[Terminé] Un sourire de Dame Chance

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En passant les portes du palais, Sorga répondit aux regards inquisiteurs des nombreux gardes en faction d'un simple hochement de tête. Il ne tenait pas à s'expliquer sur son départ et, fort heureusement, un groupe de curieux s'avança depuis la rue en direction du portail.
Du coup, l'homme-lézard put sortir tranquillement lorsque les gardes s'interposèrent pour empêcher l'entrée du Palais.

Claudiquant toujours et se dirigeant vers le quartier des Portails, Sorga se fit violence pour ne pas se retourner et jeter un dernier coup d’œil au Palais. Cela faisait presque deux ans que le monument était devenu sa maison, et partir ainsi lui pesait plus qu'il ne voulait l'avouer.
Il y reviendrait bien sûr, mais l'enlèvement de la Reine avait crée une fracture dans la perception qu'il avait des lieux ; ce ne serait plus ce lieu magique et sûr, où il avait pu obtenir ce travail auprès de Beldura qui lui convenait si bien...

Il soupira, avant de se concentrer sur son objectif final : retrouver la Reine enlevée. Mais avec son état de convalescent claudiquant, un sauvetage était hors de sa portée, même s'il avait su où elle avait été emmenée.
Surtout que maintenant, il ne se faisait plus aucune illusion sur son aptitude martiale...
Il devait donc trouver quelqu'un qui saurait le soigner et l'entraîner. Heureusement, son frère Zyrwatil était parfaitement capable concernant cette deuxième condition, même avec son statut de mort-vivant, et Sorga espérait qu'il saurait également l'aider à sortir de cette convalescence.

- Te voilà enfin ! Et bah c'est pas trop tôt !

La voix familière le fit sursauter. Il s'immobilisa et, stupéfait, découvrit à l'angle de la rue cette mystérieuse femme qui avait tendance à apparaître dans sa vie aux moments les plus critiques.

- Vous ?

La femme plissa les yeux, agacée, puis s'éloigna du mur sur lequel elle s'était appuyée pour venir en face de l'homme-lézard.
Les mains sur les hanches, elle s'exclama :

- Oui, moi ! Qui d'autre tu t'attendais à voir débarquer ? Sérieusement, tu m'appelles pour me demander un coup de main et tu fais cette tête surprise alors que j'ai la gentillesse d'arrêter ce que je faisais pour venir te voir ?

Elle était revenue à une tenue plus traditionnelle, abandonnant son manteau de marine et son tricorne pour une robe noire légère. Son masque blanc était accroché à sa taille, lunaire, comme toujours, et son sac pendait à son côté. Elle avait un air fatigué sous son expression de colère, et des cernes noires lui creusaient les yeux.

L'homme-lézard ne comprenait pas, et il resta un moment immobile devant la femme qui lui criait dessus.
Les gens passaient autour d'eux sans avoir l'air de remarquer le caractère bizarre de la rencontre, se contentant parfois d'un regard amusé devant l'expression de colère de la femme, pouvant être confondu avec un règlement de comptes conjugal.

- Mais... je ne vous ai jamais appelée ! Et... je ne connais même pas votre nom !

C'était vrai en plus, mais il ignorait pourquoi il avait ajouté cette deuxième phrase d'une voix un peu précipitée. Il se sentait presque comme un gamin pris en faute par sa maîtresse d'école !
Il se rendit compte que cette femme étrange, qui apparaissait d'un seul coup pour disparaître un instant plus tard, qui lui avait révélé l'emplacement de sa famille disparue, qui l'avait envoyée – involontairement selon elle – à Artgard et qui était intervenue lorsque Garmyr blessé était chez le conseiller Siffroy... eh bien, cette femme là donc... lui faisait peur !
Comment aurait-il pu en être autrement ? A chaque fois qu'il avait eu affaire à elle, elle avait mis le bordel dans sa vie !
Un détail, soudain, attira son attention.

- Mais... où est le dragon qui vous accompagnait tout le temps ?

L'expression de la femme s'assombrit davantage.

- On a eu une dispute. C'est ma faute, et je dois faire amende honorable en...

Elle s'interrompit, soupira, puis retrouva un visage furibond en pointant un doigt accusateur vers la poitrine de l'homme-lézard :

- Mais ce n'est pas le sujet ! Tu me racontes des bobards, en disant que tu ne m'as pas appelé. Tu es sans doute celui dans cet univers qui passe le plus de temps à m'appeler !
Je cite "je vais demander un coup de main à Dame Chance pour accélérer le voyage."
Alors... de quel voyage parles-tu ? Dépêche-toi, je n'ai pas grand chose d'autre à faire, mais ce n'est pas une raison !

L'homme-lézard ne put pas répondre immédiatement, tant la surprise lui embrouillait le cerveau. Elle était sérieuse, en se prétendant être Dame Chance ? Ca n'avait pas de sens ! C'était un personnage fantaisiste, le nom qu'il donnait à sa chance ou à sa malchance, juste une façon de parler en somme. Bien sûr, depuis le temps, elle était passée dans son langage de façon très récurrente. Imaginer qu'elle fut là, devant lui, en chair et en os...
Son regard se posa un instant sur le masque lunaire accroché à la ceinture de la femme.
La Dame aux deux visages...
Il se secoua. Fadaises !
Elle s'amusait à le suivre et était à moitié folle, c'était tout !
Mais elle savait se téléporter...

- Je ne suis pas certain de croire que vous êtes Dame Chance, mais j'ai effectivement besoin de votre aide. Je dois me rendre au Mont Héraclès le plus vite possible. Pouvez-vous m'y emmener ?

La femme haussa les épaules en l'entendant parler de ses doutes. Cela n'avait pas l'air de l'étonner, d'ailleurs. Elle fit ensuite la grimace, mit ses mains sur ses hanches, et soupira :

- Ce sera difficile... je n'ai pas mon cube pour le flux de puissance et les coordonnées d'arrivée... j'ai déjà du mal à me téléporter seule sur de grandes distances, alors avec toi et sur une autre planète ?

Elle sembla réfléchir une seconde mais, en voyant l'homme-lézard ouvrir la bouche pour plaider davantage sa cause, elle leva la main pour l'interrompre en ajoutant :

- Ne te méprends pas, je veux bien t'aider. Ce ne sera pas sans risques, et peut-être pas aussi rapide que ce que tu imaginais, voilà tout. Et en échange de mon aide, j'aimerais t'accompagner un moment. Je veux voir le tombeau de ta famille, rencontrer ton frère peut-être...

L'homme-lézard ouvrit et referma la bouche plusieurs fois. Il passa d'une expression étonnée à une... plus résignée.

- Bon, j'abandonne. Je ne vais pas vous demander d'où vous savez que j'ai un frère...
Mais j'accepte, même s'il va falloir qu'il accepte aussi. Merci pour votre aide, en tout cas.

Il se méfiait toujours de cette femme, mais il sentait que s'il commençait à vouloir connaître le pourquoi du comment avec elle, il risquait de ne jamais arriver à destination...
Et sa mission attendait.
La Reine attendait.
Cette pensée lui fit l'effet d'un électrochoc. Il demanda, la voix empressée :

- Peut-on partir maintenant?

La femme eut un sourire amusé.

- Huhu... dommage. C'est une histoire intéressante, tu rates quelque chose, crois-moi. Laisse-moi juste un instant pour me préparer... c'est un sacré saut quand même.

Elle sembla retrouver un semblant de sérieux, s'approcha de l'homme-lézard pour jauger sa taille, ferma les yeux une minute en marmonnant pour elle-même, sortit de son sac une carte miniature d'Elysion qu'elle inspecta...
Finalement, elle inspira un grand coup avant de venir prendre dans ses bras un homme-lézard fort surpris. La femme se colla contre lui, sa tête arrivant tout juste à hauteur de son menton.

- Détends-toi. Plus on est proches, plus ce sera facile pour moi de nous téléporter. Et puis, j'avais bien envie d'un câlin...

Sorga n'en menait pas large.
Cette invasion soudaine de son espace personnel le mettait assez mal à l'aise, surtout avec sa blessure. Cette femme lui faisait vraiment peur maintenant !
Se détendre ! Pas facile, avec ces cheveux qui le chatouillait sous le menton et son parfum qui lui envahissait les narines ! Sa main se contracta sur sa lance, mais il se força à rester immobile malgré tout.

L'air autour d'eux devint soudain plus lourd, et l'homme-lézard sentit comme un bourdonnement sourd dans ses os.
La respiration de la femme s'arrêta.
*Flash*
Sorga eut tout juste le temps de fermer les yeux sous une lumière vive qui venait d'apparaître, et il se sentit emporté et secoué dans tous les sens.

L'homme-lézard et la femme disparurent de la rue.
Les badauds reprirent leurs activités après ce spectacle de magie impromptu. On racontait que la Reine avait disparu, aussi ils avaient autre chose en tête...