[Terminé] Une Belle randonnée II : la petite marchande de fleurs [Beldura, Libre]

Sorga n'était jamais venu à Albus.
Il en avait souvent entendu parler, ça oui, mais n'avait jamais pris le temps de venir voir de ses propres yeux ce qu'on lui avait décrit ; la ville coupée en deux par le fleuve, le pont de Cristal reliant les deux moitiés, les maisons parfois très originales nées du travail des Créateurs, la surabondance de fleurs dans les jardins et les fenêtres, les sourires vissés sur le visage des habitants...
Il savait donc peu ou prou à quoi s'attendre, lorsqu'il ressortit du portail qui venait de le déposer aux abords de la ville, et astucieusement installé sur une hauteur permettant de découvrir dans un glorieux panorama la belle Albus. Et il comprit que les descriptions entendues étaient loin de rendre justice à la naïve cité, même les plus grandiloquentes !

Le soleil particulièrement lumineux en cette matinée sublimait le grand pont en cristal qui semblait juste sorti d'un livre de contes. Les maisons issues de l'imagination des Créateurs n'étaient pas en reste : certaines défiaient jusqu'à la gravité avec leurs formes improbables, parvenant toujours à rester d'une beauté à couper le souffle.
Les rues "normales" étaient bien agencées, propres et, comme pour une oeuvre d'art, guidaient le regard vers les monuments les plus beaux de la ville.

Sorga admira le tout en grattant machinalement les écailles noires et craquelées de son visage. Il s'appuyait sur sa lance comme à une canne, même si ses douleurs articulaires avaient diminué depuis le départ du Palais d'Elysée.
S'il avait su, il serait venu visiter Albus plus tôt !
L'homme-lézard était certes un homme des bois à la base, mais il avait appris à apprécier les charmes architecturaux avec le temps.
Il se retourna en entendant le son un peu bizarre du portail qui laissait passer une autre personne, juste à temps pour sourire :

- Je n'ai jamais beaucoup aimé les portails, mais avoir une vue comme ça à l'arrivée compense l’inconfort du voyage, tu ne trouves pas ?

Sorga emboita le pas à la Reine, sa lance claquant sur les pavés. Il l'écouta avec curiosité, notant les quelques mots décrivant sa vie d'avant sa nomination en tant que Reine.
Elle lui avait raconté son passé, brièvement, un soir, mais ça avait été dans un moment assez fort en émotions et ils n'en avaient jamais vraiment discuté par la suite. Aussi l'homme-lézard restait curieux de cette vie de marchande de fleurs, terrifiée de tout, avant que Beldura Glow ne devienne la Reine de Minos... terrifiée de tout aussi.

- En hiver oui, j'imagine. Tout doit briller de milles feux avec la neige et le givre, surtout le pont. Et je suppose que les habitants décorent leurs maisons pour l'occasion aussi ?

La rue qu'ils suivaient descendait vers le centre-ville, et était assez calme, malgré le beau temps ensoleillé.

- Hmmm... d'ordinaire, j'aime bien les oiseaux, mais je suis d'accord avec toi concernant les canards. Leur chant est vraiment trop peu harmonieux pour pouvoir les apprécier vraiment. Surtout qu'ils m'ont déjà gâché plusieurs parties de pêche en faisant fuir le poisson...

Sorga souriait.
Il était amusé malgré lui en imaginant Beldura effrayée à la vue des volatiles barbotant sur les abords du fleuve.
Lorsqu'elle évoqua sa peur de la foule sur la place du marché, l'homme-lézard hocha la tête ; ça, c'était plus habituel, la concernant.
Lui aussi, d'ailleurs, n'appréciait toujours pas vraiment les foules nombreuses, aussi bigarrées soient-elles.

- Ta boutique donnait sur le marché ? Ou tu installais un étal temporaire ces jours-là ?

Sorga l'écouta tranquillement, son regard passant des alentours à Beldura. Il l'imaginait très bien déambuler dans le marché, un panier empli de fleurs dans les mains, sursautant dès que quelqu'un lui demandait de voir ses fleurs pour les lui acheter...
Même s'il restait persuadé qu'elle avait toujours eu en elle la force de caractère et la compassion dont elle faisait preuve en tant que Reine de Minos.

En découvrant la petite boutique, il s'immobilisa et sourit, s'appuyant sur sa lance. En l'écoutant, il alla examiner brièvement la plaque qui indiquait que la Reine avait vécu à cet endroit, s'amusant du côté très touristique de la plaque. L'air embaumait du parfum des fleurs, ce qui lui faisait un peu tourner la tête.

- Hmm... c'est un bel endroit pour une boutique. Elle ressemble à une petite maison de campagne qui se serait déplacée jusqu'ici. Tu as cédé l'affaire à un homme si je me souviens bien ? Tu as suivi l'évolution de la boutique depuis ?

Il se dirigea vers la porte, avant de se retourner vers la Reine.

- On entre ?

Elle hocha la tête à ses paroles.

Tu as bonne mémoire ! Mais non, je ne suis jamais revenue … Et je n’ai pas du tout suivi l’évolution de la boutique.

Lorsqu’il se dirigea vers la porte, elle se sentit frissonner. Elle n’était pas sûre d’avoir envie d’entrer là-dedans, et de voir toutes les modifications. C’était prendre le risque de laisser le passé lui ressurgir dessus, et prendre aussi le risque qu’on la reconnaisse. Elle n’était pas certaine d’y être prête. Pourtant, lorsqu’il lui posa la question fatale, elle le rejoignit en deux enjambées, et s'accrocha à son bras, se cachant un peu derrière lui, avant d’entrer chez Jo Lafleur, dans son ancienne maison.
A vrai dire, il y avait là beaucoup plus de lumière qu'au temps où elle tenait la boutique. Et beaucoup plus de fleurs aussi. Leur parfum et leurs couleurs saturèrent ses sens un instant, et sa tête tourna légèrement. Elle cligna des yeux, toujours accrochée à Sorga, incapable de reconnaître sa précédente demeure derrière tous ces pétales.

[Je te laisse t’amuser avec la description de l’intérieur, hehe !]

[Pas de problèmes. ˆˆ]

La Reine s'accrocha à son bras et Sorga marqua un temps d'arrêt, surpris de la découvrir aussi nerveuse. Il savait qu'elle avait eu un passé mouvementé, et espérait de tout coeur ne pas risquer de réveiller des souvenirs désagréables en venant voir son ancienne boutique. Pourtant, et malgré sa volonté visible de se faire la plus petite possible, elle le suivit sans ralentir, tandis qu'il ouvrait finalement la porte.
Le bruit du carillon, très clair, sembla déchirer l'air [lul] tandis qu'un parfum entêtant de dizaines et de dizaines de fleurs différentes saisissait ses sens.

L'intérieur de la boutique n'était guère plus grand qu'un petit salon, mais chaque centimètre carré de surface était rendu utile par des présentoirs, des pots montés le long des murs en véritables jardins verticaux, des paniers emplis de graines mises en sachets, des fleurs de saisons ouvertes et odorantes partout où les yeux pouvaient se poser, des outils de jardinage dans un coin...
Et tout cela était astucieusement tourné vers le comptoir, comme des musiciens tournés vers le chef d'orchestre, ce qui faisait que le regard du visiteur était immanquablement dirigé vers ce dernier.
Et le chef d'orchestre du lieu était justement là, à travailler sur un bouquet immense, paires de ciseaux dans une main pour tailler feuilles et tiges, fleurs et rubans dans l'autre main. Le fleuriste ne payait pas de mine, avec sa petite taille, ses cheveux bruns grisonnants aux tempes et ses lunettes rondes, mais ses yeux brillaient et son sourire fut jovial lorsqu'il salua ses clients, ne marquant qu'une infime pause en découvrant le faciès de lézard de Sorga :

- Bonjour ! Que puis-je faire pour vous ?

Du coin de l'oeil, l'homme-lézard nota le véritable atelier de haute-couture installé derrière le comptoir, où régnait un joyeux bordel organisé de pots, d'outils, de papiers de toutes les couleurs pour les bouquets... et des fleurs, partout, postée sur chaque centimètre de libre.
Il s'avança, souriant :

- Bonjour, j'aimerais vous prendre un bouquet pour honorer un disparu... et puis... est-ce que tu aimerais quelque chose ?

Il avait posé cette dernière question plus doucement, en se tournant vers Beldura.

Sorga sourit à Beldura qui semblait soudain avoir dix ans de moins, ainsi accrochée à son bras, telle une enfant timide. Pendant un instant, il eut l'impression de revoir la jeune femme du Bal, avant sa nomination, celle qui s'était isolée sur un balcon pour s'éloigner de la foule.
Il espérait néanmoins ne pas avoir fait d'impair en insistant pour venir voir son ancienne boutique.

Le fleuriste lui posa quelques questions pour déterminer plus précisément de quel fleur il avait besoin, avant d'attaquer le bouquet proprement dit.
L'homme-lézard le regarda faire un moment, puis se tourna une nouvelle fois vers Beldura :

- J'ai bien envie d'aller voir de plus près le grand pont, histoire de ne pas repartir aussi sec. Ca te dit aussi ?

Il ne voulait pas arriver trop vite à leur pochaine étape du voyage, car cela aurait été s'approcher trop vite de la toute dernière étape. Et il ne se sentait plus aussi fatigué maintenant qu'ils avaient quitté le Palais de Minos, même s'il soupçonnait le don de son frère d'être pour quelque chose dans cette nouvelle vigueur.
Après tout, il avait quelqu'un à protéger...

Sa commande prête, Sorga paya le fleuriste et ils ne tardèrent pas à ressortir de la boutique, l'homme-lézard portant désormais un bouquet de fleurs blanches. Il inspira à fond sous la lumière du soleil, appréciant la chaleur sur ses écailles couleur suie avant de dire à Beldura :

- C'est vraiment un bel endroit pour une boutique.

Sorga sourit tout en écoutant Beldura lui conter comment elle était devenue fleuriste. Une période d'errance, terminée grâce à une main tendue au hasard d'une rencontre...

- Ce doit être une femme d'une grande bonté. Offrir ainsi un toit et un métier à quelqu'un que l'on vient seulement de rencontrer, les personnes capables de cela sont exceptionnelles.

Il ne parlait pas seulement de celle ayant recueillie la future Reine.
L'homme-lézard parlait d'expérience. Lui aussi avait reçu de l'aide ainsi, suite à un certain Bal...
C'était rassurant - et un peu étrange - de se dire que les bonnes actions semblaient ainsi se transmettre d'une personne à l'autre : une vieille dame donnait une chance à Beldura, qui à son tour allait donner sa chance à Sorga des années plus tard.

La vision du pont entre les maisons, désormais proche, lui fit écarquiller les yeux et accélérer le pas presque sans s'en rendre compte, comme un enfant qui viendrait d'apercevoir au loin un marchand de glaces.
La lumière se reflétait sur le cristal qui composait l'édifice né du travail un peu fou des Créateurs, les facettes multiples renvoyant les rayons solaires en autant d'arc-en-ciels flamboyants. Le tout donnait à la construction un air fantasmagorique, tout en brouillant la limite entre la forme du pont et la lumière qu'il renvoyait ; un mirage grandiose, mouvant au gré de la course du soleil et des nuages qui modifiaient l'éclairage.

- Je n'ai jamais beaucoup aimé la magie, mais ça ! Ça c'est du bel ouvrage !

Il parcourut la centaine de mètres restant jusqu'au pont en courant presque, tirant sur ses jambes et sa lance claquant sur les pavés.
La rue s'ouvrait sur une petite place en bord de rivière, juste devant le pont lui-même, pour permettre à tous d'admirer le joyau des édifices d'Albus. Ce dernier était en libre-accès, évidemment, mais il y avait au milieu des promeneurs des personnes en uniformes - pas vraiment des gardes, plutôt des agents municipaux - qui semblaient veiller à ce que tous prennent soin du monument.
De près, le pont était presque aveuglant, sa structure issue de l'imagination des Créateurs partait vers l'autre rive en une élégante courbe, le cristal qui le composait tantôt lisse comme du marbre poli, tantôt plein de facettes qui renvoyaient la lumière comme un kaléidoscope. A certains endroits le cristal était droit comme un bloc, à d'autres il montait dans des courbes presque liquides, reflétant le travail et les différences entre les Créateurs qui avaient oeuvrés à son apparition.
Assez large pour trois chariots de front, c'était surtout des promeneurs qui le parcouraient à pied, flânant sur toute sa longueur et profitant du spectacle.

L'homme-lézard souriait, comme un enfant, tandis qu'il attendait que Beldura le rejoigne.

- J'avoue avoir envie d'aller voir de plus près. Juste à quoi ça ressemble là-haut. Mais peut-être pas traverser en entier, car j'aimerais repartir rapidement vers notre prochaine destination ; ces fleurs ne vont pas supporter longtemps le voyage après tout.

L'homme-lézard grisonnant montra le bouquet qu'il tenait, avant de sourire.

- Celui à qui ces fleurs sont destinées n'aime pas qu'on offre des fleurs fanées à quelqu'un, il me l'a toujours dit.

Sorga s'avança donc vers le pont, s'aidant de sa lance, sa démarche plus calme maintenant que l'excitation de la première découverte était passée.
Avec la Reine, ils se mêlèrent à la procession de promeneurs qui, comme eux, étaient venus admirer l'édifice. Dès que ses pieds se posèrent sur le cristal, Sorga ralentit le pas, observant le sol tout en avançant doucement, s'amusant du son presque musical produit par ses bottes.
Impressionnant et sublime de loin, le pont devenait fantasmagorique de près ; les rayons du soleil se réverbérant en autant d'arc-en-ciels et de reflets irisés partout où se portait le regard. Effet d'optique ou de la magie des Créateurs, la luminosité restait supportable.
Les couleurs dansaient à chaque mouvement, créant l'illusion qu'ils progressaient sur un pont fait de lumière pure, plutôt que sur un édifice solide.


- C'est vraiment... incroyable.

La pente était douce jusqu'au sommet de la parabole que formait le pont au dessus du fleuve, pourtant Sorga haletait un peu lorsqu'ils parvinrent en haut. S'appuyant un peu plus sur sa lance, il baissa une nouvelle fois les yeux vers ses pieds, observant le sol de cristal et les millions de reflets qui y dansaient.
Après quelques secondes, il s'accroupit pour regarder de plus près.
En observant attentivement un point précis dans le sol, il lui semblait presque voir le fleuve en dessous, déformé mille fois par les facettes du cristal que la lumière traversait, comme dans un kaléidoscope. L'homme-lézard s'allongea carrément sur le sol, plaquant un oeil sur une facette, en souriant.
Puis il changea légèrement d'endroit, avant de rire :

- Haha ! Regarde, regarde ! On voit le fleuve en dessous, et les bateaux qui sont dessus !

Son manège ne passa pas inaperçu et, en quelques minutes, ils étaient presque une dizaine de personnes de tout âge à se tenir allongé sur le pont pour observer les "kaléidoscopes" de cristal, s'échangeant et commentant les emplacements les plus aléatoirement surprenants.

L'homme-lézard sourit en voyant la Reine s'émerveiller tout comme lui du spectacle caché dans le sol en cristal :

- Oui, comme un vitrail ! Tu crois que les Créateurs savaient que le cristal ferait ça lorsqu'ils ont fait le pont ?

La voir ainsi le rendait heureux. Il avait toujours essayé de l'éloigner de son quotidien pesant de Reine, de ce poste qui lui avait en quelque sorte volé son insouciance. Elle était une Reine formidable, ça oui, et aimée de tous ! Seulement... elle était aussi une jeune femme en proie à des doutes et des angoisses persistantes.
Sorga était heureux de pouvoir lui offrir ce genre de moments d'émerveillement, loin de tous les protocoles et de la vie millimétrée et emplie de gravité de souveraine.
Beldura le méritait.

Après plusieurs minutes pourtant, il s'éloigna vers le rebord du pont pour s'asseoir un peu, le dos appuyé contre la balustrade, sa lance sur les genoux.
Le soleil cognait sur ses écailles mais la chaleur n'arrivait pas à dissiper le froid qui s'était soudainement invité dans ses os, le faisant se sentir gauche et malhabile. Il ferma les yeux quelques secondes, inspira et expira à fond...
Sa main se serra autour du manche de sa lance, ses lèvres remuant dans une courte prière murmurée :

- Encore un peu, mon frère, s'il te plaît.

Sorga rouvrit les yeux, sentant le froid de ses membres reculer jusqu'à n'être plus qu'une douleur diffuse dans ses articulations.
Il se releva, avec précaution mais sans trop lutter fort heureusement, avant de rejoindre Beldura pour sourire calmement :

- Ce pont vaut vraiment le déplacement, tu as eu de la chance de vivre dans cette ville, près d'une telle merveille. Ça ne te dérange pas si nous reprenons la route ? J'aimerais rejoindre Hypnos et le bon quartier avant midi. Il y a là-bas une auberge aux préparations absolument divines. A moins que tu aies envie de faire autre chose à Albus ?

Il voyait en effet, ce qu'elle voulait dire. L'homme-lézard observa tout autour de lui, prenant en compte tout ce qu'il voyait du pont de cristal. Imagine que des hommes aient pu forcer un tel édifice à sortir du néant pour apparaître comme ça frisait avec l'impossible, et pourtant...
Nul doute que l'ampleur de la tâche avait créée des différences entre le plan d'origine et le résultat final.

- La création qui dépasse les intentions de l'artiste. Je voix ce que tu veux dire, oui.

En art comme dans la vie, il était rare que les choses se passent comme prévu.
Il hocha la tête lorsqu'elle accepta de reprendre la route, et apparut surpris d'apprendre qu'il y avait des portails des deux côtés d'Albus. D'ordinaire, il n'y avait que les plus grandes villes qui avaient plusieurs sites de portails.
Ils rejoignirent l'autre côté du pont, laissant sur ce dernier un groupe de plus en plus nombreux de passants qui continuaient à s'allonger au sol pour découvrir les "kaléidoscopes" de cristal et s'engagèrent dans les rues en direction des portails.
Ce côté de Albus semblait plus commerçant, mais les bâtiments rivalisaient toujours autant en matière d'originalité et de... flamboyance.

Une fois arrivés sur la place où se trouvaient les portails, Sorga s'arrêta un instant pour se retourner, regarder d'où ils venaient. Puis il sourit à Beldura :

- Tu as d'autres choses que tu voudrais voir à Albus ? Ou nous pouvons poursuivre notre route ?

[Je te laisse choisir, ou terminer le sujet ^^]