[Terminé] Le rapport de l'espion [sp Jacob]

Les temps étaient durs (mais ne l’étaient-ils pas tout le temps ?), les crises avaient tendance à s’enchainer. La guerre avait cet effet, qu’elle soit ouverte ou plus secrète. Jacob était, en soi, du bon côté des choses, il n’était pas un soldat, il pouvait continuer sa passion et être utile à l’effort de guerre. Est-ce qu’un pauvre guerrier pouvait dire qu’il vivait confortablement ? Pas quand il était au front. Mais la n’était pas la question. On l’avait rappelé pour faire un rapport sur place. Une idée qu’il ne comprenait pas vraiment, mais les ordres sont les ordres. Il était nécessaire de ne pas se laisser voir par l’extérieur, surtout quand l’on est une figure publique un peu connue.

Tout ceci avait un avantage : il revoyait certains collègues qu’il n’avait pas vus depuis... longtemps. Certains manquaient à l’appel, inutile de demander de leurs nouvelles. C’était aussi le meilleur moyen de se mettre au courant sur la situation des différentes villes.

Mais c’était à son tour. Pas besoin de paroles pour l’inciter à parler, c’était un ordre aussi royal que silencieux.

"Jacob Amakiir pour vous servir, ma reine."

Il s’inclina respectueusement. Pouvait-on entendre la vérité dans ses paroles ? Il était bien plus doué à l’écrit pour ceci. Il faisait de son mieux.

"Je suis stationné à Hypnos, en surveillance de la bourgeoisie et parfois de la haute société."

Un résumé rapide, mais efficace. Est-ce qu’il devait mentionner autre chose ? Un discret regard vers ses supérieurs répondit à sa question.

"Il m’est également possible d’inciter des tiers à certaines actions, discrètement et par écrit."

Ca n’était pas du contrôle - il n’était pas un réel télépathe dans ce domaine - et la personne (victime) devait être prédisposée, mais ceci avait ses propres avantages, comme ne pas devoir être sur place. Et être facilement oubliable avec le bon jeu de couleur.

"On raconte qu’une once de vérité garde le lecteur intéressé."

Une vérité soigneusement diluée, dissimulée et approuvée. Jacob écrivait beaucoup de choses, y compris des romans dont le héros avait tendance à fouiller discrètement les secrets des autres. Ça n’était pas de l’espionnage, et bien sûr ça n’était pas une expérience personnelle. Qui pouvait penser que c’était réel, vraiment, c’était bien trop ridicule.

"Il n’est de plus grand honneur que d’apprendre que mes livres sont lus au palais royal."

Ça n’était pas un mensonge, et pour une fois l’hyperbole n’était pas feinte (les monarques exigeant souvent une certaine... grandiloquence, et beaucoup de compliments). La remarque de sa "non-appartenance" au service secret de sa majesté le fit discrètement sourire. C’est qu’il était efficace pour jouer à ce jeu.

"Je vous rassure, je ne pratique pas de double jeu."

C’est bien trop dangereux. Il se serait déjà fait avoir de toute façon. Il savait bien qu’il était parfois surveillé.

"Tout est bon pour moi, je vous suis."

Pas besoin de thé ou d’autre chose. Du moins, pas maintenant. On ne "retarde" pas une reine, aussi sympathique soit-elle. Un faux mouvement pouvait lui couter très cher.

Bien sûr, de tels mots n’avaient pas vraiment de valeur. Certes, il pouvait leur donner la couleur, le gout de la vérité, mais ceci ne prouvait rien tout de même. La seule preuve qu’il avait, c’était qu’il n’y avait pas de preuve contre lui (et il n’y en aura jamais... normalement).

"Je sers parfois de messager, que ce soit pour nos propres contacts ou pour influencer d’autres personnes."

Oui, la manipulation faisait partie du jeu. Une lettre anonyme, remplie de menace, qui insuffle véritablement la terreur doit être une horrible expérience. Surtout si on oublie la plupart de la lecture et que c’est une chose qui est au fond de l’esprit, une mémoire qui revient au pire moment. En soit, Jacob était une personne horrible. Mais bon, ça n’était pas le moment d’avoir une crise de conscience, plus celui de suivre la reine et de faire son rapport.

"Pour commencer, l’alliance est majoritairement bien vue. Certains cercles avaient exprimé quelques craintes, mais leur surveillance à confirmer leur allégeance."

Jacob travaillait en équipe. Si lui discutait en tant que tête visible et connue, et parfois trouvait accès à des documents et autres informations confidentielles, d’autres s’occupaient des filatures et autres opérations demandant une véritable discrétion.

"Il y a toutefois une famille de commerçant soit disant d’origine de nos terres qui fait de la contrebande, avec certains de ses associés, pour aider l’Ombre. Le fait est relativement connu dans certaines sphères, mais il nous manque encore quelques éléments avant de les incriminer."

Le problème était toujours le même, arriver à rejoindre le cercle et ensuite le faire tomber, le tout sans que son nom soit cité.

"Sur un plan différent et plus positif, je n’ai pas entendu d’horribles rumeurs à votre sujet."

Et pourtant il cherchait parfois à les provoquer, à chercher la petite bête (pas de manière frontale, bien sûr). Mais non, rien de particulier. Les rumeurs habituelles qu’elle devait déjà connaitre. C’était... une bonne chose, globalement.

Elle ne voulait pas discuter des rumeurs, ce qui n’était pas étonnant. De toute manière, tous les rois et reine... non, tous les dirigeants avaient des rumeurs et autres dires à leur sujet. C’était l’un des problèmes d’être au sommet. Et les combattre était impossible, le correspondant le savait bien.

"Ces charmantes personnes font dans l’effort de guerre, plus ou moins indirectement. Armes et autre équipement, principalement. Mais j’ai eu vent de la mention de runes."

Ce qui était bien plus inquiétant. Une rune merveilleusement réalisée pouvait être terriblement dangereuse. Et son usage n’était pas limité au champ de bataille. D’une certaine manière, un tel conflit se jouait plus à l’arrière. Aux informations. Aux menaces. Aux sabotages. Si la population était contre la guerre, alors cette dernière était déjà gagnée.

"Ils semblent également vouloir faire bande à part des Eksezkiel. Le potentiel d’un conflit relativement interne est réel. Ils ne sont pas réputés pour partager."

Utiliser une nuisible pour tuer l’autre nuisible. C’est une méthode qui a faite ses preuves, quoique relativement dangereuses.

"L’autre question est également de savoir quand agir."

Plus on agissait rapidement, plus vite on coupait une branche, mais attendre permettait d’avoir l’arbre entier. Et ça n’était pas comme si la décision était à prendre immédiatement.

Certes, l’espion n’avait pas précisé que les laisser agir signifiait renforcer la surveillance et surtout, ne pas les laisser faire n’importe quoi. Pas question d’avoir une catastrophe à cause d’une simple inaction. Il ne faut jamais se relâcher, et rester en permanence en alerte.

"Vos désirs sont nos ordres."

C’était aussi simple que ça. Au final, c’était la reine qui prenait les décisions majeures du pays. Elle et ses conseillers, bien sûr. Une personne ne pouvait espérer gouverner sans aide.

"Ça n’est pas un objectif aisé, pour être franc. D’aucuns diraient impossible, mais une bonne surveillance et une bonne coopération entre les différentes nations devrait faciliter ceci."

Pour préparer la paix, il faut préparer la guerre... Triste réalité.

"Je crains également qu’il soit impossible d’éliminer durablement ce type de personne, mais la bonne volonté de nos citoyens permet certainement de diminuer les dégâts."

L’illégalité existera toujours, mais elle le sait certainement déjà. Ça n’était pas son but de donner des conseils, il énumérait plus des vérités générales...

Oui, ça n’était pas étonnant. Le peuple de Minos été réputé pour être droit. Peut-être même trop droit, au point que ça devenait suspicieux et ridicule. C’était une bonne chose, pour sure, mais indirectement ils n’étaient pas forcément très... résistants quand de telles affaires étaient découvertes. Ça n’était pas une question d’être choqué pour rien, mais c’était parfois étrange. Ou alors le point de vue de Jacob était différent des autres, tout simplement.

"Oui, nous avons cet avantage de ne pas trop devoir nous soucier de notre population."

Il y avait certainement moins de surveillance à ce sujet, et beaucoup plus de coopération.

"Bien sûr, je reste prêt à agir en fonction de vos directives."

L’était son métier, en vérité. Au fond, il était un militaire qui devait respecter et suivre les ordres.

"C’était plus un concours de circonstances qu’autre chose, en vérité."

Il parlait rarement de son métier pour des raisons évidentes.

"J’ai toujours cherché à écrire pour un plus grand concept, une cause si vous préférez. Non pas qu’écrire pour le loisir et le divertissement est une mauvaise chose, je le fais toujours, mais ceci n’était pas suffisant pour moi."

Un peu présomptueux ? Très possible. Il l’était beaucoup.

"Quand l’espionnage, mes compétences sont plus adaptées pour ce domaine."

Ça n’était pas un secret, pour le coup. Il n’avait pas un physique de rêve, loin de la. Il était un intellectuel, non un guerrier.

La cause supérieure. Être au service de la nation. Être extrêmement patriotique n'était pas une véritable condition pour ceci. Jacob l'était, au moins un peu. Il était surtout loyal. De toute manière, la trahison, surtout en tant qu'espion, est un moyen extrêmement efficace de diminuer son espérance de vie. Travailler pour la reine était un moyen relativement aisé d'avoir un but sympathique dans la vie. Non pas qu'il jugeait les personnes qui cherchaient encore le leur (quoique...), mais il pensait qu'il était extrêmement important d'avoir un objectif final dans une vie. Il est toutefois important de noter que les personnes les plus malchansceues de ce monde n'ont que rarement le luxe de penser à un "but supérieur", la plupart d'entre elles vivant au jour le jour. D'une certaine manière, Jacob les plaignait... même s’il ne pouvait certainement pas parler pour eux. Enfin bon, avec de telles réflexions, il s'égarait un peu.

"J'ai rejoint l'unité peu après votre instauration au pouvoir. Il me semble qu'un effort de recrutement était en cours."

Certains généraux, conseiller, voire une certaine reine, avaient certainement noté l'intérêt d'un tel groupe. Le savoir est le pouvoir.

"Quant à mes publications, elles étaient bien moins connues à l'époque. L'essor est venu peu après, ironiquement quand j'ai commencé à ajouter un peu de... réel aux récits."

Du réel contrôlé, modifié, et approuvé. Transmettre des choses compromettantes via des romans ? Voilà qui serait bien malheureux... et une véritable erreur de débutant.

Rattraper les... manques (ont ne dit pas erreur, pas quand un parle d’un roi, c’est risqué) des précédents dirigeants. Surtout, ceci n’est pas instantané. Le peuple aime les changements rapides, n’est-ce pas ? Et pourtant ils sont quasiment impossibles. Quant à entendre des nouvelles de la guerre, surtout du recrutement... c’était rarement une bonne nouvelle.

"Je comprends. Une sage décision sans aucun doute."

Certainement parce que sans ladite décision il n’en serait pas là aujourd’hui. Respecter son employeur est important, n’est ce pas ?

"Être évident serait mettre des secrets d’État en danger. Et donc notre contrée, ce que je veux absolument éviter."

Et surtout, lui-même. Il prenait des risques calculés, certes, mais il tenait à sa vie. Les gains financiers et de popularité qu’il gagnait avec ces petites "choses en plus" était conséquent. Aucun regret maigre ne les risques...

"Rien de plus n’a transmettre, ma reine."

Son rapport était terminé, et il n’avait rien d’importance à dire de plus. Mais ça n’était pas à lui de décider si la conversation était finie ou non.