[Terminé] "Le meurtre est l'ultime échec de la Parole." [Charivari 2787]

Plic.

Une sensation poisseuse sur les mains.

Plic.

Une odeur lourde de fer qui se dépose sur la langue.

Plic.

Et ce bruit régulier des gouttes qui s'écrasent au sol.

Plic.

Les yeux du Réprouvé restent fixes. Ils ne se détachent plus de ses mains. Couvertes de…

Plic.

Couvertes de sang... Non, pas juste de sang... De Son sang. Du sang de…

Plic.

Un léger frisson attire son regard et il lève les yeux. Il pose de nouveau son regard. Droit vers…

Plic.

Droit vers le cadavre. Droit vers son cadavre. Il n'a pas bougé. C'est un léger souffle de vent qui a agité ses vêtements.

Plic.

Aucun mouvement ne l'agite. Son corps... ce corps... n'est plus animé par la moindre étincelle de vie.

Plic.

Il ne se réveillera plus, cette fois. Aucun vieillard ne prendra sa place. Aucune femme n'ouvrira les yeux. Aucun enfant ne poussera de cri.

Plic.

Aucun mouvement... Rien. Rien que l'éternité silencieuse de la mort.

Plic.

Alors ça y est ? C'est vraiment arrivé ? C'est vraiment fini ?

Plic.

Comment ? Comment est-ce qu'il a fait ? Comment a-t-il pu tuer…

Plic.

Il entend un murmure. Ses yeux se lèvent de nouveau. Se posent sur... rien. Et pourtant... Et pourtant, c'est comme si la scène se déroulait devant lui. Comme si les spectres du passé rejouaient l'acte final de cette pièce.

Plic.

Oui... C'est comme cela que ça s'est déroulé. Ça a commencé ainsi. Par son entrée dans cette pièce. Et par un nom. Un nom qu'elle a prononcé. Son nom.

Pl-


-Ulrik !

Assis dans un fauteuil des plus confortables, arborant un sourire satisfait et caustique, Ulrik lève la tête vers Cyriel. C'est son apparence de jeune femme qu'elle arbore. Au moins, il y a quelque chose à regarder.

-C'est coquet chez vous, les filles. Ça paye d'être Voix du peuple, on dirait.

La Réprouvée s'approche d'un pas lent. Elle ne répond pas à la pique, se contentant d'un :

-Nous ne t’attendions pas. Si nous avions su que tu venais…

Ulrik évacue ses dires d’un geste de la main. Son sourire se fait plus sarcastique encore :

-Je vais où je veux quand je veux. Tu devrais le savoir, depuis le temps. Et puis, c’est le Charivari, non ? Le jour de la liberté absolue. Je n’ai pas de comptes à rendre, si ?

Aucune réponse ne franchit les lèvres de Cyriel. Bien entendu. Ulrik n’en attend pas, de toute façon. Il continue, parlant presque plus pour lui-même qu’à son interlocutrice :

-Ça marche plutôt bien, cette année, hein ? Le soutien d’Efferias ajoute une pointe de piquant à cette édition. J’adore que tout le monde puisse voir ce qui se passe dans nos rues. Un tel spectacle, une telle œuvre se doit d’être admirée de tous, tu n’es pas d’accord ?

La jeune femme se dirige d’un pas plus assuré maintenant et s’installe dans un second fauteuil, mains croisées. Il n’y a pas de nourriture entre eux, pas de boisson non plus. Il n’y a rien d’autre qu’eux. Eux et une pression indicible. L’univers prévoyait-il déjà la fin de cette entrevue, à ce moment-là ?

-Que nous vaut ta visite, frère ?

-Je me suis dit que tu avais besoin d’un coup de main, répond Ulrik sans détour.

Par habitude, la Réprouvée hausse les sourcils, comme pour marquer une surprise. Un coup de main ?

-Nous avouons que nous ne nous attendions pas à cela, frère. Nous pensions que notre travail était plus que satisfaisant. Rhadamanthe est sous notre contrôle, le peuple se rallie à l’Ombre jour après jour… La situation est entièrement sous contrôle. Oh, bien sûr, il y a bien quelques protestations, ici et là, mais rien qui ne puisse entraver les plans de notre Père.

Elle se recale sur son siège avant de continuer, consciente du poids des mots qu’elle s'apprête à prononcer :

-Et sans vouloir t’offenser, si tu devais intervenir de façon… enfin, à ta manière face aux rebelles, la situation risquerait d’empirer. Nous ne voulons pas créer des martyrs.

Mais de nouveau, Ulrik agite la main, désinvolte :

-Au diable les rebelles, dit-il. Si j’avais voulu m’en occuper, je l’aurais déjà fait.

“Encore heureux que tu n’en aie pas eu l’envie, alors” pense Cyriel sans mot dire.

-Non, continue le Réprouvé. Laissons ces cafards se démener, ils auront tôt fait d’être étouffés par le poison qui coule dans leurs veines.

Cyriel n’a absolument aucune idée de la signification de la métaphore d’Ulrik. Il ne le sait probablement pas lui-même. Mais encore une fois, elle se garde de piper mot.

-Si je suis là, c’est pour justement pour t’aider avec le peuple. Avec ceux qui sont de notre côté.

De nouveau, Cyriel sent ses sourcils se hausser. Deux fois en l’espace d’une poignée de minutes, c’est un véritable exploit de la part de son frère.

-Nous ne te suivons pas, répond-elle.

-C’est simple, explique Ulrik en se calant bien profondément dans le fauteuil. Tu es la Voix du peuple. Mais tu as besoin d’un Visage. Quelqu’un qui te représente. Quelqu’un de plus charismatique. Tu as besoin de moi.

Cyriel laisse passer quelques secondes, sans comprendre. Plansante-t-il ? Va-t-il éclater de rire et lui annoncer le réel objet de sa visite ? Mais non… Il reste là, à sourire, la regardant de haut, probablement en train d’imaginer que le silence de Cyriel est dû à une gratitude si forte qu’elle la rend muette. Mais qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?

-Ulrik, nous…

-Inutile de me remercier.  Tu n’en as pas besoin, je sais à quel point mon offre est parfaite. Alors faisons comme ça : tu me diras ce que je dois dire à la populace et je le leur répéterai.

-Ulrik…

-Dès que je prononcerai les mots, le peuple sera tellement subjugué qu’ils le chanteront dans les rues.

-Tu ne nous écoute pas…

-Je ne t’en voudrai même pas de me donner un rôle si ingrat de perroquet. L’adulation du peuple à mon égard sera ma récompense.

-Ulrik !

-Tu ne voudrais pas contrarier ton cher frère qui a imaginé ce plan, n’est-ce pas Cyriel ?

Les yeux d’Ulrik ont perdu toute gentillesse. Un instant, Cyriel se demande si son plan était un simple prétexte pour asseoir sa domination ou s’il est vraiment vexé à l’idée qu’elle puise le rejeter. Mais ces préoccupations sont sans importance. La Réprouvée prend quelques secondes pour réfléchir à ce qu’elle va dire, et ses mots sont soigneusement pesés quand elle ouvre la bouche :

-Ulrik, Père a-t-il quelque chose à voir avec ton idée ?

-"Père" ? L’Ombre ? Non, l’idée vient de moi… Tu as un souci avec ça ?

-Ulrik, reprend Cyriel, les plans de notre Père sont minutieusement calibrés. Ton plan est… intéressant. Mais nous ne voulons pas aller à l’encontre de Ses décisions. S’Il avait voulu que tu nous assistes, s’Il avait pensé que nous en avions besoin, Il l’aurait dit. Il connaît chacune de nos forces et de nos faiblesses-

-Je n’ai pas de faiblesses, gronde Ulrik.

-… et Il sait ce dont nous avons besoin. Rien ne nous ferait plus plaisir que de travailler avec toi. Ce jour viendra. Mais pas tout de suite.

Cyriel se relève. Son discours fait sens. Ulrik n’a aucune raison de le lui reprocher.

-Tu as dû travailler dans l’ombre depuis la libération de Hölle. Nous comprenons que tu souhaites revenir dans la lumière. Cela viendra. Mais en attendant, nous devons jouer notre rôle.

-”Notre rôle” ?

Ulrik s’est levé. Ses poings sont serrés, les jointures blanches de colère.

-Je ne suis pas fait pour être un recruteur ! Je suis un combattant, le meilleur qui soit ! Je mérite les honneurs, pas l’oubli ! Mais depuis qu’Eden a été libérée de sa prison - grâce à MOI, dois-je le rappeler ? - qu’est-ce que j’ai, hein ? Rouille s’amuse avec sa drogue, tu es la Voix du peuple… Et moi, notre “Maître” s’obstine à me donner des missions de recrutement. Et quand il daigne me proposer d’aller remuer un peu la merde qu’on a foutu de par le monde pour l’embraser, je suis obligé garder mon implication secrète. J’en ai assez de courir les rues pour proposer à de sales gamins de rejoindre nos rangs. J’en ai assez qu’on ignore mes pouvoirs et capacités. Je veux la grandeur. Je veux la puissance ! Je veux agir au grand jour, tu comprends, ça ?!

Cyriel reste assise. Les trépignements de son frère la laissent indifférente. Mais si elle ne le calme pas, il risque de faire une bêtise.

-Nous te comprenons, Ulrik. Mais, au risque de nous répéter, les plans de notre Père sont parfaits. Une fois le monde sous notre contrôle, rien ne t’empêchera de te jeter dans des batailles sanglantes et de t’en donner à coeur joie. Pense simplement au plaisir que tu éprouveras quand ce moment arrivera.

Ulrik ne répond rien, mais ses mains se sont un peu desserrées. La crise semble passée. Visiblement, il était surtout venu se plaindre… Cyriel le prendrait presque en pitié.

-Notre Père sait ce qu’il fait. Aies foi en lui.

Les épaules d’Ulrik se sont affaissées. Parfait. Cyriel dessine un sourire sur son visage pour paraître plus avenante. C’est terminé.

-Nous n’en avons plus pour longtemps, Ulrik. Les trois continents seront bientôt à nos pieds. Mais nous devons le mener dans ce sens. Alors pour le moment, reste dans l’ombre. Et pour ce qui est d’agir dans la lumière…

Un temps. Un souffle. Si elle avait prononcé d’autres mots, l’issue aurait-elle été différente ? Mais emportée dans ses paroles, Cyriel oublie un instant qui elle a en face d’elle. Et elle dit :

-... laisse faire Hölle.

Il n’y a aucune provocation dans ses mots. Juste un fait. Mais Ulrik… Ulrik lève un regard embrasé par la haine vers Cyriel qui recule d’un pas. Qu’est-ce que…

-Hölle… Eden… Eden ! EDEN ! Encore et toujours Eden ! Qu’avez-vous tous avec elle ?!

Sans que Cyriel ait le temps de réagir, la main d’Ulrik fuse, son poing se resserre sur sa gorge. La Réprouvée se débat. Mais elle ne fait pas le poids physiquement.

-Je vaux mille Eden ! Dix-mille Eden ! Je suis le plus puissant des Réprouvés ! Rien ni personne ne peut rien contre moi !

-Ul… rik…

-Je ne laisserai personne laisser entendre que je vaux moins qu’elle !

-Ul…

-Et…

-...rik…

-... surtout…

-... at…

-... pas…

-...tends…

-... toi !

La main libre du Réprouvée fuse. Droit vers… Cyriel ressent un vide glacé qui la saisit soudain. Son regard descend doucement. Son torse… son torse est…
Ulrik recule soudain, libérant son bras de sa chair. Lui-même a l’air surpris. Cyriel s’effondre mollement comme une poupée de chiffon. Son sang tapisser le sol. Elle voudrait lever les yeux vers Ulrik. Mais ses yeux ne lui obéissent plus. Elle voudrait appeler son nom. Mais ses lèvres ne lui obéissent plus. Elle voudrait…
Elle voudrait…
Sous les yeux d’Ulrik, le corps de femme entame sa métamorphose. Son torse se reforme, ses membres se flétrissent. Ce n’est plus la femme qu’il a devant lui. C’est le vieillard. Son deuxième corps. Mais… ça ne devrait pas… est-ce qu’il a vraiment ?

-Ulrik…

La voix chevrotante qui s’échappe du vieillard lui fait baisser les yeux. Il le regarde, sans comprendre.

-Qu’est-ce que tu as fait ?

Qu’est-ce qu’il a fait ? Quoi ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il…

-Tais-toi…

Il n’a pas de compte à rendre… Pas à lui. Pas à qui que ce soit.

-Tais-toi !

Ulrik s’agenouille au-dessus du vieillard. Celui-ci le regarde, son expression inchangée. Ulrik lève le pong. Et l’abaisse. Le visage du vieil homme éclate d’un seul coup.

-Tais-toi !

Un second coup.

-Tais-toi !

Un troisième coup. Un quatrième.

-Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi tais-toi tais-toi taistoitaistoitaistoitaistoitaistoi !!!

A chaque mot, un nouveau coup. Encore. Et encore. Sans interruption. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus du nouveau corps de Cyriel qu’une masse informe. Il se redresse, le souffle court. Il sait ce qui va arriver ensuite. Et il n’a pas à attendre longtemps. La masse de chair sanguinolente s’agite. Un nouveau corps se forme. Le troisième. Le dernier. L’enfant. Elle semble être modelée par une main invisible, comme dans de la cire. Ses bras. Ses jambes. Sa tête. Son visage. Ses yeux. Des yeux qu’elle pose immédiatement sur Ulrik, alors que le reste de son corps finit de se former. Des yeux qui expriment quelque chose qu’Ulrik n’avait jamais vu chez Cyriel. De la peur.
Et alors qu’il se penche vers elle, elle prononce un unique et dernier mot :

-Non…


-ic.

Le sang a cessé de couler. Cyriel n’est plus. Son corps s’est modifié une dernière fois. Elle a repris sa stature de jeune femme, mais ses traits arborent les rides du vieillard, et ses yeux, ouverts sur le néant, sont ceux de l’enfant. Cyriel est morte. Il ne reste plus que lui. Ulrik.
Elle est morte. Elle est vraiment morte !
Quelque chose monte en lui. Du plus profond de ses entrailles. Remontant le long de son corps. Atteignant sa poitrine. Se répandant partout. Oui… C’est…
De l’euphorie.

-Hé… Hé hé…

Incrédule, Ulrik ne peut contenir le rire qui saisit sa gorge. Alors il éclate. Il rit à gorge déployée. Un rire où se mêlent l’euphorie et l’incrédulité qui ne le quittent plus. Et cela dure. Dure. Combien de temps exactement, il ne saurait le dire. Quand enfin le rire cesse, un sourire, lui, refuse de partir. Un sourire carnassier.

-Ils peuvent mourir.

Ces trois mots lui suffisent. Ils peuvent mourir. Et s’ils peuvent mourir… alors il peut les tuer.

-Qui a besoin de l’Ombre ? Qui a besoin de plans de conquête ? Tout ça, c’est superflu ! Tout ce dont j’ai besoin, c’est de ça !

Ça. Le plaisir de tuer. Pas les proies habituelles, non. Ses “frères et sœurs”. Dont “elle”, bien entendu.

-Oui… Toi… Toi ! On verra si les autres ont besoin de toi, une fois que tu auras péri de mes mains !

Mais pas tout de suite, non. Pas tout de suite.

-Tout d’abord… Ajoutons un peu plus de chaos à cette fête !

D’une main, Ulrik attrape le cadavre couvert de sang qu’il trimballe à bout de bras, comme un simple sac de déchets. Il ne croise personne pendant qu’il sort du bâtiment ; tout le monde est dehors, à profiter des festivités ou à essayer de protéger sa vie. Mais une fois dans la rue, personne ne peut manquer l’homme aux cheveux de cendre qui marche, un cadavre à la main. En temps normal, quelqu’un essayerait de l’arrêter. Mais c’est le Charivari. Personne n’arrête un homme qui vient de tuer quelqu’un. Surtout un homme avec autant de présence qu’Ulrik. Non. Curieusement, les gens se mettent à le suivre. D’abord une personne. Puis une deuxième. Une troisième. Une autre, encore une autre… Et c’est bientôt une foule qui se masse derrière le Réprouvé. Une foule murmurante, un troupeau de théories et de questions. Sont-ils tous intrigués… ou la magie du Réprouvé est-elle à l'œuvre, à l’insu même d’Ulrik ?
Il l’ignore. Il n’en a cure. Il avance, sans se soucier de ce qui arrive autour de lui.

Enfin, après de longues minutes, il trouve ce qu’il cherche. Une grande place. Des gens sont en train de s’entretuer, profitant des implants cybernétiques gracieusement offerts par la Salvadori. Et surtout, des caméras sont en train de filmer le spectacle. Plein de caméras.
Parfait.
Urik s’avance vers le milieu de la place. Comme un souffle, les affrontements ralentissent et s’arrêtent. Les caméras se tournent vers lui. Un silence de plomb couvre la place.
Arrivé au centre de la place, Ulrik s’arrête. Son euphorie ne s’est pas dissipée, mais il ressent une pointe de fatigue… Étrange. Il lui en faut plus, d’habitude. C’est certainement psychologique. Cyriel a beau être une chieuse, c’était une Réprouvée. Ce qu’il vient de faire, c’est un acte de rébellion contre l’Ombre, son “maître” comme on en n’a jamais vu. La simple idée de ce qui l’attend dans les jours à venir a de quoi épuiser même quelqu’un comme lui.
Au diable avec tout cela. Il est temps de faire grandir les flammes.
Toujours d’une seule main, Ulrik soulève le cadavre de Cyriel à bout de bras, la brandissant vers la foule et vers les caméras. Personne ne dit quoi que ce soit. Parfait.

-Votre Voix est morte !

Un rapide murmure court parmi toute la foule, mais il se dissipe vite. Personne ne veut rater les mots de l’homme qui se tient là, le cadavre de la femme la plus respectée de Rhadamanthe au poing.

-J’ai tué votre Voix !

De nouveau, un murmure court qui s’arrête vite. Ulrik reprend :

-Je sais ce que la Voix vous a apporté. La liberté. En vous fournissant la D.A.D. En ramenant la noblesse à son statut véritable. Mais ce n’est pas assez.

Un silence.

-Regardez autour de vous. Vous vous en donnez à cœur joie en vous entretuant ce soir. Vous ressentez le plaisir de la traque, le frisson du meurtre. Mais demain, tout sera terminé. Vous devrez revenir à vos vies d’avant.

De nouveau, un silence.

-Mais…

Ulrik a murmuré ces derniers mots. Tout le monde se penche vers lui, souffle retenu. Personne ne veut manquer ce qu’il va dire ensuite.

-Cela a-t-il vraiment besoin d’être ainsi ? Devons-nous vraiment nous arrêter de tuer ? Devons-nous cesser de ressentir l’extase ?

Cette fois-ci, les murmures reprennent, ininterrompus. Des murmures qui propagent une seule et même idée : l’assentiment.

-Nous pouvons ressentir cette émotion, et nous DEVONS la ressentir ! Indéfiniment ! Nous ne sommes pas sur cette terre pour nous réprimer ! Nous y sommes pour vivre, sans restriction ! Une liberté totale et absolue !

Le murmure s’est transformé en grondement. Des cris fusent. Aucune objection n’est levée.

-Est-ce ce que vous voulez, Rhadamanthiens ? Une vie de liberté ?

Des “Oui” partent de tous les côtés. Bien sûr. Qui voudrait vivre une vie de restriction ?

-Est-ce ce que vous voulez ? L’euphorie du massacre ?

Comme un roulement de tonnerre, un cri unique répond par l’affirmative. Il n’a plus qu’à donner le coup de grâce :

-Alors ce soir, continuez à jouir des festivités qui vous sont offertes. Et demain, suivez-moi ! Suivez-moi sur le champ de bataille ! Car il est temps d’aller massacrer nos ennemis, ceux qui veulent nous soumettre ! Il est temps de détruire Eaque et Minos ! Nous les tuerons tous et nous nous baignerons dans leur sang !

Alors que la foule explose en un cri de joie et de fureur, Ulrik lance le corps de Cyriel dans la foule qui s’en donne à cœur joie. Et durant le massacre, le regard levé vers le ciel, Ulrik hurle :

-Suivez-moi, Ulrik, votre nouveau roi et massacrons ensemble ces salopards !

Enfin. La gloire. La lumière. La reconnaissance. Et tandis que la foule se fend de longs “Gloire à Ulrik ! Gloire à notre roi !”, le Réprouvé, entouré par la mort, se sent plus que jamais vivant.