[Terminé] La rentrée [libre]

Imitant Sénéa avec un temps de retard, la chamane tira une chaise...
"Creeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee !"
Le son des pieds frottant contre le parquet de la bibliothèque était encore plus strident que le plus puissant des cris de Screechy, et résonnait en échos dans la grande salle.
Tapahari grimaça, puis tira par à-coups le mobilier sur les derniers centimètres.
"Creee..."
"Creee !"
"Crrree !"

Avec un sourire contrit pour Sénéa et Itchy - ce dernier l'observait les mains sur les oreilles - elle finit par s'asseoir et resta quelques instants recroquevillée sur elle-même comme une enfant prise en faute. Puis, elle soupira et commença sa lecture, prenant l'un des livres au hasard.
Bob, sans un bruit, ne tarda pas à venir se percher sur le dossier de sa chaise pour regarder par-dessus son épaule les quelques illustrations de son livre. Les deux êtres brumeux avaient visiblement appréciés les compliments faits à leur égard. Itchy s'était retranché dans son sérieux et sa dignité de sa mission de surveillance pour cacher son embarras, et Bob avait son impassibilité caractéristique... même si les étincelles dansant dans son enveloppe trahissaient sa joie.

La chamane lisait toujours aussi lentement, et elle voyait Sénéa enchainer les ouvrages alors qu'elle en était encore à sa première page.
Du peu qu'elle put décoder, Tapahari reconnut les leçons données par son mentor au sujet des aniformus, et lui confirma que son don éveillé sur le tard s'éloignait un peu du cadre décrit dans ces livres.
Déjà, elle avait su revêtir plusieurs formes animales. Pendant un temps... et elle songea avec tristesse à ses esprits disparus. Le serval en elle remonta à la surface de son esprit, partageant avec elle une certaine mélancolie et son soutien. En pensée, elle le remercia.
Elle ne lisait nul part que les aniformus ressentaient en eux leur part animale sous la forme spirituelle qu'elle sentait vivre en elle.
Étais-ce car elle avait retrouvé son don très tard ? Ou alors étais-ce son entrainement de chamane, l'habituant à voir l'invisible, qui lui permettait cela ?
Et ses yeux, qui changeaient aussi lors de sa transformation ? Son mentor lui avait dit que c'était toujours la première chose en elle qui s'adaptait à la forme du serval à venir lorsqu'elle l'appelait. Elle avait expérimenté avec son reflet, et avait appris à ne changer que cette partie de son corps, en maintenant son esprit-animal "à bout de bras" comme elle se l'imaginait.

La chamane en savait trop peu pour pouvoir expliquer ces différences, et ne connaissait aucun autre aniformus pour pouvoir en discuter.
Dans tout ces textes, elle ne voyait encore rien qui parle de la façon dont les aniformus pouvaient parler, justement, sous leur forme animale.
Elle espérait que l'information ne serait pas un secret gardé et transmis uniquement de façon orale... ou pire, un talent très simple et qui lui serait pourtant inaccessible en raison des différences entre elle, la change-peau des îles, et les aniformus du continent !

Revenant soudain au présent après avoir fixée sans vraiment le voir le texte de son livre, Tapahari demanda à Sénéa :

- Est-ce que vous connaissez un cha... aniformus ? Je me demande s'il ne serait au final pas plus simple de trouver un professeur vivant plutôt que compter sur le savoir figé de ces ouvrages... je ne veux pas être impolie en dénigrant tous ceux qui ont travaillé pour fabriquer ces livres et les emplir de tout ce savoir mais... je doute tout à coup de savoir apprendre juste en... lisant.

Lorsque Tapahari tira sa chaise, faisant du bruit qui résonnait dans la grande bibliothèque, Senea tenta de lui faire un sourire rassurant afin de répondre à son air contrit, et la rassurer. Elle n’eut cependant pas l'impression que cela avait beaucoup d’effet, mais décida de reprendre sa lecture. Il y avait toujours beaucoup à tirer des livres, elle le savait, et s’y plongeait avec une certaine gourmandise. Elle avait découvert qu’en plus d’aimer lire, elle aimait apprendre, et cultivait ce goût au quotidien.
Ainsi, lorsque Tapahari s’adressa directement à elle pour la questionner, elle sursauta, tirée de manière un peu soudaine de sa lecture, et la regarda un instant en clignant des yeux, interdite. Il lui fallut un certain temps pour comprendre ce dont lui parlait la chamane, à tel point qu’elle faillit lui demander de répéter ce qu’elle lui avait dit à l’instant. Pourtant, cela finit par connecter, et elle réfléchit un instant. Si elle connaissait un Anifromus ?

Hmmm … Je crois que je ne connais aucun d’entre eux assez bien pour vraiment vous les présenter … Il y en avait plusieurs là où je vivais avant, et il y en a aussi un certain nombre ici, je n’en doute pas. Les Aniformus sont assez communs, mais je n’en ai pas encore dans mes amis, je suis désolée …

Pourtant, une idée lui venait, et elle lui laissa le temps de réellement éclore avnat d’en parler à la jeune femme face à elle:

En réalité, l’un d’entre eux est assez connu ! D’ailleurs, il a concouru contre nous lui aussi lors des Jeux Olympiques. Il se transformait en narval, je ne sais pas si vous vous en souvenez ! Je ne le connais pas personnellement, je vais avoir du mal à vous le présenter, surtout que je pense qu’il doit être bien occupé. Vous l'avez peut-être déjà vu ailleurs, il est conseiller de la Reine de Minos, c’est Siffroy Belgan.

Elle lui sourit, ignorant totalement le lien de Tapahari à Belgan, plutôt contente d’avoir pu lui donner un nom, une piste.

La chamane écouta Sénéa avec attention. Elle hocha simplement la tête lorsqu'elle lui apprit que non, elle ne connaissait pas d'aniformus...
Son intérêt redoubla au moment où elle évoqua un autre participant aniformus à cette épreuve des Jeux Olympiques où elles avaient été toutes les deux.
Qui ? Tapahari fouillait en même temps dans sa mémoire...

Siffroy Belgan.

Elle se figea une seconde.
Sa réaction aurait pu passer inaperçue si Itchy et Bob ne s'étaient pas immobilisés avec elle : les étincelles dans l'enveloppe de Bob étaient suspendues comme si le temps s'était arrêté pendant un court instant ; Itchy eut comme un frisson qui parcourut les épines de son dos, tandis que ses yeux observaient Sénéa.
Tapahari se renfonça dans son siège et expliqua :

- C'est une bonne proposition mais je ne peux pas aller lui demander. Il y a un certain... passif entre lui, mon mentor et moi. Je ne me vois pas aller frapper à sa porte pour lui demander une leçon sur ce sujet.

C'était un euphémisme.
Elle n'avait pas souffert comme Béhékine des actions du vieil homme mais elle en savait assez pour ne pas avoir envie de le fréquenter, surtout concernant un sujet aussi personnel.
La chamane était peut-être capable d'une grande empathie la plupart du temps, n'appréciant pas d'être vindicative envers qui ou quoi que ce soit, mais elle admettait que son avis était biaisé concernant Siffroy, après de longs mois à lutter et travailler avec son mentor pour le sortir de sa rage vengeresse envers son ancien esclavagiste.
Elle soupira puis sourit de plus belle en reprenant un livre :

- Merci, tout de même, pour votre réponse. Je vais donner une meilleure chance aux livres. Comment faites-vous pour lire aussi vite, par les Anciens ?

Elle se savait un peu infantile de se sentir frustrée de ne pas avoir trouvée la solution à son problème dès la première page lue. Mais la bibliothèque n'était clairement pas son milieu de prédilection et elle se sentait aussi un peu honteuse de monopoliser le temps de Sénéa, quand bien même elle avait proposée son aide de bon coeur.
Tapahari était bien plus à son aise face aux gens, aux Esprits, aux animaux, là où son empathie et son entrainement de chamane lui permettaient de véritablement comprendre et partager une expérience, un savoir, dans un échange réel. Elle ne retrouvait pas cette sensation dans les pages des livres, les mots écrits lui paraissaient creux, ne lui parlaient pas.
Et elle était affreusement lente à la lecture, ce qui n'aidait en rien...

La petite main de Bob vint se poser sur sa joue, fraîche et légère. Elle sourit tout en levant le bras pour venir lui grattouiller le haut du crâne du bout des doigts. C'était comme si la créature brumeuse avait sentie sa frustration.
L'esprit du serval en elle se tenait très proche de sa conscience également, curieux de la présence toute proche de Bob et intrigué par ses émotions négatives.
Tapahari se sentait bien plus à sa place tout à coup, entourée par ces Esprits du Voile... ou approchant.
Elle eut comme un épiphanie, et demanda :

- Excusez-moi si la question est impolie... mais, comment avez-vous appris à vous servir de vos talents ? Sur le continent, existe-t-il des... écoles dans ce but ? Ou est-ce qu'il s'agit d'un travail personnel de chacun ?

Senea perçut le trouble de Tapahari et des êtres de brume, mais, décidant rapidement que ce n’étaient pas ses affaires, elle se contenta des explications fournies par la chamane, sans lui en demander plus. Elle lui adressa un sourire doux, et se replongea dans un ouvrage, afin de ne pas lui donner la sensation d’en attendre plus. La question suivante la fit rire, mais elle ne s’attendait pas à sa demande sur l’exploitation de ses talents, et cela lui tira un long soupir un peu interloqué. A vrai dire, elle n’y avait jamais vraiment réfléchi ...

Errrr … Répondre à votre précédente question était plus simple !

Elle lui sourit, plissant les yeux avec ce mouvement.

En réalité, je ne sais pas trop … Mon père est un Enfant de l’Eau, comme moi, et mon frère et moi avons tous les deux les mêmes … capacités tournant autour du froid. Je crois que c’est surtout avec eux que j’ai appris: mon père nous montrait comment faire, et ensuite, nous faisons comme lui. Nous jouions beaucoup, aussi, et je crois que ça nous a servi à maîtriser nos capacités. Evidemment, le fait d’aller à l’école a sans doute dû aider, mais personne ne nous a enseigné comment maîtriser nos capacités: nous étions mélangés à tant d’autres branches ! Par contre, on nous a appris les bases, vous voyez ? La concentration, le respect des autres, les limites à ne pas franchir, les règles à respecter, la consommation d’énergie que cela représente … Le reste ça s’est fait avec le temps, disons.

La jeune femme passa ses mains dans ses cheveux, remettant quelques mèches à leur place au moins autant qu’elle en défaisait d’autres.

Je pense qu’il doit exister des écoles pour se perfectionner dans les capacités de sa branche, ou pour apprendre à les manier oui. Je suppose que l’Académie doit dispenser ce type de cursus, mais que ça doit se trouver ailleurs … On pourrait chercher si vous voulez ! Pour l’Académie, il suffirait d’aller demander à l’un des guichets d’accueil.

Elle lui sourit. Elle n’osait pas trop lui poser de questions, craignant que cela sonne comme déplacé. Cependant, celles-ci lui démangeaient la bouche: n’apprenait-on pas à lire, là où elle avait grandi ? Et ne guidait-on pas les enfants vers la maîtrise de leurs capacités ? Elle croyait que c’était quelque chose de commun, voire même d’obligatoire, institutionnalisé par chaque gouvernement … Apparemment pas, à moins que Tapahari ne vienne d’une autre planète (ce dont elle doutait). Peut-être l’Archipel suivait-il des règles différentes ? C'étaient des provinces dont on entendait peu parler, et mis à part lors des Jeux Olympiques Senea n’y était jamais allée. Elle se sentit honteuse, soudain, de s’être si peu intéressée à la culture de personnes de son propre continent, de son propre monde.

La chamane se sentait presque gênée, en entendant le récit de Sénéa, de pouvoir imaginer ces scènes d'intimité familiales, de jeux et de découvertes autour d'une magie commune entre un Père et ses deux enfants.
Elle n'avait pas de souvenirs équivalents. Son enfance et son adolescence avaient été trop pris par son apprentissage de chamane auprès de sa mère et de sa grand-mère. Il y avait eu des moments de détente et des rires aussi, bien sûr, mais l'essentiel avait été studieux et appliqué, en raison des enjeux importants et des règles strictes associés à son rôle.
En tout cas, il n'y avait rien eu qui aurait pu lui permettre d'apprivoiser son don d'aniformus, découvert beaucoup plus tard.

Peut-être son Père aurait pu lui apprendre. Tapahari était certaine qu'elle tenait son pouvoir d'aniformus de lui, mais elle ne l'avait jamais connu, sa mère ne l'ayant fréquenté que quelques semaines avant qu'il ne reparte de l'île, reprenant sa vie de marin en ignorant sans aucun doute que sa mère était enceinte. Le sujet de son géniteur n'avait jamais été évoqué auprès de sa mère, et elle supposait qu'il était sans doute trop tard pour espérer le retrouver un jour.
Elle n'était même pas certaine qu'il soit aniformus, même s'il n'y avait personne d'autre dans sa famille ou ses ancêtres qui aurait pu être à l'origine de ce pouvoir révélé sur le tard.
La chamane mit ses réflexions de côté pour sourire à Sénéa :

- Je devine que ce sont des souvenirs d'enfance heureux. Merci de les avoir partagés un peu avec moi.
Vous avez donc bénéficié à la fois de proches capables de vous aider dans votre maîtrise, et de l'école pour les... bases ?
Pour ma part, j'ai appris une magie bien différente, pour pouvoir endosser le rôle que je tiens aujourd'hui. Malheureusement, cet apprentissage ne m'aide pas beaucoup en ce qui concerne les questions qui m'amènent ici.

Elle percevait peut-être son "esprit-animal" grâce à son entrainement de chamane, mais cela ne l'aidait pas à mieux en gérer les aspects. Pour le meilleur et pour le pire, le serval en elle n'en faisait le plus souvent qu'à sa tête.
Elle posa un instant les yeux sur le livre qu'elle tenait, sans vraiment chercher à en déchiffrer le contenu, puis elle releva le regard vers Sénéa lorsqu'elle évoqua l'existence d'apprentissages spécifiques : ce serait une solution sans doute plus adaptée pour elle, qui ne se voyait pas trouver ce qu'elle cherchait dans les livres !

- Si ces guichets ne sont pas trop loin, j'aimerais effectivement pouvoir me renseigner à ce sujet. Mais je ne voudrais pas vous prendre trop de votre temps !

Senea hocha la tête doucement face aux remerciements de Tapahari, en lui souriant. Cela lui avait paru naturel. Ce qu’elle lui confia ensuite piqua son intérêt. Elle ne s’était jamais réellement intéressée à l’archipel, et n’avait jamais songé à la différence de mode vie, d’apprentissage et d’éducation entre la contient et ces îles isolées. Comment se faisait-il que la loi du continent ne s’y applique pas ? N'était-ce pas la juridiction d’Eaque, pourtant ? Elle décida de remballer ses questions: après tout, ce n’était pas vraiment son rôle, et, si personne ne se chargeait de faire régner les lois eaquiennes sur les îles de l’Archipel, elle ne voyait pas pourquoi elle aurait quoi que ce soit à y redire ! Elle mit donc sa curiosité en veilleuse, et accepta avec joie de mener Tapahari aux guichets d’accueil. Pourtant, c’est en passant devant la bibliothécaire qui se frottait le bout du nez qu’elle eut une sorte d’épiphanie.

Mais bien sûr ! murmura-t-elle.

Elle se tourna vers Tapahari.

Notre bibliothécaire est une aniformus-loutre. Il se dit sur le campus que sa famille, les Dobhran, sont bibliothécaires depuis des siècles, et tous des aniformus, la plupart en loutre. Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est intéressant ! Elle peut paraître revêche, mais elle est gentille. On peut lui demander de vous aider si vous voulez ! Et ensuite, si vous le souhaitez toujours, nous pourrons aller nous renseigner sur les formations au guichet d’accueil.

Elle lui adressa un joli sourire, assorti à un clin d’oeil pour les petites créatures de brume.

La chamane se demanda un instant, alors qu'elles se levaient et se mettaient en route vers l'entrée de la bibliothèque, si elles n'auraient pas dû ranger les différents ouvrages là où ils avaient été trouvés, dans cette forêt de papiers montant jusqu'au plafond. Elles avaient la liste après tout, alors comment quelqu'un aurait pu savoir où étaient l'emplacement originel de tous les livres posés sur leur table ?
Sénéa ne sembla pas s'en inquiéter, alors peut-être qu'elles pourraient revenir rapidement si les guichets n'étaient pas trop loin ? Même si l'idée d'accaparer encore davantage le temps de Sénéa mettait son sens de la politesse à rude épreuve.
Itchy et Bob suivirent le mouvement, sans faire d'histoires. Bob grimpant comme un nuage sur son épaule, Itchy fermant la marche et reprenant son rôle de garde du corps. Tapahari trouvait son sérieux et sa diligence charmants car, si elle se sentait certes un peu déplacée dans cette grande ville qu'était Hypnos, elle se savait en sécurité. Plus qu'elle pouvait l'être lors d'une excursion dans la jungle de son île pourtant familière, par exemple.

Elle écouta sa guide alors qu'elles arrivaient devant l'entrée, et ouvrit elle aussi de grands yeux sous l'épiphanie (Epiph à qui ?) de Sénéa. Bien sûr, si la dame qui lui avait si gentiment donnée la liste d'ouvrages susceptibles de l'aider était elle aussi aniphormus, alors peut-être qu'elle pourrait l'aiguiller un peu pour trouver la solution à son problème ?
Et puis, le nom Dobhran lui disait quelque chose... mais elle avait un peu de mal à se souvenir précisément quoi. Une histoire contée par sa grand-mère... à propos d'un esprit des Rivières ? Peut-être... mais il lui semblait qu'il y avait une autre syllabe dans le nom.

- O-oui... bien sûr ! C'est une excellente idée. Hum...

Prenant son courage à deux mains - ne risquait-elle pas d'être "impolie" en demandant ce qu'elle voulait demander de but en blanc ? - la chamane des îles s'avança vers le guichet de la bibliothécaire, qui posa aussitôt les yeux sur elle en affichant un grand sourire. Son regard ne dévia qu'une fraction de seconde vers Bob avant de revenir sur le visage de Tapahari, qui choisit ses mots avec soin et fit des efforts d'articulation pour être bien comprise :

- Bonjour de nouveau. Je... c'est un peu étrange sûrement ce que je vais vous demander mais, Sénéa m'a dit que vous étiez aniphormus... est-ce vrai ? Hmm... est-ce que vous savez parler même sous forme animale ? Je suis aniphormus aussi, et c'est un talent que je cherche à acquérir, mais les livres ne m'ont pas aidés jusque-là...

Par les Anciens, ce que cela lui paraissait étrange de parler de sujets aussi personnels comme ça !

Contente de voir que son idée emportait l’approbation que Tapahari, Senea la regarda se diriger vers la bibliothécaire et enclencher le dialogue. Une fois qu'elle se fut assurée que tout se passait bien, elle décida de retourner dehors, retrouver la rayons du soleil et la fraîcheur légèrement piquante de l’air qui l’aiderait, sans aucun doute, à se débarrasser de la sensation de sommeil qui avait tendance à s’emparer d’elle -une conséquence sans doute de la soirée de la veille. Il fallait l’admettre, elle avait complètement oublié de ranger les livres -mais elle savait aussi qu’il y avait plusieurs employés qui s’y consacraient, et qu’il valait mieux un livre posé négligemment sur une table qu’un livre rangé n’importe où et n’importe comment. Après un petit signe discret aux crétaures de brume près de Tapahari, afin de leur signifier que durant el etmps où la jeune femme discutait avec la cédéhimancienne , elle les attndrait ehors, elle franchit la porte et retrouva l’air libre. Un instant, elle se demanda si elle allait revoir l’homme qui semblait l'observer avant qu’elle ne rejoigne Tapahari, mais cela lui sortit vite de la tête, et elle descendit d’un pas vif les escaliers menant à la bibliothèque, et ressortit ton carnet, afin de pouvoir reprendre ses dessins. Le soleil était monté dans le ciel, et les lumières avaient changé. Il y avait aussi un peu plus de monde se baladant sur le campus. Avec un sourire, elle se dirigea tout droit vers la fleur dont elle avait interrompu le dessin en voyant Itchy. La redessiner avec un lumière différente l’intéressait bien, alors, elle s’y attaqua. En fonction du temps que Tapahari et les garçons de brume passaient à l’intérieur, peut-être aurait-elle même le temps de dessiner autre chose, remplissant peu à peu son carnet.

Tapahari resta à discuter avec la cédéhimancienne pendant presque une demie-heure. Passée sa crainte d'avoir été impolie en abordant ce sujet très personnel, ce furent sa curiosité et son excitation qui prirent le relais et lui occupèrent suffisamment l'esprit qu'elle remarqua à peine la sortie de Sénéa.
Bob et Itchy avaient remarqué, eux, et avaient répondu au signe de main de la femme à leur façon.

Au gré de la discussion, la chamane comprit que sa perception aiguisée de son pouvoir - sous la forme d'un esprit-animal évoluant à la frontière de sa conscience - n'était pas une pratique courante sur le continent. Consciente que c'était sans doute juste une différence culturelle, accentuée par sa formation de chamane, Tapahari n'insista pas trop sur ce point.
En revanche, elle testa la patience de la cédéhimancienne en lui demandant détails après détails sur la technique pour parler sous forme animale. Heureusement, la gérante de la grande bibliothèque avait de la patience à revendre. Ce qui n'empêcha pas la discussion d'être délicate et les mots difficiles à trouver, car les deux femmes avaient une vision des choses très différente.
Là où Tapahari avait découvert son talent très tard et explorée seule ses capacités, la cédéhimancienne avait grandi dans une famille nombreuse d'aniphormus et avait affiné son pouvoir par émulation, imitation et aussi compétition entre membres d'une même fratrie. Conséquences de quoi, elle peinait un peu à expliquer pour la première fois sans doute ce qu'elle avait acquis.

Finalement, de nouvelles théories et idées plein la tête, Tapahari remercia la femme-loutre chaleureusement, avant de se diriger vers la sortie, suivant distraitement Itchy qui la guida devant les portes de la bibliothèque. Ce fut seulement à cet instant qu'elle nota que Sénéa avait disparue.
Elle se sentit mal de ne pas avoir pu la saluer. Après tout ce que la jeune femme avait fait pour l'aider, cela semblait extrêmement impoli !
Itchy s'inclina devant elle, Bob lui tapota le haut du crâne comme s'il voulait lui enlever ces mauvaises pensées de la tête, puis Tapahari suivit de nouveau la diligente créature brumeuse dans une allée boisée des extérieurs de l'Académie, jusqu'à...

Sénéa était là, assise à même le sol, un carnet dans les mains, travaillant à dessiner.
Sans faire de bruits, la chamane se rapprocha et s'assit également, à quelques pas de Sénéa.

Le crayon courait sur le carnet de croquis. Les esquisses, imprécises, s’affirmaient peu à peu, alors que le trait de la mine se faisait plus net. La vie était soudain suspendue, maintenue pour l’éternité sur un petit bout de papier. Parfois, elle sortiat sa palette d’aquarelle, toute petite, avce juste quelues pigments, afin de reproduire le toucher de al lumière sur un pétale, le vert tendre d’un brin d’herbe, avec de faire snetir le froid de l’air, ou le blanc pur du nuage. Elle était souvent un peu recroquevillée sur elle-même, se déplaçant, trapue, par des pas créant une marche en canard, et une position assez proche de celle d’un crapaud cherchant à bouger sans sauter; autant dire que Senea manquait singulièrement de grâce. Elle n’en avait cure, et continuait son manège, trouvant peu à peu de nouveaux modèles jusqu'à ce que soudain, un élément inattendu entre dans son champ de vision. Le pied n’était pas là quelques minutes avant, et n’avait strictement rien à y faire. Le pied semblait cependant bien attaché à une jambe, elle-même assurément reliée à un tronc manifestement fonctionnel, qu’un cou unissait à une tête sur laquelle était peint un visage qu’elle reconnut.

Oh ! Vous êtes là !

Elle sourit, son visage s’illuminant, et se redressa, retrouvant une posture plus humaine, afin de se rapprocher de Tapahari. Elle s'assit ensuite près d’elle, sans être trop près non plus afin de ne pas empiéter sur son espace vital.

Alors ? Vous avez pu avoir quelques éclairages ?

Elle lui sourit directement. En parlant d’éclairage, la lumière tombait très joliment sur la chamane et les garçons de brume.

La chamane avait observé presque sans honte Sénéa travailler sur son dessin. L'artiste se déplaçait régulièrement pour observer de nouveaux détails, concentrée sur son ouvrage, oublieuse du monde. Le spectacle évoquait à Tapahari des souvenirs anciens, d'observations fascinées de ses parentes et tutrices lors de son apprentissage. Elle avait alors vue cette même allure focalisée sur un seul objectif, une seule tâche.
Et elle supposait qu'elle avait elle-même cet air là, lorsqu'elle travaillait sur une potion délicate, ou un rituel complexe.
Tapahari n'avait absolument aucune envie de déranger Sénéa dans son travail. Cela aurait été affreusement impoli !
Distraitement, elle fouillait dans ses amulettes, patiente.

Bob s'était figé sur son épaule, fixant la dessinatrice de ses grands yeux, les étincelles dans son enveloppe ondulant au rythme des mouvements de la Fille de l'Eau.
Itchy s'était éloigné de la scène de quelques pas de sa démarche flottante et son attention passait des alentours - surveillant d'éventuelles allers et venues - à une observation en connaisseur des gestes du crayon et du pinceau sur le papier.

Comme sortant d'une transe, Sénéa la redécouvrit peu à peu et eut l'air de revenir de très loin avant de lui sourire.
La chamane sourit à son tour :

- Oui, et je vous remercie une nouvelle fois de m'avoir suggérée l'idée de m'adresser à la cédéhimancienne sur ce sujet. Elle m'a donné suffisamment de pistes pour que je puisse diriger un entrainement sereinement dans la bonne direction.
Mais, et vous ? Votre concentration il y a un instant était totale. Quel est donc votre projet avec ces dessins ? Allez-vous les reproduire en plus grand ?

Senea hocha la tête, plutôt contente de savoir que ses conseils avaient été utiles, et qu’elle avait tout de même eu quelques bonnes idées. Ca la rassurait un peu: en arrivant à l’Académie, elle avait eu peur d’être vraiment complètement inutile, déboussolée par l’absence de vie curiale, de complots, d’horaires, d’étiquette. Pourtant, elle s'était adaptée peut-être plus vite qu’elle ne l’aurait cru, et se plaisait assez dans ce milieu. Sans vraiment s’en rendre compte, elle en avait accepté les codes et compris certains tenants et aboutissants. Elle apprenait encore à y naviguer, certes, mais sa carte devenait de plus en plus claire, et elle était même en position de parvenir à aider des gens, ce qui était plutôt … exceptionnel !

C’était avec plaisir !

Lorsque Tapahari mentionna ses dessins, elle regarda, surprise, son carnet rempli d’ébauches de brouillon. La chamane pensait qu’ils étaient suffisamment bons pour être agrandis ? Elle les regarda d'un oeil dur, puis se tourna vers Tapahari, déjà radoucie.

Non, non, pas agrandi, ni reproduits, je ne pense pas. C’est vraiment pour m’entrainer. J’ai besoin de gagner en capacité, de m'améliorer en dessin je pense; j’aimerais dessiner, peindre, suffisamment bien pour qu’on ait l’impression du vivant, que l’objet va sortir du cadre, et continuer son propre chemin, vous voyez ?

Elle secoua la tête.

C’est très ambitieux, sans doute trop, mais sans motivation je ne risque pas de m'entraîner et de l'améliorer ! Ceci dit, vous avez raison, reproduire, et retravailler, mes anciens dessins pourrait être aussi un bon moyen de progresser, et de me rendre compte de mon niveau !

Elle sourit à Tapahari et aux petites créatures de brume.

Je pense que je vais encore dessiner un bon moment aujourd’hui. Tout le monde est un peu dans le brouillard, à cause des fêtes d'hier alors il y a moins de monde dans mon champ de vision, et au moins, je peux être tranquille, et ne déranger personne. Et vous, avez-vous des choses de prévues aujourd'hui ?

Après les explications de Sénéa sur ses ambitions d'artiste, Tapahari ne put s'empêcher de déclarer, un peu par déformation professionnelle :

- Si vous arrivez à vous concentrer au point d'oublier le monde autour de vous, vous progresserez vite. Travailler encore et encore pour améliorer sa technique, c'est louable et preuve de votre motivation, mais il faut aussi s'entrainer à aller jusqu'à un projet fini. Et trouver quand il faut s'arrêter.

Elle eut un sourire, s'amusant d'elle-même et consciente qu'elle n'était sans doute pas assez informée des arts du continent - et des techniques qui allaient avec - pour vraiment se permettre de donner des conseils :

- Enfin... je reconnais que ce n'est pas mon domaine. Mais si c'est comme l'art des potions, pour bien apprendre il faut aller jusqu'au bout de sa préparation, et ne pas se contenter de préparer inlassablement les ingrédients. Hmmm... Ça ne fait pas beaucoup sens, n'est-ce pas ?

Soudain Bob, toujours juché sur l'épaule de Tapahari, se figea et les étincelles qui parcouraient calmement son enveloppe eurent plusieurs sursauts synchronisés, vibrants sous l'effet d'une percussion inaudible. Itchy réagit aussi en voyant son frêle frère s'immobiliser ainsi et il vint, doucement mais avec insistance, secouer la robe de la chamane pour attirer son attention.
Dès que Tapahari baissa les yeux sur lui, il ressortit en quelques gestes experts le dessin qu'il avait fait plus tôt pour saluer Sénéa, extrayant le parchemin d'un de ses piquants. Il montra à la chamane le portrait simpliste de son Père sur le papier, puis tendit le doigt vers Bob.
La chamane découvrit l'état immobile de la créature juchée sur son épaule, les étincelles toujours pulsant selon un rythme mystérieux. Elle afficha un air confus un instant, puis se détendit et sourit à Sénéa, une main distraitement posée sur la tête de Bob :

- Je crois qu'il est temps de ramener ces deux garçons auprès de leur Père. Après, j'irai commencer mon entrainement. Merci encore pour votre aide et votre temps, j'ai une direction à suivre grâce à vous. Si un jour vous passez par l'Archipel, ou que vous avez besoin de quoique ce soit, je serai ravie de vous... rendre la pareille ? C'est bien comme ça que vous dites, sur le continent ?

Après plusieurs autres formules de politesse et de révérences, Tapahari prit congé et ne tarda pas à disparaître au gré des allées de l'université, guidée par Itchy qui semblait savoir où elle devait aller pour rejoindre un certain Membraneux.

[Fini pour moi ^^]

Senea rit de bon cœur aux conseils de Tapahari, non parce qu’ils étaient mauvais, bien au contraire mais car la jeune femme les dispensait avec sérieux mais en ayant l’air de s’excuser à la fois, ce qui donnait lieu à un mélange des plus surprenants qui l’amusa beaucoup. Cependant, elle lui expliqua la raison de son hilarité, avant de la remercier: c’étaient de bons conseils, et ils lui semblaient valables autant pour les arts que pour les potions, autant sur le continent que sur l’Archipel. Le travail et la concentration étaient de toute façon la clé du progrès, elle le savait depuis longtemps déjà.
Lorsqu’elle décida de partir avec les garçons, Senea les laissa faire évidemment, et les salua.

Merci ! J’ai été ravie de vous voir, et de vous connaître mieux aujourd’hui. J’y penserai si je passe par là, mais n'hésitez pas non plus à me faire signe si vous revenez vers Hypnos, je vous y verrai avec plaisir, vous, Crocs, ou les garçons.

Elle leur sourit, et accompagna leur départ d’un signe de la main, avant d’elle-même retourner à ses croquis, ses esquisses et ses brouillons. Sa soif de progrès était insatiable, et elle mit un certain temps avant de se rendre compte qu’elle avait, effectivement, soif (d'ailleurs un léger mal de tête pointait déjà entre ses tempes). Elle repartit donc vers sa chambre, souriant en pensant aux péripéties de la journée, plus inattendue qu’elle ne l’aurait cru en ce lendemain de fête -jour consacré au décuvage, donc.