Quitter sa terre [Libre]

Le vent glisse sur la peau froide de deux mains couvertes de terre
Les fleurs ondulent avec délicatesse, leur parfum caressant l'air


Seul depuis des années, l'ailé avait errer sur ce bout de pays sans jamais cesser de regarder en arrière
Impuissant, brisé, Markan n'avait encore jamais pu vraiment quitter cet endroit où ils s'aimaient naguère


Un feu ardant brûlait dans l'âtre de la cheminée de pierre
L'ailé le noya de terre et partit sans regarder en arrière.



Regardant au loin, l'ailé agita ses plumes pour les sortir de leur torpeur. Il n'avait pas volé depuis si longtemps qu'il n'était pas certain de pouvoir faire une grande distance dès sa reprise. Il n'avait pas la moindre idée de l'endroit où il se rendrait maintenant qu'il avait décidé de quitter l'île où il avait vécu des années de pur bonheur en compagnie de Pho. Il n'abandonnait pas la maison, il s'y refusait. Mais il avait besoin de changer d'air. Ces cinq dernières années à végéter et entretenir le jardin comme il le pouvait, soignant les plantes présentes et recréant le parterre qu'il avait détruit sous le coup de la colère, ces cinq années donc, lui avaient permis de tenir le coup après son accès de rage.

Markan ouvrit ses ailes et battit plusieurs fois, perdant quelques plumes au passage. Il s'éleva sur quelques centimètres et sentit un courant électrique lui parcourir le dos alors que les nerfs de ses ailes se réveillaient de leur longue torpeur. Il prit une grande inspiration et se dirigea calmement vers le pic de l'île d'où il prenait souvent son envol à l'époque. Il ne jeta pas un seul regard vers le jardin qu'il quittait, craignant que cette vision de paradis ne le retienne cinq années supplémentaires dans une mélasse de souvenirs. L'ailé regarda sous lui, l'eau bouillonnante de la mer Orphée dans laquelle avait disparu son aimé. S'il ne parvenait pas à voler, il le rejoindrait tout simplement. Le destin en déciderait pour lui. Il étendit les ailes et sauta dans le vide.

Les ailes déployées, il battit puissamment et grimaça un instant en sentant la raideur se délié péniblement. Il sentit ses épaules travailler plus qu'elles ne l'avaient fait ces dernières années et il eut un petit sourire contrit. S'il n'avait pas passé du temps à bêcher, planter, élaguer, ses épaules et ses muscles se seraient sans doute atrophiés. Il ne tiendrait pas plus d'une heure, mais ce serait normalement suffisant pour rejoindre une île tout proche où il y avait un petit village. Peut-être qu'il y trouverait un nouveau but.

Sitara essaie de se débattre dans un monde qui change. Trop vite. Après avoir quitté son village natal, elle a découvert un monde préoccupé par une nouvelle guerre contre l'Ombre. Elle s'est engagée pour arrêter les séides de l'Ennemi dans des escarmouches sur des terrains qu'elle connaît bien la veille de la Bataille Finale sur les plaine d'Eneides.

Voilà subitement la paix alors qu’elle se remet d’une pétrification non consentie et de ses blessures de la bataille. Elle est étourdie par le souffle de ce monde qui oublie déjà petit à petit qu’il y a eu une guerre formidable. La chasseresse mesure au gré de ses itinérances l’impact de la magie sur son environnement.

Elle s’est envolée pour les iles de l’Archipel, alourdie d’un baluchon contenant ses affaires. Croisant un Aile Duveteux évoluant dans les airs, elle le salue d’un glapissement poli de mise entre aviaires.

« Skriiiiiiiiiiiiiiiiii ! »

L’aigle décrit un cercle autour de l’Aile Duveteux. Il semble se fatiguer ! Mieux vaut le diriger vers l’île la plus proche qu’elle peut apercevoir avec ses yeux d’aigle ! Et qu’est-ce qu’ils sont perçants !

« Skriiiiiiiiiiii ! »

Comme pour signifier par ici ! Suivez-moi !

Markan battit des ailes une dernière fois et se laissa ensuite planer jusqu'au petit îlot indiqué par l'inconnue qui l'avait saluée. Il se posa et, une fois posé, sentit ses jambes flancher et se laissa tomber à genoux, la tête lui tournant un peu. Il se redressa, passant une main sur son front, puis se pinçant l'arrête du nez et jeta un coup d'oeil autour de lui. Un peu plus loin, il vit la créature qui l'avait guidé jusque là, un magnifique aigle aux plumes d'un brun-roux délicat. Il agita ses ailes en grimaçant et s'assit à même le sol, observant avec curiosité l'animal et son petit baluchon. Probablement pas un animal classique donc.

- "Je vous remercie pour votre aide.

Les yeux gris sombre de Markan se pose ailleurs, cherchant du regard où il pouvait bien être, s'il connaissait l'île, mais rien ne lui semblait familier. Il fronça les sourcils, pendant des années ils avaient pourtant visiter toutes les îles alentours de la leur avant de s'installer sur celle de leur choix avec Pho. Mais cela faisait au moins 5 ans qu'il n'avait pas quitté la maison et le jardin, peut-être que le monde avait un peu changé ces dernières années. Il reporta son attention sur l'aigle :

- "Je me nomme Markan. Je vis... Je vivais, sur une des îles de cet archipel.

Retournant sa tête brièvement, elle s'assure que le Duveteux la suit bel et bien. Sitara poursuit sa course jusqu'à l'île qu'elle a aperçue. Simple ilôt qu'elle a tôt d'en voir les contours. Parfait pour faire une pause pour des voyageurs ailés épuisés. Elle amorce sa descente en déposant d'abord son baluchon sur le sable avant d'y poser ses serres.

Ses yeux dorés interrogent ensuite le Duveteux qui s'est entretemps assis, grimaçant après l'effort. Elle est remerciée pour son intervention drôlement emplumée.

"Piiiiiiiiiiii"

Pas de quoi. De rien.

Sitara voit bien qu'il cherche des indices reconnaissables sur sa localisation. Malheureusement, elle ne peut l'y aider. C'est la première fois qu'elle visite l'Archipel. Une aventure permise par le nouvel état du monde en pleine reconstruction. La chasseresse se demande si le Duveteux sait parler l'oiseau. Peut-être que oui. Peut-être que non. Il lui parle au passé du nid qu'il vient de quitter. Une douleur familière.

"Piiiiiiiiii......"

Sitara s'approche de lui et enfouit son énorme tête d'aigle pour le réconforter. Il a quitté son Nid. Son territoire de chasse. Exactement comme elle voilà quatre ans plus tôt ! Le Duveteux doit se sentir tellement désorienté !

Markan se sentit rassurer en sentant la tête de l'aigle contre lui. Il enfoui son visage dans les plumes et sa main caressa le cou de l'oiseau.

- "Merci mon ami, votre présence est un grand soutient. "

Markan relève la tête pour croiser les yeux de l'oiseau. Il est encore étonné d'avoir comprit ce que disait l'aigle, il n'avait, jusqu'ici, jamais vraiment fait attention aux oiseaux, peu présents sur l'île où il vivait avec Pho. Par contre, il doutait de pouvoir lui répondre en utilisant le même langage et n'osa pas s'y risquer dans un premier temps.
Son regard se porta sur le baluchon de l'aigle et il pencha légèrement la tête sur le côté. Que pouvait bien transporter un aigle ? Cette créature travaillait elle pour les services postaux ? N'était-il pas trop lourd à transporter pour lui ? Ou elle d'ailleurs...

Markan regarda l'aigle et eut le sentiment que c'était une femelle. Sans aucune certitude cependant. Peut-être qu'il ressentait les choses parce qu'ils avaient des plumes en commun, une forme de parenté éloignée.

- "Où vous rendez-vous ? Peut-être pourrais-je vous accompagner un moment ?"

L'idée de repartir seul après si peu de temps le mettait dans l'inconfort alors même qu'il était resté seul ces cinq dernières années. Comme si cette première rencontre l'avait ébranlé au plus profond de son âme.

Le réconfort d'une tête d'aigle, des plumes brunes semble l'avoir réconforté. Ce n'est pas dans les habitudes de Sitara d'agir comme un aigle domestiqué et de se laisser manipuler par une main humaine. Elle a fait exception puisque le Duveteux est agité d'une douleur familière. La perte de son Nid. Il semble d'ailleurs reprendre du lustre dans les plumes ! Il cherche même à croiser ses yeux dorés pendant qu'il lui fait des caresses.

Son étonnement, à raison, est compréhensible : Sitara est tout à fait capable de le comprendre puisqu'elle est douée de métamorphose. Reprendre forme humaine lui est aussi facile que respirer. En quatre ans, elle a eu le temps de se réconcilier avec sa double nature, mais moins avec un monde qui s'est transformé très rapidement. Comme si le temps s'est soudainement accéléré. L'aigle penche la tête d'une manière similaire à celle du Duveteux.

Ah ! Le baluchon. Le curieux. Elle suppose que c'est tout à fait naturel en l'absence d'explications humaine. Que peut-t-il bien penser ? Sitara trottine jusqu'au précieux sac, le pince pour en dénouer les liens. Un arc puissant sans ses cordes, des couteaux dans leurs gaines, des vêtements de chasseur, des herbes médicinales, de la viande séchée. D'ailleurs, elle se sert un bout de viande séché et le ramène au Duveteux d'un vol court. Il a besoin de reprendre un peu de force pour le voyage. Rien de mieux que la viande de lapin pour ça !

Pour répondre à la question, elle tend une aile en direction de l'horizon, là. où se trouve Rhadamanthe. Monde de brutes en train de se pacifier avec les lois de Niniel Helvë.

"Piiiiiiiii !"

Markan jette un oeil dans la direction indiquée par l'aigle et il réfléchit un moment, acceptant le morceau de viande qu'il mâchonne distraitement. Quelles terres se trouvent au delà de son regard ? Il lève les yeux au ciel pour se repérer un instant et fait le lien. Rhadamante. Thanatos, la Citadelle, le désert aussi... Pourquoi son compagnon souhaite-t-il se rendre à cet endroit précis ? Y a-t-il encore des guerres, des morts de la violence courant le monde à cet endroit ?

Le duveteux sent son coeur se serrer et se redresser, époussetant son pantalon avant d'étirer ses bras, ses ailes, pliant ses jambes plusieurs fois.

- "Et bien je vous accompagne mon ami. C'est le moins que je puisse faire après votre aide et votre présence précieuse."