’être maudit, lui se demandait si quelque créature dangereuse, belliqueuse n’y vivait pas, qui aurait pu être utile à leur entreprise. Comme elle était à la fois celle en laquelle il avait le plus confiance, et celle qui était la plus habile à parlementer, il l’y avait envoyée, comme il l’envoyait parfois à d'autres endroits, tout autour d’Elysion.
Elle était donc arrivée directement sur cet assemblage de bois ballotté par les flots. Immédiatement, celui-ci lui était apparu plus stable qu'elle ne l’aurait cru, rendant étrange la thèse d’un radeau (comment d’ailleurs celui-ci aurait-il plus ne pas être rongé par le sel ?). Il n’y avait cependant aucune autre explication, aussi devrait-elle s’en contenter pour l’instant. Elle était presque persuadée d’être la première à y poser le pied depuis des siècles, et elle se rendit vite compte que le bois, par endroits fragilisé, menaçait de se briser sous son poids, ou grinçait de manière aussi sinistre qu’inquiétante (sans que cela ne l’affecte particulièrement). La surface à parcourir était cependant loin d’être immense, et elle en fit sans peine le tour inspectant tout ce qu'elle pouvait inspecter, et arrivant à cette évidence: rien ne semblait vivre ici en permanence, cependant, l’Ecorce n’était sans doute pas qu’un radeau de bric et de brocs construit par les derniers hommes, les fondateurs de leur civilisation, avant qu’ils ne connaissent leurs pouvoirs … ou bien quelqu'un venait l’entretenir régulièrement, ce  qui n’avait pas réellement de sens à première vue.
Elle repartit donc, marchant sur l’eau comme sur du plancher par un phénomène aussi inexpliqué qu’inexplicable, et arriva donc sur la grève, qu’elle remonta, serrant autour d’elle son capuchon rouge, afin d’aller s’installer dans la chaleur d’un établissement côtier non loin qui servait à manger et à boire. Elle se pelotonna à une table près du feu, et commanda une boisson chaude, tout en sortant d’une poche dissimulée carnet et crayon. Elle commença donc à griffonner des vues de l’Ecorce, reproduisant les détails du bois par exemple.