[Archivé] La chaleur de Corona [libre]

Il faisait une chaleur étouffante, écrasante, même sur Hypnos. Corona prenait son temps pour en finir, et si on était très loin du climat torride, intenable qui régnait sur les contrées Rhadamantiennes, la capitale était tout de même engourdie sous une chape de chaleur qui en semblait pas vouloir partir. Si en début de saison, les enfants avaient été contents d’enfin pouvoir profiter de la mer et des piscines chauffées par le soleil, à présent, même eux guettaient le prochain orage avec une certaine hâte. Plusieurs fois, il avait été question de refroidir artificiellement le climat de la mégapole et de ses environs, mais on y avait renoncé. Tant que personne n’en mourrait, il semblait inutile de dépenser du temps, de l’argent, et de l’énergie pour ça. C’était la saison qui voulait ça, n’est-ce pas ? Et le climat n’était tout de même pas aussi extrême que chez les voisins, alors …
Le Palais était cependant et bien évidement, épargné. Qui aurait pu imaginer les souverains et leur Cour suants, coulant, gouttant, leur maquillage fondant, bref, souffrant de la chaleur ? Cela aurait empêché de travailler, de gouverner, de courtiser … Oh, certes, les entreprises, et certains magasins, en bref, là où travaillaient les gens, étaient aussi légèrement refroidis. Mais peut-être pas aussi bien, peut-être pas aussi efficacement que dans la Palais, où la température était juste parfaite. Et puis, ces lieux-là n’étaient peut-être pas aussi ouverts au public et accessibles que le palais.
En tous cas, c’était la double explication que trouvait Senea pour justifier la présence de tant de monde qui n’avait rien à faire dans les premiers étages de la Tour –l’accès aux suivants étant plus règlementé. Ainsi, on avait expressément demandé à un certain nombre de courtisans d’aider ces badauds à retrouver leur chemin. Elle faisait partie de ceux-là. Ce rôle ne l’enchantait pas vraiment ; elle aurait préféré rester avec son frère, oui bien à lire tranquillement dans une pièce qu’elle rafraichissait elle-même. Cependant, il était difficile de refuser, et elle était donc en robe bleu légère, ses cheveux tressé, un air plus frais autour d’elle, au premier étage de la Tour. En descendant les escaliers, elle avait givré la rampe, un sourire espiègle sur les lèvres, et cette même rampe goutait un peu à présent.
Il y avait vraiment beaucoup de monde. Elle ne savait pas vraiment quoi faire, et décida finalement d’aller aborder quelqu’un de seul, pour pouvoir l’aiguiller, se disant que plus vite on les considèrerait comme assez dispersés, plus vite elle pourrait retourner vaquer à ses occupations.

- Bonjour. Vous cherchez quelque chose ? Je peux vous aider, peut-être ?

- Bonjour. Vous cherchez quelque chose ? Je peux vous aider, peut-être ?

- Mmmmh ? Pardon ? répondit Lord Berkley en se retournant, admiratif devant la foule et la chaleur qui saisissaient le lieu, non sans que l'un soit la cause de l'autre. Voilà longtemps que Lord Berkley n'avait plus vu tant de visages au même endroit. La dernière fois, ça devait être à son enterrement, sans doute. Lui revenait tout juste d'un entretien avec le roi, au terme duquel, après de longues questions sur les circonstances récentes de sa mort et passées de sa vie, il fut dit qu'il reprendrait son ancien poste d'ambassadeur à Minos. Le palais n'avait, pour ainsi dire, pas pris une seule ride. Les alcôves, les colonnes, les circonvolutions architecturales, les vitres et les ombres, les draperies , tout cela lui semblait si familier, quand bien même si étrangement lointain. Il revivait ses premiers bals courtisans, revoyait les visages de ses pairs déguisés sous des masques avant d'aller danser en couple et de s'échanger des mondanités exquises autour d'une coupe de vin. Sa vie surgissait par fragment suivant les perspectives que ses yeux rencontraient. Lord Berkley était perdu, mais il ne voulait pas se l'avouer. Lord Berkley était revenu, mais il ne parvenait pas à l'accepter. C'est le sourire d'une jeune femme qui le sortit de sa torpeur.

- Oh ! Veuillez excuser ma rudesse, jeune demoiselle. Vos simples yeux me sont déjà une aide précieuse. Ceci dit, je crois qu'en effet vous pourriez me rendre un service, et si je présage de votre charme, il me semble dire vrai en affirmant que vous saurez y répondre favorablement.



[résultat du dé : 10]

L’homme abordé était de grande taille et portait un haut de forme et une redingote, qui lui donnaient un air encore plus grand, mais surtout un peu passé. Lorsqu’il se retourna, Senea retint un mouvement de recul devant cette peau verdâtre, un peu grise aussi, à l’aspect très étrange, et devant ces orbites creusées, un peu noircies, contenant deux yeux lumineux et vitreux, dont l’un était affublé d’un monocle. Elle nota aussi la moustache et les favoris, mais c’est à peu près à cet instant très précis que l’odeur, étrange, de l’homme lui arriva aux narines. C’était quelque chose de douceâtre, qui aurait pu lui soulever le cœur en d’autres circonstances. Il y avait là un mélange tout à fait indéfinissable, dérangeant si on y portait trop attention.
L’air se refroidit encore un peu. Plus il faisait froid, moins on sentait les odeurs, n’est-ce pas ?
Poliment, elle sourit à l’homme face à elle. Ses joues prirent une jolie teinte rosée face à ses compliments, plutôt inattendus. Elle sentait bien qu’il n’y avait là aucune dimension de séduction quelconque. Ce n’était ni le bon ton, ni le bon âge. Non, cela semblait pour l’homme face à elle une façon de s’exprimer, comme certains ne s’expriment que par ironie. Cela finissait de conférer à son interlocuteur un quelque chose de désuet.
La Fille de l’Eau sourit.

- Alors, dites-moi en quoi je pourrais vous être utile, cher …

Son ton aimable laissait place à une présentation de la part de la personne face à elle.

Le temps pour un éclair de zébrer les yeux de son interlocutrice au moment où il s'était retourné, Lord Berkley nota que son visage fut traversé du spasme tant bien que mal réprimé de cent une émotions contradictoires entretenues entre les isotopies du dégoût et de la fascination. Jugeant que l'étiquette n'avait point été enfreinte par cette moue nano-secondaire, Lord Berkley ne s'en offusqua pas, et, au contraire, cela le fit jubiler quelque peu. Sa nouvelle condition, peut-être y trouverait-il une forme d'amusement, après tout ? Autant ne pas gâcher sa seconde vie en étant un zombie dépressif, n'est-ce pas ? Cet état d'esprit nouvellement provoqué par l'apparition soudaine de la jeune femme lui fit oublier un instant sa torpeur précédente et son abîme nostalgique. L'air semblait plus léger, plus subtil, plus frais autour d'elle, bien qu'elle n'eût aucunement l'air glacial.

- Voyons ! Quel Diable fais-je de ne me présenter point ? Vous devez m'en vouloir atrocement, et si ce n'est pas le cas vous devriez m'en vouloir atrocement de ne pas offrir de nom que vos doux yeux pourrait associer à mon visage. Alors voici : je suis Lord Berkley - avec une pose théâtrale - 7e régiment de cavalerie - il fait mine d'une épée avec sa canne - ancien et nouvel ambassadeur de sa Majesté - il se courbe, Alf redouté, de retour parmi nous, pour vous servir - il lui fait un baise-main. Mais, une telle beauté, elle aussi, doit bien avoir un nom ? Je ne vous soumettrai ma requête que lorsque que j'aurais eu la joie de le connaître.




[résultat du dé : 16]

Ses manières, ses moues, sa façon de bouger … Il y avait en lui une certaine théâtralité, qui accentua le sourire de la jeune courtisane. Le fait de parler à quelqu’un semblait l’animer, c’était un régal à voir. Elle devint poliment rose face au baisemain qu’il lui donna, et cette couleur s’accentua sur ses joues.

- Je le nomme Senea Greimhridh, Lord Berkley, et je fais partie de la Cour de Leurs Majestés.

Elle fit une légère révérence.

- Ainsi, vous travaillez ici également ? Et vous avez besoin d’un renseignement ?

Il lui semblait étrange de ne jamais l’avoir croisé auparavant. Cela faisait tout de même des années qu’elle vivait au palais ! Et jamais elle ne l’avait aperçu au détour d’un couloir … C’était très étrange, d’autant qu’il avait une apparence facilement reconnaissable.

Cette jeune femme était décidément délicieuse : sa façon timide de rougir augmentait le charme que la fraîcheur de son aura dégageait. Elle ne devait pas être habitué à tant de ferveur de la part d'un gentleman, pensa Lord Berkley. Impliquerait-ce cependant qu'ils fussent tous disparus à cette époque ? Sans doute pas, et néanmoins, personne n'avait encore eu l'élégance de venir lui apporter un verre d'eau ou un éventail pour se rafraîchir. Tout se perd, manifestement. Cette dernière remarque en interne plongea Lord Berkley dans une gravité passagère qui eût pu se voir un instant sur son visage, comme une ombre réprobatrice. Le sourire lui revint avec la révérence que lui fit Senea.

- Quel nom charmant ! On le croirait taillé pour un astre. Et avec votre robe et votre énergie, je vais finir par croire que vous êtes une comète ! Mais trêve de compliment - il se pencha vers elle comme pour une confidence, leur abondance nuit à leur vérité. Reprenant une voix officielle Disons que je reprends du service après une longue absence. Il lui tendit une main ouverte Ce faisant, Senea, j'aimerais que vous me fassiez visiter le château, et que vous me racontiez comment vous y vivez. J'ai besoin de me rafraîchir la mémoire. M'accorderiez vous cela ?




[résultat du dé : 2]

Senea ne vit pas l’ombre sur le visage de son interlocuteur, trop occupée par sa révérence. Elle eut l’élégance de rougir de nouveau face à ses compliments, et eut un rire frais lorsqu’il lui dit, sur le ton de la confidence, que trop de compliments leur enlevait de leur valeur. Cet homme, malgré son apparence étrange et l’odeur subtilement affreuse qu’il dégageait, s’avérait être tout à fait charmant. Bien plus qu’un certain nombre des jeunes fats qui lui tournaient autour …
Elle posa sa main sur celle qu’il lui tendait, et lui sourit.

- Une visite guidée ? quelle idée charmante ! Ce sera pour moi un plaisir monsieur Berkley. Cela fait vingt ans que mon frère et moi-même vivons ici, je n’ai jamais rien connu d’autre, et ainsi, le palais n’a que peu de secrets pour moi … Ou du moins, je l’espère ! D’ailleurs, je ne vous ai jamais croisé sur ces années.. étiez-vous en mission, Lord Berkley ?

Sa question semblait plus innocente qu’elle ne l’était en réalité, évidemment. Le fait de ne pas reconnaitre Berkley la chiffonnait.

Avec un œil amusé, Lord Berkley remarqua que, malgré les années passées dans son caveau, son charisme naturel n'avait pas l'air d'avoir faibli, à en juger du moins par les éruptions doucement rosées qui apparaissaient sur les joues de Senea à mesure qu'ils conversaient.
La main qui se posa sur la sienne était fraîche et douce. C'était la première fois qu'il rencontrait une autre peau que la sienne depuis sa résurrection. Ce contact le fit frémir intérieurement. Et la peau jeune de Senea lui fit prendre conscience de la flétrissure de la sienne, de sa sécheresse, de sa décrépitude. Sa peau était fanée, plus encore que les fleurs qui, un jour, ornèrent sa tombe. Piquée par endroits, sa peau avait déteint. Lord Berkley n'avait pas encore eu le temps de s’ausculter, nu, pour voir l'étendue de sa mort. Sa priorité jusque-là avait été son habit plutôt que son épiderme. Cette seule main posée sur la sienne le renvoya à sa condition d'homme d’apparat, et pire : à sa déchéance en tant que tel. Cette pensée vertigineuse fit vaciller Lord Berkley sur ses genou. Il manqua de tomber au moment ou Senea finissait sa phrase, se rattrapant in extremis à sa canne.

- Je... tentant de reprendre une contenance Je me chagrinerais que nous ne parlions que de moi, mademoiselle. Avec un grand sourire Je me sens fébrile rien qu'à l'idée d'y penser ! Reprenant son ton de confidence Mais, de vous à moi, je crois que le roi n'aimerait pas que les raisons de ma présence ici ne s'ébruitassent trop rapidement. Forcément, les gens vont se poser des questions. Les gens se posent toujours des questions. Et j'ai horreur des indiscrétions, surtout dans mon métier. Les oreilles indiscrètes sont légions, tout particulièrement au palais. Marquant un temps de pause, scrutant sévèrement l'attitude de son interlocutrice face à son discours Mais je crois pouvoir vous faire confiance. Si vous parvenez à nous trouver quelque endroit calme, nous ferons plus ample connaissance, parole d'Alf !




[résultat du dé : 8]

Senea vit Lord Berkley vaciller, et serra sa main alors qu’il se rattrapait à sa canne. Elle sentit la peau flétrie se plisser sous la pression. C’était étrange. Elle n’avait jamais eu de grands parents, et n’avait donc jamais, ou presque touchée de peau dans cet état. Cela l’intrigua plus que cela ne la dégouta. Elle lança un regard étonné à l’ambassadeur, qui reprenait pourtant contenance, avec un sourire qui lui sembla légèrement feint. Face à ce qu’il lui dit sur le ton de la confidence, la jeune fille hocha la tête, avec pourtant l’ombre d’un sourire un peu mystérieux sur le visage.

- Mais n’est-ce pas là aussi le métier des courtisans ? Être au courant de tout … Nous sommes, finalement, de meilleurs espions à la cour que les espions eux-mêmes, n’est-ce pas Lord Berkley ? Sur qui leurs Majestés pourraient-elles compter, sinon sur nous, pour savoir tout ce qui se passe sous leur toit ?

Elle fit un discret clin d’oeil, tout en l’entrainant vers un portail.

- Venez. Nous allons monter. Ces étages sont ouverts à tout le monde, et leur fraîcheur les rend bondés.

Se frayant un passage, sans forcer pour autant, vers le portail à travers la foule, elle continua :

- Les trois premiers étages sont ceux qui servent à orienter les visiteurs, ou ceux qui demandent une audience, en quelque sorte. Ensuite se succèdent des salles de réunion, des jardins intérieurs, des expositions, des salles de bals, des salons, des salles de jeux, des salles d’entrainement, des salles de sport, les cuisines, les salles de banquet, des chambres, les appartements de leurs majestés … Et je dois bien évidemment en oublier … Mais c’était déjà comme ça lorsque vous étiez là, n’est-ce pas ?

Elle lui sourit.

- Où voudriez-vous aller Lord Berkley ? Les salons privés du quinzième ont un charme bucolique certain, mais ceux au douzième ont l’avantage d’être plus frais, tandis que ceux du vingtième offrent une vue imprenable sur la ville. Nous pouvons aussi nous réfugier aux jardins intérieurs si vous le voulez ! Ou ailleurs, bien évidemment …

Ils étaient devant le portail.

[Je te laisse nous déplacer :3]

Energique, Senea avait entraîné Lord Berkley rapidement vers un portail, afin d'esquiver la foule venue échapper à la chaleur. Sa dernière remarque avant que de le guider vers la sortie l'amusa. Il était vrai que son travail s'apparentait énormément à celui d'un espion : il devait découvrir les secrets des autres tout en gardant ses propres secrets secrets... Mais Senea fut plus rapide que sa réponse, qu'il escomptait pourtant enveloppée de mystère. Bref, un choix s'offrait à lui, donné par la jeune femme. Lord Berkley examina les options.

- Peu importe la pièce dans laquelle nous irons, je crois que sa fraîcheur de dépendra que de votre présence en son sein en répondant à son clin d’œil par le sien. Cependant, si je n'écoutait que la douce mélodie de la nostalgie siffler à mon oreille, je voudrais revoir le château dans ses moindres recoins. Figé un instant comme pour une profonde introspection Ce que j'aimerais revoir, chère Senea, c'est la Fontaine aux Princes ! Pris d'un élan d'enthousiasme Venez, suivez-moi !

Ils empruntèrent le portail direction le 17e étage. Toujours un peu devant, Lord Berkley marchait d'un pas décidé, tentant de voyager en même temps dans le dédale de sa mémoire et des couloirs du palais.

- Vous devez la connaître, sans doute. A l'époque, ses séries de cascades étaient célèbres dans tout le royaume ! Se laissant emporter par son enthousiasme J'étais là à son inauguration, vous savez ? Une fête somptueuse organisée par la Reine à l'occasion de la naissance de ses deux fils jumeaux !...

Lord Berkley s'arrêta brusquement devant une porte. Fermée à clé.

- Perplexe Elle n'était pas là la dernière fois. L'air sérieux et militaire, s'éclaircissant la gorge Très chère Senea, je crois nous avoir égaré. Humble, retirant son couvre-chef Daignerez-vous excuser ma piteuse mémoire de nous avoir méconduit ?




[résultat du dé : 8]

Senea eu un éclat de rire lorsque Lord Berkeley évoqua sa fraîcheur naturelle. Il avait vu juste, tout à fait juste. Elle se demandait toujours quel âge avait cet homme, d’où il venait, car il ne lui faisait que des réponses bien mystérieuses, trop pour satisfaire à sa curiosité sans égale. Et soudain, il l’entraîna à sa suite, vers …

La Fontaine aux Princes ?

Cela faisait presque … Trois siècles que … et seulement quelques années de moins que … Elle clignait des yeux, perplexe médusée. Tout doucement, le lien se faisait, mais cela lui paraissait assez farfelu et … Elle se laissait entraîner. Et au vu, de la mine perplexe et déçue de Lord Berkley, elle avait vu juste.

- Oh, ne vous inquiétez pas, vous ne nous avez pas égarés, nous sommes au bon endroit.

Elle se voulait rassurante, mais se doutait un peu qu’elle ne l’était pas vraiment. Elle s'éclaircit la gorge.

- Venez. Je n’aime pas trop cet endroit. Allons dans les jardins aux cascades.

Elle l’entraîna vers le portail.

- En fait … L’inauguration dont vous parlez a eu lieu il y a aujourd’hui bientôt trois siècles.

Ils passèrent le portail, auquel elle donna son indication, qui les mena directement aux jardins. Il y avait là un paradis de verdure, extrêment lumineux, empli d’un camaïeu de couleurs froides, et de bruits d’eau et de chuchotis. Elle sourit à deux femmes.

- Allons chercher un endroit tranquille, qu’en pensez-vous ?

Elle joignit le geste à la parole, et se mit en route, avant de continuer son explication, cheminant tranquillement entre les visiteurs, et tentant de trouver où s’asseoir, si possible non loin d’une cascade au bruit si doux.

- Oui, comme je vous le disais, l’inauguration de la fontaine aux Princes a eu lieu il y a près de trois siècles. Cependant … Quelques années plus tard, cette pièce a été fermée. Les jumeaux ont eu un destin tragique, et cet espace rappelait leur mère bien trop de souvenirs. Je n’ai moi-même jamais pu accéder à cette splendeur, je ne la connais que par les livres.

Elle lui sourit gentiment. Si tout allait bien, il comprendrait la question muette qui affleurait de son explication “comment en savez-vous pas cela, puisque vous avez survécu tout ce temps?”.

- Oh ! Un banc ! Allons nous asseoir, voulez-vous Lord Berkley ? Nous serons plus tranquilles.

Elle lui sourit, indiquant de la main un bac de fer forgé, blanc, presque caché par un bosquet, et non loin, en effet, du son apaisant d’une cascade aux eaux limpides.

Lord Berkley devenait de plus en plus interdit. Il suivait Senea, mais ses pieds avançaient seuls. Son esprit était ailleurs. L’ascenseur émotionnel qu'il venait de subir, passant d'un enthousiasme passionné à la contemplation du néant le plongea dans une confusion profonde qui faisait ressurgir des images, des sons, des rires, des rictus, des sourires ou des pleurs, des choc, des baisers, des étreintes et des coups, tous ses souvenirs remontaient à la fois sans qu'il pût en saisir aucun. Chaque instant de sa mémoire revenait et partait à sa guise comme une gifle silencieuse, au point qu'il finit par douter de son propre nom, de sa propre existence. Lord Berkley se contenta d'acquiescer automatiquement aux mots de son accompagnatrice. Et lorsqu'elle lui sourit pour lui proposer un siège, c'est les yeux dans le vague qu'il accepta la proposition, ou plutôt que ses jambes s’assirent d'elles même.
Lors Berkley était prisonnier du maelström infernal des fils de sa destinée qui s'entrecroisaient, se nouaient et se tranchaient les uns les autres. Mais de la violence qui torturait son cerveau et son cœur, rien sur son visage. Une minute dut passer, sur ce banc, à n'entendre que le clapotis de l'eau rouler de la fontaine. Lord Berkley regardait l'horizon, un point infixe dans l'espace.

"trois siècles..." finit-il par murmurer très bas. Un éclair traversa ses yeux soudainement.

"Chère Senea ! Vous auriez dû voir le monde il y a trois siècles ! Son sourire revenu, immense et bienveillant Qu'il était beau ! et que ses couleurs étaient belles.... un brin de nostalgie Je... Senea, vous êtes si aimbale avec moi, je crois vous devoir des explications. Croyez bien que cela m'est difficile, je n'en sais moi-même pas beaucoup plus que vous, et je crois n'avoir plus aucune certitude de ce monde à l'instant où je vous parle. Avec une voix plus grave, plus profonde, plus vraie, perçant en quelque sorte à travers le masque du courtisan, une faiblesse ? Je me suis réveillé hier, et j'étais mort. Avec un grand sourire Curieux, n'est-ce pas ? de retour à sa voix normale J'ai fait mon temps chère amie, au service d'autres rois sur cette terre. Et voici que je reviens aujourd'hui sans savoir pourquoi."

Lord Berkley plongea doucement sa main dans l'eau du bassin adjacent et fit jouer ses doigts comme pour vérifier ses sensations.


[résultat du dé : 15]

Lord Berkeley face à elle paraissait interdit. Démuni, face à cette constatation historique. Evidemment, la jeune femme se doutait qu’il y avait quelque chose.
Elle était donc très attentive quant à la réponse qui allait lui être donnée. Celle-ci ne la déçut pas. A vrai dire, elle ne s’attendait pas à une nouvelle de cette ampleur.
ainsi, il était face au monde tel un nouveau-né ? Ignorant de tout, tout ce qui concernait les trois siècles précédents ? Elle cligna de ses grands yeux clairs.

Oh … Ce doit être un bouleversement immense, plus encore qu’on ne peut l’imaginer.

Cela, pourtant, expliquait tout. Cette peau, ces cheveux, ces manières, ces allusions, ces erreurs.

Vous devez sans doute être chargé d’une mission qui vous est encore inconnue.

Elle lui fit un clin d’oeil, afin de le rassurer.

Votre secret sera, si vous le souhaitez, bien gardé avec moi.

Un sourire étirait ses lèvres.

Mais, Lord Berkley, excusez ma curiosité, mais j’aimerais que vous me parliez de votre monde. Comment était-ce ? Qu’y faisiez-vous ? Quels étaient vos usages ?

Elle se sentait curieuse de tout ceci. Elle aimait lire, et connaissait son HIstoire. Mais rencontrer un tel personnage était une chance incroyable.

"Votre curiosité est fort bien placée, avec un petit rire sans malice et des yeux redevenus pétillants chère Senea ; il vous est bien légitime de vouloir savoir, d'autant que, plus le temps passe, plus je me trouve moi-même intriguant ! Cette histoire risque d'être un peu longue : je m'excuse par avance de ce monologue que je risquerais de vous infliger. Laissant planer un court silence, comme pour ménager un effet de suspens, le regard loin et profond jeté vers l'horizon Trois siècles... J'étais homme de cour, un Alf toujours tiré à quatre épingles - de ce côté-ci, j'escompte que rien n'ait changé - autrefois réputé par les armes, puis, dégoûté du sang, par les mots. Voyez-vous, chère Senea, reprenant une longue inspiration afin que le silence qui précède sa phrase semble lui donner encore plus d'importance j'étais diplomate auprès de Sa Majesté Sigismond de Minos, et presque toute ma vie s'est faite entre ces deux palais. Je portais nos intérêts là-bas et revenais chargé des leurs ici. Je dînais souvent entouré des plus grands de mets plus succulents les uns que les autres ! avec grandiloquence Oh ! vous auriez vu ces tables remplies de plaisirs et de raffinements ! et les rires cristallins des nobles de l'époque, et les promenades dans les jardins, et les jeux endiablés des courtisans... Moi qui avait connu la guerre, jamais je ne me serai lassé de n'entendre plus résonner que l'affection et la tendresse qui régnaient entre ces murs. Les temps étaient peut-être durs, mais on savait faire la part des choses. Et le respect, Senea, le respect ! confus pardonnez-moi, je m'emporte ; le respect, on n'avait d'égard que pour l’Étiquette, et de considération que pour autrui..."

Lord Berkley s'arrêta un instant, comme figé.

"Je... ma mémoire me joue sans doute quelques tours, et j'ai du mal à reprendre mon souffle. Permettez, chère Senea, que je me repose un instant ?"


[résultat du dé : 8]

Elle l’écouta raconter, avec l’emphase qui semblait caractériser cet étrange personnage, la vie à la Cour telle qu’il l’avait connue. Cela semblait bien éloigné des petits conflits internes, des tracasseries, des chamailleries, des complots de bas-étage, des sousveillances permanentes d’aujourd’hui … Un instant la jeune femme se sentit étrangement nostalgique de cette époque qu’elle n’avait pourtant pas connue. Trois siècles … Cela paraissait absolument énorme. Un drôle de sourire hantait son visage. Elle avait, et ce n’était pas la première fois, la sensation de n’être pas à sa place dans sa propre époque.
Et soudain, Lord Berkley s’interrompit. Il semblait mal à l’aise, le souffle court, et lui demanda si elle acceptait qu’il se repose, ce qu’elle lui accorda évidemment immédiatement - pourquoi, d'ailleurs, le lui aurait-elle refusé ?-.

Evidemment ! Ce doit être éprouvant de vous remémorer tout ceci.

Elle lui sourit. Autour d’eux, l’eau clapotait.

Le monde semble en effet avoir bien changé, pendant ce temps …