[Archivé] Du Thé pour les Pendus [Libre]

Une journée grise, humide, dans la Forêt du Pendu.
Entendez par là qu'il y faisait plus sombre encore que d'habitude, et que l'odeur de moisi qui régnait entre les arbres noirs y était plus prégnante encore.
A part pour la cueillette de champignons - qui s'en sortaient très bien avec la semi-obscurité et l'humidité - personne n'aimait venir dans cette Forêt. Personne de sensé, en tout cas.

La présence d'un petit chalet avait donc de quoi surprendre.
Une forme rectangulaire, pas très haute ; des murs de bois sombre, patiné par le temps et la pluie ; un toit presque plat de bardeaux : la construction ressemblait à un refuge de chasseur, quoique plus spacieux.
De petites fenêtres aux lourds volets de bois, une cheminée fumante et une petite terrasse couverte donnaient à la bâtisse un petit côté accueillant très inattendu pour l'endroit.

Sur cette terrasse, d'ailleurs, se trouvait une table et plusieurs chaises.
Sur une de ces chaises, Maeko était assise.
Une tasse de thé fumant à la main, elle lisait tranquillement son lourd grimoire posé sur la table.
Lampion, le dragonnet, était couché sur la table.
Il mâchonnait ce qui ressemblait à un os de lapin.

Une cabane qui se trouvait dans une Forêt désertée par la civilisation, et un duo fantasque qui se trouvait toujours là où on l'attendait le moins. Somme toute, les deux s'accordaient plutôt bien.

Maeko but une gorgée de thé
Tourna une page du livre.

- Oui. Bonjour semble approprié. Bonjour donc.
Lampion ? Tu ne m'avais pas dit que tu t'étais entraîné sur les boules de feu explosives ?
- Criouuu !
- Ce n'est pas toi cette fois ? Allons donc !

Posant enfin les yeux sur l'homme couvert de suie, Maeko referma son grimoire.
Elle but une autre gorgée de thé, calmement, un petit sourire au coin des lèvres.
Le dragonnet, lui, fixait le nouveau-venu avec l'air avisé des experts en pyrotechnie qui, découvrant un nouveau modèle de pétard, se demandent de quelle couleur sera l'explosion une fois la mèche allumée.

La fille n'avait pas l'air de beaucoup régir. Une dure à cuire ? Je relevais un peu la tête. La fille m'observait avec un petit sourire en buvant tranquillement son thé. Elle est plutôt pas mal vu de près...

C'est plutôt sympa ici... J'espère que je ne vous ai pas crâmé la moquette...

Je me relevais péniblement, avec maintes grimaces. Les prothèses de mes jambes craquaient à tout va et je n'avais pas pris mon fauteuil roulant - modèle de poche - , je n'allais pas pouvoir rester très longtemps...

Et sinon... Il y a une explication scientifique au fait que ce dragon soit... tout petit ? Demandais-je en penchant la tête sur le côté, curieux d'en savoir plus.

- Oh, ça lui apprendra. Cette moquette a été mauvaise joueuse après avoir perdue au poker l'autre soir. En revanche, avez-vous remarqué que vos jambes grinçaient ? Peut-être que c'est cela, qui devrait vous inquiéter, plutôt que les états d'âme de ma moquette faite en planches de bois.
Quant à Lampion...
- Criouuuuuu !

La femme échangea un bref coup d'oeil avec le dragonnet, son sourire s'élargissant comme après une bonne blague, puis revint sur l'homme grinçant :

- Je dirais que ce n'est pas la taille qui compte.
Et vous ? Y'a-t-il une explication scientifique au fait que vous soyez couvert de suie ?

- Oh mais je le dis, et le maintiens même ! L'éducation du mobilier niveau fair-play laisse vraiment à désirer ! Enfin... je dois avoir quelque chose pour régler au moins un de vos problèmes actuels...

Elle se leva et disparut environ une minute dans la cabane, provoquant un vacarme assez étrange à l'intérieur.
Lampion fixait l'elfe avec insistance. Il cligna une fois des yeux, et un nuage de fumée sortit de ses naseaux.
Allez comprendre ce que cela voulait dire...
Maeko revint, et lança à l'elfe une serviette et un petit arrosoir à bac fin qui semblait contenir de l'huile.

- Vous avez de la chance, il me restait un peu d'huile. Vous savez, lorsque Lampion se décide à brûler quelque chose, vivant ou non, son état à l'arrivée ne permet pas d'obtenir une réponse satisfaisante en posant la question "Alors ? C'était chaud comment ?"... et les autres dragons... j'en ai pas croisé beaucoup jusque là. Du coup, tout ceci manque un peu de groupe témoin.

Une drôle de lueur s'alluma dans les yeux de la femme :

- Ceci dit, si vous vous proposez pour être le sujet de test, on peut tenter l'expérience tout de suite. Attendez juste avant de mettre de l'huile sur vos prothèses ; ça risquerait de fausser les résultats en accélérant la combustion...
- Criouuu !

Visiblement enthousiaste, le dragonnet se mit sur ses pattes et s'approcha de l'elfe en se dandinant jusqu'au bord de la table.

Maeko tapota le bout de son nez avec un doigt, ayant l'air de réfléchir intensément. Le dragonnet attendait le verdict, impatient de justifier son surnom.

- Cet argument fait mouche. Pour mon confort olfactif, je vais tenter de négocier avec Lampion pour qu'il change de cible...
- Criouuu ?
- Non, tu veux bien t'occuper plutôt de ce truc qu'il tient ?
- Criouuu ! Cricriouuu !
- Huhu... ça, il fallait s'en douter. Bon, il est d'accord, mais si le thermomètre ne résiste pas, il va sûrement continuer avec votre derrière.

La femme recula d'un pas, tandis que le dragonnet affichait un sourire carnassier de pyromane s'apprêtant à satisfaire ses pulsions.
Maeko recula encore d'un pas.
Par précaution.

Lampion gonfla ses petits poumons et ouvrit la gueule vers le petit thermomètre.
Une flamme fine et brillante partit comme un rayon laser vers l'objet avec un bruit de sifflement de plus en plus aigu à mesure que la température montait.
Qui allait lâcher en premier ? L'endurance du dragonnet ? ou la résistance moléculaire du thermomètre ?
[Vous le saurez, après une page de publicité]

- Ravie de vous connaitre, pour le moment. Moi, c'est Maeko. Votre truc est solide comment ? Juste pour savoir...