Elysion
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Aurore Eksezkiel
Invité

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Dim 15 Oct 2017 - 20:11
La pluie tombe sur Elysée. Des perles qui ruissellent sur les toitures, qui roulent sur les pavés de la route. Le vent fait chanter les arbres et les feuilles dansent à son rythme indolent. La nuit enrobe la ville de l'éclat de ses étoiles et la lune éclaire les rues pour les derniers retardataires que leur lit n'a pas encore appelé. Un de ses rayons, téméraire, traverse une fenêtre pour caresser de sa pâleur une chevelure semblant faite de fils d'or.

La poitrine d'Aurore Eksezkiel se soulève, alanguit par ce qu'on pourrait appeler le sommeil du juste. De l'espacement millimétré entre ses sourcils jusqu'à l'angle parfait de ses maxillaires, le visage de l'adolescente est détendu. Son faciès est aussi parfait qu'irréel. Son menton ovale, sa bouche rosée, son nez fin, ses paupières délicates cachant ses yeux rayonnant comme deux améthystes entourés d'une forêt de cils noirs, son front caressé par des filaments dorés, rendus flamboyants par une lueur opaline : il ne semble n'y avoir rien d'humain dans ce visage. Ce n'est pas la nature qui l'a façonné.

Les bénédictions qu'Aurore a reçu à sa naissance battent au rythme serein de son cœur, habitant chacune de ses veines, chacun des tissus de son corps. Accrochées à elles, sangsue mortifère, une ombre les accompagne. Tout le monde sait qu'elle est là mais personne ne la voit. Parfois on l'oublie mais elle, elle n'oublie pas. Elle s'est glissée dans chaque organe et a attendu son heure. Alors on a fait ce qu'on sait le mieux faire : on a lutté, pour que l'heure de cette ombre n'arrive jamais, que la sangsue finisse par se décrocher.

Les yeux d'Aurore s'ouvrent, elle n'est pas dans sa chambre. Elle flotte dans le néant. Il n'y a pas d'étoiles dans la nuit où elle se trouve. Il y a un vide sans couleur, il y a son corps qui erre, enveloppé dans sa chemise de nuit immaculée. Un magma noir coule sur sa peau, imprègne ses épaules, glisse d'entre ses cuisses. Elle lève la tête mais il n'y a rien. Le liquide s'échappe du sommet de son crâne. Il glisse dans sa bouche, dégringole dans sa gorge, envahit ses poumons. Elle suffoque. Elle voudrait crier mais elle ne peut pas. Sa voix ne porte pas dans le vide. Ses paupières se ferment.

Les yeux d'Aurore s'ouvrent, elle n'est pas dans sa chambre. Elle est entourée de miroirs. Elle n'y voit pas son reflet. C'est son ombre qui lui fait face, en mille exemplaires. Il n'y pas d'échappatoire. Les ombres touchent leur miroir. Ils se brisent. Les fragments se soulèvent. Ils fondent vers elle. Ils la transpercent. Elle tombe à la renverse. Elle tombe dans une nuit étoilée. Elle tombe tout droit vers sa planète. Son corps prend de la vitesse. Sa peau prend feu. Elle se rapproche et pourtant, elle sait qu'elle disparaît. Une flamme entre dans l'atmosphère, des cendres volatiles en sortent. Elles disparaissent à la surface du monde, grains de poussières roulant naïvement sur le sol. Rien n'est plus.

Les yeux d'Aurore s'ouvrent, elle est dans sa chambre.

La poitrine d'Aurore Eksezkiel se soulève, affolée par ce qu'on pourrait appeler un terrible cauchemar.  De l'espacement millimétré entre ses sourcils jusqu'à l'angle parfait de ses maxillaires, le visage de l'adolescente est paniqué. C'est un corps inondé de sueur qu'elle fait bouger jusqu'aux toilettes pour y laisser son dernier repas. Elle passe de l'eau sur son visage irréel. Son corps est brûlant. Il ne semble n'y avoir rien d'humain dans cette agitation. Ce n'est pas la nature qui l'a amené.

Les bénédictions qu'Aurore a reçu à sa naissance battent au rythme effréné de son cœur, habitant chacune de ses veines, chacun des tissus de son corps. Aucune sangsue mortifère ne vient gêner leur progression. Il n'y a plus d'ombre qui se cache parmi les organes.

L'adolescente quitte d'un pas maladroit sa petite maison. La pluie vient perler doucement sur son corps incandescent. Elle regarde la nuit, qui l'entoure de l'éclat rassurant de ses étoiles. Elle sait qu'elle est libre. Elle sait aussi qu'elle ne l'a jamais été. Elle s'appuie contre le mur. La ville dort. Elysée fut sa tour d'ivoire, la forêt Chrysanthème fut sa thébaïde. Aux premiers rayons du soleil, elle aura une nouvelle malédiction portant le nom de Eksezkiel.
Elle pense à Beldura. Elle veut rester encore un peu à son service. Elle est comme tous les êtres humains, rassurée par ce qu'elle connaît. Elle est bien plus que cela, héritière de la plus puissante famille de Rhadamanthe.

Pour ce soir, elle est libre. C'est la première fois que ses pieds nus touchent le sol. La sensation est intrigante mais elle lui plaît. Elle a l'impression qu'elle a tout un monde à découvrir. Elle a l'impression de réapprendre à respirer. Ses poumons s'emplissent d'un air frais, son corps est emplit d'une énergie nouvelle. La pluie continue de caresser sa peau, alourdissant sa chemise de nuit, qu'elle finit par faire glisser au sol. Elle veut sentir chaque gouttelette, apprécier la sensation du vent qui circule sur la ville. Elle n'a jamais eu le droit de sortir à cette heure. Maintenant, elle se sait désormais maîtresse de ses jours. A cet instant subtil où elle découvre le monde qui l'entoure avec une âme libre, une nouvelle sagesse vient se glisser dans son esprit, lui montrant l'envers nécessaire à sa récente liberté, le poids pesant sur ses épaules depuis sa naissance, bien au delà de toute malédiction. Le nom des Eksezkiel revient encore : elle retrouve toujours ce fardeau. Il n'y pas de soleil sans ombre et il faut connaître la nuit.

Elle regagne d'un pas sûr sa maison, renfermant la porte de ce cocon protecteur, qu'elle quittera bientôt. Le nom des Ekseziel lui appartient, tout comme son destin. Ce nom prenant sens désormais ne lui paraît ni futile ni stérile. Chacune des responsabilités qu'il implique, chacun des sacrifices qu'il semble créer forment un nouveau monde, qui n'attend qu'elle.

Dans cette nuit singulière, il faut imaginer Aurore heureuse.
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