- TapahariEaquien.ne
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[Terminé] [L'Expédition] Une chamane en panne [OS]
Sam 27 Jan 2018 - 1:07
Tapahari ne récupérait pas de son rituel effectué en urgence dans la Passe.
Après deux jours passées dans un état catatonique proche du coma, elle se réveilla confuse, l'esprit toujours marqué par l'épreuve qu'elle s'était elle-même infligée en portant le fardeau des peurs de tout un troupeau d'herbivores devant l'approche de prédateurs. Le poids de toutes ces émotions brutes avait altéré son contact avec la réalité et rendue son empathie de chamane ultra-sensible.
Pendant les premiers jours, elle ne parla presque pas, restant prostrée de longues heures, son regard oscillant entre le Voile et le monde physique, n'arrivant pas à faire le point. Ses sens étaient assaillis par les émotions de tous les animaux autour d'elle, comme si elle étouffait dans des parfums qu'elle seule percevait.
Elle passa plus de temps auprès des chevaux pour les apaiser qu'auprès des humains de l'Expédition. Chaque nuit, elle vivait en rêve la vie des animaux nocturnes des environs, et il devint fréquent de la voir faire des crises de somnambulisme.
Heureusement pour sa santé mentale, ses symptômes diminuèrent progressivement de semaines en semaines, jusqu'à devenir une simple difficulté à rester concentrée très longtemps sur une seule chose à la fois. Ses facultés mentales retrouvées, Tapahari chercha une solution pour se soigner définitivement, en réparant son empathie devenue incontrôlable.
Elle connaissait plusieurs rituels, mais il fallut l'arrivée dans ce Cirque des Ours, et la pause qui allait avec, pour qu'elle puisse véritablement s'atteler à en mettre un en place.
Elle devait absolument retrouver un équilibre avant l'entrée dans l'antique Forêt de Crannsliabh, où elle risquait de ne pas pouvoir prendre contact avec les Esprits du Voile qui s'y trouvaient... s'ils s'y trouvaient.
C'était ce soir ou jamais, en somme.
Préparations faites, elle profita de la simple lueur de la Lune au-dessus des montagnes pour s'éloigner du campement, simplement vêtue de sa robe, de ses amulettes et d'un sac contenant plus d'herbes qu'il n'était raisonnable de porter sur soi.
En s'éloignant des hommes, la chamane eut l'impression de plonger dans un bain fait des émotions des animaux des environs, en raison de son empathie toujours hyper-réactive...
"Le chamane est le pont entre le Voile et les vivants, entre ceux qui parlent et ceux qui rugissent, ceux qui rampent et ceux qui volent, ceux qui marchent et ceux qui nagent."
Les mots remontaient de sa mémoire, entre deux sensations du jeu nocturne des prédateurs et des proies autour d'elle, vibrants de précision. Elle se souvenait du parfum des herbes de l'époque, de la lueur du feu sur les masques de sa hutte, de la répétition des chants antiques, inlassablement, jour après jour, pendant presque toute son enfance et adolescence.
Les leçons sur les herbes, les règles à respecter avec les hommes et les animaux, strictes.
Celles à respecter avec les Êtres du Voile, encore plus strictes.
"Comme un pont, tu dois être solide, inamovible, digne de confiance. Et le plus important, tu dois être honnête."
La Lune éclairait son chemin, les bruits du campement derrière elle bientôt effacés par ceux de la nature tout autour. Elle avançait de nuit, hors de tout sentier, à la recherche d'un arbre ancien qui lui conviendrait et d'une grande pierre plate. Elle était déphasée avec elle-même depuis le Rituel de la Passe, déphasée avec le monde atour d'elle aussi. Les racines d'un vieil arbre pouvaient l'aider à retrouver son équilibre.
"Honnête avec les autres, sinon les animaux ne t'écouteront pas, les hommes se méfieront de toi et les esprits ne t'entendront pas."
La formation de chamane était solitaire, même si sa mère et sa grand-mère avaient été présentes à chaque leçon, chaque étape. C'était à Tapahari de tisser ses propres liens avec le Voile, avec les hommes, avec les animaux, pour servir d'intermédiaire, et personne n'aurait pu l'aider dans cette tâche. Elle espérait marcher dans les traces laissées par ses parentes et formatrices, mais c'était quand même à elle de faire chaque pas.
"Honnête avec toi-même, sinon tu ne t'écouteras pas, tu ne t'entendras pas et tu te méfieras de ce que te dit ton coeur."
Elle se retrouva subitement sous une ombre immense. Levant les yeux, elle sourit en se voyant sous le dôme d'aiguilles en forme de cèpe d'un ancien genévrier, dont le tronc épais comme trois hommes montait à quatre ou cinq mètres. Le poids des innombrables aiguilles faisait ployer les branches et un tapis composée de celles tombées au fil des années recouvrait le sol, ne cachant pourtant pas entièrement la grande pierre plate qui jouxtait les racines immenses de l'arbre.
Le chamane vint poser sa main quelques instants sur le tronc, sentant le flux et le reflux de la sève et la tranquille mécanique de l'esprit de l'arbre. Ce dernier ne réagit pas à la présence de la chamane, existant dans une toute autre temporalité qu'elle.
"Ce Chant est difficile mais très important pour ta formation."
C'étaient des Rituels solitaires qui marquaient les étapes dans l'apprentissage d'un chamane. Des Rites initiatiques, obligatoires, déterminant peu à peu le potentiel et les affinités du futur chamane avec le Voile, le contact avec les autres espèces, les potions, la lecture du monde...
La réussite ou l'échec importait peu, seul comptait le fait de le faire sans tricher. Ou pire, de le bâcler.
"Je sais que tu as peur, ma fille, mais tu n'as rien à craindre de ton propre coeur."
Tapahari s'assit le dos appuyé contre le tronc, et prépara ce qu'il lui fallait pour son rituel de la soirée. Long, difficile étant donné son état un brin diminué mais nécessaire pour la guérir si elle avait bien su diagnostiquer ce qui la troublait.
Bien vite, un pot était posé sur ses genoux, empli d'une concoction d'herbes qui brûlait doucement, comme un encens, et la chamane en respirait les volutes en forçant sa respiration à être la plus calme et profonde possible.
Décrochant son tambourin de sa ceinture, elle se mit à jouer un rythme régulier et lent, avant de se mettre à chanter, usant cette fois d'un chant de gorge grave et profond qui semblait transformer sa voix en instrument à archet et dont les paroles étaient encore plus difficiles à appréhender que d'ordinaire.
"L'Echo ne peut pas te faire de mal. Il ne fera que t'aider à trouver la réponse à la seule question qui importe pour un chamane."
Il était très risqué de refaire un des Rituels initiatiques une fois la formation achevée, car c'était prendre le risque de se retrouver avec des effets drastiquement augmentés par rapport à ceux obtenus en tant qu'apprenti. Elle risquait de partir beaucoup plus loin, beaucoup plus vite.
"Qui es-tu, Tapahari ?"
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Re: [Terminé] [L'Expédition] Une chamane en panne [OS]
Dim 25 Fév 2018 - 1:45
Sous l'effet de la fumée qui montait de sa décoction, Tapahari perdit peu à peu pied avec la réalité, s'enfonçant dans un état de transe faible. Sans cesser son chant, elle fit un effort de volonté pour garder le contrôle et ne pas basculer dans le Voile ou plus loin encore ; le Rituel de l’Écho nécessitait de garder un pied dans le monde physique.
"A quoi ressemble l’Écho, mère ?"
Sublimée par son chant et sa transe, son empathie de chamane transforma les émotions individuelles des animaux sauvages en sensation diffuse, mélangée, lointaine, comme une enveloppe cotonneuse qui entourait son âme.
"Je ne sais pas, chaton."
Elle se souvenait avec clarté du sourire de sa mère, des mots d'encouragement qui avaient suivi pour rassurer la petite fille de douze ans nerveuse qu'elle avait été. Son premier Rituel de l’Écho était brumeux dans ses souvenirs, altéré par l'effet de la fumigation, mais elle se rappelait du dialogue avec elle-même, de cette forme humanoïde qui lui était apparue, curieuse, pleine de questions pour elle.
"L’Écho n'est jamais malveillant. Il est comme ton reflet."
Sa gorge lui faisait mal à force de chanter ainsi, les mots de l'ancienne langue magique sortaient par habitude, mais elle espérait que son état de fatigue ne lui ferait pas faire d'erreurs.
Du coin de l’œil, elle vit une forme bouger parmi les ombres. Tapahari se fit violence pour ne pas se focaliser sur ce qu'elle avait cru voir, pour ne pas risquer de quitter sa transe. Elle devait laisser l’Écho venir à elle, se contenter d'être dans l'attente...
"Elle n'a pas refait de crises dernièrement ?"
"Non, mère. Pas depuis son dernier anniversaire."
"Hmmm... j'aurais aimé pouvoir l'aider à tirer parti de ce don, plutôt que laisser le hasard décider..."
"Moi aussi, mère. Mais il n'y a pas eu de change-peau dans la tribu depuis des générations, et elle ne se souvient pas de ses crises. Si elles s'espacent ainsi, peut-être que ce don est en train de disparaître."
"Peut-être..."
"Tu sais que nos talents sont souvent incompatibles avec un don de naissance. Dangereux même. C'est peut-être mieux ainsi."
"La voir avec ses petites moustaches va me manquer."
"Pareil, mère."
Les voix de sa mère et de sa grand-mère venaient de s'imposer à elle, sans qu'elle parvienne à se souvenir des circonstances où elle les avait entendues.
Tapahari se raidit imperceptiblement et son chant eut un raté. Elle se reprit une demi-seconde plus tard, après avoir inspiré une grande bouffée de la fumée de sa préparation.
D'où venait ce souvenir ?
Une hallucination provoquée par son état de transe ? Non, elle pensait encore clairement et arrivait à maintenir son chant régulier, malgré sa surprise d'un instant.
Étais-ce un effet du Rituel, qu'elle aurait oublié ? Une illusion pour la forcer à s'interroger sur son rôle de chamane ? C'était étrange, car les paroles qu'elle avait entendue de sa mère et de sa grand-mère avaient vraiment l'accent de la familiarité...
"Tu nous a oubliés."
Le murmure n'était pas seulement issu de son esprit et résonnait autour d'elle, plein d'amertume.
La silhouette sombre qu'elle avait aperçue s'était rapprochée, et se ne tarda pas à se diviser en quatre formes de différentes tailles une fois arrivée à proximité. La chamane plissa les yeux pour tenter de discerner plus précisément ce qu'elle avait conjuré - l’Écho ? Elle n'en était plus certaine à présent - malgré l'obscurité. Quatre paires d'yeux se posèrent sur elle, et elle se fit transporter malgré elle dans le Voile, où l'absence de lumière n'était plus un problème.
Son esprit mis à nu faisait face à quatre animaux qui l'observaient avec des airs de reproches : une tortue marine, aux nageoires puissantes et à la carapace profilée ; un corbeau au plumage tellement noir qu'il semblait absorber la lumière ; un serpent de petite taille aux écailles d'un vert éclatant qui dardait vers elle sa langue fourchue ; et enfin, un serval, aux longues pattes qui lui donnaient un air gracile et aux pelage fauve tacheté de noir.
La chamane était de moins en moins certaine d'avoir affaire à l'Echo, aussi elle se rabattit sur les formules d'usage face aux êtres du Voile :
- Nobles esprits, je suis Tapahari.
Le corbeau fit claquer son bec, le serval feula, le serpent siffla en s'enroulant sur lui-même et la tortue frappa le sol avec une patte.
"Non ! Tu n'es pas Tapahari !"
"Tu nous a oubliés !"
"Tapahari nous connait."
"Nous jouions si bien ensemble !"
"Qui es-tu ?"
La chamane accusa le coup de cette avalanche de reproches, la confusion menaçant de lui faire perdre le peu de contrôle qu'elle avait sur son esprit dans le Voile.
Qu'avait-elle conjuré, par les Anciens ?
Elle s'inclina du mieux qu'elle pouvait et demanda, suppliante :
- Ô Esprits, pardonnez-moi si je vous ai offensé. J'accepte les punitions que vous voudrez m'infliger pour ce que je vous ai fait, mais je vous en prie, expliquez-vous. Expliquez-moi, s'il vous plait...
Le silence se fit quelques instants.
Le corbeau battit des ailes, le serpent darda sa langue fourchue, la tortue cligna des yeux et le serval se lécha une patte.
Puis...
"Tapahari jouait si souvent avec nous..."
"Mais elle nous a oubliés."
"Elle était si jeune."
"Comme nous. Et nous avons grandi avec elle."
"Mais elle nous a oubliés."
"Qui es-tu ?"
"Nous jouions si bien ensemble..."
"Mais elle nous a oubliés."
"Jouons ensemble. Comme avant."
"Oui !"
"Oui !"
"Oui !"
"Comme avant !"
Sans prévenir, les quatre esprits se mirent en mouvement, encerclant la chamane qui ne pouvait pas faire grand chose d'autre qu'observer et espérer sortir indemne de cette rencontre. Dans le Voile, elle était comme un poisson hors de l'eau malgré son expérience, surtout face à plusieurs Esprits qui visiblement la connaissaient. Mais elle, qu'avait-elle oubliée ?
Les propos de sa mère et de sa grand-mère remémorés plus tôt tournaient dans son esprit. Mais avant qu'elle puisse réfléchir davantage, le cercle des esprits s'était refermé sur elle, et le serval s'approcha jusqu'à presque la toucher, ses yeux d'ambre plongés dans les siens.
Des yeux magnifiques, si grands, si proches... si proches...
"Qui es-tu ?"
"A quoi ressemble l’Écho, mère ?"
Sublimée par son chant et sa transe, son empathie de chamane transforma les émotions individuelles des animaux sauvages en sensation diffuse, mélangée, lointaine, comme une enveloppe cotonneuse qui entourait son âme.
"Je ne sais pas, chaton."
Elle se souvenait avec clarté du sourire de sa mère, des mots d'encouragement qui avaient suivi pour rassurer la petite fille de douze ans nerveuse qu'elle avait été. Son premier Rituel de l’Écho était brumeux dans ses souvenirs, altéré par l'effet de la fumigation, mais elle se rappelait du dialogue avec elle-même, de cette forme humanoïde qui lui était apparue, curieuse, pleine de questions pour elle.
"L’Écho n'est jamais malveillant. Il est comme ton reflet."
Sa gorge lui faisait mal à force de chanter ainsi, les mots de l'ancienne langue magique sortaient par habitude, mais elle espérait que son état de fatigue ne lui ferait pas faire d'erreurs.
Du coin de l’œil, elle vit une forme bouger parmi les ombres. Tapahari se fit violence pour ne pas se focaliser sur ce qu'elle avait cru voir, pour ne pas risquer de quitter sa transe. Elle devait laisser l’Écho venir à elle, se contenter d'être dans l'attente...
"Elle n'a pas refait de crises dernièrement ?"
"Non, mère. Pas depuis son dernier anniversaire."
"Hmmm... j'aurais aimé pouvoir l'aider à tirer parti de ce don, plutôt que laisser le hasard décider..."
"Moi aussi, mère. Mais il n'y a pas eu de change-peau dans la tribu depuis des générations, et elle ne se souvient pas de ses crises. Si elles s'espacent ainsi, peut-être que ce don est en train de disparaître."
"Peut-être..."
"Tu sais que nos talents sont souvent incompatibles avec un don de naissance. Dangereux même. C'est peut-être mieux ainsi."
"La voir avec ses petites moustaches va me manquer."
"Pareil, mère."
Les voix de sa mère et de sa grand-mère venaient de s'imposer à elle, sans qu'elle parvienne à se souvenir des circonstances où elle les avait entendues.
Tapahari se raidit imperceptiblement et son chant eut un raté. Elle se reprit une demi-seconde plus tard, après avoir inspiré une grande bouffée de la fumée de sa préparation.
D'où venait ce souvenir ?
Une hallucination provoquée par son état de transe ? Non, elle pensait encore clairement et arrivait à maintenir son chant régulier, malgré sa surprise d'un instant.
Étais-ce un effet du Rituel, qu'elle aurait oublié ? Une illusion pour la forcer à s'interroger sur son rôle de chamane ? C'était étrange, car les paroles qu'elle avait entendue de sa mère et de sa grand-mère avaient vraiment l'accent de la familiarité...
"Tu nous a oubliés."
Le murmure n'était pas seulement issu de son esprit et résonnait autour d'elle, plein d'amertume.
La silhouette sombre qu'elle avait aperçue s'était rapprochée, et se ne tarda pas à se diviser en quatre formes de différentes tailles une fois arrivée à proximité. La chamane plissa les yeux pour tenter de discerner plus précisément ce qu'elle avait conjuré - l’Écho ? Elle n'en était plus certaine à présent - malgré l'obscurité. Quatre paires d'yeux se posèrent sur elle, et elle se fit transporter malgré elle dans le Voile, où l'absence de lumière n'était plus un problème.
Son esprit mis à nu faisait face à quatre animaux qui l'observaient avec des airs de reproches : une tortue marine, aux nageoires puissantes et à la carapace profilée ; un corbeau au plumage tellement noir qu'il semblait absorber la lumière ; un serpent de petite taille aux écailles d'un vert éclatant qui dardait vers elle sa langue fourchue ; et enfin, un serval, aux longues pattes qui lui donnaient un air gracile et aux pelage fauve tacheté de noir.
La chamane était de moins en moins certaine d'avoir affaire à l'Echo, aussi elle se rabattit sur les formules d'usage face aux êtres du Voile :
- Nobles esprits, je suis Tapahari.
Le corbeau fit claquer son bec, le serval feula, le serpent siffla en s'enroulant sur lui-même et la tortue frappa le sol avec une patte.
"Non ! Tu n'es pas Tapahari !"
"Tu nous a oubliés !"
"Tapahari nous connait."
"Nous jouions si bien ensemble !"
"Qui es-tu ?"
La chamane accusa le coup de cette avalanche de reproches, la confusion menaçant de lui faire perdre le peu de contrôle qu'elle avait sur son esprit dans le Voile.
Qu'avait-elle conjuré, par les Anciens ?
Elle s'inclina du mieux qu'elle pouvait et demanda, suppliante :
- Ô Esprits, pardonnez-moi si je vous ai offensé. J'accepte les punitions que vous voudrez m'infliger pour ce que je vous ai fait, mais je vous en prie, expliquez-vous. Expliquez-moi, s'il vous plait...
Le silence se fit quelques instants.
Le corbeau battit des ailes, le serpent darda sa langue fourchue, la tortue cligna des yeux et le serval se lécha une patte.
Puis...
"Tapahari jouait si souvent avec nous..."
"Mais elle nous a oubliés."
"Elle était si jeune."
"Comme nous. Et nous avons grandi avec elle."
"Mais elle nous a oubliés."
"Qui es-tu ?"
"Nous jouions si bien ensemble..."
"Mais elle nous a oubliés."
"Jouons ensemble. Comme avant."
"Oui !"
"Oui !"
"Oui !"
"Comme avant !"
Sans prévenir, les quatre esprits se mirent en mouvement, encerclant la chamane qui ne pouvait pas faire grand chose d'autre qu'observer et espérer sortir indemne de cette rencontre. Dans le Voile, elle était comme un poisson hors de l'eau malgré son expérience, surtout face à plusieurs Esprits qui visiblement la connaissaient. Mais elle, qu'avait-elle oubliée ?
Les propos de sa mère et de sa grand-mère remémorés plus tôt tournaient dans son esprit. Mais avant qu'elle puisse réfléchir davantage, le cercle des esprits s'était refermé sur elle, et le serval s'approcha jusqu'à presque la toucher, ses yeux d'ambre plongés dans les siens.
Des yeux magnifiques, si grands, si proches... si proches...
"Qui es-tu ?"
"Qui es-tu ?"
"Qui es-tu ?"
- TapahariEaquien.ne
- Messages : 206
Date d'inscription : 27/11/2016
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Date de naissance:
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Branche(s):
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Re: [Terminé] [L'Expédition] Une chamane en panne [OS]
Mar 27 Mar 2018 - 14:03
La seule lumière était celle lointaine de la lune, pourtant elle y voyait comme en plein jour, dans des nuances brillantes et argentées, sublimant chaque détail, chaque pierre.
Le vent couvrait les bruits de la faune, pourtant elle entendait chaque mouvement avec précision, chaque respiration de tous les animaux autour d'elle. De toutes les proies, même sous terre.
Elle se déplaçait avec aisance au milieu des rochers, franchissant d'un bond les obstacles que la montagne mettait sur sa route, à peine gênée par le froid. Sa queue, ses longues pattes et sa fourrure tachetée n'étaient pas adaptés à ce type d'environnement montagneux, elle le sentait, mais elle évoluait tout de même avec aisance.
...
Quelque chose lui titillait l'esprit, comme un sentiment diffus d'anormalité.
Comment était-elle arrivée là ? Ce n'était pas son territoire, elle le savait. Elle le sentait et l'absence de lieux ou d'odeurs familières la rendait un peu nerveuse. Le bruissement des pattes d'un petit rongeur sur sa droite rompit le fil de ses pensées et elle fonça dans les hautes herbes.
Elle était en train de finir son repas lorsque le souvenir d'une voix lui revint en tête, une voix sans visage qui tournait en boucle :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Elle s'immobilisa. Ses oreilles tournèrent en tous sens. Agitée, elle finit par se mettre debout sur ses pattes et trottina jusqu'au précipice le plus proche.
Elle était venue là... avec des... hommes ? Des... chevaux ? Des chariots...
Les souvenirs affleuraient doucement, mais elle n'arrivait pas à leur donner un sens. Une sensation pressante la ramena au présent et elle regarda vers le vide : elle savait ce qu'elle devait faire.
Elle fléchit ses quatre pattes, bondit loin et haut... et ouvrit ses ailes.
Les seules lumières étaient celles lointaines de la lune et des étoiles, pourtant elle y voyait comme en plein jour, dans des nuances de rouge et d'ocre. Les sons des habitants terrestres lui parvenaient comme des échos lointains, rendus insignifiants par l'immensité du ciel où elle progressait et le murmure amical du vent.
Elle volait presque sans bruit, et se savait quasiment invisible d'éventuels prédateurs, avec ses plumes noires de jais. L'absence de congénères l'inquiétait un peu, mais elle pouvait très bien vivre dans ces montagnes par elle-même ; elle savait où trouver de la nourriture et comment s'abriter.
Un arbre isolé sur une corniche la convainquit de venir se poser. Elle passa un moment à remettre de l'ordre dans son plumage, gardant un oeil à surveiller les alentours. Elle ne se sentait pas particulièrement en danger, mais il valait mieux être prudent.
...
Elle n'arrivait pas à être parfaitement détendue pourtant, gênée par un sentiment diffus d'anormalité.
Elle fit claquer son bec, se retint de pousser un cri pour diminuer son inquiétude qui montait. Comment s'était-elle retrouvée dans ces montagnes ? Surtout, sans congénères ?
Une voix retentit soudain dans son esprit, faisant se dresser ses plumes :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Surprise, elle s'envola aussitôt, retrouvant la sécurité du ciel pour mettre de l'ordre dans ses pensées.
Elle était venue ici... avec des... hommes ? Des... chevaux ? Des chariots...
Les souvenirs affluaient doucement, mais elle avait du mal à leur donner un sens. Elle sentait qu'elle avait une tâche à accomplir, quelque chose à chercher, mais tout était confus.
Une impulsion la guida vers un bosquet dense d'arbres, où elle s'engouffra, se posant sur une branche.
Elle savait soudain ce qu'elle avait à faire, et elle plongea la tête la première vers le tronc... s'enroulant autour grâce à ses anneaux d'écailles.
La seule lumière était celle des corps chauds autour d'elle, et elle sentait tout dans des nuances de rouge et de violet, révélant la présence ou le passage de tous les êtres autour d'elle. Son corps long et fin captait les vibrations, sa langue lui indiquait les odeurs avec une acuité qu'elle avait dû mal à concevoir parfois et elle se savait invisible au milieu des feuillages.
Elle descendit le long du tronc et s'enroula sur elle-même lorsqu'elle trouva une pierre encore chaude du soleil de la journée. Elle se savait en sécurité, camouflée par ses écailles.
...
Pourtant, quelque chose la dérangeait. Comme un sentiment diffus d'anormalité.
Il n'y avait pas de proies auquel elle était habituée dans ses montagnes, elle ne sentait aucune de leurs odeurs dans les environs. Et il faisait plus froid aussi. Comment était-elle arrivée jusque-là ?
Elle perçut soudain des vibrations étranges qui lui semblèrent vaguement familières :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Elle darda sa langue, gênée, inquiète aussi, avant de se laisser glisser en bas de son rocher et de ramper sur le sol du bosquet, louvoyant sans bruit entre la végétation basse et les racines. Il y avait eu des chariots, les cahots de la route et des sentiers, l'odeur des chevaux, les vibrations des roues sur le sol... des hommes ? Et... une tâche à accomplir...
Crannsliabh.
Elle était en route vers Crannsliabh.
Pour...
Retrouver quelqu'un ?
Oui, c'était ça. Elle devait retrouver quelqu'un, mais elle avait besoin de quérir de l'aide auprès... des esprits. Du Voile.
Elle s'immobilisa, submergée par un flot de souvenirs. Ses souvenirs.
Elle était chamane. Son nom était Tapahari. Elle était en quête d'un Esprit en particulier pour le prévenir ou l'aider et, faute de pistes, avait décidé de se joindre à l'Expédition vers Crannsliabh pour tenter de demander de l'aide aux esprits qui sûrement habitaient dans ce lieu loin de toute civilisation. Mais elle s'était "blessée" lors d'un Rituel pour tenter de repousser les Brûleurs, et avait tenté de se soigner grâce à un autre Rituel.
Qui avait mal tourné ?
Et pourquoi était-elle aussi près du sol ?
Elle tenta de s'appuyer sur ses mains pour se remettre d'aplomb mais rien ne se passa. Elle tourna la tête pour s'examiner et se pétrifia en découvrant son corps de serpent, long et fin, ses écailles et son absence évidente de bras et des mains qui allaient avec !
Paniquée, elle se contorsionna en tous sens, paniqua plus encore lorsqu'elle s'aperçut que son corps sinueux pouvait effectuer des mouvements que sa conscience humaine jugeait parfaitement anormaux. Après environ une minute de ce manège, elle se calma doucement, épuisée par ses mouvements rapides qu'un animal à sang-froid ne pouvait pas effectuer longtemps. Elle fit de son mieux pour se lover de travers et ne bougea plus.
Elle fit le point de ce dont elle se souvenait.
Le Rituel avait fonctionné, des esprits animaux lui avaient répondu en lieu et place de l'Echo attendu. Puis elle avait été attirée dans le Voile et l'un d'eux s'était approché d'elle. Après, sa mémoire était confuse, jusqu'à ce qu'elle se retrouve là, ainsi transformée.
Rien, dans ses connaissances de chamane, ne pouvait expliquer une métamorphose de ce genre. Elle connaissait des histoires où l'esprit d'un homme quittait son corps et se retrouvait à cohabiter dans le corps d'un animal le temps d'être retrouvé et guéri, mais ce n'était pas ce qui était en train de lui arriver. Elle ne croyait pas, en tout cas.
Au fond d'elle-même, elle avait une sensation diffuse de familiarité, comme si ce n'était pas... la première fois qu'elle se retrouvait dans cette situation.
De nouveau, les paroles de sa mère et de sa grand-mère s'imposèrent dans son esprit confus, comme si on venait de lui plaquer un livre ouvert devant les yeux, la forçant à s'arrêter et à lire. Ses mots étaient-ils réels ? Pourquoi sa mère ni sa grand-mère ne lui en avaient jamais parlé ? Avait-elle vraiment été une "change-peau" alors qu'elle était une enfant ?
N'ayant véritablement aucun souvenir de ce genre d'événements, elle ne pouvait être certaine de rien, mais son instinct lui soufflait qu'il devait y avoir une part de vérité dans tout cela.
Elle n'était pas certaine d'être enchantée à l'idée d'être une change-peau, surtout si elle se retrouvait coincée sous une forme de serpent sans savoir comment elle s'était retrouvée ainsi, ni comment reprendre forme humaine.
De fil en aiguille, elle repensa aux paroles des animaux-esprits qu'elle soupçonnait de plus en plus d'être responsables de son état. Après tout, elle avait maintenant la forme de l'un d'entre eux... mais étaient-ce véritablement des esprits d'ailleurs ? Si elle était une change-peau, tout cela ne venait peut-être que d'elle seule...
Tapahari se mit une gifle mentale.
Toutes ses questions ne la mèneraient nulle part, tant qu'elle était coincée ici, dans ce corps de serpent. Elle devait tout d'abord se concentrer sur comment retrouver une apparence normale, puis retrouver le campement, pour pouvoir réfléchir au calme et en sécurité surtout.
Elle tenta d'oublier les sensations étrangères que lui renvoyaient ses sens - surtout celui bizarrement situé entre son nez et sa bouche, qui semblait "voir" les sources de chaleur - et se concentra sur les battements de son cœur, qui avait le mérite d'être toujours là peu importe la forme de son corps. Se reposant sur ce "pilier" de normalité, elle put finalement réfléchir à un moyen d'inverser la métamorphose. Elle ne devait pas se mentir : elle ne connaissait rien à ce pouvoir de "change-peau" mais espérait qu'il fonctionnait comme toute pratique magique, grâce à de la concentration, les bons ingrédients et surtout la visualisation du résultat que l'on souhaitait obtenir.
Plaçant ses espoirs dans ce dernier point - et n'ayant véritablement pas d'autres idées sur le moment - la chamane rassembla ses pensées sur les sensations propres à un corps humain.
Se tenir debout, sur ses deux jambes, avec le plaisir simple d'ajuster sa position en équilibre en jouant avec ses muscles.
Manipuler et toucher les choses du bout des doigts, se réchauffer avec une tasse de tisane chaude entre les mains.
Des gestes humains, relaxants, comme se coiffer, s'habiller, tenir un nouveau-né dans ses bras après avoir assisté la mère durant son accouchement - celui-là était assez spécifique, elle l'admettait volontiers - ou juste s'étirer en levant les bras vers le ciel, jusqu'à avoir l'impression que le ciel était à portée de ses doigts.
Le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Confuse, Tapahari se remit d'aplomb, sur ses jambes. Elle avait des jambes ! Elle était de nouveau humaine !
La chamane s'inspecta et déchanta bien vite, en découvrant son corps de petite taille, recouvert de plumes noires, ses ailes en guise de bras et ses pattes fines aux pieds griffus.
- Crâââ !
Elle avait voulu cracher un juron, mais seul ce son rauque sortit de sa gorge, passant par un bec qu'elle voyait en permanence dans son champ de vision.
Bon, il y avait du mieux. Sans vouloir offenser les reptiles, elle n'aimait pas trop le corps de serpent, bien trop différent à son goût des humains.
Qu'est-ce qui n'avait pas marché ? Elle avait gardé ses pensées sur les sensations de son corps humain, jusqu'à ce qu'elle songe au ciel... qui lui semblait être à portée...
Et voilà qu'elle se retrouvait en corbeau.
La chamane couverte de plumes battit des ailes, curieuse malgré tout de la possibilité qu'elle avait maintenant de pouvoir voler. Elle fit de petits bonds, sentant ce corps léger presque comme l'air, mais se retint de pousser plus loin les essais. Chaque chose en son temps et elle ne tenait pas à essayer le vol dans une région montagneuse.
Si la pensée d'avoir le ciel accessible avait suffi à provoquer la métamorphose en corbeau, peut-être était-ce ainsi que fonctionnait ce don de change-peau, en exprimant une envie, un besoin spécifique à une forme animale ?
Puisqu'elle était rendue à ce point, pourquoi ne pas faire un test de plus ?
Elle prit un moment pour se concentrer sur sa respiration et les battements de son cœur - bien plus rapides - dans le but de retrouver cet état détendu qu'elle estimait essentiel avant toute pratique magique, puis elle se concentra...
Quatre pattes, l'équilibre parfait, les sens aiguisés, elle voulait savoir, sentir, ce que cela faisait d'être un chasseur silencieux.
Le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Tapahari se redressa, sur ses quatre pattes. Elle baissa la tête et découvrit son corps félin, sa fourrure fauve tachetée de noir, ses longues pattes et sa queue assez courte qui se balançait presque d'elle-même d'un côté et de l'autre. Elle était un serval.
Comme elle le soupçonnait, elle pouvait prendre l'apparence des animaux qui lui étaient apparus lors du Rituel.
La chamane fit quelques pas, hésitante sur ses pattes, puis se détendit lorsque son corps prit instinctivement une démarche souple et silencieuse.
Laissant le bosquet derrière elle après une minute, elle se posta sur un rocher pour observer les environs, ses oreilles se tournant vers le moindre bruit qu'elle percevait. Elle cherchait le campement de l'Expédition, voulant profiter de cette apparence plus agile pour s'en rapprocher. Après tout, il faisait toujours nuit, et une randonnée dans des montagnes inconnues n'était pas vraiment attirante.
Ses yeux félins voyaient très bien, mais ce fut un éclat de rire tonitruant, quelque part sur sa gauche, qui lui révéla la position du campement. Ses oreilles tournées vers ce point, elle ne tarda pas à entendre d'autres signes d'activité humaine. Satisfaite, elle se mit en route, laissant son corps gérer presque de lui-même les obstacles pour réfléchir à sa situation.
Elle était très certainement une change-peau, depuis sa naissance, et son don avait été étouffé par son entrainement de chamane. Que ses parentes et tutrices aient été au courant sans rien lui dire la laissait perplexe, mais aucune des deux ne pouvait plus lui expliquer les raisons de ce silence.
Le déphasage qu'elle avait subie après le Rituel dans la passe avait dû permettre à ce don de change-peau de se réveiller, et sa tentative de la soirée avec l’Écho avait ouvert la voie à ce dernier pour s'installer pleinement. Est-ce que cela aurait des répercussions sur son lien avec le Voile et son travail de chamane ? La question ne pouvait que rester en suspens pour le moment, mais Tapahari savait que cela risquait d'être le cas...
Il lui fallut en fait presque une vingtaine de minutes pour voir les premières lueurs du campement, ce qui impressionna fortement la chamane sur les capacités d'audition de ce corps. Lorsqu'elle fut rapprochée davantage, elle s'immobilisa, et se coucha dans l'herbe, observant les mouvements des derniers hommes éveillés dans le campement, discutant autour des feux.
Passé le choc de s'être retrouvé dans un corps différent du sien, Tapahari devait s'avouer qu'elle se sentait incroyablement bien. Être un serval était grisant, la possibilité de voler en corbeau était enthousiasmante, même les sens de serpent avaient été surprenants - bien qu'étranges sur le moment - et elle se promit d'expérimenter autant qu'elle le pouvait.
Dès qu'elle aurait réussi à retrouver son apparence humaine, déjà, histoire de clore au moins pour la nuit cette "aventure."
Pour la troisième fois, elle se concentra sur son souffle, ses battements de cœur, et s'imagina à la place des hommes, pensant être déjà avec eux, assise près du feu, parlant ensemble de tout et de rien, usant de ses mains pour les petites tâches du camp...
Doucement, comme à regret, le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Tapahari se redressa sur ses jambes flageolantes, les cheveux dans les yeux, le souffle court. Sa robe collait contre sa peau ruisselante de sueur et ses amulettes étaient emmêlées en tous sens. Bon, apparemment, ses vêtements l'avaient suivi pendant ses métamorphoses, ce qui n'était pas pour lui déplaire, même si son état de fatigue généralisée était un peu plus inquiétant.
Si elle avait continué ses transformations successives, cela aurait sûrement fini par par être très dangereux même !
Prenant le temps de reprendre au moins son souffle, la chamane finit par mettre de l'ordre dans sa tenue pour ne pas éveiller les soupçons de ses camarades d'expédition avant de se diriger d'un pas lent vers le campement. Elle ne voulait pas trop que ce don s'ébruite pour le moment, voulant tout d'abord tester par elle-même ce qu'il offrait.
Son entrée dans le camp fut saluée par quelques salutations paisibles, auquel la chamane répondit distraitement, la tête encore remplie des sensations de ses autres formes. Elle rejoignit rapidement sa tente et ne tarda pas à s'allonger, épuisée.
"Elle se souvient maintenant !"
"Nous pourrons encore jouer bientôt ?"
"Comme avant ! Comme avant !"
"C'est Tapahari."
Sujet terminé, sujet archivé !
Le vent couvrait les bruits de la faune, pourtant elle entendait chaque mouvement avec précision, chaque respiration de tous les animaux autour d'elle. De toutes les proies, même sous terre.
Elle se déplaçait avec aisance au milieu des rochers, franchissant d'un bond les obstacles que la montagne mettait sur sa route, à peine gênée par le froid. Sa queue, ses longues pattes et sa fourrure tachetée n'étaient pas adaptés à ce type d'environnement montagneux, elle le sentait, mais elle évoluait tout de même avec aisance.
...
Quelque chose lui titillait l'esprit, comme un sentiment diffus d'anormalité.
Comment était-elle arrivée là ? Ce n'était pas son territoire, elle le savait. Elle le sentait et l'absence de lieux ou d'odeurs familières la rendait un peu nerveuse. Le bruissement des pattes d'un petit rongeur sur sa droite rompit le fil de ses pensées et elle fonça dans les hautes herbes.
Elle était en train de finir son repas lorsque le souvenir d'une voix lui revint en tête, une voix sans visage qui tournait en boucle :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Elle s'immobilisa. Ses oreilles tournèrent en tous sens. Agitée, elle finit par se mettre debout sur ses pattes et trottina jusqu'au précipice le plus proche.
Elle était venue là... avec des... hommes ? Des... chevaux ? Des chariots...
Les souvenirs affleuraient doucement, mais elle n'arrivait pas à leur donner un sens. Une sensation pressante la ramena au présent et elle regarda vers le vide : elle savait ce qu'elle devait faire.
Elle fléchit ses quatre pattes, bondit loin et haut... et ouvrit ses ailes.
Les seules lumières étaient celles lointaines de la lune et des étoiles, pourtant elle y voyait comme en plein jour, dans des nuances de rouge et d'ocre. Les sons des habitants terrestres lui parvenaient comme des échos lointains, rendus insignifiants par l'immensité du ciel où elle progressait et le murmure amical du vent.
Elle volait presque sans bruit, et se savait quasiment invisible d'éventuels prédateurs, avec ses plumes noires de jais. L'absence de congénères l'inquiétait un peu, mais elle pouvait très bien vivre dans ces montagnes par elle-même ; elle savait où trouver de la nourriture et comment s'abriter.
Un arbre isolé sur une corniche la convainquit de venir se poser. Elle passa un moment à remettre de l'ordre dans son plumage, gardant un oeil à surveiller les alentours. Elle ne se sentait pas particulièrement en danger, mais il valait mieux être prudent.
...
Elle n'arrivait pas à être parfaitement détendue pourtant, gênée par un sentiment diffus d'anormalité.
Elle fit claquer son bec, se retint de pousser un cri pour diminuer son inquiétude qui montait. Comment s'était-elle retrouvée dans ces montagnes ? Surtout, sans congénères ?
Une voix retentit soudain dans son esprit, faisant se dresser ses plumes :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Surprise, elle s'envola aussitôt, retrouvant la sécurité du ciel pour mettre de l'ordre dans ses pensées.
Elle était venue ici... avec des... hommes ? Des... chevaux ? Des chariots...
Les souvenirs affluaient doucement, mais elle avait du mal à leur donner un sens. Elle sentait qu'elle avait une tâche à accomplir, quelque chose à chercher, mais tout était confus.
Une impulsion la guida vers un bosquet dense d'arbres, où elle s'engouffra, se posant sur une branche.
Elle savait soudain ce qu'elle avait à faire, et elle plongea la tête la première vers le tronc... s'enroulant autour grâce à ses anneaux d'écailles.
La seule lumière était celle des corps chauds autour d'elle, et elle sentait tout dans des nuances de rouge et de violet, révélant la présence ou le passage de tous les êtres autour d'elle. Son corps long et fin captait les vibrations, sa langue lui indiquait les odeurs avec une acuité qu'elle avait dû mal à concevoir parfois et elle se savait invisible au milieu des feuillages.
Elle descendit le long du tronc et s'enroula sur elle-même lorsqu'elle trouva une pierre encore chaude du soleil de la journée. Elle se savait en sécurité, camouflée par ses écailles.
...
Pourtant, quelque chose la dérangeait. Comme un sentiment diffus d'anormalité.
Il n'y avait pas de proies auquel elle était habituée dans ses montagnes, elle ne sentait aucune de leurs odeurs dans les environs. Et il faisait plus froid aussi. Comment était-elle arrivée jusque-là ?
Elle perçut soudain des vibrations étranges qui lui semblèrent vaguement familières :
Qui es-tu ? Qui es-tu ? Qui es-tu ?
Elle darda sa langue, gênée, inquiète aussi, avant de se laisser glisser en bas de son rocher et de ramper sur le sol du bosquet, louvoyant sans bruit entre la végétation basse et les racines. Il y avait eu des chariots, les cahots de la route et des sentiers, l'odeur des chevaux, les vibrations des roues sur le sol... des hommes ? Et... une tâche à accomplir...
Crannsliabh.
Elle était en route vers Crannsliabh.
Pour...
Retrouver quelqu'un ?
Oui, c'était ça. Elle devait retrouver quelqu'un, mais elle avait besoin de quérir de l'aide auprès... des esprits. Du Voile.
Elle s'immobilisa, submergée par un flot de souvenirs. Ses souvenirs.
Elle était chamane. Son nom était Tapahari. Elle était en quête d'un Esprit en particulier pour le prévenir ou l'aider et, faute de pistes, avait décidé de se joindre à l'Expédition vers Crannsliabh pour tenter de demander de l'aide aux esprits qui sûrement habitaient dans ce lieu loin de toute civilisation. Mais elle s'était "blessée" lors d'un Rituel pour tenter de repousser les Brûleurs, et avait tenté de se soigner grâce à un autre Rituel.
Qui avait mal tourné ?
Et pourquoi était-elle aussi près du sol ?
Elle tenta de s'appuyer sur ses mains pour se remettre d'aplomb mais rien ne se passa. Elle tourna la tête pour s'examiner et se pétrifia en découvrant son corps de serpent, long et fin, ses écailles et son absence évidente de bras et des mains qui allaient avec !
Paniquée, elle se contorsionna en tous sens, paniqua plus encore lorsqu'elle s'aperçut que son corps sinueux pouvait effectuer des mouvements que sa conscience humaine jugeait parfaitement anormaux. Après environ une minute de ce manège, elle se calma doucement, épuisée par ses mouvements rapides qu'un animal à sang-froid ne pouvait pas effectuer longtemps. Elle fit de son mieux pour se lover de travers et ne bougea plus.
Elle fit le point de ce dont elle se souvenait.
Le Rituel avait fonctionné, des esprits animaux lui avaient répondu en lieu et place de l'Echo attendu. Puis elle avait été attirée dans le Voile et l'un d'eux s'était approché d'elle. Après, sa mémoire était confuse, jusqu'à ce qu'elle se retrouve là, ainsi transformée.
Rien, dans ses connaissances de chamane, ne pouvait expliquer une métamorphose de ce genre. Elle connaissait des histoires où l'esprit d'un homme quittait son corps et se retrouvait à cohabiter dans le corps d'un animal le temps d'être retrouvé et guéri, mais ce n'était pas ce qui était en train de lui arriver. Elle ne croyait pas, en tout cas.
Au fond d'elle-même, elle avait une sensation diffuse de familiarité, comme si ce n'était pas... la première fois qu'elle se retrouvait dans cette situation.
"Elle n'a pas refait de crises dernièrement ?"
"Non, mère. Pas depuis son dernier anniversaire."
"Hmmm... j'aurais aimé pouvoir l'aider à tirer parti de ce don, plutôt que laisser le hasard décider..."
"Moi aussi, mère. Mais il n'y a pas eu de change-peau dans la tribu depuis des générations, et elle ne se souvient pas de ses crises. Si elles s'espacent ainsi, peut-être que ce don est en train de disparaître."
"Peut-être..."
"Tu sais que nos talents sont souvent incompatibles avec un don de naissance. Dangereux même. C'est peut-être mieux ainsi."
"La voir avec ses petites moustaches va me manquer."
"Pareil, mère."
De nouveau, les paroles de sa mère et de sa grand-mère s'imposèrent dans son esprit confus, comme si on venait de lui plaquer un livre ouvert devant les yeux, la forçant à s'arrêter et à lire. Ses mots étaient-ils réels ? Pourquoi sa mère ni sa grand-mère ne lui en avaient jamais parlé ? Avait-elle vraiment été une "change-peau" alors qu'elle était une enfant ?
N'ayant véritablement aucun souvenir de ce genre d'événements, elle ne pouvait être certaine de rien, mais son instinct lui soufflait qu'il devait y avoir une part de vérité dans tout cela.
Elle n'était pas certaine d'être enchantée à l'idée d'être une change-peau, surtout si elle se retrouvait coincée sous une forme de serpent sans savoir comment elle s'était retrouvée ainsi, ni comment reprendre forme humaine.
De fil en aiguille, elle repensa aux paroles des animaux-esprits qu'elle soupçonnait de plus en plus d'être responsables de son état. Après tout, elle avait maintenant la forme de l'un d'entre eux... mais étaient-ce véritablement des esprits d'ailleurs ? Si elle était une change-peau, tout cela ne venait peut-être que d'elle seule...
Tapahari se mit une gifle mentale.
Toutes ses questions ne la mèneraient nulle part, tant qu'elle était coincée ici, dans ce corps de serpent. Elle devait tout d'abord se concentrer sur comment retrouver une apparence normale, puis retrouver le campement, pour pouvoir réfléchir au calme et en sécurité surtout.
Elle tenta d'oublier les sensations étrangères que lui renvoyaient ses sens - surtout celui bizarrement situé entre son nez et sa bouche, qui semblait "voir" les sources de chaleur - et se concentra sur les battements de son cœur, qui avait le mérite d'être toujours là peu importe la forme de son corps. Se reposant sur ce "pilier" de normalité, elle put finalement réfléchir à un moyen d'inverser la métamorphose. Elle ne devait pas se mentir : elle ne connaissait rien à ce pouvoir de "change-peau" mais espérait qu'il fonctionnait comme toute pratique magique, grâce à de la concentration, les bons ingrédients et surtout la visualisation du résultat que l'on souhaitait obtenir.
Plaçant ses espoirs dans ce dernier point - et n'ayant véritablement pas d'autres idées sur le moment - la chamane rassembla ses pensées sur les sensations propres à un corps humain.
Se tenir debout, sur ses deux jambes, avec le plaisir simple d'ajuster sa position en équilibre en jouant avec ses muscles.
Manipuler et toucher les choses du bout des doigts, se réchauffer avec une tasse de tisane chaude entre les mains.
Des gestes humains, relaxants, comme se coiffer, s'habiller, tenir un nouveau-né dans ses bras après avoir assisté la mère durant son accouchement - celui-là était assez spécifique, elle l'admettait volontiers - ou juste s'étirer en levant les bras vers le ciel, jusqu'à avoir l'impression que le ciel était à portée de ses doigts.
Le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Confuse, Tapahari se remit d'aplomb, sur ses jambes. Elle avait des jambes ! Elle était de nouveau humaine !
La chamane s'inspecta et déchanta bien vite, en découvrant son corps de petite taille, recouvert de plumes noires, ses ailes en guise de bras et ses pattes fines aux pieds griffus.
- Crâââ !
Elle avait voulu cracher un juron, mais seul ce son rauque sortit de sa gorge, passant par un bec qu'elle voyait en permanence dans son champ de vision.
Bon, il y avait du mieux. Sans vouloir offenser les reptiles, elle n'aimait pas trop le corps de serpent, bien trop différent à son goût des humains.
Qu'est-ce qui n'avait pas marché ? Elle avait gardé ses pensées sur les sensations de son corps humain, jusqu'à ce qu'elle songe au ciel... qui lui semblait être à portée...
Et voilà qu'elle se retrouvait en corbeau.
La chamane couverte de plumes battit des ailes, curieuse malgré tout de la possibilité qu'elle avait maintenant de pouvoir voler. Elle fit de petits bonds, sentant ce corps léger presque comme l'air, mais se retint de pousser plus loin les essais. Chaque chose en son temps et elle ne tenait pas à essayer le vol dans une région montagneuse.
Si la pensée d'avoir le ciel accessible avait suffi à provoquer la métamorphose en corbeau, peut-être était-ce ainsi que fonctionnait ce don de change-peau, en exprimant une envie, un besoin spécifique à une forme animale ?
Puisqu'elle était rendue à ce point, pourquoi ne pas faire un test de plus ?
Elle prit un moment pour se concentrer sur sa respiration et les battements de son cœur - bien plus rapides - dans le but de retrouver cet état détendu qu'elle estimait essentiel avant toute pratique magique, puis elle se concentra...
Quatre pattes, l'équilibre parfait, les sens aiguisés, elle voulait savoir, sentir, ce que cela faisait d'être un chasseur silencieux.
Le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Tapahari se redressa, sur ses quatre pattes. Elle baissa la tête et découvrit son corps félin, sa fourrure fauve tachetée de noir, ses longues pattes et sa queue assez courte qui se balançait presque d'elle-même d'un côté et de l'autre. Elle était un serval.
Comme elle le soupçonnait, elle pouvait prendre l'apparence des animaux qui lui étaient apparus lors du Rituel.
La chamane fit quelques pas, hésitante sur ses pattes, puis se détendit lorsque son corps prit instinctivement une démarche souple et silencieuse.
Laissant le bosquet derrière elle après une minute, elle se posta sur un rocher pour observer les environs, ses oreilles se tournant vers le moindre bruit qu'elle percevait. Elle cherchait le campement de l'Expédition, voulant profiter de cette apparence plus agile pour s'en rapprocher. Après tout, il faisait toujours nuit, et une randonnée dans des montagnes inconnues n'était pas vraiment attirante.
Ses yeux félins voyaient très bien, mais ce fut un éclat de rire tonitruant, quelque part sur sa gauche, qui lui révéla la position du campement. Ses oreilles tournées vers ce point, elle ne tarda pas à entendre d'autres signes d'activité humaine. Satisfaite, elle se mit en route, laissant son corps gérer presque de lui-même les obstacles pour réfléchir à sa situation.
Elle était très certainement une change-peau, depuis sa naissance, et son don avait été étouffé par son entrainement de chamane. Que ses parentes et tutrices aient été au courant sans rien lui dire la laissait perplexe, mais aucune des deux ne pouvait plus lui expliquer les raisons de ce silence.
Le déphasage qu'elle avait subie après le Rituel dans la passe avait dû permettre à ce don de change-peau de se réveiller, et sa tentative de la soirée avec l’Écho avait ouvert la voie à ce dernier pour s'installer pleinement. Est-ce que cela aurait des répercussions sur son lien avec le Voile et son travail de chamane ? La question ne pouvait que rester en suspens pour le moment, mais Tapahari savait que cela risquait d'être le cas...
Il lui fallut en fait presque une vingtaine de minutes pour voir les premières lueurs du campement, ce qui impressionna fortement la chamane sur les capacités d'audition de ce corps. Lorsqu'elle fut rapprochée davantage, elle s'immobilisa, et se coucha dans l'herbe, observant les mouvements des derniers hommes éveillés dans le campement, discutant autour des feux.
Passé le choc de s'être retrouvé dans un corps différent du sien, Tapahari devait s'avouer qu'elle se sentait incroyablement bien. Être un serval était grisant, la possibilité de voler en corbeau était enthousiasmante, même les sens de serpent avaient été surprenants - bien qu'étranges sur le moment - et elle se promit d'expérimenter autant qu'elle le pouvait.
Dès qu'elle aurait réussi à retrouver son apparence humaine, déjà, histoire de clore au moins pour la nuit cette "aventure."
Pour la troisième fois, elle se concentra sur son souffle, ses battements de cœur, et s'imagina à la place des hommes, pensant être déjà avec eux, assise près du feu, parlant ensemble de tout et de rien, usant de ses mains pour les petites tâches du camp...
Doucement, comme à regret, le monde tourna sur lui-même, se renferma sur elle pendant une fraction de seconde. Elle fut aveugle, sourde, insensible. Puis les sensations revinrent, différentes, comme si elle venait de pénétrer dans un tout autre endroit...
Tapahari se redressa sur ses jambes flageolantes, les cheveux dans les yeux, le souffle court. Sa robe collait contre sa peau ruisselante de sueur et ses amulettes étaient emmêlées en tous sens. Bon, apparemment, ses vêtements l'avaient suivi pendant ses métamorphoses, ce qui n'était pas pour lui déplaire, même si son état de fatigue généralisée était un peu plus inquiétant.
Si elle avait continué ses transformations successives, cela aurait sûrement fini par par être très dangereux même !
Prenant le temps de reprendre au moins son souffle, la chamane finit par mettre de l'ordre dans sa tenue pour ne pas éveiller les soupçons de ses camarades d'expédition avant de se diriger d'un pas lent vers le campement. Elle ne voulait pas trop que ce don s'ébruite pour le moment, voulant tout d'abord tester par elle-même ce qu'il offrait.
Son entrée dans le camp fut saluée par quelques salutations paisibles, auquel la chamane répondit distraitement, la tête encore remplie des sensations de ses autres formes. Elle rejoignit rapidement sa tente et ne tarda pas à s'allonger, épuisée.
"Elle se souvient maintenant !"
"Nous pourrons encore jouer bientôt ?"
"Comme avant ! Comme avant !"
"C'est Tapahari."
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