[Terminé] Une dernière fête avant les ténèbres ? [sp Jacob]

Il y avait comme une sorte de faux retour à la normalité dans l’air. Avec les négociations, les combats avaient cessé, et, si la nuit paraissait toujours de plus en plus longue, les journées semblaient presque plus lumineuses, comme si le fait de ne plus craindre, au moins sur cette période, de nouveaux morts, de nouvelles attaques, avait permis au ciel de se dégager. Evidemment, Senea n’était pas sereine pour autant. Qui l’était, de toute façon ?
Mais cette journée avait véritablement le goût d’un retour à la normale, oui. L’Académie avait organisé un colloque, ce qui était extrêmement rare depuis le début de la guerre, autour du pouvoir de l’art et de l’imagination. Senea avait décidé de profiter de  sa journée de congés au Temple (enfin, dans ses Succursales), pour s’y rendre, revoir ses amis, renouer un peu avec cette vie étudiante si différente de celle qu’elle avait déjà vécue, de celle qu’elle vivait actuellement. Elle avait choisi ses conférences et ses ateliers, faisant en sorte d’éviter ce qui aurait pu contenir de la propagande et la ramener à l’instabilité de la situation actuelle. Pourtant, certaines l'auraient intéressées, surtout au vu des invités ! Mais elle n’en avait pas envie, elle aurait voulu tenir la guerre loin, loin, si loin.
A présent, elle était à la petite fête organisée en fin de colloque, où jouait un orchestre, et où un buffet régalait les participants. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas participé à une fête, prise à la fois par l’actualité et par son travail, et il lui fallait bien admettre que cela lui faisait du bien, aussi formel que ce soit. Heureuse de pouvoir voir ses amis, elle discutait avec eux, un verre à la main, et prenant parfois un petit sandwich. Ils échangeaient sur leurs vies, leurs opinions, et les conférences suivies sur la journée. Pourtant, quelqu’un d’autre dans la salle attirait l'attention de Senea. C’était un homme, la trentaine a priori, de taille moyenne, très brun, la peau légèrement hâlée. Rien de très remarquable, dans ses vêtements noirs de bonne facture, mis à part peut-être son regard un peu étonnant. Pourtant, Senea était persuadée de l’avoir déjà vu, sans parvenir à remettre le doigt sur où donc elle avait pu croiser ce visage. Ce n’était pas un courtisan d’Hypnos, elle en était certaine, mais alors … qui ? La rencontre lui semblait trop ancienne pour avoir eu lieu au Cabaret, et il lui semblait un peu déplacé dans le contexte de l’Académie, il n’avait l’air d’être ni un élève, ni un professeur. Peut-être un invité pour la journée ?
Déterminée à tirer cela au clair, Senea s’approcha avec un sourire du buffet, y prit un verre qu’elle tendit à l’homme, sans cesser de lui sourire:

Tenez, ne vous dessèchez pas, lui proposa-t-elle.

Elle même avait pris un verre, et le leva vers lui, comme pour trinquer, avant de boire quelques gorgées.

J’espère que le colloque vous a plu ! enchaina-t-elle. Vous êtes venu à l’Académie spécialement pour cette journée, ou bien vous faites partie de cette institution ? ajouta-t-telle en souriant, avenante.

Dans son esprit, elle cherchait toujours à retrouver où diable elle avait bien pu croiser ce garçon.

Les hommes de lettres sont recherchés partout, et Jacob est bien plus qu’un homme de lettres : il est un homme de mots. Les discours ne sont pas son point le plus fort, mais il sait largement ce débrouiller quoi faire et dire dans la plupart des circonstances. L’académie d’Hypnos est réputée, et elle a bien compris l’intérêt d’appeler des extérieurs, des professionnels pour des lectures, des présentations, des cours. Le créateur y est parfois convié, dans le but d’élever les élèves vers l’art qu’est la création des phrases. Mais cette journée-là, pas d’élève, uniquement des professeurs et autres connaisseurs venus discuter de tout et de rien, présentant le fruit de leurs travaux aux uns et aux autres. De nouveaux sujets plus passionnants les uns que les autres pour l’écrivain. Il y réfléchira le lendemain, la soirée ne faisant que commencer.

"Merci pour cette charmante attention."

Alors qu’il lève son verre, la mémoire du télépathe tourne à pleine vitesse. Un visage, des paroles... peu après, un nom. Un nom qu’il n’a pas rencontré depuis quelques années. Se souvient-elle de lui ? À sa manière de l’aborder, il en doute. Certains nobles et courtisans ont la fâcheuse tendance à oublier ceux qui ne sont pas de leur rang.

"Un colloque réussit, les présentations et discussions étaient superbes."

Il ne ment pas. Un espion ne ment pas forcément. Souvent ? Oui.

"S’il m’arrive de faire quelques lectures aux apprenants, je ne suis pas intégré à l’académie."

Dans l’hypothèse ou l’on lui proposerait un poste, il refuserait.

"Jacob Amakiir, écrivain invité pour l’occasion."

Il s’incline légèrement par politesse. Et en suivant cette même politesse, omets volontairement de connaitre le nom de la jeune femme. Il n’est pas courtois de suggérer qu’elle ait oublié son existence.

Il leva son verre, elle lui sourit alors qu’il disait avoir apprécié le colloque. Dans son esprit, elle tentait toujours de retrouver où elle avait bien pu le voir, auparavant. Ce n'était ni un professeur, ni un élève au vu de ce qu'il lui disait, alors, quoi , C’est à son nom que le visage de Senea s’éclaira. Elle lui rendit son salut, et dit:

C’est donc vous ! Tout d’abord, bravo pour vos ouvrages, dont je partie des fidèles lecteurs, sourit-elle, et ensuite, je suis désolée de vous avoir abordé ainsi, mais j’étais persuadée de vous avoir déjà vu. Vous ne vous souvenez sans doute pas de moi, ceci dit, ajouta-t-elle, tant il y a de gens plus mémorables dans ce genre de fêtes, mais je faisais partie de la Cour d’Eaque. Depuis que j’en suis partie, les visages et les noms se mélangent à présent que je n’en plus besoin pour évoluer sans danger dans ce panier de crabes !

Elle but un peu dans son verre, et ajouta:

Je suis Senea Greimhridh, et je suis enchantée de re-faire votre connaissance dans de circonstances plus propices, monsieur Amakiir.

Volontairement, elle se faisait beaucoup plus souriante et lorsqu’ils s’étaient croisés la dernière fois, remarquant également sa grande courtoisie. Elle voulait éviter de retrouver cet aspect curial guindé qui avait, évidemment, guidé leur première rencontre.

Le colloque touchait à sa fin. Anna naviguait dans la soirée de clôture entre les universitaires, les scientifiques, les artistes, les étudiants et les poseurs. On ne faisait guère attention à elle. Son habituel manteau de mère aux milles poches mortelles avait été troquée contre une tenue de serveuse. Toutefois, elle avait malgré tout suffisamment d'outils pour exécuter n’importe quel travail.

Elle allait d'ailleurs bientôt passer à l'action. Elle l'avait repéré. L'espion de l'ombre. Sa tête promettait d'être un message parfait pour ses maîtres. On ne menace pas les mères. Et tant pis si pour faire comprendre cette évidence, il fallait faire un geste vers l'autoproclamé camp du bien. Ce dernier ne manquerait pourtant pas de mal réagir si elle l'éventrait froidement au milieu des invités. On tue mais de manière juste et propre chez les gentils. La boucherie, c'est dans l'assiette pas sur la moquette.

Enfin, la cible se décida à aller faire un tour à l'écart, à se perdre dans l'un des nombreux couloirs adjacents. Peut-être était-il temps pour lui aussi d'accomplir sa mission songea Anna. Peu importe, elle allait pouvoir en finir et enfin quitter la bien trop agitée Hypnos.

"Je suis ravi de vous compter parmi mes lecteurs."

Des mots qu’il répétait souvent, c’est vrai. Mais ils étaient majoritairement réels. Il était toujours satisfaisant de savoir qu’il était un auteur qui réussissait. Un petit boss d’ego, même s’il n’en avait pas véritablement besoin.

"Oh, mais il n’y a aucun problème. Il n’y a aucune gêne, manque de politesse ou de considération. Bien au contraire, je préfère ne pas avoir de traitement de faveur."

Être au naturel. Il était une personne comme une autre, tout simplement. Du moins en apparence. Et en parlant de ceci, il faisait semblant de réfléchir, avant de feindre ce petit moment où il se souvenait enfin du nom. Nom qu’il n’avait jamais oublié.

"Oh, mes excuses de ne pas vous avoir reconnu plus tôt."

Quel mensonge. Quel acteur. Quel misérable.

"Vous me semblez bien plus enjouée et souriante qu’a l’époque."

A la manière dont elle mentionnait son passé, il pouvait en parler ainsi. C’était un peu risqué, mais il y a avait pire.

"Que devenez-vous ?"

Une manière sympathique de prendre des nouvelles. Au fond de la salle, une tête qu’il connaissait de très loin préparait quelque chose. Bien plus proche, une future victime. Un criminel, aussi. Jacob ne l’avait pas encore repéré, mais le concerné était bien plus utile vivant.

Elle sourit à l’homme, en signe de remerciement pour avoir accepté ses excuses, mais également d’acceptation de ses propres excuses.

Il est difficile, au fond, de faire moins enjoué et souriant qu’un courtisan, plaisanta-t-elle.

Evidemment, c’était faux, dit ainsi: les courtisans étaient généralement très souriants au contraire. Mais, l’homme devait le savoir aussi bien qu’elle: ce n’était qu’un masque, et parfois pas des plus réussi. Dans un monde où tirer dans les pattes de son voisin était porté au rang d’art, il était difficile de faire le moindre sourire sincère.

Ce que je deviens ? Oh … Rien de bien palpitant, j’en ai peur. Je suis étudiante en Arts, ici même. Notre situation actuelle risque de quelque peu perturber mes études, mais je verrai bien …

Evidemment, elle faisait allusion à la guerre, qui s’insinuait partout, tout le temps.

Et vous, monsieur Amakiir, toujours un habitué des cours royales ?

Du coin de l'œil, elle repéra quelqu’un qui partait dans un couloir de l’autre côté de la salle.

Tiens, c’est étrange, murmura-t-elle, les gens partent déjà ?

Mais très vite ses sourcils se défroncèrent et elle reporta son attention sur l’homme face à elle avec un sourire, tout en prenant une gorgée dans son verre en attendant sa réponse.

Il marchait sans se presser, naturel. Il le savait des regards se poseraient sur lui. Mais dans une telle festivité et avec un tel groupe, personne ne pose de questions. Pour elle, c'était encore plus simple. Les employés vont et viennent, c'est là leur programme, peu importe s'ils vont dans le mauvais couloir, personne ne connait rien à rien à leurs lieux, si ce n'est l'employeur. Qu'importe, il était trop occupé à fixer, d'un œil mauvais, un serveur maladroit.

Elle étouffait ses pas dans son ombre. Ce n'était qu'une question de secondes avant de prendre sa tête. Elle vit alors, ce fut si bref, une étonnante pellicule blanche se former sur la peau de l'homme. Elle sut qu'il frappait mais ne put rien y faire.

L'une de ses côtes était fracturée. Elle en avait le souffle coupée. Lui la tenait à distance sa canne couverte de tissu pointée vers elle.

"Je pourrais vous tuer ici et maintenant sans que personne n'entende rien. A cette distance et dans cette disposition, vous n'avez aucune issue."

Il ne mentait pas. Malgré la brutalité de l'attaque et de sa chute, pas un seul son. Seulement une plainte si fine qu'Anna doutait de l'avoir réellement entendue. Et il était rapide. Elle avait ressenti le danger sans le voir. L'assassin parfait.

"Vous êtes des mercenaires, non ? J'ai une autre cible pour vous. Puisqu'il cela vous plait de chasser les espion, j'ai une proie toute trouvée."

Être plus souriant qu'un courtisan était virtuellement impossible. Mais les concernés étaient-ils heureux ? Il ne faut pas poser ce type de question. La société demande de porter et de maintenir un masque, il ne ce fait pas d'enquêter sur le véritable avis des personnes. Bien sûr, avec Jacob, c'était fait ce que je dis, pas ce que je fais. Quoique, est-ce qu'espionner est l'équivalent d'enquêter ? Vous avez quatre heures...

"C'est intéressant, au contraire. Et quelle branche d'art vous intéresse ?"

L'art est une notion vaste, il y a de quoi plaire à tout le monde de trouver sa petite spécialité.

"Oui et non. Il reste important de pouvoir... distraire les autres."

Oublier les horreurs de la vie. Tel n'était pas le but de l'art ? Distraire, questionner également. Critiquer, souvent. Mais il n'allait pas s'étendre sur le sujet de la guerre. C'était trop... complexe. Et une fête n'était pas le meilleur endroit pour en parler.

"Je reste un habitué, en effet. C'est le prix de la notoriété, pour le meilleur comme pour le pire."

Le Correspondant était capable de discuter de nombreux sujets - si on lui laisser le temps de ce préparer - et pouvait donc être une bonne source de distraction, mais également de (pseudo) connaissance. Quant aux écrits...Il arrivait que certains demandent des choses... particulières.

"Je présume que certaines personnes sont pressées."

Un rapide coup d'œil. Une sensation étrange. Mais il était bien trop tôt pour penser que quelque chose ne tournait pas rond. La paranoïa n'était pas bonne pour la santé.

"Mais pour reprendre notre ancien sujet, si jamais il s'avère que vous êtes appelé dans cet ancien environnement, n'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez de l'aide ou du soutien."

C'était une proposition altruiste, bien évidemment...

Elle sourit à ses réponses, assez évasives . Un véritable courtisan, on s'y tromperait ! Elle approuva cependant de la tête lorsqu’il parla du prix de la notoriété, pour le meilleur comme pour le pire. C’était en effet un prix à payer, mais elle ne se souvenait pas vraiment de l’avoir vu mal à l’aise dans ce contexte, bien loin de là. Au contraire, elle se souvenait d’un homme affable, passant d’un groupe à l’autre sans difficultés, paraissant s’adapter à tout et être capable de parler de n’importe quel sujet. Sa culture était d’ailleurs ce qui faisait sa popularité, et elle savait qu’on lui trouvait un certain charme.
A sa proposition, son sourire s’élargit:

C’est très généreux de votre part, monsieur Amakiir, et je penserai à vous si j’ai besoin d’un cavalier ! Je serai certaine de faire sensation, ainsi.

Il y avait une certain ironie dans sa réponse, et elle ajouta:

Je vous avoue que je n’y suis retournée que pour travailler des décors de fêtes, et cela me convient parfaitement. Ce n'est pas un environnement qui me manque, ou que je regrette, même si musique, danse et nourriture y étaient très appréciables.

Elle regardait distraitement vers là où l’homme suivi de la serveuse avaient disparu, puis reporta son attention sur son interlocuteur à qui elle sourit, le taquinant.

Il me semble me souvenir, cependant, que plusieurs demoiselles auraient été fort heureuses d’une telle proposition. Vous aviez tendance à faire des émules !

"Amakiir. Jacob Amakiir. Un écrivain, de talent par ailleurs, mais surtout un espion. Regardez ! Débarrassez-vous de lui avant la fin de la soirée. Vous êtes parfaite pour cette tâche ... Essaie encore une fois de bouger avant que je termine et je t'arrache un œil. Ne le mangez pas. J'ai besoin qu'on voit son corps. Le message doit passer le plus clairement possible."

Il regagna la fête en lui tournant le dos. Sa confiance en lui était bien trop élevée mais elle n'avait pas les moyens, pour le moment, de lui faire payer. Anna se releva péniblement et évalua ses possibilités. Au milieu de la fête, il avait l'avantage. Il pouvait l'exécuter avant que quiconque ne le remarque et à moins de changer la réception en massacre, elle n'avait guère de possibilité pour répliquer. Elle pouvait abandonner. Il ne la suivrait probablement pas. Mais une telle humiliation ne pouvait rester impunie. En même temps, il était hors de question d'éliminer l'écrivain/espion mais il était probable que l'agent de l'ombre le fasse lui-même si elle n'intervenait pas.

Anna se frotta la tête. Elle ne pouvait le défier sur place, ni s'éloigner. Il lui restait une possibilité. Mais c'était un pari risqué et chronométré.

Anna retourna dans la salle et indiqua au doyen de l'université que son agresseur voulait s'entretenir avec lui. Elle fila ensuite vers Amakiir qui semblait sur la fin de sa conversation. Elle renversa sur lui le contenu d'un verre et dans le même souffle l'invita à la suivre.

"J'ai besoin de vous. Il sait."

"Oh, vous faites déjà sensation, vous avez besoin de tout sauf de mon aide."

Quoique ça n’était pas forcément le "bon" type d’attention que la jeune femme voulait avoir. Beaucoup de rumeurs devaient déjà circuler à son sujet, pour le meilleur comme pour le pire.

"Ça doit être très intéressant de jeter un regard nouveau sur tout ceci, surtout pour préparer des fêtes."

Éther de l’autre côté de la table, dans les "petites mains" qui organisent le tout. Ça n’est jamais simple, et nombreuses sont les personnes qui devraient accorder bien plus de respect à ces personnes.

"On me donne une réputation, mais elle est plus qu’exagérée."

Il savait très bien ce qu’on disait à ce sujet, et il était plus que conscient de son charisme. Il manipulait certaines rumeurs, indirectement.

"J’espère bien que des demoiselles jalouses ne voient pas notre discussion d’un mauvais œil."

C’était toujours le cas, hélas. Tout comme... Voilà qui était fâcheux. Un joli costume presque entièrement ruiné... Il allait doucement s’énerver quand il entend ce qu’elle chuchotait.

"J’espère bien que vous avez une solution."

De quoi trouver une excuse pour s’éloigner.

"Si vous me permettez, ma chère."

Bon, nouveau problème de la soirée.

"C’est a dire, il ?"

Un signe discret,un regard qui l’est tout autant. Décidément, c’est un rassemblement de personnes plus étranges les unes que les autres.

"Et vous travaillez pour lui ?"

Il avait une certaine idée de qui était la jeune (jeune ?) fille qui lui parlait. Tout le monde avait une réputation.

"Si c’est le cas, soyez rapide s’il vous plait. Si non, je présume que je n’ai pas besoin de préciser que ça n’est pas le moment d’avoir un incident diplomatique."

Et donc qu’il ne faut pas agir trop rapidement, et surtout, certainement pas au grand jour.

Elle eut un sourire presque carnassier quand il mentionna l’attention dont elle était déjà entourée. Oh, ça, elle le savait. Entre la relation avec son frère et leur départ de la Cour, on ne devait pas les épargner … Et comme Oigean n’était jamais reparu, il devait être mille fois plus simple de s’attaquer à elle. Elle avait toujours été, de toute façon, moins populaire que lui. Trop glaciale, sans doute.
Son sourire s’attendrit cependant lorsqu'il parla de sa réputation à lui, alors qu’elle s’adonnait à un roulement d’yeux signifiant clairement “Allons bon, on sait tous les deux que ce n’est pas exagéré ne jouez donc pas le modeste !”, et lâcha un petit rire lorsqu’il mentionna des jalouses éventuelles. Elle allait répliquer lorsqu’une serveuse maladroite renversa un verre entier sur son interlocuteur, avant que celui-ci ne l’abandonne, après un salut un peu rigide. Ceci dit, elle lui rendit la pareille, et retourna au buffet où elle posa son verre. L’excuse était plus que fumeuse, et elle sentait l’anguille sous la roche. Elle n’avait aucune envie, cependant, de participer à un quelconque scandale, ou quoi que ce soit du genre, et le départ d’Amakiir venait de lui fournir l’excuse parfaite pour s’éclipser. Aussi, elle se dirigea tranquillement vers la sortie, prête à rentrer sur son lieu de travail.

[Si vous n’avez pas besoin de moi, je serai donc partie haha !]

Même derrière une porte, elle pouvait encore sentir son regard. Elle avait besoin d'espace pour pouvoir le vaincre et elle n'en trouverait pas ici. Ce qui l'énervait le plus, c'était probablement l'absurdité de la proposition. Il était évident qu'il ne comptait pas sur elle pour tuer Amakiir. Il voulait simplement qu'elle parte et lui faire sentir à quel point, elle n'était rien face à une organisation comme celle de l'Ombre. Oui, c'était là le point névralgique de sa haine. Mais que faire ?

"Il y a un ambassadeur de l'ombre présent à cette soirée. Vous ne l'ignorez pas, je m'en doute. Mais il a prévu de vous tuer, ça c'est peut-être nouveau. J'ai voulu me débarrasser de lui mais il m'a vaincu et en retour m'a ordonné de vous tuer. Je n'ai aucun intérêt à le faire mais au cœur de cette soirée, je ne peux pas me battre à mon aise. Il est capable de manipuler le temps autour de lui et dans un endroit aussi confiné avec autant de monde, je n'ai aucune chance de le prendre par surprise. Nos possibilités sont donc réduites. Je peux m'en aller mais ce sera à vous seul de gérer la menace qu'il représente, je peux vous aider à quitter la soirée mais j'imagine que vu votre position, ce n'est pas possible ou alors il faudrait détourner son attention, ne serait-ce que quelques instants ... Dans tous les cas, ne vous approchez pas de lui. Il peut vous tuer avant même que vous vous en rendiez compte."

Oui, Jacob n’avait pas vraiment rappelé de bon souvenir. Parfois il était bien moins diplomate qu’on le pensait. Mais il s’entendait bien avec la miss, ce qui permettait d’éviter quelques problèmes tout en permettant de mieux comprendre certains sous-entendus. Il ne faut jamais sous-estimer le langage corporel.

Et il ne faut également pas sous-estimer les "serveuses" maladroites. Enfin, maladroite en apparence. La conversation qui suivait était, elle, un véritable problème.

"C’est tout sauf nouveau en effet. Pouvez-vous lui demander de faire la queue ? D’autres sont arrivés avant lui."

L’espion blaguait, mais restait néanmoins conscient de la menace, qu’il prenait au sérieux. Paniquer ? Et puis quoi encore, c’est ce que l’adversaire veut.

"Contrôler le temps lui-même ? Voilà qui est bien ennuyant."

Et qui lui donnait des idées d’histoire. Mais ça n’était vraiment, VRAIMENT pas le moment de songer à ceci.

"C’est noté pour sa dangerosité, même is je ne comptais certainement pas m’engager dans un duel physique avec lui."

Mais un duel de mots ? Là il en sortirait vainqueur. Et aisément.

"À choisir, je préfère éviter de mettre la vie des personnes en danger."

Une noble décision.

"Mais je ne crains que malgré mes efforts ma sortie soit tout sauf discrète. Il faudrait un grand problème pour détourner les regards."

Nul doute qu’elle pouvait en créer un.

Un grand problème, une diversion suffisamment efficace pour éviter que son adversaire n'arrive à son objectif. Hum, Anna savait qu'elle n'avait pas beaucoup de temps.

"Je ne peux garantir la vie de personne et je vous conseille de rester sur votre première idée. Éviter le combat."

Une étroite fenêtre se trouvait au bout de la pièce. Anna fit signe à Amakiir de repartir vers la fête. Elle sortit ensuite à l'extérieur et au fil de ses acrobaties, pénétra par le vasistas d'une salle de cours plus éloignée. Revenant vers la salle de réception, Anna répandit dans le couloir une étonnante pâte rouge. Celle-ci a en effet la particularité d'être un redoutable explosif lorsqu'elle est exposée à la chaleur. Faire sauter ce couloir n'allait pas manquer de faire réagir les invités. Ils ne manqueraient pas de sortir en trombe par l'escalier principal. Amakiir qui n'avait pas l'air d'un imbécile devrait réagir suffisamment vite. Quant à l'autre, elle avait hâte de constater sa réaction.

De nouveau prête à passer par les fenêtres, Anna embrasa son plan. Elle était prête pour le match retour.

Pendant quelques secondes Jacob pensait continuer l'humour quand elle mentionna la première idée (qui était de demander à l'autre gentiment mais fermement d'attendre), mais ça n'était pas le moment pour ceci. Un peu de séries étaient nécessaires pour la situation... et pour sa survie, surtout.

"C'est vous la spécialiste, je vais suivre vos directives."

Jacob était un homme intelligent, et si dans la plupart des cas il surestimer ses capacités, avec l'expérience il avait une bonne connaissance des dangers. Et malgré un sourire et une attitude relativement nonchalante... il savait bien qu'il n'était pas de taille. Lire son interlocutrice ne faisait qu'appuyer ceci.

"Je vous laisse donc la distraction. Et je présume que vous me retrouverez sans aucun problème une fois dehors. Bonne chance à vous."

L'instinct. Une petite prémonition, peut-être. Alors bon, il retourna dans la fête, comme si de rien n'était. C'était une simple absence, vraiment. La suite ? Un peu imprévu, il n'allait pas mentir. Le sabotage et les explosions, ça n'est pas vraiment son truc. Mais ça fonctionne, c'est sur. Pour attirer l'attention, ça le fait. Pour faire paniquer les foules ? Ça le fait aussi. Est-ce qu'il doit paniquer également ? Non, mais il doit donner le change. Bon courage aux gardes pour gérer ce bordel (spoiler : ils ne le gèrent pas vraiment). Au moins, l'objectif est accompli : Jacob est intégré à la foule et quitte le bâtiment... puis la foule. S'éclipser en toute discrétion, c'est une de ses qualités. Tant que la bonne personne le retrouvait une fois un peu éloigné du lieu...

Dommage, la première personne qu'il croisa n'était pas du tout la bonne.

"Bonsoir mon cher. Je présume que vous voulez une dédicace ?"

Jouer au con. Gagner un peu de temps. Chaque seconde compte dans ce genre de situation.

Merde.

Elle n'avait pas vraiment d'autres mots à l'esprit. Malgré la panique, il était resté parfaitement calme et tenait maintenant Jacob à sa merci. Si elle attaquait de front, il pouvait sans problème, les éliminer tous les deux. Il lui fallait une meilleure alternative.

La seule qu'elle trouva ne lui plaisait guère. En utilisant la totalité de son stock de sang, elle pouvait probablement le prendre de vitesse et l'empêcher d'agir. Il était même possible qu'elle le tue. Mais elle se retrouverait ensuite très affaiblie dans une ville où on ne manquerait pas de la traiter en ennemie malgré sa prise de risque pour l'un des leurs.

Le plus sage était de laisser Jacob mourir. L'orgueil ne doit jamais guider nos décisions, Les Mères avant tout se remémora Anna. Mais pourtant, elle ne pouvait pas le laisser mourir comme ça.

Merde.

En un instant, elle fut sur lui et le repoussa d'un puissant coup de pied dans la poitrine. Il recula brutalement et son souffle fut coupé.

"Dégage. Je te promets qu'il te rattrapera pas cette fois."

Il était rare que notre héros soit repéré.
Encore plus que plan A échoue.
Que le plan B également.
Le plan C ? Pas la peine d'y penser. Si l'agent était entrainé, il n'était pas imbattable.
Devant lui était la mort.
Ceci ne voulait pas dire qu'il l'acceptait à bras ouvert. Ce sont dans les moments désespérés que le cerveau tourne à toute vitesse. Alors que son allié de fortune lui faisait gagner du temps, l'espion eut une idée.

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Jacob avait la bonne ou mauvaise habitude de toujours réfléchir à ses romans, et il s'avérait que la situation était absolument parfaite pour une tension absolument dramatique. Encore faudrait-il qu'il se sorte de ladite situation. Dégager et fuir ? Oui, mais il voulait aider, au moins à sa manière. En temps normal, il pourrait écrire une jolie lettre, la dissimuler de manière à ce qu'elle soit lue plus tard. Et s’il n'avait pas toutes ses réserves d'encre à disposition, il en garder toujours sur lui. C'était toujours utile.
Et il détestait ce qu'il allait faire. Surtout que l'idée fonctionnait en théorie. La pratique, il n’en avait aucune idée.
Lancer (mollement, qui de plus est, Jacob étant tout sauf sportif et bien bâti) une fiole remplie d'un peu d'encre dans la tête d'un adversaire est tout sauf malin et dangereux.
C'est toutefois légèrement différent quand il s'agissait du Cosmogone, l'encre des émotions. L'encre qui, en dose suffisamment concentrée, provoque des visions et permet de gouter à la folie.
Il avait visé les yeux.
Il espérait avoir bien lancé.

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Monsieur B. regardait la fiole contenant le liquide expérimental tournoyer vers sa cible. De toutes les solutions de dernière minute, on lui avait constamment rappelé qu'elle était extrêmement dangereuse, aléatoire, et potentiellement inhumaine. La couleur était magnifique, impossible à décrire, mais une partie de la Psychée de notre héros était irrésistiblement attirée par le contenue de la fiole.
Cette dernière se brisa.
Advienne que pourra.

Le tueur était prêt à frapper Anna puis à en terminer avec Jacob. Durant la fraction de seconde où tout lui sembla figé et voué à se mouvoir de nouveau, uniquement selon sa volonté, l'imprévisible fit son apparition. L'encre folle jetée par l'écrivain aspergea son visage puis ricocha dans celui d'Anna.

Les deux instruments de mort se faisaient toujours face mais ne se voyaient plus. La couleur inconnue et splendide qui dévorait leurs visages dégouttait lentement sur le sol. Que voyaient-ils ?

Ils s'écroulèrent au même instant sur le sol. Ils n'avaient pas perdu connaissance mais semblaient malgré tout hors du monde.

Monsieur B. ne dirait pas que c'était un échec, il dirait que ça n'avait pas fonctionné comme prévu. Qu'il y avait eu des effets imprévus. Mais l'objectif principal - mettre hors d'état de nuire son assaillant - fut atteint. Il était regrettable que sa partenaire soit indirectement touchée. Au moins, le liquide était efficace. Un peu trop efficace, peut-être. Des discussions avec le professeur allaient être nécessaires.

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Bon, Jacob s'en sortait bien. Il était certainement chanceux. Est-ce que les hybrides comme lui avaient également neuf vies ? Bonne question. Il ne devait pas trop regarder le bordel qu'avait causé le Cosmogone, il avait déjà assez de migraine visuelle comme ça.

Un point sur la situation… Autre part, ça hurlait encore - les conséquences de l'explosion et de la panique. Au moins on ne s'intéressait pas à lui. Qui allait venir dans un coin obscur et perdu à part les personnes suspicieuses comme lui. Non, le vrai problème, c'est qu'il n'était pas médecin. Première étape : improviser et attacher l'agresseur. Ce n’était pas terrible, mais mieux que rien. Étape deux : trainer aussi délicatement que possible son "alliée" dans un coin plus calme. Étape trois : attendre. Rien de très compliqué, sauf la deuxième partie car il n'était pas le gars le plus fort d'Elysion. Mais au moins, il était en sécurité. Le plus dur avait été fait.

"Tu es tellement jolie

- Et intelligente.

- Évidemment.

- Elle n'est et ne sera pas qu'un physique.

- Évidemment.

- Alors cesse de l'objectifier dès maintenant !

- Évidemment"

Les mots et les sons ricochaient dans le crâne d'Anna sans qu'elle puisse les saisir clairement. Ce capharnaüm de sensations était étrangement doux. C'était la seule certitude qu'elle parvenait à fixer.

"Réveille-toi Anna. Allez, ma sœur, ouvre tes yeux."

La jeune fille lui ressemblait. Elle lui frappa la tête avec une pierre mais ça ne faisait pas mal. Elle lui sourit. Anna était contente de la voir même si elle ne distinguait pas clairement son visage.

"C'est beau, n'est-ce pas ?"

Un homme était entre ses bras. Il était maigre, pâle, fragile. Il était en train de mourir. Il avait l'air heureux. Elle pleurait et ne savait pas pourquoi. Pourtant, elle était pleine de joie.

"Ah"

Anna se réveilla. Son visage était mouillé. Elle ne sentait plus l'encre. Jacob lui tournait le dos, assis non loin. Le tueur était ficelé à côté de lui. Les alliés de l'écrivain n'allaient pas tarder. Elle se releva. Elle tremblait. Que venait-elle de vivre ? Ses visions étaient en partie de souvenirs, mais d'autres morceaux étaient plus mystérieux. Elle se sentait étonnement vulnérable et troublée.

"Jacob ... Merci."

Il fallait qu'elle file au plus vite. Les autorités d'Hypnos avaient peu de chance de goûter sa présence et elle avait plus que tout, besoin d'être seule puis de communiquer avec les Mères.

Il ne calcula pas combien de temps il fut nécessaire à sa partenaire pour reprendre ses esprits. Le temps n'était plus vraiment un problème. Du moins, jusqu'a que les gardes et autres autorités arrivent. Et si l'espion pouvait mentir sur la raison de sa présence dans l'enceinte du bâtiment, qu'il n'a pas pu évacuer correctement à cause d'un danger non prévu... bref. Pour elle ? C'était plus difficile.

"De rien, c'est moi qui dois vous remercier, sinon je serai à sa place. Ou pire."

C'est qu'il a plus d'informations qu'on le croit, et le savoir, c'est le pouvoir. On veut souvent l'obtenir à tout prix. La torture est un excellent moyen. Autant ne pas y penser.

"Je vais gérer le reste de la situation ici, vous pouvez partir, je suis certains que vous avez à faire."

Il commençait déjà à réfléchir à tout ceci. Il allait être nécessaire de ne pas trop en révéler aux sous-fifres. Tout ceci allait être intéressa, c'est certain.

Les paroles des Mères ne l'avaient pas rassurée. Anna se tenait sur le bord d'un toit et fixait la nuit. La ville toujours agitée vivait en ces instants l'un de ses rares creux. Les rares silhouettes dans les rues avançaient doucement sans un bruit, et lorsqu'elles se croisaient se jetaient un regard de crainte et de curiosité.

Elles lui en voulaient de l'agitation inutile provoquée. De plus, elle devait gêner l'ombre pour montrer leur indépendance et non pas aider l'Alliance. Cette lumière qu'elle venait de projeter sur leur monde n'était pas une bonne chose. Il allait falloir qu'elle se montre claire pour décourager les bons samaritains de toutes initiatives inappropriées ...

Mais pour le moment, Anna s'en moquait. Les visions qui s'étaient entrechoquées dans sa tête, étaient encore trop vives. D'après le code des mères, elles n'avaient pas le moindre intérêt et pourtant, elles ne cessaient de revenir tanguer et bouleverser sa petite tête.

C'était un fait, suffisamment rare pour être souligné, Anna ne savait pas quoi faire.

"Oh, et mes excuses si jamais il y a eu des effets… indésirables."

La haute concentration d'encre était certainement mauvaise pour la santé, ou au moins pour l'esprit.

"Si vous avez vu des choses, interprétez ceci comme un cauchemar. Ce ne sont que des visions de l'esprit, rien de plus."

Il voyait bien qu'elle était perturbée. En quoi ? Comment ? Qu'avait-elle vu dans son excès de Cosmogone ? Impossible de le savoir. La lumière du Soleil est jolie, mais elle brule.

Dehors, l'agitation commençait à se calmer. Bientôt, les autorités entreraient sur place. La soirée était loin d'être finie, et pourtant il était épuisé.

Elle allait rester un peu plus longtemps. Les Mères n'allaient pas apprécier mais qu'importe. Elle avait besoin de réponses. Quel espoir avait-elle de les trouver ici ? Sans doute aucun, tant les questions mêmes lui échappaient. Pourtant, elle sentait qu'elle devait retarder son départ. Quelque chose d'intime se jouait ici pour elle en ces temps troublés. Pour gagner du temps, elle avait accepté une mission de repérage. Elle garderait un œil sur l'ombre comme sur l'alliance, et en particulier, sur les recrutements à venir des deux forces. Des contrats juteux ne manqueraient pas de faire leur apparition avec l'émergence de nouvelles têtes à abattre. Mais pour l'heure, elle n'avait personne à traquer, si ce n'était propre passé.

/hrp/ On conclut ici, ou tu veux rajouter un dernier post ? /Hrp/