[Terminé] Le portrait [libre][Fête de la Créativité 2787]

Le rouge lui semblait un peu terne, comme manquant de brillance, de profondeur. Il ne reflétait pas le souvenir qu’elle avait du tissu qu’elle reproduisait. Avec une moue grimacière, elle mélangea quelques couleurs, apporta des nuances. C’était une oeuvre un peu à part, car elle mélangeait de nombreux matériaux (d’ailleurs, elle était arrivée avec une sorte de hotte à vendanges en osier, remplie de ce qui ressemblait à un assemblage de bric et de broc. En compagnie de plein d’autres artistes du jour, elle avait investi une place d’Hypnos, quelque part entre le Palais et l’Académie, de bon matin. Depuis, elle travaillait à l’avancement de son oeuvre du jour.
Lorsque le thème de la Fête de la Créativité de cette année, fête favorite de tout son département évidemment, elle avait immédiatement pensé à cette oeuvre, avant de la repousser, se disant que ce n’était pas assez osé et trop peu conventionnel à la fois, que personne ne comprendrait. Elle avait envisagé, elle aussi, un portrait de figure histoire, d’une déesse ou d’une Reine (de fait, l’idée de représenter sa mère était exclu, puisqu’elle ne l’avait jamais connue), mais peu à peu cela lui semblait si classique, si convenu, si … lisse qu’elle décida de revenir à sa première idée qui ne l’avait jamais quittée, qui n’avait jamais cessé de la tarauder.  
Alors, doucement, elle avait commencé à imaginer. Imaginer ce qu’elle voulait y mettre, ce qu’elle voulait faire ressortir. Comment créer, avec quoi pour représenter au mieux.  Puis, plus son idée se précisait, plus elle commença à faire des croquis, et peu à peu, à amasser des matériaux. Elle avait écumé les plages, les plaines, les forêts et même  les merceries. Elle avait aussi créé des pigments, des couleurs, des peintures, et le matin du 21, tout était prêt. Il ne lui restait qu’à endosser sa hotte par-dessus ses vêtements de travail, déjà un peu tâchés ou abimés, et à partir avec ses amis. Ils se répartirent dans la ville, avec pour accord de se retrouver le soir même sur la place principale pour faire la fête.

Son travail n’avait pas attiré beaucoup au départ, il fallait l’admettre. En même temps, ce n’était qu'une fille qui peignait un fond d'une couleur indéfinie, avec du vert, du gris, du bleu, un fond sans forme, qui n’évoquait pas grand chose sur lequel s’était peu à peu détachée comme une forme humaine. Les gens avaient commencé à s’arrêter, surpris, quand ils l’avaient vue mettre de la colle, et les premiers matériaux. Doucement, un visage de brindilles et  de bois flotté avait commencé à apparaître. Doucement, la chevelure était apparue, longue, sauvage. Lentement, une beauté exotique s’était dessinée, à laquelle il manquait encore un regard, uen bouche; mias déjà, on voyait la peau cuivrée, tannée par le soleil, les pommettes hautes, et menton fier. On voyait les sourcils bien dessinés qui, sans même que les yeux ne soient placés, donnaient au visage une inflexion courageuse et farouche. Ensuite, elle avait attaqué le vêtement, cette robe, si caractéristique sans laquelle elle n’avait jamais vue la source de son inspiration. Elle voulait absolument reproduire le tombé du tissu, son froissé, ses traces indéfinissables, ses ombres et ses lumières, qui semblèrent jouer sur l'ensemble du tableau dont c’était, peut-être, la seule couleur franche.  A vrai dire, elle sentait presque l’odeur qui accrochait au tissu.Doucement, elle aposa des liens, des fils, pour figurer les amulettes invisibles, puisque l'œuvre s’arrêtait à la poitrine. Puis elle re-travailla le fond. Doucement, on devinait une mangrove, un paysage humide, brumeux, où le brouillard lui-même semblait vivant, comme si des créatures s’y fondaient. Un observateur très attentif pourrait sans aucun doute y voir un énorme monstre, accompagné de cinq plus petits, mais il aurait fallu être collé au tableau, à la loupe. De loin, on ne distinguait que des formes, une impression de mouvement, de vie soudaine, comme prête à jaillir. Le soleil avait déjà bien avancé sa course lorsqu’elle commença à donner à l’inconnue une bouche. Une bouche fermée, sans sourire mais pourtant avec une impression de douceur vague peut-être, ou de générosité, qui n'enlèvent rien à la sensation de majesté qui se dégageait du tableau. Sans même avoir de regard, l'inconnue paraissait déjà vivante, prête à parler, à commenter la foule. Lorsque Senea lui créa des yeux ceux-ci se révélèrent noirs, et une flamme y brillait, une fierté, un côté sauvage et farouche. Pourtant, Tapahari sur ce tableau ne paraissait pas méchante, ou hautaine. On avait envie de l’approcher, de la connaître, de lui parler. On ressentait, au fond de soi, le courage, la générosité qui émanait d’elle. On voyait aussi son côté entêté, sa volonté de fer.
Au fond, c’était aussi la tendresse et l’admiration sans faille de l’artiste pour son modèle, sa muse, son inspiratrice que l’on percevait. Senea doutait que Tapahari tombe un jour sur cette oeuvre, ce portrait, mais la faire figurer parmi toutes ces femmes connues,célèbres, inspirantes, capables d’exploits, ayant marqué l’histoire, ayant ému des gens lui paraissait essentiel. Elle n'était pas sûre que des artistes de l’Archipel soient là ce jour, et voulait représenter, à sa manière, ce pan de culture fort souvent oublié d’Elysion. c’était chose faite.

Senea se sentit soudain étrangement observée, et elle se retourna juste avant qu’une voix grave et chaude ne s’adresse à elle, une main se tendant vers elle. Reconnaissant immédiatement la propriétaire de la main comme de la voix, Senea se sentit perdre couleurs et contenance tout à la fois, alors même qu’elle n’était pas des plus facilement impressionnables. Oui, mais tout de même, en face d’elle, c’était Cathleen Asmodée. ce n’était pas rien. Loin de là. C’était tout de même une des femmes les plus puissantes d’Elysion, en plus d’une carrure des plus impressionnantes. En tant qu’artiste, le Temple était un lieu qui faisait rêver Senea: tant de possibilités ! tant de décors ! Tant de choses à rénover, à imaginer ! Tant de travail partout, tout le temps, tant de libertés, tant de terrains à explorer ! Tant de possibilités ! Depuis que la guerre avait commencé, elle n’avait pas pu retourner au Temple, les déplacements jusqu'à Rhadamanthe s’étant singulièrement compliqués, mais c’était un lieu qui l’avait faite rêver depuis la première fois où elle en avait franchi le seuil.
La bouche très sèche, le coeur palpitant et les jambes tremblantes face à l’immense et sublime femme, elle se baissa légèrement pour baiser la main qu’elle lui tendait, et qu’elle venait d’effleurer de ses doigts.

M … Merci, madame Asmodée. Par … Herm … Pardonnez mon émotion, je vous admire beaucoup, et c’est pour moi un grand honneur que vous me remarquiez parmi tous les artistes qui nous entourent.

Elle se maudissait de bafouiller ainsi. Toutes ces années à la Cour n’avaient-elles donc servi à rien ? N'avait-elle pas appris à maîtriser ses émotions, à faire comme si rien ne l’impressionnait ? Il fallait qu’elle cesse de se comporter comme une gamine, une jeune première !

Je m’appelle Senea, Senea Greimhridh.

Elle déglutit, tentant désespérément d’humecter sa bouche trop sèche.

Elle se retrouva nez à nez avec ce visage sublimement proportionné, ces grands yeux envoutants, l’odeur incroyable de la femme colonisant ses narines alors qu’elle la saluait. Lorsque Cathleen Asmodée Lui saisit la main, elle sentit son pouls s’accélérer craignant même l’apoplexie lorsque la patronne du Temple lui fit un baisemain à son tour.
Elle se détestait d’avoir la sensation d’être si impressionnable, d’être si proche d’une jeune première, d’une débutante. C’était très désagréable, d’autant plus qu’elle avait normalement dépassé ce stade depuis bien longtemps. Elle fit en sorte de se reprendre au maximum, afin de pouvoir au moins répondre d’un seul tenant à l’incroyable femme face à elle.

Evidemment, madame Asmodée, je serais honorée que vous restiez auprès de moi, et ravie de pouvoir passer la soirée de la Créativité à vos côtés.

Elle lui sourit en la saluant de nouveau de la tête. Elle se retourna ensuite pour se remettre à son travail (auquel il ne manquait, d’ailleurs, pas grand chose). Elle modifia quelques points légers, réarrangeant des détails, avant de signer. Elle donna un peu de relief, de brillance à certains détails par un usage parcimonieux de la glace, puis entreprit de poser sur l'œuvre de quoi la fixer.
Intérieurement, son cerveau tournait à une vitesse incroyable. Elle n’aurait jamais cru être un jour approchée par Cathleen Asmodée, et devait profiter de cette opportunité. Elle rêvait d’obtenir un jour au moins un stage au Temple ! C’était une salle tellement mythique, offrant tant de visibilité, de possibilités ! Mais comment réussir à glisser ce souhait à la patronne de l’établissement sans être impolie ? Non, vraiment, cela lui paraissait infaisable …

Avez-vous vu beaucoup d’oeuvres intéressantes aujourd’hui ?

Senea écouta attentivement la réponse de Cathleen Asmodée, suspendue à ses lèvres, se demandant comment une seule personne parvenait à être si fascinante. Voilà une rencontre qui n’était pas décevante, pas le moins du monde … Son sourire semblait la réchauffer de l’intérieur, comme si c’était là l’approbation qu’elle avait toujours attendue. A la proposition de la célèbre Augemùntée, elle sentit ses yeux s’arrondir de nouveau, et dut s’éclaircir la gorge pour parvenir à en faire sortir des sons faisant du sens.

Ce serait avec grand plaisir que je vous accompagnerai dans votre découverte, madame Asmodée !

Elle commença à laver et à ranger ses outils.

Je dois admettre que je n’ai moi-même pas eu le temps d’explorer la ville et ses oeuvres aujourd’hui.

Elle finit ce qu’elle avait à faire, puis se redressa, essuya ses mains, et sourit à la femme.

Je suis prête à vous suivre dans tous les recoins d’Hypnos, lui déclara-t-elle, les yeux pétillants.

Intérieurement, une mini-elle hurlait d’excitation à l’idée de faire un tour dans les rues avec une célébrité pareille, avec une femme si influente.

Extrêmement impressionnée, elle eut un peu de mal à déglutir en saisissant le bras que lui tendait la patronne du Temple. Elle avait la sensation d’être une petite fourmi accrochée à un sublime rayon de miel. Si sublime, d’ailleurs, que la foule s’écartait naturellement pour les laisser passer. Cela rappelait à Senea certains moments à la Cour, mais n’était pas sans la rendre nerveuse. Elle sentait son coeur battre très fort dans sa cage thoracique, et sa bouche était si sèche qu’elle n’était pas certaine de parvenir à répondre si l’Augmentée lui parlait (ne parlons même pas d’engager la conversation, ça lui était tout bonnement impossible). Le compliment qui lui était adressé la fit rougir de nouveau, et elle fut alors plutôt soulagée d’avoir une question à laquelle répondre:

Merci beaucoup … Je suis étudiante en Arts à l’Académie d’Hypnos. J’aimerais beaucoup me spécialiser dans la création de décors. J’aime faire de grands ensembles, les faire évoluer en fonction des besoins.

Senea s'étonnait elle-même: elle avait réussi à trouver au fond d’elle le courage de parler, youhouhouuuu !

Cela fait bientôt trois ans que j’étudie ce domaine, et j’ai eu la chance de rencontrer nombre de gens talentueux. Je suis persuadée qu’ils sauront vous ravir.

Et c’est ainsi qu’elle commença, doucement, à reprendre de l'assurance, se permettant peu à peu de lui présenter des artistes. Au coin d’une rue apparut uen de ses amies, dont elle présenta le travail et les influences à la patronne du Temple. Elle était prête à faire ceci autant de temps qu’il le faudrait pour ravir l’Augmentée.

Senea luttait pour ne pas regarder exclusivement Cathleen Asmodée, fascinée de la côtoyer d’aussi près, d’avoir la chance inespérée d’être avec quelqu’un comme elle. La voir sourire était impressionnant. Elle la trouvait tellement plus charismatique que tant de gens pourtant mille fois plus riches ou puissants qu’elle avait pu rencontrer ! Sa manière de jouer de son image,d e manier sa propre réputation, de gérer son influence la fascinait assez. Il y aurait eu un livre sur sa vie, Senea aurait adoré le lire, car elle était persuadée qu’il y avait dans cette trajectoire des éléments suffisamment fascinants pour être couchés sur papiers et mis entre toutes les mains. Mais la patronne du temple s'adressa à elle de nouveau, et Senea la regarda, soutenant même son regard.

Elles sont multiples, madame. Mais l'inspiration principale est sans nul doute la manière dont l’art est présent partout Nos ancêtres faisaient fleurir l’art partout, avec tout ce qu’il trouvaient, sans se limiter aux formes les plus classiques que l’on exploite aujourd'hui. J’ai retrouvé cette liberté artistique, cette manière peut-être plus instinctive de faire de l’art, comme celle des enfants mais toujours exploitée par les adultes, lors de voyages que j’ai eu la chance d’effectuer dans l’Archipel. Par ce portrait, c’est à ces peuples oubliés d’Elysion que j’ai voulu rendre hommage.

Elle lui sourit légèrement. Elle avait adoré ses excursions dans l’Archipel, et la présence de la chamane n’en était pas la seule raison.

L’intérêt et l’appréciation de Cathleen Asmodée déstabilisaient Senea autant que cela la flattait. Elle lui raconta donc quelques anecdotes autour de l’Archipel au cours de ce bien étrange trajet au cours duquel les gens s'écartaient d’instinct de leur chemin. Senea n’était pas habituée à ce sentiment de puissance. Les seules fois où on s’était écarté à son arrivée, c’était à la Cour, et elle s'était toujours sentie scrutée de manière soupçonneuse. Là, c’était tout à fait différent, et à vrai dire, un peu étrange. Mais la patronne du Temple n’avait pas l'air le moins du monde perturbée, rayonnant de puissance. Et soudain, elles s’arrêtèrent devant une vitrine, dont le contenu aurait mis des paillettes dans les yeux de n’importe quelle fille, et dont les prix suffirent à lui donner des palpitations dignes d'une grand-mère à la porte de qui on venait de sonner au cœur de la nuit. Sentant sa bouche s’assécher, elle déglutit avec difficulté, se demandant comment formuler son problème sans passer pour une paysanne un peu gourde. Après avoir vite écarté quelques possibilités,elle finit par choisir de dire la vérité toute nue.

Pour vous dire la vérité, madame, je n’ai pas les moyens qui me permettraient de m’offrir une telle tenue, aussi belle et tentante soit-elle. Aussi devrai-je me contenter pour ce soir d’une des tenues de mon placard en espérant ne pas vous faire honte, ajouta-t-elle dans un sourire, en reprenant le ton utilisé par celle à son bras.

Il était évident maintenant qu'elle le disait que la boutique hors de prix était peut être un peu trop pour un premier rendez-vous surtout qu'après tout ce n'était qu'au "Coeur de la Nuit " qu'elles se rendaient et non pas au "Temple". Nom plus modeste et prestige plus grand. Elle lui sourit et tout en se tournant désigna une autre boutique un peu moins clinquante.

"Très bien alors rendons nous dans celle ci je suis certaine que nous trouverons notre bonheur..."

D'un pas décidé mais lent elle entraina la jeune femme dans la boutique en lui chuchotant sur le ton de la confidence

"Ne vous en faites pas pour les prix je comblerait ce qui vous paraitra déraisonnable. La déraison est mon fond de commerce ne l'oubliez pas "

La petite cloche retentit et une femme rondelette au chignon grisonnant sorti de derrière un rideau de velours rose qui contrastait avec le bois assez sombre des poutres. Elle leur offrit un grand sourire avant de réaliser qui était dans sa boutique. Cathleen sourit en coin satisfaite de faire toujours une certaine impression. Devant le balbutiement de la dame elle lui tendit la main toujours avec cette façon de faire ou on ne savait pas très bien si il fallait la serrer ou la baiser.

"Cathleen Asmodée, nous souhaiterions voir pour mon amie votre sélection de robes de soirée je vous prie"

"Tout de suite madame Asmodée"

La petite vieille s'afféra mettant sur un portant vide toute sorte de robe de toutes les formes et de toutes le couleurs laissant les robes de mariage à leur place en reposant une ou deux de temps à autre. La voir retourner toute sa boutique pour elle donnait envie de rire à l'artiste de cabaret.

"Vous allez avoir du choix Sénéa, Beaucoup de choix"

Sa voix était amusée et douce elle avait chuchoté ça pour ne pas perturber dans son travail la vendeuse.

Immédiatement, la femme lui proposa une autre boutique, et offrit également de combler l’écrat entre ce qu’elle pouvait s’offrir et ce qui leur plairait. A ces mots, Senea se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Elle n’était pas certaine du tout que beaucoup de filles se soient vues offrir une robe par Cathleen Asmodée en personne de manière aussi surprenante. Lorsqu’elles entrèrent, Senea était légèrement derrière l’Augmentée, et ne put que sourire devant la réaction de la vendeuse face à elles: manifestement, elle n’était pas la seule à qui Cathleen Asmodée faisait un certain effet, c’était quelque peu rassurant ! A la demande de la patronne du Temple, la femme s’affaira, mettant sur un portant vide toutes sortes de robes, de couleurs et matières différentes. Aux mots que Cathleen lui glissa, Senea eut un sourire vers elle:

En effet. Merci beaucoup, madame Asmodée.

Elle laissa son regard dériver sur la boutique, petit écrin, avant que soudain la vendeuse ne se matérialise devant elles:

Voici, madame Asmodée, leur dit-elle.

Senea s’approcha alors du portant, commença à tâter les tissus, et fronça les sourcils, remarquant un détail un peu étonnant, au moment même où la vendeuse ajoutait:

Les cabines sont par ici. Puis-je offrir une boisson à votre … assistante ?

La Fille de l’Eau se mordit la lèvre. Dans chacune des robes, on aurait pu la rentrer deux fois, en réorganisant les morceaux dans la hauteur et dans les formes. Il était clair et net que la femme avait cru que les robes seraient pour Cathleen elle-même, et non pour celle qu’elle avait prise pour une “simple” assistante. Un peu gênée, elle fit une moue en direction de Cathleen Asmodée, dans le dos de la vendeuse qui n’avait d’yeux que pour l'Augmentée, avec un petit geste pour lui confirmer que les (très belles) robes du portant étaient bien adressées à la star de la pièce. Comme on ne s’était pas du tout adressé à elle, elle ne préférait pas prendre la parole, préférant laisser Cathleen mettre la situation au clair plutôt que passer pour une impolie.

Senea vit la réaction de Cathleen, et surtout elle vit la vendeuse changer de couleur, passant du rouge au blanc puis au verdâtre lorsque la patronne du Temple parla de changer de boutique. Aussi, lorsque la femme revint avec un portant débordant de vêtements choisis pour elle, elle s’empressa de dire:

Je suis certaine que ce sera parfait, madame Asmodée. Merci, glissa-t-elle à la vendeuse.

Puis, elle se dirigea vers l’espace des cabines d'essayages, et entra dans l’une d’elles avec une robe sirène dans les tons verts au tissu scintillant et aux nombreux voilages à partir des pétales. Il y avait sur ceux-là quelques fleurs roses et des motifs permettant de mettre en valeur les couleurs miroyantes du tissu de la robe, qui s’éclaircissait graduellement en approchant du sol. En bref c’était une très belle robe, même si Senea l’avait un peu choisie au hasard, et s’était réfugiée dans la cabine où elle souffla un grand coup. Elle qui était fort peu habituée à être impressionnée de quelque manière que ce soit, elle était très impressionnée. L’aura de Cathleen Asmodée était très forte et encore renforcée par le fait que Senea admirait beaucoup son oeuvre et espérait, peut-être, un jour, travailler pour elle.
En tentant de se raisonner (une des femmes les plus célèbres d’Elysion avait envie de jouer à la poupée avec elle et l’attendait de l’autre côté du rideau), elle frotta ses mains sur sa chemise de travail tâchée de peinture, avant d’ôter ses chaussures, puis de défaire son pantalon large et confortable, retroussé en bas, qu’elle enleva d’un coup. Elle passa ensuite son haut par dessous sa tête, enlevant du même coiup chemise et débardeur, se retrouvant seins nus, en culotte, dans la cabine d’essayages. Venait à présent le moment d’enfiler la robe !
A vrai dire, elle était plus simple que certaines qu’elle avait déjà pu porter lors de son ancienne vie à la Cour, et la mettre lui parut presque un jeu d’enfant. Il n’y avait pas de miroir dans la cabine, aussi elle ne pouvait voir le résultat, mais ce qu’elle en voyait était plutôt satisfaisant. La tenue était ajustée et flattait ses formes d'une manière à laquelle elle était peu habituée, entre autres au niveau des hanches. Avant de sortir, elle défit cependant sa tresse, et passa ses doigts dans ses cheveux afin de les démêler et de faire tomber toute brindille ou élément de son oeuvre qui aurait pu s’y ficher, afin de ne pas être ridicule. Sans y voir le résultat, elle tenta de les arranger convenablement, avant d'écarter le rideau et de rejoindre la patronne du plus grand des cabarets dans le boudoir qui était l'antichambre des cabines d'essayage et où se trouvaient les miroirs.
Elle sourit à la patronne du Temple, avant d’avoir eu le temps de se voir. Elle avait bien conscience que, sans talons, la robe était un peu longue, mais qu’importait. Elle était face à Cathleen Asmodée, que diable, et celle-ci allait lui donner son avis sur sa tenue !

la robe, évidemment:

C’était donc un échec assez manifeste, mais Senea n’était pas dépitée pour autant. De toute façon, la situation était suffisamment exceptionnelle pour qu’elle ne se laisse pas abattre pour si peu et fasse en sorte de saisir sa chance. Cela faisait bien longtemps que plus personne ne s’était amusé à l’habiller, là où c’était un exercice présure quotidien lorsqu’elle vivait à la Cour d’Hypnos. Il y avait toujours une compétition pour savoir qui était la plus belle, en quelques sorte, et il fallait admettre que les toilettes avaient une grande influence sur ce jugement. Senea n’y avait pas vraiment d’amis, mais quelques personnes à qui elle faisait une confiance toute relative et avec qui elle partageait, souvent, les moments d'essayages. Et puis, il y avait toujours Oigean pour le verdict final.
Sentant son frère s’inviter dans ses pensées, elle réprima une moue agacée, et retourna toute son attention à l’Augmentée face à elle qui la jaugeait en lui choisissant des tenues. Lorsqu’elle lui tendit les robes, Senea avait, de toute façon, déjà décidé de se plier à son jugement. Elle se permit simplement d’ajouter une combinaison aux robes, car ma foi, on était rarement plus à l’aise qu’en pantalon avait-elle découvert hors de la Cour. Evidemment, les pantalons pour les femmes étaient loin d’y être interdits. Ils étaient juste suffisamment inhabituels pour que cela ne permette aucune discrétion ni aucune erreur de style si on ne voulait pas être dépecé en place publique par les cancans permanents. Après avoir remercié Cathleen Asmodée, Senea retourna s’enfermer dans la cabine, où elle remit la robe verte sur cintre, et tendit en contournant le rideau ledit cintre du bout de son bras nu à la vendeuse, qui le récupéra. De nouveau, elle était en culotte dans la cabine, moyennement à son aise (il fallait bien l’admettre). Hésitant un instant, elle opta pour la robe longue, dont les camaïeus bleus lui rappelaient les jeux de lumière sur l’eau des lacs de montagne en plein hiver. Elle l’enfila donc, et ajusta les drapés d’une manière qui lui parut plus harmonieuse que le tombé fatras qui s’était fait de lui-même en mettant la tenue. Avisant également le décolleté plongeant, elle retint un soupir. Si elle avait l’habitude des tenues près du corps, elle n’était pas friande des pointes pareilles qui lui donnaient la sensation d’un peu trop se dévoiler. Elle y arrangea pourtant sa poitrine afin de mettre et atout en avant tout de même (puisque là était le but manifeste de la robe).
Elle sortit ensuite de la cabine avec un sourire pour l’Augmentée, devant qui elle fit un tour sur elle-même, sans même encore se regarder dans un miroir.

Alors, madame Asmodée, qu’en dites-vous ? lui demanda-t-elle.

A vrai dire, Senea ne sachant même pas quel était le programme de la soirée, elle était bien en peine de juger la robe en fonction de ce qui était prévu. Elle avait cependant la sensation que la tenue ne lui allait pas trop mal, mais risquait peut-être d’être un peu ordinaire aux yeux d’aigle de la patronne du Temple.

Senea se prêtait au jeu de bonne grâce, se laissant transformer en poupée mannequin par la patronne du Temple, qui, avait-elle remarqué, semblait ne jamais donner son avis sur les tenues. C’était une stratégie assez courante, à laquelle Senea avait été habituée à la Cour. Il fallait admettre que cette formation lui avait donné un décodeur en société à nul autre pareil … Ce qui était, très certainement, insoupçonnable au premier abord.
Immédiatement, lorsqu’elle s’était vue dans le miroir, Senea avait mis de côté dans son esprit la robe blanche. Elle n’aimait pas ressembler aux poupées avec lesquelles elle jouait, enfant, et il fallait admettre que la robe blanche au décolleté carré donnée par Cathleen Asmodée lui fit exactement le même effet. Elle avait l’impression de se retrouver entre la poupée et la ballerine, et ça ne lui plaisait pas du tout. Elle n’en dit rien, cependant, en voulant certainement pas insulter le goût de celle qui l’avait amenée là, qui trouvait d’ailleur que ses épaules étaient divines dans cette tenue. Il fallait admettre pourtant qu’elle trouvait que la robe noire fourreau, qui tombait jusqu'à terre, essayée juste avant lui convenant mieux, même si cela la changeait énormément de ses habitudes. D’ailleurs cela lui avait attiré un compliment de Cathleen Asmodée sur le clarté de son teint que cela mettait en valeur. Elle ressortit ensuite vêtue de la combinaison, composée d’un tissu bleu nuit. Le pantalon, uni, avait la jambe large, et marquait la séparation avec le haut par une large ceinture nouée à la taille. Le haut lui, avait une petite particularité: tout en tulle bleu nuit, il était brodé de motifs floraux et végétaux dans les tons verts, rouges et roses, qui formaient un très bel ensemble. Les manches, cependant, ne preniaent pas les bras, mais, très évasée, elles étaiente ntièrement ouvertes, et d’une longueur folle, formant une sorte de cape. En sortant, elle sourit à Cathleen, qui immédiatement, lui dit cela la mettait en valeur, ce que lui confirma le miroir. Ses jambes paraissaient longues, et sa taille fine était mise en valeur alors que les couleurs sombres faisaient ressortir son teint pâle et ses cheveux clairs, qu'elle réarrangea un peu. Il faudrait, évidemment, envisager chaussures et coiffure. Elle doutait, cependant, que maquillage et bijoux soient indispensables, mais n'était pas certaine que Cathleen Asmodée la laisse s’en passer.

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve la robe noir et la combinaison très flatteuses, glissa-t-elle tout en prenant un macaron sur le plateau de la collation. Je ne sais cependant ni où nous irons, ni comment vous serez vêtue, aussi, je préfère vous laisser le dernier mot, madame Asmodée, lui sourit-elle.

Senea hocha la tête. Son avis rejoignait celui de la patronne du temple et de ses annexes. Elle en avait visité quelques unes, et le lui fit savoir:

Je dois admettre que j’ai visité beaucoup de vos établissements, madame Asmodée, tant j’admire la qualité et l’inventivité de vos spectacles. Votre nom est connu comme un sceau de qualité.

Toujours en combinaison, elle observait l’Augmentée détailler la robe noire du bout des doigts. Elle n’était pas réellement certaine de pouvoir anticiper sa réponse, tant elle lui semblait imprévisible, aussi elle attendit le verdict de celle qui l’invitait. Lorsqu’elle lui indiqua que son choix se portait sur la robe, Senea hocha la tête et lui sourit. Cela lui convenait parfaitement, et l’idée d’un contraste en elles l’attirait. Elle n’avait pas spécialement l’intention de se mettre en valeur, mais, si elle pouvait faire briller la patronne du temple, cela lui convenait. Elle s’était ré-habituée à l’ombre, et cette position, confortable, lui convenait très bien. Cathleen confia la robe à la vendeuse, et attrapa un macaron à la pistache, avant de lui glisser quelques mots, en lui attrapant le menton, qui la firent rougir. Elle n’était pas très habituée à ce type de compliments très direct et sans intention de flirt derrière (ou y avait-il quelque chose qu’elle ne percevait pas bien dans le comportement de Cathleen ? Après tout, elle était surnommée l'Impératrice de la Luxure, ce n’était sans doute pas pour rien: elle devait beaucoup s’y adonner elle-même … Mais Senea n'était pas attirée par les femmes, si ? Ceci dit, résisterait-elle, si une pareille créature lui faisait des avances ? Outre toute considération d’attirance, elle pourrait avoir plus à y gagner qu’à y perdre …). Pour la première fois depuis leur rencontre, Senea se sentit étonnamment petite et frêle, comme à la merci de la femme près d’elle, si confiante. Délestée de ses vêtements, de son costume, de toute l’apparence d’étudiante très ordinaire qu’elle s’était acharnée à construire, elle se sentait assez vulnérable. Elle n’était d'ailleurs pas vraiment sûre de l’effet que cela lui faisait, alors même qu’elle allait retourner se mettre à nu dans la cabine afin de se changer. pourtant, elle répondit sans hésitation à son interlocutrice:

Merci, madame Asmodée. J’ai été gâtée par la génétique, je dois l’admettre. Quant au maquillage … Cela ne fait pas partie de mon cursus, malheureusement, qui se concentre sur des arts plus classiques. Cependant, même si je me maquille moi-même très peu, je sais tout à fait manier poudres, pinceaux et autres artifices et artefacts, lui sourit-elle.

Il fallait croire qu’une éducation curiale formait aussi à ces choses-là.

Je sais également habiller en des temps records, et je peux élaborer quelques coiffures avec assez peu d’épingles.

Senea, lorsqu’elle vivait à la Cour, avait tendance à se préparer au tout dernier moment pour les mondanités, trop absorbée par d’autres choses. Elle avait donc dû développer un certain nombre de techniques et compétences pour ne pas s’humilier, sans perdre trop de temps avec ces choses-là.

Très vite, l’affaire fut réglée, et Senea, après un dernier macaron, paya une partie de son costume de la soirée, laissant la charge du reste à l’Augmentée qui le lui avait si gentiment proposé (après l'avoir embarquée dans des achats imprévus).
Lorsque la femme d’influene lui eut fixé rendez-vous,e t qu’elles se séparèrent, Senea se força à marcher normalement. Sans trottiner, danser ou courir. Juste, normalement, au moins le temps que Cathleen Asmodée ne puisse plus la voir. Lorsqu’elle fut certaines que l’Augmentée ne pouvait plus la voir, elle ne put se retenir: dans un couinement de joie, elle effectua un petit saut sur place, avant d’un peu trépigner pour faire sortir d’elle-même l’excitation qui menaçait de la faire exploser.
Puis, elle repartit au pas de course vers la place où ses amis devaient être en train de peindre, où elle les rejoignit, la tenue enveloppée sur le bras. Quand elle les rejoignit, ils avaient pour elle une multitude de questions, auxquelles elle répondit de son mieux en les entraînant sur le chemin de retour à leurs logements. Une fois rentrée, et les questions épuisées, elle passa à la douche, et commença à se préparer. En réalité, il y avait moins de temps que ce dont on pouvait avoir l’impression, et elle ne voulait pas se laisser piéger et finir en vitesse. Elle était bien assez nerveuse ainsi …
Elle enfila des sous-vêtements noirs, puis mit la robe, et sortit, cheveux détachés, en bataille et sans maquillage se montrer à ses amis, qui la complimentèrent d’abondance (entre deux plaisanteries). Elle prit plusieurs idées de coiffure, et choisit de relever à moitié ses cheveux, les fixant avec des épingles via un tresse torsade arrangée en cascade, assez floue qui lui permettaient de tout de même garder quelques mèches autour du visage. Ses amies proposèrent de piquer de petits flocons argentés, échos aux cristaux de la robe par leur couleur et leur brillance, ce qu’elle accepta.
Son maquillage, léger, fut très vite réalisé, mais suffisait à mettre son visage et ses traits en valeur. Elle enfila une paire de chaussures noires à talons, qui lui permettaient d’être plus élégante et d’éviter de risquer de se prendre les pieds dans sa robe.
Une voiture venant la cherche à l’entrée de l’Académie, elle s’y rendit un peu en avance par rapport à l’heure prévue. Le véhicule arriva à peine après elle, et elle fut donc en avance au rendez-vous. Pas de beaucoup, mais suffisamment pour ne pas craindre de faire attendre Mme Asmodée !
Celle-ci ne fut pas bien longue à arriver, laissant juste assez de temps à Senea pour détailler un peu la clientèle qui lui passait devant. Lorsque l’Augmentée se montra, tout de balnc vêtue, Senea la trouva encore plus éblouissante … Ce qui était manifestement le but, à en croire sa réplique !

Merci, madame Asmodée, souffla-t-elle en retour, en lui prenant le bras, avec une certaine élégance. Vous êtes ... Eclatante.

C’était donc ainsi et ensemble qu’elles entreraient.