[Archivé] L'autodafé, première partie [Libre]

La grande bibliothèque d'Elysée était un bâtiment imposant et magnifique non loin du palais royal.
On y trouvait des livres par centaines, par milliers, par centaines de milliers même ; sur tous les sujets, du plus innocent livre illustré pour enfants aux essais religieux, almanachs de botanique ou de biologie, grimoires d'ésotérisme, de magie la plus blanche à la plus noire.
Si la plupart des rayonnages étaient libres d'accès pour la consultation, d'autres nécessitaient une autorisation pour pouvoir poser les yeux sur les textes les plus "dangereux" qu'ils contenaient.

Le bibliothécaire, un vieil elfe aux cheveux blancs, veillait sur la bonne marche des choses avec un professionnalisme tatillon de fonctionnaire de longue date.
De son bureau, il voyait tout ce qui se passait dans le grand hall, renseignait les gens perdus en quelques mots et faisait taire d'un regard noir ceux qui élevaient trop la voix à son goût.

Béhékine entra dans le hall par la grande porte. Banc de brouillard tout d'abord, il condensa le tout pour former sa silhouette humanoïde au moment où il parvint à la hauteur du bureau du bibliothécaire.
Ce dernier l'observait avec des yeux ronds, mais des années de travail le firent demander tout de même :
- O-oui ? Je peux vous aider ?
- Peut-être... J'aimerais consulter les ouvrages traitant des Démons élémentaires, des rituels d'invocations et de magie noire, ainsi que l'almanach démoniaque le plus récent que vous ayez.

Devant la liste prononcée d'une voix sûre et un peu autoritaire, le vieil elfe pâlit :
- Ce sont des ouvrages très spécifiques, qui nécessitent une autorisation pour être consultés...
- Une autorisation ? Et de qui ?

Béhékine avait soudain la voix plus grave et profonde, ses yeux brillaient plus forts.
Il posa une main faite de brouillard sur le bord du bureau, et tapota le bois avec ses griffes. La brume avait l'air bien solide, à en juger par le son que ce geste produisait...
Le bibliothécaire sentit de la sueur perler le long de son dos.
Il n'eut toutefois pas l'opportunité de répondre tout de suite, car quelqu'un arriva soudain.

C'est un immense sourire aux lèvres que je pousse la lourde porte de ce beau bâtiment. Ça ne peut être qu'une taverne, mais une taverne de luxe ! Ayant accomplie une mission il y a à peine une demi-journée, ma bourse pleine se balança en faisant tinter les petites pièces à l'intérieur. Aaaaah ! Comme j'aime ce son !

Mais une fois la porte franchie, mon sourire s'effaça comme s'il n'avait jamais existé. Qu'est-ce que c'est que ça ?! Des immenses colonnes de bois s’étendaient à perte de vue, avec des tables par-ci, par-là. Je n'avais encore jamais vu une auberge agencé comme ça ! Où prenait-on sa commande, bon sang ?! Et si je m'étais trompée ? Oh non ! L'horreur ! Je suis perdue ! Foutue ! Morte ! Mais voyant le comptoir plus loin, je me détendis. Ouf !

Le sourire était réapparu et c'est un pas dansant que je me dirigeais vers le comptoir tenu par un brave vieil homme qui discutait joyeusement avec un... brouillard en forme d'homme bizarre.

- Une autorisation ? Et de qui ?

Le brumeux garçon ne semblait pas content et moi non plus d'ailleurs. Je franchis les dix derniers mètres et aplatis mes deux mains violemment sur le comptoir.

- Comment ça "une autorisation" ? Depuis quand faut-il une autorisation d'abord ?!

Une autorisation pour boire ? Non mais on aura tout entendu ! Je n'accepterais jamais que notre liberté de boire soit affecté par des vieux grincheux et égoïste ! Une colère sourde me vient et avec ça une envie de meurtre.

- Tu vas goûter au tranchant de ma lame et ton sang la recouvrira, se mélangeant aux centaines d'autres qui l'ont déjà souillés ! Dis-je d'une voix calme et ténébreuse, tout en dégainant mon katana taché et posant la pointe contre le cou fragile et ridé du barman. Vous savez pourtant qu'il est extrêmement impoli de ne pas servir ses clients. Ce serait bête de gâcher votre vie, aussi misérable soit-elle, pour des convenances non respecté...

Le bibliothécaire avait les yeux agrandis par la terreur et, la lame du sabre toujours sous sa gorge, il ne cessait d'ouvrir et de refermer la bouche comme une carpe hors de l'eau. Il finit par tenter de s'expliquer avec un débit de paroles si élevé qu'il en était rendu difficilement compréhensible :

- Je-ne-sais-pas-quel-livre-vous-cherchez-mademoiselle-mais-je-ne-peux-vraiment-rien-faire-pour-ceux-que-ce-monsieur-recherche-sans-accord-écrit-de-la-Reine...
*inspiration*
- Ce-n'est-pas-une-convenance-mais-une-loi-pour-protéger-les-ouvrages-précieux-et-pui-je-n'ai-pas-accès-moi-même-à-la-salle-où-sont-stockés-ces-ouvrages-mais-ce-n'est-pas-très-grave-car-la-reine-reçoit-les-doléances-aujourd'hui-au-palais...

Le vieil elfe commençait à devenir tout rouge à parler aussi vite.
Béhékine se mit à rire, tendit une main brumeuse et écarta doucement la lame de la gorge du bibliothécaire.

- Allons, allons, rangez votre sabre. Cet homme ne fait que son travail, inutile de lui en vouloir. Et puis, je n'ai pas eu l'opportunité de rencontrer la Reine, c'est une bonne occasion, qu'en pensez-vous ? Je vous propose d'aller au Palais ensemble régler ces petits problèmes.

Il ne tenait pas à ce que cette femme tranche la gorge du bibliothécaire. Il en aurait besoin, pour trouver les ouvrages qu'il cherchait. Et puis il ne tenait pas à être associé à un meurtre commis en plein jour dans la capitale d'une planète.
Bien sûr, il y avait de bonnes chances pour que la femme au sang chaud reporte son agressivité sur lui. Mais ça, il ne le craignait pas vraiment.