[Archivé] [L'Expédition] Ingénierie fine

Xerxès était complètement incapable de se rappeler de ce qu’il s’était passé hier. Pour une fois ce n’était pas le contrecoup de l’alcool mais le contrecoup d’une patate qu’il avait reçu sur le crâne avant de tomber dans les pommes. Et puis le noir jusqu’au matin où il s’était réveillé en suçant le pouce artificiel du bras prothèse qui s’était arraché dans la nuit.
Le contrecoup de l’alcool par contre maintenant il le sentait bien, il avait le pas et le corps lourd, mal à l’aise à cause du peu de soleil qui filtrait à travers le feuillage, la bouche pâteuse et tout ce qui va avec une bonne gueule de bois.

Après avoir observé un peu en détail son bras et avoir sommé ses talents en ingénierie, atteignant un résultat proche de zéro, il laissa tomber le coeur en peine et l’accrocha dans son dos en attendant pour espérer trouver un remplacement ou quelqu’un pour la réparer pour lui et gracieusement si possible car comme toujours, sa bourse à la ceinture était bien légère.
Sa redingote habituelle nouée par les manches autour de la taille pour augmenter son style d’explorateur, son bras dans le dos et ses cheveux plaqués en arrière par l’humidité ambiante, la première chose qu’on voyait sur lui actuellement était donc qu’il lui manquait des bouts. Un Darah moins un bras et moins un oeil !

Il avait assisté à la cérémonie funéraire en silence, sans rien trop suivre ni trop comprendre et en se frottant les tempes sans effets. Il avait assisté à l’arrivée de ces êtres, les Gwezenntud, ce qui était une nouvelle ENORME mais il n’avait rien trop suivi non plus et se frottait les tempes sans effets. On lui avait annoncé qu’il était enceinte ? Il se frottait les tempes sans effets. Et alors qu’on venait de lui demander d’avaler sa portion d’une mixture peu ragoûtante, il se frottait les tempes et marmonnait.

- Attendez … Attendez …
- Si tu l’avales pas, je te le fais rentrer par les autres trous que t’as sur le visage, Orbite creux.

Ayant gagné un nouveau titre et enfin compris quelque chose : Une menace, le jeune Darah s’empressa d’avaler l’horrible ragoût. Ensuite il était passé aux incantations qui avaient paradoxalement fini de le réveiller.

De retour au campement avec les autres, il errait à travers les arbres se demandant ce qu’il allait faire. Oh il était prêt à jeûner, il avait l’habitude avec ses capacités médiocres de buveur de sang ! Mais il allait aussi falloir trouver de quoi s’occuper. Décrochant son bras de son dos et pris d’un élan de colère, il secoua la bête en espérant que comme par magie elle se mettrait à cliqueter et retomberait en état comme lorsqu’on tape sur une machine capricieuse.

  “Dites-moi, connaissez vous LutherCorp?”

- Bien sûr ! Quelle idée ! Les nouvelles sont sorties d’Efferias et n’importe quelle personne se tenant correctement au courant devrait connaître les créations que nous apporte le jeune Monsieur Delabost, un génie qui est selon moi est plus ou moins le Melon Husk de son état ! Vous l’aurez compris, je suis un fan !

Son monologue était sorti par réflexe, venant du coeur, il l’avait récité l’oeil fermé pour se donner un style, un doigt levé en marquant ce qu’il disait. Sur sa dernière phrase, il rouvrit cet oeil afin de lancer un clin d’oeil à son interlocuteur avant de tomber des nues. Face à Luther Delabost le fabuleux. Il se mit à se frotter les tempes, sans effets.

- Je suis votre plus grand fan ! Vous pouvez signer mon bras mécanique ?

Un fan? C’est bien la première fois que Luther en rencontrait un. Plutôt amusant comme concept.

Mais avec grand plaisir!

Il sortit un marqueur de son sac. Il avait pris depuis quelques temps l’habitude d’en avoir toujours sur lui. C’était nettement plus fiable que la technologie pour prendre des notes en pleine nature sur des supports improvisés et pour signer des autographes. Il signa donc sur le bras mécanique, ou ce qu’il en restait. Difficile d’écrire sur une surface endommagée, mais il s’appliqua tout de même (après tout c’était son premier autographe) pour signer d’un L.Delabost stylisé et à peine reconnaissable. Il utilisait l’alphabet d’une ancienne langue qu’il avait appris dans des livres à Efferias, qui étaient eux même des reliques du passé. Luther avait un affect particulier pour les vieilleries, ce qui est un joli paradoxe pour quelqu’un dont la vie est basée sur l’innovation. Non sans une certaine fierté, il rendit son bras à son fan.

Pourrais-je connaitre le nom de mon premier fan? Et s’il-vous-plaît, appelez moi Luther.

- Oh ! Ooooooooh ! VOUS voulez connaître MON nom ? C’est vraiment le plus beau jour de ma vie ! Bien sûr, bien sûr …

Il fit sa plus belle révérence, s’inclinant bien bas en mimant le fait d’enlever le chapeau qu’il ne portait plus à cause de la chaleur. Son nez effleurait presque le sol boueux alors qu’il se penchait en avant. Son ventre gonflé effleurant le haut de ses jambes

- Mes parents m’ont prénommé Xerxès, Xerxès Adam de leur propre nom, m’sieur Luther ! Si ça vous tente je vous fais même un autographe de votre plus incroyable fan !

Se relevant rapidement, une nausée le prit instantanément qui l’envoya presque vomir dans les fougères d’à côté. Se retenant tant bien que mal, merci l’entraînement alcoolisé, il continua sa diatribe

- En tout cas je garderai ce bras toute ma vie, même si je ne suis pas sûr de trouver qui que ce soit qui puisse le réparer !

En lançant cette phrase plus ou moins innocemment, il adressa un clin d’oeil plus qu’évident à Luther. Un clin d’oeil de son seul oeil.

- Et puis tant que j’y suis, j’essaierai peut-être de me trouver un oeil technologique pour remplacer celui que je n’ai plus et faire des clins d’oeils plus efficaces !

Qui ne tente rien ...

Le regard de Luther passa successivement du reste de prothèse qu’il venait de signer à son propriétaire. Avec le matériel qu’il avait emporté dans cette expédition il ne risquait pas de faire des miracles. Cependant il ne comptais pas reculer devant un défi, d’autant plus lorsque celui-ci pouvait l’occuper au cours des cinqs prochains jours.

Voyons voir, nous sommes au milieu d’une forêt inexploré, loin de toute civilisation technologiquement avancée, en tous cas en apparence. Au mieux je peux réparer votre bras.

Il était évident que Xersès n’avait pas un sou en poche, alors acheter une prothèse neuve et en état de marche... Cependant, son extravagance et son enthousiasme sur tout ce qui avait trait à Luther donna une idée à ce dernier. Après tout, de la publicité gratuite, qui refuserait? Avec un grand sourire, il passa son bras par dessus l’épaule du darah de manière à placer le reste de prothèse devant les deux hommes et entama son speech.

Mais imaginez, monsieur Adam. Imaginez les merveilles que nous pourrions faire avec tout le savoir faire de Luther Corp. Imaginez un bras, plus résistant que jamais, plein de fonctionnalités, d’une beauté à en faire pâlir de jalousie les gens possédants encore leurs deux bras. Et imaginez votre nouvel œil. Plus pratique pour faire des clins d’œil certes, mais surtout capable de voir plus loin, plus petit, sans lumières, dans l’infrarouge, l’ultraviolet, affichant en direct les informations sur le lieu où vous vous trouvez, les plus proches tavernes, et bien plus encore! Voilà ce que je vous propose une fois cette expédition terminée. Et tout ça gratuitement, pour le premier fan de Luther Corp!

Il se remit face à Xersès, et tendis la main.

Alors, intéressé?

- Intéressé ? Bien sûr que je suis intéressé ! Même si mon bras marchait correctement je le briserais pour que ce soit vous qui l'ayez réparé et pour avoir droit à votre logo dessus, foie de Darah (parce qu'ils bouffent des personnes, tu l'as ? Tu l'as ?) !

Il avait toujours de petites étoiles dans l’oeil face à ce qu’il aurait qualifié de magnificence chez Luther, oui au moins tout ça ! Alors que l’Efferian avait agité la prothèse devant son visage et s’était rapproché de lui, c’est comme si il avait pu voir le bout du doigt de la prothèse dessiner de magnifiques lettres d’or dans les airs. Xerxès, Luther, Forever, Tractopelle ou quelque chose du genre mais il n’était pas sûr.

- Et j’admet que déjà si mon bras pouvait être réutilisable au moins temporairement, cela m’arrangerait bien. Je ne veux pas vous faire perdre trop de temps bien sûr mais j’ai l’impression que nous n’avons que ça à faire, de perdre du temps …

Allez maintenant c’est l’heure de faire rouler les dés pour une rencontre aléatoire. Alors qu’ils discutaient de façon enthousiasmée de leur “collaboration”, les fourrés sur les côtés se mirent à s’agiter brusquement et un vieux type avec une vieille barbe et une vieille armure se jeta en roulant hors du buisson. Armé d’une épée rouillée visiblement tranchée par une arme plus efficace, il menaça le petit sanglier qui sortait penaud du touffu végétal.

- Mécréant ! Je te ferais me dire où ma princesse a été amenée ou je ne me nomme pas Hydral du Col ! Parle ou je te pourfend !

Cette apparition fut si soudaine que Xerxès ne trouva rien à dire à ce chevalier en armure couverte de rouille qui sortait de nul part.