[Terminé] L'alliée [Charivari 2787]

08/05/2757

Une femme a demandé à vous voir, Dame Saralondë, l’informa Esteban lorsqu’elle entra dans le relai. Elle vous attend dans votre chambre.

Séléné fronça un sourcil neigeux. Elle n’attendait personne, voilà qui était étrange. Elle remercia pourtant le tenancier, tout en enlevant sa cape qu'elle suspendit à une patère de l’entrée. Elle avait tapé ses bottes à l’entrée.

Elle revenait en effet de Crannsliabh, où elle était allée voir les Gwezentud. Cela faisait partie de ses attributions depuis le retour de l’Exépdition, et elle avait de la chance que les relations avec ce peuple de la forêt se passent bien. Elle était leur relais vers l’extérieur, mais également un appui politique important pour eux. Rapidement, elle était en quelque sorte devenue leur voix officielle (sans se rendre compte que cela brouillait encore un peu plus les frontières de son rôle au gouvernement).
Elle s’entendait très bien avec Lezig, leur chef, qui la fascinait un peu, et avec qui elle se découvrait de plus en plus de points communs. Elle admirait leur liberté, l’enviait même. Et que dire de ce rapport à la nature, au vivant ? Chaque fois qu’elle venait ici, s’en arracher pour retourner en ville, au milieu de tout ce monde, ces constructions, ce bruit, cette agitation … C’était un déchirement, elle en souffrait physiquement. L’auberge d’Esteban était un bon relai, un bon moyen de se réhabituer à ce qu’elle n’osait pas admettre qu’elle détestait un peu plus à chaque retour. A chaque fois, elle avait un peu plus envie que la précédente de rester là, de disparaitre, de laisser la forêt l’engloutir pour revenir à l'anonymat, à une vie plus calme. Surtout en ce jour de Charivari, qu’elle détestait tant …
Mais comment, alors pourrait-elle se supporter si elle abandonnait Elysion à un moment aussi critique qu’en plein retour de l’Ombre, au début d'une guerre annoncée qui serait meurtrière ? Un conflit qui faisait dégringoler sa cote de popularité, un conflit où elle était vue comme celle qui n’était qu’une paranoïaque, une rabat-joie, alors que la menace rampait, se solidifiant un peu plus à chaque seconde ?
Elle piaffait, depuis des mois et des mois, suppliait d’être prudents, suppliait de lancer une attaque, une véritable attaque, et de détruire le mal à la racine. Mais personne ne l’écoutait, et plus le temps avançait plus elle sentait sa santé mentale s’effriter, fondre comme neige au soleil. C'était de pire en pire: tous les jours elle voyait l’influence de l’Ombre augmenter. Que dire des attaques lors de la fête du Courage et de l'Espérance ? Pourquoi personne n’avait réagi ?! Et que penser d’Alexa, la Voix du Peuple de Rhadamanthe ? Elle était persuadée qu’elle était de mèche avec l’Ombre, mais impossible de le prouver ! Les recherches apportaient des pistes, des éléments depuis des mois, mais elle manquait tant de concret que personne ne l’écoutait ! Et pourtant, la pression remontait indubitablement … Au moins, les "informations" qu’ils laissaient échapper se diffusaient bien, et créaient la confusion, et augmentaient l’adhésion à leur camp. Mais le camp adverse faisait la même chose évidemment, alors comment être sûr que ce qu’ils tenaient comme des connaissances sur l’Ombre et ses alliés n'était pas que du vent ? C’était à devenir dingue.

D’un pas tranquille, elle commença à monter les escaliers. Quand elle fut certaine d'avoir disparu de la vue des clients du rez-de-chaussée, elle se fit plus méfiante, plus silencieuse, plus discrète, aux aguets et une main prête à empoigner sa dague. Elle n’attendait personne, et qu’on vienne la chercher ici pour l’attendre dans sa chambre ne lui soufflait rien de bon.
Rien dans le couloir pourtant, et aucun bruit suspect n’émanait de sa chambre. Elle en ouvrit la porte vivement, et il lui fallut moins d’une inspiration pour tenir l'inconnue immobilisée debout, une lame contre la gorge.

Que fais-tu là, vipère ?

Elle avait sans peine reconnu ce corps fin, cette peau pâle, ces cheveux clairs, ces yeux bleus, cette robe blanche, ce chaperon rouge.

Les livres avaient été assez clairs.

Elle n’avait aucun doute sur l’identité de la femme face à elle, et elle savait très bien que Douceline était loin d’être aussi innocente que son apparence le laissait supposer.

Elle ne bougeait pas, pas du tout.

Je vous attendais, Séléné, souffla-t-elle en faisant en sorte de ne pas laisser la lame lui entamer la chair. Je viens vous apporter mon soutien.

A cette affirmation elle sentait son être entier se révolter, son être entier souffrir. L’idée même de ce qu’elle était en train de faire la révulsait, était contraire à toutes les raisons mêmes de son existence. Et pourtant, n'était-ce pas la seule chose à faire ?

Il lui avait fallu non pas des jours, non pas des semaines, mais des mois pour accepter l’évidence: Il faisait du mal, partout, et son pouvoir de guérison ne serait jamais suffisant. Son frère, le Père, n’avait pas pour but de faire du monde quelque chose de meilleur, non: il voulait juste faire un monde à son image.
Et à présent, elle s’en rendait compte: il n’était pas bon.
Il ne le serait jamais plus. Il n'était plus celui qu’elle avait connu, celui qu’elle avait aimé, celui qui l’avait choyée. Il n’avait plus rien à voir avec ça. Il n'était que l’ombre de lui-même, l’ombre de ce qu’elle avait connu.

Il était l’Ombre et elle se devait de l’arrêter.

Elle se devait de sauver ce qui pouvait être sauvé. Pour lui, elle ne pouvait plus rien; il s’était perdu des siècles plus tôt, et elle ne l'avait même pas vu. Mais pour Elysion, elle pouvait encore. Garmyr, puis Nathalia, puis d’autres encore, lui avaient ouvert les yeux, dessillé les paupières. A présent, elle ne pouvait plus être aveugle, c'était terminé. Son pouvoir n’absorberait jamais le mal suffisamment, ne pourrait jamais tout réparer. Alors, elle devait empêcher que le mal ne se répande, que les choses se cassent.

Pour ça, une seule solution.

Elle, qu’Il ne soupçonnerait jamais, qu’Il imaginait la plus fidèle, la plus dévouée, la plus énamourée, elle allait se retourner contre Lui. Le vendre, Le trahir.

Protéger le monde entier contre Lui.

Et pour ça, elle devait se livrer au camp adverse. Elle avait mis du temps à trouver comment. Elle ne pouvait pas arriver comme une fleur dans le palais d’Eaque ou celui de Minos: elle serait repérée c’était évident. Les demeures des principaux opposant à l’Ombre étaient protégées, et elle ne pourrait jamais y entrer.
Alors, comment ?
Elle devait rester discrète, et ne pouvait pas, alors, mettre une petite annonce dans un journal tout de même ! C’était pourtant en lisant un journal que l’idée lui était venue. Séléné Saralondë, ministre eaquienne, y était tournée en ridicule pour ce qu’on qualifiait de paranoïa à propos de l’Ombre. La jeune femme rpésentée sembalit très méfiante, persuadée que le Père allait atatquer, et tenter de dominer le monde. Elle était moquée pour la simple et bonne raison qu'aucune attaque, pas même mortelle, liée à l’Ombre n’avait été rapportée depuis des mois.
En lisant cela, Douceline avait compris plusieurs choses:
1) les elysionniens n’étaient absolument pas prêts à affronter ce qui s’avançait vers eux,
2) son frère était toujours le plus intelligent de tous les êtres peuplant Elysion,
3) cette femme était son moyen d’atteindre les opposants du Père.
Elle avait donc étudié un peu l’emploi du temps de cette ministre, et avait fini par découvrir que, le moment où elle était la moins protégée était peut-être les quelques jours où elle se rendait à Crannsliabh.
Quelle ironie ! Alors que c’était très précisément l’expédition dans cette forêt qui avait permis la libération !
Hasard du calendrier, cela arrivait très précisément pendant le Charivari, soit ce qu’en famille, ils surnommaient “leur” fête. Ses Frères et Soeurs en profiteraient sans doute, et Il s’en délecterait. Elle n’en serait que plus discrète …

Douceline s’était donc rendue chez Esteban, et avait attendu le retour de la femme. Elle avait su qu’elle était là au bruit dans les escaliers, qui avait soudain disparu, et n’avait pas vraiment été surprise de sa vitesse -elle était moitié Alf après tout. Sa manière de la reconnaître l’avait bien plus surprise cependant.

Quel soutien pourrais-je attendre d’une Réprouvée ?
Comment sais-tu qui je suis ? ne put s’empêcher de demander Douceline.
Vous n’êtes pas les seuls à avoir des informations. Votre apparence a été détaillée dans des livres et tu n’as … pas changé d’un pouce, Douceline. Je sais ce que tu es. Réponds-moi, soufflait froidement la ministre, sa lame toujours contre sa gorge, lui bloquant toujours douloureusement un bras dans le dos.

*Ça va peut-être se révéler plus compliqué que ce que j’imaginais …*

08/05/2757

La femme ne lui donnant aucune réponse, Séléné appuya plus fort la lame contre sa gorge, entama la peau fine de son cou.

Dis-moi ce que tu fais là, et donne-moi une seule bonne raison de ne pas te saigner comme un goret, ici et maintenant.

Sa voix était glaciale. Pourtant, Séléné n’était pas aussi sûre d’elle qu’elle pouvait en avoir l’air. Elle ne s’attendait pas vraiment à trouver une Réprouvée dans sa chambre, et ne comprenait absolument pas ce qu’elle faisait là, ni pourquoi Douceline ne l’avait pas déjà tuée. Après tout, elle n’était pas du côté de l’Ombre, alors pourquoi diable était-elle encore en vie ?

Je veux … Vous donner des informations. Notre Père ne rendra pas le monde meilleur pour tous, simplement pour des gens comme Lui et mes Frères et Soeurs. Je veux vous permettre de Nous détruire.
C’est … C’est une blague ?

Ces mots furent soufflés plus que vocalisés, alors que Séléné avait l’impression de s’être pris un coup de massue sur la tête. Elle était si étonnée qu’elle en lâcha la femme. Elle avait la sensation que sa tête tournait un peu, comme si enfin elle touchait au but.

Cette Réprouvée venait-elle vraiment se livrer à elle ? Lui permettre de gagner cette lutte, d’enfin entrevoir la fin de cet enfer ?

Se rendant soudain compte qu’elle venait de lâcher une Réprouvée, elle la chercha immédiatement du regard, et pointa vers elle son arme, son autre poing brillant de magie.

Je ne t’attaquerai pas. Je ne cherche pas à te manipuler. Je veux vous donner une chance. Sais-tu seulement comment l’atteindre ? lui demanda-t-elle d’une voix bizarrement monocorde, comme décrite dans les livres. Je suis votre seule et unique chance.

Elle venait de frapper juste: comment atteindre l’Ombre était bien le cœur du problème.
Séléné baissa la garde, déplia les jambes, regardant la Réprouvée avec peut-être moins de détermination, moins de méfiance. Une alliée de l’intérieur était une chose à laquelle elle ne s’était jamais autorisée à rêver, il fallait l’admettre. Alors peut-être qu’en effet, c’était une occasion bonne à saisir.
Et soudain, la femme face à elle s’effondra comme l’aurait fait une poupée de chiffon.

Sujet verrouillé

Sujet terminé, sujet archivé ! Suite ici: https://elysionearth.forumgratuit.org/t1327-la-declaration-charivari-2787libre

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