[Archivé] Dis, Siffroy ... (4ème édition) [pv Siffroy Belgan]

Odéline était assise dans le fauteuil du salon, face à la porte. Il faisait nuit, mais près d’elle brillait une bougie. Elle avait ramené ses jambes sous elle, s’était enroulée dans un plaid, et à présent, elle lisait, ou du moins essayait. En réalité, elle attendait Siffroy, puisqu’elle avait découvert le lit conjugal vide, et était encore trop bouleversée par son entrevue avec Béhékine pour réussir à pleinement se concentrer sur les lignes qu’elle avait sous les yeux.
Tout ce qu’elle avait vu et entendu tournait dans sa tête, inlassablement. Elle ne parvenait pas à ravaler sa colère et son indignation, sans doute notamment car elle n’avait absolument aucune envie de les ravaler. Elle voulait qu’elles soient là, intactes, lorsque Siffroy arriverait, pour les laisser parler et qu’il comprenne à quel point il l’avait blessée, et à quel point ce qu’il avait fait était indigne. Qu’il comprenne qu’elle lui en voulait, et qu’il allait devoir se racheter, regagner sa confiance, réparer ce qu’il avait brisé entre eux.
Lorsqu’elle y pensait plus, ses yeux bleus brillaient, et si on l’observait, on pouvait la voir écraser des larmes rageusement.
Simplement éclairée par une bougie, une femme à qui on avait menti attendait son mari qui l’avait trahie.

Il fallut quelques heures au vieil homme pour se remettre de son escapade sur la lune, très logiquement en un sens. Après avoir remis de l’ordre dans ses idées et ses plans assez succinctement, s’être changé au Palais pour se débarrasser de l’odeur de soufre et de la poussière sur ses vêtements, il s'était remis en route pour chez lui. Siffroy espérait qu’Odéline ne s’était pas trop inquiété, et savait qu’il allait retrouver un peu de confort après cette épopée, ce qui n’était pas de refus. Épuisé mentalement, en partie fatigué mentalement, toujours quelques toussotements de temps en temps, il allait enfin pouvoir mettre un terme à cette journée qui avait était infernale contre toute attente.

C’est dans cet état d’esprit qu’il mis les pieds dans la maison, un doux sourire qui avait eu du mal à venir sur les lèvres. Il était tard. Bien plus tard que l’heure à laquelle il pensait rentrer. Poussant la porte de bras, il balaya l’entrée plongée dans le noir du regard. Sa femme devait dormir.
Entrant réellement chez lui, quelque chose sembla clocher pendant un instant dans le ressenti. Il s’avança doucement chez lui en faisant attention de ne rien heurter. En arrivant dans le salon, ce qui l’avait dérangé un instant devint plus clair. Il n’y avait pas d’odeur de la nourriture que préparait Odéline et qu’elle laissait toujours pour lui dans ce genre de cas. Dans le salon, une flammerole éclairait instablement sa femme repliée dans un fauteuil. Une vision extrêmement étrange dont il n’avait aucunement l’habitude. La peur pris le vieil homme qui s’avança rapidement vers elle, lâchant la bride à son imagination, le dangereux traître Béhékine, les séides de l’Ombre qui rôdaient, les Etoiles qui auraient pu lui en vouloir d’avoir quitté le groupe.

- Odéline tout va bien !? Que t’arrives-t-il ?

Cela faisait des heures. Des heures qu’elle attendait son mari, la rage bouillant en elle, la rongeant comme l’acide, sans discontinuer, sans s’adoucir. Plus le temps passait, plus elle le détestait, et plus la détestation se transformait en haine pure alors qu’elle réfléchissait à l’ampleur de la trahison de son mari, à tous ses mensonges, à toutes ses tromperies, à toutes ses manipulations; il l’avait utilisée, elle, elle, elle et sa maladresse, pour tromper et trahir un de ses amis. Pour réduire en esclavage et faire souffrir une des premières personnes avec qui elle s’était entendue sur Elysion. Pour exploiter un homme qu’elle avait tenu à inviter à son mariage. Il avait trahi Béhékine, oui, amis il l’avait aussi trahie à elle. Il avait trahi leur couple, l’amour qu’elle lui portait, la confiance qu’elle avait en lui. Il avait tout piétiné. Elle avait la sensation qu’il venait de lui arracher le coeur lui, le septuagénaire à l’air affable.
Et soudain, il entra, et sur son visage il y eut une expression que sa femme ne vit pas. De la peur.
Non, elle, elle n’entendit que la porte qui s'ouvrait, et son pas qui entrait dans la pièce. A vrai dire, ses mots parvinrent à ses oreilles, mais en furent pas traités par son cerveau.
Elle se leva, se déploya comme un ressort, sortit de son fauteuil, droite, furieuse, le visage rougi, déformé, les yeux plein de larmes. Et elle leva la main sur lui. Elle le frappa. Cinq fois.
Une gifle.
Comment
Une gifle.
As
Une gifle.
Tu
Une gifle.
Osé ?!
Une gifle.
Sa voix tremblait de rage, et sa main la brûlait de douleur. Elle avait frappé fort, y avait mis toute sa détresse de femme blessée, trahie.

Tu m’as utilisée ! Tu m’as trahie ! Dis, Siffroy, comment as-tu pu faire ça ?! Je croyais que tu m’aimais ! Comme as-tu pu utiliser mon ami, lui faire du mal, si tu m’aimes ?! Comment as-tu osé me laisser en dehors de tout ça ?! Me mentir pendant des mois ? Me regarder dans les yeux ? Le faire souffrir de la sorte ? Comment as-tu pu ?

Elle s’arrêta, déjà à bout de souffle, sa poitrine comprimée par la peine, la rage, la haine, alors que sa voix se cassait, manquant d’air et remplie de larmes. Son menton tremblait, ses yeux brillaient. Tous les muscles de son corps étaient bandés, ils en tremblaient tant elle était tendue, prête à mordre, et à frapper, encore, encore, encore, jusqu’à lui faire expier sa faute. En cet instant précis, elle le détestait tant qu’elle aurait pu le tuer sous ses coups, sans pour autant que sa rage ne se soit éteinte.

Effrayé et sous le choc, il n’avait absolument eu aucune réaction d’auto-défense quand il avait pris les gifles de sa femme. Une brûlure insoutenable sur la peau de ses joues, il était tombé assis, complètement hébété alors qu’elle le tarabustait. Une douleur physique certes mais aussi une confusion mentale impressionnante qui était venue jeter en désordre toutes ses idées bien organisées. Il ne savait pas quoi dire, il ne savait pas quoi penser, il en oubliait son malaise de la journée et n’était qu’un éberlué attaqué et engueulé par sa femme.
Il ne l’avait jamais vue comme ça, c’était la première chose qui lui sautait aux yeux. Jamais aussi en colère, jamais aussi énervée contre lui, jamais dans un tel mal-être directement dans leur relation. Mais il n’arrivait pas à réfléchir, tout fusait dans sa tête, tristesse, étonnement, fureur.

Il lui attrapa le bras, cela pouvait être dans un but de contact, pour essayer de la calmer comme pour se protéger d’une autre attaque ou pour qu’elle ne se fasse pas mal en s’acharnant sur lui. En réalité lui-même n’en savait rien. Trahie ? Utilisée ? Les mots s’échappèrent entre ses lèvres

- C’est lui hein, il t’as tout dit alors que c’était contre le contrat. Qu’est-ce qu’il t’as raconté ? C’est un menteur, un esprit complètement chaotique Odéline et il est dangereux, trop puissant ! C’est pour ça qu’on scelle leurs capacités tu le comprend ?
Explique moi ce qu’il t’as dit, que je puisse m’expliquer à mon tour.

Il s’arrêta là, net, comme coupé dans son élan et attendant la réponse de sa femme.

Il lui attrapa le bras, et elle n’essaya pas de se dégager. En tous cas pas au début. Elle savait qu’il était plus fort que lui. Cependant les propos qu’il lui tint firent monter sa rage au cran supérieur. Alors elle se dégagea sèchement.

Vraiment ? Vraiment, tu accuses Béhékine ?! C’est la seule chose que tu as trouvée ?!

Elle essuya d’un revers de la main les larmes qui jaillissaient de ses yeux.

Il ne m’a rien dit, Siffroy, rien ! J’ai entendu ce qu’il disait à la femme avec lui, et j’ai compris de qui, de quoi il parlait !

Ses yeux lançaient des éclairs qui auraient dû suffire à transpercer son mari, à le faire se recroqueviller de honte.

Je ne suis pas idiote, tu sais. Alors en me prends pas pour une petite fille. Je sais plus de choses que tu n’en sauras jamais, Siffroy, et je connais Béhékine bien mieux que toi. Tu n’avais aucune raison de faire ça, aucune, mis à part tes préjugés et ta bêtise ! Ce n’est pas parce que tu travailles pour le bien que tu as tous les droits, que tu peux tout faire ! Tu l’as réduit en esclavage, Siffroy, en esclavage ! Aucun être vivant de devrait avoir à subir ça !! Tu imagines l’inverse ? Tu n’avais pas le droit ! Tu m’as utilisée, et tu as fait du mal à mon ami !

Elle se détourna soudain, serrant ses bras sur elle.

Je te déteste.

- Bien sûr que j’accuse Béhékine ! Il vient de très clairement tenter de me tuer en m’amenant sur Hadès ! Qui pourrais-je accuser d’autre ?

Il inspira une grande goulée d’air avant de commencer à s’étouffer doucement. Réprimant sa toux autant que possible, la colère face au Membraneux sourdait en lui mais il était plus touché encore par la tristesse de se disputer avec sa femme pour ça. Elle le détestait ? Il reprit d’un ton plus froid cette fois.

- Je sais très bien que tu n’es pas idiote, je n’aurais pas fait tant d’effort pour te le cacher ainsi et te garder loin des affaires dangereuses. Tu n’as pas ta place sur le champ de bataille Odéline, pas parce que tu es une fille ou parce que tu es idiote non. Juste parce que tu ne t’es pas entraînée toute ta vie pour ça et que tu es bien trop gentille. Toi tu es de celles et ceux qui racontent les histoires et qui reconstruisent après les batailles et c’est un bien meilleur rôle.
J’avais mes raisons de faire ceci et au vu du comportement de ton “ami”, j’aurais en effet dû m’abstenir. Les Membraneux sont fait comme ça Odéline, ils naissent chaotique et égoïste et heureusement pour l’équilibre du monde, ils peuvent être arrêtés par une bride inhérente à leur Race ! J’ai pensé que Béhékine comprendrait, c’est pour cela que je l’ai choisi, j’ai espéré qu’il pourrait aider car j’avais besoin de ses pouvoirs à lui pour aider les gens. Mais il n’en a rien à faire de se sacrifier pour aider les gens.
J’accepterais mille fois d’être réduit en esclavage si ma vie pouvait servir à en sauver seulement deux ou juste la tienne. Si tu me détestes pour ces raisons et que tu ne peux les comprendre, en effet il va falloir en discuter.


Il la regardait de dos à lui, se serrant pour sa rassurer, belle et triste et il s'en voulait mais il devait lui expliquer qu'il faisait les bons choix.

Elle finit par se retourner et le fusiller du regard.

Tu ne comprends vraiment rien, Siffroy, rien du tout.

Son ton était dur, froid de rage contenu, coupant.

Tu es incapable d’aller au delà de ce que tu crois savoir et de tes préjugés. Oui je suis de celles qui reconstruisent. Mais comment je peux reconstruire quoi que ce soit si on ne me fait pas confiance ? Si mon mari tire les ficelles et détruit tout dans mon dos ? Non, les Membraneux ne sont pas comme ça. Pas tous. C’est une généralité. Ca ne compte pas pour tous. Béhékine a des centaines d’années, ds milliers peut-être, je en sais pas. Il a vu le monde, et il a appris des choses. Il n’est pas comme les autres. Il a essayé de te tuer ? La belle affaire !! Tu l’as réduit en esclavage pendant des mois ! Tu imagines la douleur physique que tu lui as infligée ? Tu imagines à quel point ça doit faire mal ? Moi je l’ai entendu el décrire. Tu imagines à quel point aussi c’est humiliant ? Il a travaillé toute son existence à éviter ça, et depuis que je le connais n’a jamais fait de mal à personne ! Alors pourquoi lui faire si mal, hein ? Tu aurais pu lui demander, au lieu de le blesser ! Evidemment, qu’il a voulu te tuer ! Tu l’as blessé et humilié pendant des mois, tu l’as trahi, et et m’as trahie aussi. Il a été ton esclave ! Moi aussi, dans sa situation, j'aurais tenté de tuer mon maître dès que j’en aurais eu l’occasion, pour m’en débarrasser, être libre, et arrêter de souffrir.

Elle fit une pause, pour reprendre son souffle. Sa voix se fit alors moins forte, réellement triste.

Pourquoi est-ce que tu vois le monde uniquement à travers ton prisme ? Pourquoi est-ce que tu en peux pas imaginer d’autres solutions que celles qu’on t’a apprises ? Personne ne peut rien comprendre quand il souffre. Tu peux tout faire faire sous la menace, et tout faire avouer sous la torture, mais ce ne sera jamais quelque chose de vrai que tu obtiendras. ca ne fait que détruire tout. Tu aurais pu lui parler, et me parler aussi. Il nous aurait aidés, j’en suis certaine. Parce qu’il n’en n’a pas rien rien à faire. Mais il est insupportable d’être enchaîné, pour tout le monde, c’est tout.

Elle le regarda.

Je comprends que tu aies voulu me protéger et que tu aies cru faire ce qui était bien. Tu l’as fait, peut-être, mais de la pire manière possible, et c’est en train de tout abimer. Et tant mieux pour toi, si tu veux te sacrifier. Tout le monde n'est pas pareil, et je ne crois pas que se sacrifier et souffrir, peut-être mourir soit la meilleure manière d'épargner des vies. Il y a toujours un choix, des alternatives. Tu n’y as même pas fait attention. Tu as préféré réduire mon ami en esclave, en m’utilisant pour ça, avant même d’avoir tenté de lui parler, de le rallier à ta cause.

Sa voix était lasse et fatiguée. Elle ne s’attendait pas à ça, à tout ce qui lui était tombé sur la tête pendant la nuit, et ne voyait même pas la mal être de son mari, la peine physique qu’il avait. Elle sentait juste sa tête lourde, ses yeux qui piquaient; Ses pensées étaient si confuses qu’elle avait du mal à faire le tri. Elle se sentait épuisée, épuisée à l’idée de ne plus pouvoir faire confiance à son mari.