Absolument irrécupérable - 2 - Le retour d'Odéline [Fête du Courage et de l'Espérance 2786][sp Mistigrincheux et sa chère et tendre pas au courant]

Odéline sourit en se rendant compte que Béhékine se souvenait de la même chose qu'elle, et manifestement lui aussi avec une certaine tendresse. Elle se passa la main dans les cheveux avec un air mi gêné, mi amusé lorsqu’il évoqua leurs retrouvaille sous un orage (et encore, il n’évoqua pas la ruelle par exemple), ce qui restait un grand moment de sa vie que Siffroy lui rappelait encore régulièrement aujourd’hui (et qui était souvent raconté à Noïa qui adorait cette histoire).

Je précise que si j’étais tout de blanc vêtue c’est car j’étais en pyjama ! Quand tu le dis, on dirait que j’allais me marier. Et tu sais que mon sens de l’orientation laisse un peu à désirer …

Elle sourit à son sourire, et écarquilla les yeux quand il lui dit ne pas connaître Garmyr.

Ah bon ? J’avais l’impression qu’il était connu comme le loup blanc, et que tout Elysion était chez nous le jour où il s’est blessé si fort ! Et tu ne …

Alors qu’elle allait lui dire qu’il n’allait pas s’y mettre lui aussi avec ce surnom, il se passa une chose étrange. Le plus petit des démons de brume accompagnant Béhékine, celui qui l'avait endormie lors de leur rencontre, qui était resté sur une des cornes de son ami, descendit de son perchoir pour aller vers ceux qui contemplaient, toujours fascinés, la boîte à musique. Puis, il la lui tendit, mains en coupe, comme on ferait une offrande, son corps pulsant d’étincelles lumineuses. Interdite, ne sachant comment réagir à cette attitude soudaine, Odéline se tourna successivement vers Béhékine et Tapahari, lesquels lui fournirent chacun une explication qui lui fit monter les larmes aux yeux. Elle avait soudain très très envie de câliner cet adorable petit être, pulsion qu’elle retint, craignant de nouveau de se retrouver écrasée entre sommeil et éveil. Elle prit donc toute doucement la boîte, en souriant avec tendresse.

Merci beaucoup c’est … c’est très gentil. Mais c’était un cadeau pour toi, pour vous, au départ, ça ne te dérange pas ?

Elle interrogeait successivement Béhékine et Tapahari du regard. Elle savait qu’elle devait encore répondre à la uestion du financement de son orphelinat, puisque finalement, Béhékine avait peut-être bien eu un rôle dans tout ça aussi, mais ceci lui paraissait plus important.

Béhékine secoua la tête en répondant à Odéline, tentant de dissiper ses inquiétudes :

- Ils ont pris leur décision, et ils sont encore plus têtus que moi. Ne t'en fais pas, je leur jouerai la mélodie s'ils me le demandent.
Au fait, comment diable as-tu trouvée une boite à musique capable de jouer cet air, qui commence sérieusement à dater ? Tu l'as faite fabriquer sur mesure ?

Satisfait qu'Odéline ait récupérée la boite à musique, Bob se détourna et avança de sa démarche vaporeuse jusqu'à Tapahari et, surprenant cette dernière qui dut lever haut et en vitesse son bol de ragout, la créature brumeuse vint se lover dans le giron de la femme assise en tailleur. Roulé en boule, seuls ses yeux noirs dépassaient et restaient fixés sur Odéline.
Béhékine ne put qu'offrir un sourire contrit au regard surpris de Tapahari. La chamane sembla finalement se faire une raison de servir de nid et posa distraitement une main sur le dos de Bob.
Le Membraneux bestial reporta son attention sur Odéline pour relancer la discussion. Il avait une petite idée du pourquoi son garçon le plus nébuleux agissait ainsi, mais n'avait pas trop envie de s'étendre sur le sujet.

- Oh ? C'est comme ça que ce type blessé sur ton canapé s'appelait ? Je ne savais pas qui c'était, je m'étais incrusté en voyant tout plein de gens entrer chez toi, par ennui un peu sans doute. Il ne m'avait même pas semblé que tu m'avais remarquée, avec toute cette activité dans ta demeure.

Le Membraneux bestial avait l'air concentré de ceux plongés dans leurs souvenirs.
Le comportement de Bob n'avait pas échappé à ses frères, qui l'observaient sans bouger.
Screechy ouvrit la gueule, sembla prendre une grande inspiration...
Glomph !
Itchy lui fourra un de ses piquants dans la gueule et un charme se rompit, les quatre créatures se détournèrent de leur observation pour commencer à ranger les autres cadeaux amenés par Odéline, éparpillés dans la cascade des plus turbulents garçons.

Tapahari avait juste souri, approuvant entièrement l'adjectif de "têtus" pour définir le caractère des garçons.
Elle échangea un regard surpris avec son mentor lorsque Bob vint s'installer entre ses jambes. Tapahari était habituée au comportement affectueux de la frêle créature brumeuse, lui servant souvent de perchoir ou requise lorsqu'il voulait être pris dans des bras, mais c'était bien la première fois qu'il faisait ça, à se lover comme un chaton en quête de chaleur et de contacts.
Bon gré mal gré, elle se contenta de poser une main sur le dos de Bob et de tenter de finir son ragout avec sa seule main libre.

Son esprit-serval se manifesta en elle, remontant à la surface pour lui transmettre... son envie et sa... jalousie ? Ce n'était pas arrivé depuis longtemps, mais il semblait bien que ce contact familier avec Bob rendait jaloux le serval, qui voulait avoir sa part d'affection. Mais le seul avec qui elle partageait une proximité lorsqu'elle utilisait son pouvoir de change-peau... était Béhékine. Elle songea un court instant à se transformer pour laisser le serval libre d'aller se coller contre son mentor, aller l'embêter un peu pour jouer peut-être.
Un frisson lui remonta le long du dos à cette idée...
Puis elle se ressaisit et rajusta sa position.
Ce n'était pas encore le moment.
Cela aurait été impoli envers Odéline, qui était l'invitée de son mentor.
La chamane se concentra et demanda pour changer de sujet et s'éclaircir les idées :

- Je suis curieuse de cet orphelinat, Odéline. Tu veux bien en dire plus ?

Odéline soupira dans un sourire, s’avouant ainsi vaincue: elle reprendrait la boîte à musique, tant pis ! Après un regard tendre à Bob blotti contre Taphari, la fixant de ses grands yeux noirs, Odéline sourit à Béhékine tout en prenant une cuillère de ragoût (n’oublions pas ce qui est important) avant de lui répondre.

Non, je n’ai rien fait faire. Je passe beaucoup de temps à me balader en ville, et j’en ai passé encore plus lorsque je te cherchais, traquant le moindre indice qui aurait pu me mener à toi. En me promenant, je trouve toujours de jolies choses, et, ces dernières années, j’ai rassemblé ce qui m’a fait pensé à toi, ce que je pensais qui aurait pu te plaire, au fur et à mesure de mes pérégrinations. La boîte à musique était dans une boutique, un des employés en jouait, pour attirer des clients je pense. Ca a très bien marché avec moi, et la voilà !

Elle n’ajouta rien sur Garmyr: si Béhékine ne le connaissait pas, aucune raison d’en dire plus ! Elle reprit un peu de ragoût, alors que Tapahari lui posait une question.

Oui, oui évidemment ! Comme je le disais, ce sont Renild, Noïa et tous les enfants malheureux que j’ai pu croiser en vous cherchant qui m’en ont donné l’idée. Je n’ai pas lutté longtemps, et j’en ai parlé à Siffroy, qui m’a encouragée à en parler à Beldura Glow, notre Reine, qui a accepté l’idée avec enthousiasme et soutenue immédiatement, en y allouant un budget, avec l’aide de Luthercorp, et des collaborateurs. Je crois aussi qu’elle a fait … pression sur Séléné Saralondë avec tout ce qui s’est passé, et c’est elle qui est venue arranger magiquement les lieux. C’est bien plus grand que ça en a l’air, et plein de détails incroyables. Via Séléné Saralondë, je crois, on a eu le soutien du gouvernement d'Eaque. Après, un concours a été organisé à l’Académie, et ce sont des étudiants qui sont venus décorer. L’orphelinat ouvrira dans quelques jours.

Elle reprit son souffle.

Le but n’est pas forcément de faire adopter les enfants, mais vraiment de leur permettre de grandir sereinement, sous un toit et avec des repas chauds, des amis, et de l’amour au quotidien. Tous les enfants seuls de Minos y seront bienvenus, mais aussi ceux d’Eaque que les orphelinats locaux ne pourront pas accueillir. Pour l’instant, on ne sait pas pour Rhadamanthe, mais j’espère arriver un jour à un accord.

*Et je peux toujours passer par des voies non officielles*

Elle leur sourit, puis touilla un peu son ragoût, avant d’en reprendre une cuillère.

C’est très bon ! Je ne savais pas que tu cuisinais aussi bien ! Qu’est ce qu’il y a dedans ?

Béhékine écouta Odéline, s'imaginant sans mal la voir chiner au gré de ses fameuses pérégrinations, rassemblant un à un les cadeaux qu'elle avait amenés ici même. Elle avait vraiment tout préparée à l'avance...
Ses garçons avaient fini de ranger les objets éparpillés et cherchèrent aussitôt comment s'occuper.
Itchy se rapprocha des deux invitées et se tint vigilant et prêt comme un majordome. Il avait participé à l'élaboration du banquet et semblait fier de voir qu'il avait du succès.
Bitey et Scratchy se firent un jeu d'éplucher les fruits divers, se les lançant avant d'en amener certains à leur Père pour qu'il les mange et partage son sens du goût avec eux.
Screechy, enfin, avait tourné plusieurs fois autour de Tapahari et de Bob, avait esquivé promptement une tentative de caresse de la chamane avant de courir vers Béhékine pour aller s'accrocher à sa longue queue et s'y balancer comme un improbable singe dopé à la caféine. Le Membraneux bestial supporta ce traitement de bonne grâce et agitait négligemment la queue à la grande joie de Screechy.

Béhékine pencha la tête, intrigué par le récit des nombreux soutiens politiques et financiers dont Odéline avait bénéficié pour lancer son grand projet. Il ne put retenir un reniflement dédaigneux lorsqu'il apprit que Séléné avait également participée...

- Humph ! Tu l'as vraiment laissée accomplir quelque chose d'aussi délicat ? Je te conseille de garder une solution de secours pour prévenir un risque d'effondrement. Surtout avec un bâtiment habité. Le talent de Séléné est plus dans la duplicité et l'hypocrisie que dans la magie et les enchantements pointus !

Il avait presque envie de proposer son expertise pour vérifier si tout était en règle dans les enchantements de l'orphelinat... mais il se retint, pour plusieurs raisons.
Il ne se voyait pas débarquer à Elysée et attirer davantage l'attention sur lui, prendre le risque de croiser Siffroy... et il ne voulait pas non plus faire peur aux jeunes pensionnaires de l'orphelinat, aussi étonnant que cela fut, venant de lui.
Néanmoins, il restait admiratif d'Odéline pour son courage dans ce projet.
Il avait été adulte lorsque sa famille avait été victime d'une guerre mineure, mais il comprenait sans mal le besoin pour ces orphelins d'avoir un foyer stable pour se reconstruire. Et il ne doutait pas qu'Odéline saurait le leur apporter.

- Minos est sans doute le meilleur endroit pour s'implanter avec ce projet. Et tu es, Odéline, certainement la seule capable de le mener à bien. Mais ne va pas non plus tout porter sur tes épaules ; essaie de te faire une équipe capable de t'épauler et de te soutenir, hmmm ? Simple conseil... d'ami.
Remercie plutôt Tapahari, c'est à elle que je dois la recette. C'est une spécialité de la région. La cuisson prend des heures et des heures...

Odéline, tout en parlant, observait un peu fascinée le manège des garçons de Béhékine, infatigables. était-il comme ça, lui aussi ? Si c’était le cas, il le cachait bien. En tous cas, il semblait avoir beaucoup d’affection pour eux ! Lorsqu'il mentionna Séléné avec un certain dédain, elle piqua du nez dans son assiette. Évidemment, il ne l’aimait pas beaucoup. Ceci dit, si elle avait pu intervenir, c’était sans nul doute grâce à lui, indirectement; Odéline devait donc une belle chandelle à son ami ! Elle avait presque envie de lui demander de venir vérifier, et mettre sa propre touche. Elle le savait: elle pouvait lui faire confiance, plus qu'à n'importe quel magicien missionné. Accepterait-il, cependant ? Et n’était-ce pas prendre un risque ? Comment réagirait-il s’il croisait Siffroy, malgré tous les efforts qu’elle ferait pour que ça n’arrive pas ? Elle ne pouvait s’empêcher de penser cependant que ce serait une très bonne expérience pour ses jeunes pensionnaires. Ils verraient quelqu’un de différent, apprendraient à ne pas se limiter à l’apparence. Cela faisait bien partie des valeurs qu’elle voulait leur transmettre, mais lui, serait-il d’accord ?
Elle rougit lorsqu'il la complimenta, et rougit encore plus lorsqu’il lui donna un conseil d’ami. Un peu plus, elle se serait mise à briller, tellement elle rayonnait !

D’ami ???

Elle avait répété ce mot, en soufflant un peu, avec dans la voix le marquage d'un espoir fou, d’une joie intense: il se considérait bel et bien encore comme son ami, elle n’avait pas tout cassé ! Youpi ! Elle avait envie de frétiller, de sauter de danser, de chanter ! Elle se contenta de regarder Béhékine avec le visage tel un soleil, le corps non loin de la vibration.

Mais toi, tu m’aiderais ? osa-t-elle demander. Aujourd’hui, il n’y a que Nathalia qui m’aide un peu, quand elle n’est pas au travail. Je ne sais pas avec qui je pourrais faire équipe, ajouta-t-elle, en baissant le nez.

Elle n’avait pas vraiment envie d’impliquer Siffroy. Il était trop vieux pour ces bêtises. S’il aimait bine lire les histoires, elle ne voulait pas le forcer à plus. Et soudain autre chose la frappa, avant que Béhékine ne puisse répondre. Ou en tous cas, elle ne l’avait pas entendu.

Des heures et des heures ? Mais … je ne suis pas arrivée il y a si longtemps, comment … Tu n’as pas pu … Tu sais voir l’avenir ?

Elle le regardait avec un air d’incompréhension totale, alors que soudain, son visage s’éclaira. Elle venait de comprendre. La date. Le temps de cuisson. Les deux assiettes. Béhékine apprêté.
Elle bondit sur ses pieds, soudain rouge pivoine, renversant un peu son assiette.

Oh non ! C’était pour Tapahari ! je suis désolée ! Je n’avais même pas vu la date, je n'ai rien compris, je suis désolée, vraiment, pardon, pardon, pardon je ... je vais vous laisser !

En parlant, elle ne cessait de bouger, rassemblant ses affaires comme un gros baluchon dans ses bras, manifestement décidée à les laisser tous les deux, comme le couple qu’elle pensait qu’ils étaient. Elle cherchait des yeux l'endroit d’où elles étaient venues, cherchant manifestement à refaire le chemin dans sa tête pour accéder à la plage, repartir, cesser de les déranger et tout son corps exprimait sa gêne et son envie de disparaître face à tant de bêtise de sa part.

La chamane s'était sentie sourire devant les facéties des cinq garçons. Malgré les plus ferventes protestations de son mentor, elle restait persuadée que les créatures et lui partageaient beaucoup de leurs traits de caractères. Elle pouvait presque imaginer Béhékine en train de jouer à se balancer accroché à une branche !
Elle avait aussi écoutée avec attention Odéline, surprise et attristée qu'il y ait un réel besoin d'un orphelinat supplémentaire sur le continent. C'était toutefois un soulagement que plusieurs pays avaient mis en commun leurs ressources pour ce projet.
Tapahari était ravie aussi d'entendre l'investissement de Beldura. La Reine prouvait là sa bonté et la chamane se promit d'en parler dans sa prochaine lettre pour la féliciter.

Le dédain qu'elle sentit dans la voix de son mentor lorsqu'il dénigra Séléné la fit soupirer légèrement. Bien sûr, elle comprenait son antipathie mais espérait qu'il saurait passer à autre chose un jour. Bien sûr, ce n'était plus cette colère froide qui transparaissait dans ses mots... ce qui était un mieux.
Elle lui en voulait un peu d'être allé à la rencontre de Séléné sans la prévenir, mais elle ne tenait pas à l'accabler à ce sujet. Le fait que la métisse était toujours en vie était très positif, très encourageant pour la future confrontation avec Siffroy. C'était quelque chose sur lequel elle devait insister à l'avenir, si elle voulait convaincre Béhékine de poursuivre dans cette voie.

Elle hocha doucement la tête au moment où Odéline releva l'utilisation du mot "ami."
Venant du Membraneux bourru, le choix de ce vocabulaire n'était pas anodin.
Béhékine avait pris sa décision : il ne couperait pas les ponts avec leur invitée du jour. Cela voulait-il aussi dire qu'il acceptait de remettre sa vengeance à plus tard, comme ils en avaient discuté ?
La chamane allait poser la question, préférant ramener la discussion vers ce sujet grave plutôt que laisser un éventuel doute en suspens...
Odéline se mit soudain à paniquer, observant les environs autour d'elle comme en proie à une terrible révélation, avant de se lever et de s'apprêter comme si elle ne souhaitait plus qu'une chose : partir très vite, très loin !
Un tel changement d'attitude perturba beaucoup la chamane, qui ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer !

- De... comment ça ? Quelle date ? De quoi parles-tu, Odéline ? Noble esprit ?

Son regard passait de l'un à l'autre, confuse.
Le serval en elle, sentant son malaise, remontait progressivement à la surface et, sans que Tapahari s'en rende vraiment compte, sa métamorphose était tout doucement en train de se produire.

Odéline réagit instantanément au mot "ami" qu'il avait employé. S'il n'avait pas trop envie de trop s'étendre sur le sujet, il devait avouer que c'était vrai, au fond : il ne voulait pas perdre l'amitié de la jeune femme, malgré tout ce qu'il s'était passé avec son traitre de mari. Même s'il ignorait encore comment ni de quelle manière cette amitié pourrait s'entretenir, avec lui qui vivait à temps plein sur l'Archipel...
Il se contenta d'un hochement de tête entendu, pour ne pas rompre son image de vieil ermite bourru. Il s'y accrochait du bout des griffes, autant qu'il pouvait.

S'accordant un temps de réflexion sur la question d'Odéline sur une éventuelle aide de sa part à l'orphelinat, il ne put qu'assister à la soudaine avalanche d'excuses et de mots de la future Déesse du Savoir qui, se relevant en panique, semblait réaliser ce qu'il se passait autour de ce diner.
Bon, évidemment, elle avait vu juste. Malgré ses tentatives pour le cacher, c'était bel et bien les intentions du Membraneux qu'user de toutes ces préparations pour se donner le courage de déclarer sa flamme envers la chamane. Et Odéline avait effectivement un peu mis tout cela en arrêt en débarquant.
Mais il avait reçu une éducation de gentleman, et ne pouvait pas laisser la jeune femme ainsi dans l'embarras, ni la laisser courir dans la jungle comme elle semblait bien vouloir le faire !

- Rassieds-toi, s'il te plait, Odéline. Il était prévu que Tapahari vienne me retrouver ici aujourd'hui. Juste, pas aussi tôt ni avec une autre personne, c'est tout. Et comme je ne reçois pas souvent, je n'ai pas beaucoup de choix en matière de couverts...
Alors, reste, au moins jusqu'à la fin du diner, hmmm ? La jungle n'est pas facilement navigable, même pour quelqu'un aussi débrouillarde que toi. Nous verrons après pour retourner au village tous ensemble.

Il tourna sa grosse tête vers la chamane, remarquant aussitôt que son côté aniphormus commençait à faire des siennes.
Ce n'était plus aussi fréquent qu'au début, mais il lui arrivait encore que son "esprit-serval" comme elle l'appelait joue des tours à Tapahari en se manifestant malgré elle lorsqu'elle était surprise. Béhékine devait s'avouer qu'il trouvait cela, tout à fait charmant.

- C'est aujourd'hui la Fête du Courage et de l'Espérance, jeune fille. Et un an que tu as commencé à écrire à la Reine de Minos. Je me suis dit qu'il fallait marquer le coup.
Hmmm... Tu peux le laisser sortir, s'il est un peu difficile à tenir, tu sais. Je suis sûr qu'Odéline ne t'en tiendra pas rigueur... n'est-ce pas ?

Odéline continuait à rassembler ses affaires en paniquant complètement, sans réussir à répondre à la chamane. Elle se sentait de trop, et c’était un sentiment très désagréable. Elle voulait fuir, disparaître, remettre ses pensées en place, se remettre à réfléchir droit. Ce fut la demande de Béhékine qui, comme un ordre intimé à une poupée automate, la fit obéir. Elle se rassit mécaniquement, les bras toujours chargés, et regarda le Membraneux devenu bestial lui expliquer la situation. Elle tordit un peu le nez, peu convaincue de cette explication autour du choix de la date, mais cela dut passer inaperçu se dit-elle en rattrapant son assiette. Elle n’avait, cependant, pas cessé de vibrer d’excitation contenue, et hocha vigoureusement la tête à la proposition de Béhékine à Tapahari de laisser sortir quelque chose, même si elle ne savait absolument pas ce dont il parlait. Toute concentrée sur sa découverte (béhékine et Tapahari étaient en couple!) et son départ elle n’avait pas remarqué la forme changeante de la chamane, qui ressemblait de moins en moins à à une humaine. Sa bouche s’arrondit. décidément que de surprises en cette journée !

Tu sais te transformer en un autre animal que la tortue ?! s’exclama-t-elle, tout à fait distraite.

Discret comme un nuage, Bob se laissa tomber des genoux de Tapahari, sentant venir la métamorphose.
La chamane ne s'en rendit même pas compte, alors qu'elle essayait à la fois de faire sens du comportement soudain d'Odéline, des paroles de son mentor et des quelques questions qui lui étaient directement adressées. Cette latence dans ses pensées était exacerbée par sa métamorphose en cours, et son esprit-serval en profita pour complètement remonter à la surface.
Dans un frémissement, le monde tourna sur lui-même, elle fut aveugle et sourde pendant un court instant...
Le ragout qu'elle tenait termina renversé par terre et la chamane-serval se secoua avant de se mettre debout sur ses quatre pattes.

- Mrrraaaa...

Elle n'était plus une débutante dans la pratique de son pouvoir de change-peau, mais les métamorphoses "forcées" restaient toujours déstabilisantes. Le fauve qu'elle était resta immobile plusieurs secondes à observer tantôt son mentor, tantôt Odéline, le temps que son cerveau fasse la mise au point sur cette nouvelle apparence et les sens qui allaient avec.
La petite main de Bob vint tapoter sa patte, comme en soutien, et Tapahari prit une seconde pour venir le gratifier d'un affectueux coup de museau avant de se focaliser sur Odéline et de se concentrer...

- Je suis navrée... Mrraaaa... ce n'était pas volontaire. Je n'ai pas revêtu cette apparence depuis plusieurs jours... J'espère que ce n'est pas impoli... Mrraaaa...

Avec décidément plusieurs temps de retard, elle s'assit et fit de son mieux pour reprendre une certaine contenance. Elle n'était pas certaine de vouloir dire à Odéline que la tortue ne faisait plus partie de son talent, ne souhaitant pas trop monopoliser l'attention avec son pouvoir et son esprit-animal qui lui jouait encore des tours par son impatience - il lui semblait l'entendre ronronner dans un coin de son esprit - et aussi... ça lui faisait toujours un peu mal de songer à ses esprits disparus.
Aussi elle changea de sujet :

- Vous pourriez faire quelques apparitions dans cet orphelinat, noble esprit. Les enfants de l'île parlent encore souvent de vos histoires, vous savez ! Et vos garçons ont beaucoup de succès auprès d'eux... Mraaa...
Et... déjà un an ? Vraiment ?

Cette fois-ci, c’était confirmé: Tapahari avait plusieurs formes ! C’était face à elle un fauve qui se tenait, qui avait l'air un peu perdu.

*C’est un serval, une espèce de félins de la sous-famille des félinés et la seule espèce du genre Leptailurus. Les oreilles du serval et son long cou lui permettent d'entendre et de voir au-dessus des hautes herbes de la savane. Ce chat serval, était assez commun sur l’ancien continent nommé Afrique, et vit principalement dans les savanes humides. Comme les servals ont besoin de cours d'eau dans leur territoire, on ne les trouve pas dans les demi-déserts ou les steppes arides. Le serval est capable d'escalader et de nager, mais il le fait rarement. Le serval est carnivore, et s’attaque peu aux grandes proies, du fait de sa petite taille et de son ingestion rapide. Il dévore ses petites proies entières. Ses sauts peuvent parfois atteindre trois mètres de haut ou six mètres de longueur. Il peut uriner 30 fois par heure pour marquer son territoire.
Ew ! Je ne voulais pas savoir ça!*

C’est avec une moue un peu dégoutée, et espérant que Tapahari ne ferait pas ça, qu’elle reporta son attention sur la chamane féline qui donnait un coup de museau à bob dans une scène attendrissante qui lui tira un sourire. Puis, la jeune femme transformée s’excusa.

Non, non, ne vous excusez surtout pas ! Ca ne me dérange pas du tout.

Alors qu’elle s’apprêtait à la questionner sur cette histoire de transformation involontaire, qui l'intriguait beaucoup, surtout chez une adulte, Tapahari, à présent assise, changea de sujet. Et ce sujet ravit Odéline, qui hocha vigoureusement la tête.

Oui oui oui oui oui oui oui oui oui [ad lib]! C’est une excellente idée, ça ferait beaucoup de bien aux enfants. S’ils s’arrêtent à l’apparence, aux rumeurs et aux légendes, quels adultes deviendront-ils ?! Et c'est donc bien toi Tapahari qui entretient une correspondance avec notre Reine ? Je suis contente que ce soit toi … Tu as l’air gentille et intelligente et … je crois qu’elle a vraiment besoin d’amis.

Elle lui adressa un sourire doux, qui contrastait de manière radicale avec sa surexcitation les instants d’avant.

L'exclamation de surprise d'Odéline et la métamorphose de Tapahari s'enchainèrent mieux qu'un numéro de spectacle bien huilé.
Presque malgré lui, Béhékine rajusta sa posture, se remettant droit comme un sphinx.
C'était rare de voir la chamane revêtir sa forme facétieuse en présence de quelqu'un d'extérieur à l'Archipel ; elle restait très pudique avec son pouvoir, gênée lors de ses "pertes de contrôle" même. Mais, là où Tapahari s'interdisait souvent beaucoup de choses par peur d'être impolie, le serval lui n'hésitait pas, comme s'il voulait montrer à la chamane qu'elle pouvait se montrer plus spontanée.
Le Membraneux bestial aimait beaucoup cette facette d'elle... et il la trouvait magnifique en serval. Il se souvenait aussi que leur premier vrai contact avait eu lieu lors d'une nuit froide dans les montagnes, lorsqu'elle était venue se blottir contre son flanc sous cette forme.

Tandis qu'un Bitey et un Scratchy étonnamment diligents s'avançaient pour récupérer du mieux qu'il pouvait ce qu'il restait du ragout renversé par Tapahari lors de sa transformation, Béhékine ne put s'empêcher de grimacer un peu en entendant les deux femmes s'accorder sur l'idée de lui faire visiter l'orphelinat et les pensionnaires qui allaient avec. L'enthousiasme d'Odéline semblait rebondir sur chaque pierre et revenir en une multitude d'échos qui lui donnait le tournis.

- Merci, mais je ne suis pas certain de partager votre enthousiasme à toutes les deux. Je pense aussi que ce serait une bonne leçon à donner à des enfants, mais je dois également penser aux conséquences possibles pour l'Archipel si je me fais trop remarquer sur le continent, Minos ou ailleurs. Le risque est faible, mais je ne vais pas le prendre à la place de tout ceux qui m'ont accueilli et aidé ici.
Surtout avec la guerre contre l'Ombre qui gronde, et les factions qui cherchent à s'armer.

C'était l'une de ses plus grandes craintes ; que quelqu'un le retrouve, le juge suffisamment digne d'intérêt et ne se serve des habitants de l'Archipel ou pire, de Tapahari, pour faire pression sur lui et le forcer à prendre part activement au conflit.
Son marché avec l'Ombre le mettait partiellement à l'abri - et encore, vue comment il tordait les termes de l'accord en prenant son temps - mais l'autre camp avait déjà montré son absence de scrupules pour l'invocation et la mise en esclavage de Membraneux...
Avec Séléné au gouvernement d'Eaque, et Siffroy à celui de Minos, cela pouvait aller très vite si jamais il se faisait trop remarquer.

- Screeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee !

Le cri enjoué de Screechy répondait à l'exclamation d'Odéline, tandis que la créature volubile se servait des mouvements de queue de son Père pour se catapulter très loin et très haut par-dessus les rochers, finissant toujours par revenir en courant comme le vent pour aussitôt recommencer.
Bob s'était rapproché doucement d'Odéline, et l'observait de ses grands yeux fixes, la tête légèrement penchée sur le côté, visiblement intrigué par l'éclat de voix de la femme.
Itchy avait rejoint Bitey et Scratchy et les aidait à récolter le ragoût renversé à l'aide d'une grosse cuillère en bois, les griffes démesurées de Scratchy n'ayant pas été très efficaces jusque-là.

Béhékine hocha la tête et offrit un sourire à Tapahari, conscient tout à coup qu'il pouvait très difficilement lui refuser quoique ce soit, surtout lorsqu'elle était sous sa forme de serval et ponctuait ses phrases de miaulements charmants :

- Et oui... déjà un an, jeune fille. Je ne l'ai pas vu passer non plus.
...
Odéline, si tu trouves le moyen de me faire traverser ELysée, d'atteindre ton orphelinat sans que je me fasse voir, alors j'accepterai de venir rencontrer tes protégés.

Il avait dit cette dernière phrase sans vraiment regarder leur invitée.
Posant finalement ses yeux sur Odéline, il apparut très sérieux. Un peu retors, aussi, car il savait le défi de taille, que de le cacher dans une capitale.

La chamane-serval fut soulagée de voir qu'elle n'avait pas été impolie avec cette mésaventure.
Elle restait gênée de s'être dévoilée ainsi, mais puisque le rituel des excuses avait permis d'écarter tout risque de faux-pas, elle pouvait passer à autre chose.
Ses oreilles tiquèrent sous l'assaut acoustique de l'exclamation d'Odéline, son ouïe particulièrement sensible sous cette forme subissant de plein fouet le cri. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits, remarqua que son mentor semblait tout aussi affecté qu'elle, et qu'il s'était redressé comme pour souligner l'importance de la discussion.

Elle ne sut pas immédiatement comment réagir au compliment à son égard.
C'était inattendu.
Heureusement, son esprit-serval savait comment répondre :

- Mraaaaa...

Mi-miaulement, mi-feulement, le son qui sortit de sa gorge évoquait assez bien sa confusion, aussi la chamane décida de se concentrer sur le sujet de l'orphelinat et de l'éventuelle visite de son mentor.
Tapahari comprenait l'hésitation qu'il exprimait : elle aussi tenait à garder l'Archipel à l'abri, loin de tout regard ou influence qui pourraient venir mettre à mal la tranquillité et la paix des habitants. Bien sûr, ils savaient tous, pour l'Ombre, la guerre en cours, le climat de tension qui régnait entre les continents, grâce aux marins de passage et aux rares boites à images efferiannes. Si tout le monde était libre d'agir comme il le souhaitait, de choisir de partir pour le continent pour s'engager, la chamane ne voulait pas que ce choix soit fait à leur place.
Comme son mentor le disait, le risque était faible, mais existait.

Pourtant, la chamane pensait toujours que lui permettre de rencontrer les protégés d'Odéline était une bonne idée. Pour les enfants, et pour lui.
Et il venait de proposer un marché à Odéline, ce qui voulait dire qu'il ne rejetait pas l'idée en bloc.
Le regard de la chamane s'égara un instant vers les facéties des cinq garçons, suivit des yeux la trajectoire aérienne de Screechy catapulté...
Puis elle eut une épiphanie :

- Ne pourriez-vous pas commencer par envoyer vos garçons à l'orphelinat ? Ils sont... Mrraaaa... énergiques, mais assez incroyables pour servir de premier contact, non ?

Odéline avait écouté Béhékine,e t baissé la tête, un peu attristée à ses propos, avant de reporter toute son attention sur ses garçons, et particulièrement les pirouettes de Screechy, avant de voir près d’elle ce tout petit bout de brume qui la regardait avec de grands yeux. Se souvenant de ses pouvoirs, elle eut un frisson, mais lui sourit franchement. Il ressemblait un peu à certains enfants, avec ses grands yeux curieux qui paraissent surdimensionnés par rapport à son tout petit corps. Pourtant, à la proposition de Béhékine, elle releva la tête, telle un suricate, toute ouïe, et très intéressée. Lorsque Tapahari renchérit, elle approuva.

C’est une très bonne idée ! Ils auraient un succès fou, j’en suis certaine !

Elle sourit, amusée, en regardant lesdits garçons.

Mais Béhékine, tu peux te téléporter, non ? Sinon, comment aurais-tu amené mon mari … si loin ? Tu pourrais venir discrètement comme ça, non ?

Elle reporta son attention sur son ami.

Ceci dit, les garçons, c’est très bien déjà ! Ils seraient ravis j’en suis sûre ! Merci, Tapahari, sourit-elle à la chamane-serval, reconnaissante de son aide précieuse.

Regardant les garçons, elle les imaginait déjà face à des enfants, tout en se disant qu’il faudrait peut-être les empêcher de toucher Bob …

Béhékine commençait à penser que ses deux invitées s'étaient liguées contre lui, mais il devait avouer être amusé par le spectacle.
Et il ne pouvait définitivement rien refuser à Tapahari, qui venait de trouver en un éclair un compromis apte à satisfaire tout le monde. Par les Sept Enfers ! La chamane faisait une diplomate redoutable !

- Ce serait plus simple à mettre en place, oui, si tant est qu'ils soient d'accords...

Sentant que l'on parlait d'eux, Itchy, Bitey et Scratchy levèrent les yeux de leur atelier "ramassage de ragoût" pour interroger du regard leur Père.
Screechy revenait à la charge après un de ses vols planés mais, distrait par le changement chez ses frères, il manqua son saut pour se raccrocher à la queue du Membraneux bestial. Après une envolée peu contrôlée, la créature brumeuse s'écrasa contre un rocher et son cri joyeux s'interrompit brusquement - "Screeeeeehik !" - lorsque son enveloppe se dissipa en petit nuage informe.
Bob continuait à observer Odéline, sans cligner des yeux, sans réagir au sourire franc qu'elle lui offrit.
Sans sembler s'inquiéter des déboires de Screechy, Béhékine expliqua à ses trois garçons attentifs :

- Odéline souhaite que vous rencontriez ses protégés. Des enfants, comme ceux avec qui vous jouez souvent. L'idée serait de leur montrer votre originalité.

Il y eut une seconde de flottement.
Puis Bitey sourit, lentement, dévoilant progressivement toute sa dentition impressionnante. Il y eut un jeu de regards entre les trois - Inquiet et réprobateur venant d'Itchy, excité et de conspirateur de la part de Bitey, curieux et plein d'anticipation pour Scratchy - et Béhékine ferma les yeux un instant, galérant un peu à donner un sens au flot de sensations qui lui parvint via le lien mental qu'il partageait avec ses garçons.

- Je crois... qu'ils veulent savoir... s'ils pourraient montrer tous leurs talents ? Oh ! Oh... Non, Bitey. Pas à ce point.
Odéline, tu devrais leur préciser ce que tu attendrais d'eux, précisément.
Concernant la téléportation, j'ai besoin de connaître précisément où je veux arriver, d'avoir déjà vu et ressenti un endroit. Sinon je risque d'apparaître là où il y a de la place, ou là où la magie peut me faire de la place, et ça peut faire des dégâts. Je n'ai jamais vu ton orphelinat, ni vu où il se trouve dans Elysée, alors un déplacement magique est hors de question, vu comme ça risquerait d'être très peu discret et/ou dangereux.

Toutes les paires d'yeux des quatre garçons restants étaient maintenant posés sur Odéline, avec plus ou moins d'attente ou de... intelligence.
Ce fut au tour de Béhékine, d'avoir comme une épiphanie et il ne cacha pas son sourire en demandant à Tapahari cette fois :

- Et toi, jeune fille, est-ce que tu voudrais aller voir à quoi ressemble cet orphelinat ?

Tapahari suivit l'échange entre Béhékine et ses garçons avec attention, toujours émerveillée de cette relation qui existait entre les "jeunes Esprits du Voile' comme elle les appelait en son for intérieur, et son mentor. Malgré le temps qu'elle passait avec lui, elle n'avait jamais eu que des contacts distants avec ses garçons ; ils ne parlaient pas, et étaient toujours occupés à droite à gauche, jamais loin peut-être, mais toujours un peu dans leur propre monde.
Les enfants de l'île, en comparaison, avaient déjà eu plus de contacts avec les créatures.
Elle en savait beaucoup sur leurs différents talents, leur personnalité, mais la relation restait distante. Même si le serval en elle se sentait déjà très proche des cinq garçons, et qu'elle devait se retenir - et le retenir - d'aller interagir plus directement avec eux.

Elle savait le lien qui les unissait à Béhékine, et soupçonnait en profondeur qu'ils tenaient tous leur personnalité de celle de leur Père - y compris Screechy - et pensait vraiment qu'ils pourraient être de parfaits ambassadeurs auprès des protégés d'Odéline.
Si Bitey et Scratchy arrivaient à se retenir. Leur vision de ce qui pouvait être amusant était... parfois extrême.
Elle ne s'inquiéta pas plus que son mentor de la disparition de Screechy en un nuage informe. La volubile créature était coutumière de ce genre de prouesse, et elle se remettrait vite.
La soudaine question de Béhékine pour elle la surprit :

- Mmmrrrraaaaa... ? Myaa ? Je ne vois pas trop ce que... je pourrai dire ou apprendre aux enfants... comparée aux garçons...

Face aux créatures brumeuses, à son mentor, elle n'avait pas grand chose à offrir aux protégés d'Odéline. Hormis son histoire, peut-être. Et encore, ses talents d'oratrice étant ce qu'ils étaient, elle risquerait de les endormir bien avant de les intéresser !
Puis, elle remarqua la lueur amusée dans les yeux de son mentor, juste avant qu'il ne lui sourie plus franchement, dévoilant qu'il cherchait gentiment à la mettre dans l'embarras. Ses oreilles de serval tiquèrent. Elle appréciait qu'il fasse des plaisanteries, mais n'était pas certaine d'apprécier en faire les frais.
La chamane tira la langue, puis se détourna de son mentor pour se concentrer sur Odéline.
Elle avait quelque chose à lui dire, qu'elle aurait pu réserver pour un moment plus opportun mais c'était quelque chose qui la travaillait depuis plusieurs minutes :

- Odéline... j'aimerais m'excuser pour le comportement que j'ai eu à ton arrivée. J'ai été exagérément froide, et c'était impoli de ma part. Je voulais protéger notre ami, mais je t'ai mal jugée. Tu as bon coeur.

Béhékine sembla adhérer lui aussi à la proposition de Tapahari, ce qui ne fut pas sans ravir Odéline, qui afficha son plus beau sourire. Très vite les garçons les rejoignirent, se raccrochant à leur conversation, sauf l’un d’eux, Screechy si Odéline avait bien compris qui, après un vol plané des plus mémorables, s’écrasa contre un rocher et se … dissipa tout simplement. Immédiatement inquiète, Odéline leva un regard nerveux vers Béhékine, puis vers Tapahari, puis regarda les garçons mais … personne ne semblait s'inquiéter de cette disparition, de cette évaporation ! Est-ce que personne n'avait remarqué ? Tout cela n’était-il qu’un rêve ?! Pourquoi donc personne ne réagissait à cet événement tout de même très bizarre ? Avait-elle été touchée par Bob, sans s’en rendre compte, et était-elle encore coincée dans cet état bizarre entre l’éveil et le sommeil, cet état terrifiant où tout pouvait se passer ? Inquiète à cette idée, Odéline n’écoutait que très vaguement Béhékine, préoccupée par cette disparition soudaine, cherchant des yeux à retrouver Screechy. Elle fut donc un peu surprise de l’impressionnante double rangée de dents (de brume, certes)(y en avait-il d’autres derrière, comme les requins ?) dévoilée par Bitey, mais hocha la tête aux propos de Béhékine, persuadée qu’il allait de toute façon dans son sens (comment ça il était possible que ce soit une petite erreur stratégique ?), avant de se remettre à chercher Screechy du regard.
C’est donc un peu par surprise qu'arrivent les propos de Tapahari, et elle en fut désarçonnée. A tel pont qu’elle en oublia un instant Screechy, alors que ses yeux s’emplissaient de grosses larmes d’émotions. Sans y réfléchir du tout, elle se précipita pour serrer contre elle le serval qui venait de lui dire de si jolies choses:

Merci, merci beaucoup, c’est très gentil je … je suis désolée pour tout ce qui a pu se passer et je …

Prenant soudain conscience de ce qu’elle faisait, elle se détacha de l’animal et se redressa, un air affolé désolé sur le visage:

Oh pardon, j’outrepasse toutes les limites je suis désolée, c’est que … je suis tellement émue, il y a tellement de choses aujourd’hui et du coup je … je … Et puis, avez-vous remarqué que l’un des garçons a disparu ? Pourquoi il ne revient pas ? Il va bien ? Pardon, pardon, je pose trop de questions, je suis désolée, mais …

Elle se força à se calmer, à ralentir son débit heurté.

Pardon, je suis désolée … C’est une journée très riche en émotions et en rebondissements pour moi … Merci beaucoup Tapahari. je comprends ton accueil, après ce que j’ai fait, c’est normal. Merci beaucoup de réviser ton jugement à mon propos, et de m’avoir amenée ici, de me soutenir. C’est très gentil. Je suis contente de t’avoir retrouvé, Béhékine, et contente de t’avoir rencontrée, Tapahari. Je suis aussi contente de vous revoir, les garçons … Mais enfin, où est Screechy ?!

Une obsession ? Non non.

Son amie lui tira la langue lorsqu'elle comprit visiblement qu'il la faisait gentiment tourner en bourrique avec sa proposition. Il restait pourtant à moitié sérieux, persuadé qu'elle avait de bonnes choses à apporter à des orphelins, par ses histoires et sa sagesse. Sûrement plus que lui-même, malgré ses particularités et les facéties de ses garçons. Après tout, elle était l'héroïne de son peuple, la guide spirituelle de l'Archipel, capable de voyager et de converser avec le monde des esprits. Les animaux comme les hommes l'écoutaient !

D'ailleurs, Odéline n'avait-elle pas un talent similaire de compréhension ?

Le lien qu'il venait de faire entre les deux femmes passa au second plan lorsque sa curiosité fut piquée par la soudaine déclaration de Tapahari envers Odéline, s'excusant... pour son comportement ?
Que s'était-il passé entre elles, pour expliquer cela ?
Sa curiosité se changea ensuite en surprise amusée quand Odéline se précipita pour enlacer - oui, enlacer - le serval ! Le flot de paroles un peu décousue et les yeux larmoyants n'étaient pas une surprise pour qui connaissait un peu l'émotive "Future Déesse du Savoir" mais...
A peine Odéline avait libéré la chamane que celle-ci s'éloigna en deux bonds rapides.

Béhékine se figea.
Cligna des yeux plusieurs fois.
Ses garçons se figèrent.
Clignèrent des yeux plusieurs fois. Sauf Bob, évidemment.

Le serval était venue se réfugier juste sous son museau, entre ses deux pattes avant, et se lova tout contre sa poitrine, tel un chaton effrayé cherchant sécurité et chaleur auprès d'une mère. Est-ce que la surprise de l'étreinte d'Odéline avait fait perdre l'équilibre à Tapahari, et c'était son serval qui avait pris le contrôle pendant ce mouvement ?
Le Membraneux Bestial en était réduit aux conjectures, mais bénissait sa fourrure qui cachait à coup sûr son embarras d'avoir Tapahari tout contre lui !
La meilleure chose à faire était sans doute de faire comme si tout était normal, que tout était parfaitement sous contrôle...

- Ahem... Ne t'en fais pas Odéline. Screechy est plus solide qu'il en a l'air. Tiens, il revient déjà...

Screechy lui offrit une diversion parfaite, en s'extirpant de l'enveloppe brillante et chétive de Bob, sortant du dos de la créature brumeuse comme un plongeur perçant la surface, sortant bras en premier et ne tardant pas à être tout à fait entier et parfaitement lui-même - "Screeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee !" compris - tout à côté de son frère, qui secoua doucement la tête en continuant à observer Odéline.
Pendant ce temps, Bitey, Itchy et Scratchy faisaient de leur mieux pour ne pas avoir l'air surpris par la tournure des événements avec Tapahari, tout en attendant toujours la réponse d'Odéline concernant ce qu'ils pourraient hypothétiquement faire avec des orphelins. Mais comme leur capacité à se faire comprendre était limitée, ils en étaient surtout rendus à avoir l'air perdus.

- Tu vois, il va très bien. Ça me fait plaisir aussi de te voir, Odéline, même si je vais te demander de ne pas divulguer l'emplacement de ma forteresse de solitude à qui que ce soit...
J'y pense, avec toutes ces émotions, personne ne touche au repas ! Il est à votre goût, j'espère ? Jeune fille... tu aimerais manger quelque chose ?

Elle n'avait rien vu venir.
Pourtant, la première fois qu'elle avait vu Odéline, dans un parc d'Elysée et peu après avoir retrouvée son mentor, la jeune femme avait fait peu ou prou la même chose, à savoir sauter au cou de ce dernier.
Mais tout de même, elle ne s'était pas du tout attendue à être soudainement la cible de ce genre d'effusions !
De surprise, elle voulut sauter en arrière pour s'échapper, mais c'était trop tard ; enserrée dans l'étau des bras d'Odéline elle ne put que tendre tous ses muscles sans parvenir à bouger.
Sa concentration rompue par les événements, son esprit-serval en profita pour reprendre les commandes.

Dès qu'Odéline se rendit compte de ce qu'elle faisait et la libéra en s'excusant, elle sentit ses muscles s'activer et, en une fraction de seconde et grâce à la vitesse et la réactivité du serval, elle s'était éloignée.
Pour finir lovée contre la poitrine de son mentor.
Il y eut un instant de flottement, juste assez pour qu'elle se rende compte que toute l'attention semblait portée sur elle. Son esprit-serval, satisfait, lui redonna le contrôle et elle prit une position plus confortable en se lovant entre les pattes de son mentor.
Son cœur battait vite, après tout ça.

Screechy réapparut, détournant un instant l'attention vers lui.
La chamane renifla et se figea : pas de doute, c'était bien une odeur d'agrumes qui émanait de la fourrure de son mentor ! Et de là où elle était, elle sentait et entendait son cœur qui battait vite également. Mais pourquoi ?
Il s'adressa soudain à elle, la surprenant un peu :

- Mraaaaa... je reprendrai bien de ce ragoût...

Un instant plus tard, les garçons posaient un bol plein face à elle, décidant à sa place qu'elle mangerait là où elle était.
Avant de se régaler, la chamane-serval prit le temps d'éclaircir les choses avec Odéline, tout de même :

- Navrée... mmrrraaaa... l'esprit-animal qui me prête cette forme n'aime pas être entravé dans ses mouvements.
Mraaaa... si les garçons doivent un jour rencontrer tes protégés, il faut vraiment leur dire ce qu'ils pourraient ou ne pas faire.

Le serval avait fui, allant se réfugier entre les battes de Béhékine, contre sa poitrine ce qui sembla surprendre … eh bien tout le monde. Odéline en rougit jusqu’à la racine des cheveux, honteuse de lui avoir fait si peur. Pourtant, son attention fut très vite distraite par Screechy qui s'extirpait de Bob tout naturellement, amenant les lèvres d’Odéline à former un “O” de surprise muet (ce qui était assez rare pour être noté, admettons-le). mais comment diable faisait-il ? Chacun des garçons pouvait-il "contenir" ses frères ? ou bien cela était-ce l’unique capacité de Bob ? Leurs pouvoirs avaient l’air tellement exceptionnels …
Elle hocha la tête à chacune des demandes de Béhékine: évidemment, elle en dirait rien ! Tout de même ! Aurait-elle le droit de revenir, cependant ? il fallait qu’elle leur pose la question, mais le repas supplanta cette idée. C'était très bon, oui, et elle hocha de nouveau vigoureusement la tête. Tapharai décida d’en reprendre et les garçons la servirent. Ceci réa un petit sourire satisfait et attendri d’Odéline. La relation entre tous ces êtres était vraiment à part, c’était indéniable. Puis, la chamane s’adressa àe lel, et la jeune fille lui sourit, avec un geste de la main signifiant qu’il n’y avait aucun problème:

Aucun problème ! explicita-t-elle, histoire d’être sûre de s’être bien fait comprendre. C’est entièrement ma faute, avec cette habitude de me jeter au cou des gens …

Elle dit cela avec une petite moue, puis reprit, afin de répondre à leurs questions.

Ne t'inquiète pas, Béhékine, je ne dirai rien. Je veux préserver votre tranquillité. Pourrai-je revenir, quand toi, et vous tous, me manquerez ? Quand au rôle des garçons …

Elle se gratta un peu la tête, en pleine réflexion.

Je ne sais pas exactement ce qu’ils savent faire, mais j’aimerais bien qu’ils ne leur montrent pas trop de bêtises, enfin rien avec quoi ils se mettraient en danger, ou mettraient les autres en danger ! Par contre … Un petit spectacle de leur part marcherait très bien j’en suis sûre ! Avec de la musique, de la danse, des acrobaties … Et évidemment, ils pourraient les faire rire j’en suis certaine ! Voire même … ils peuvent leur raconter des histoires, à leur manière s’ils aiment ça !

Se rendant compte qu’elle s’enflammait elle s’interrompit:

Pardon je m'enflamme mais … C’est un projet que je porte depuis longtemps et je suis si contente de le voir aboutir que … Enfin, je suis sûre que vous saurez rendre les enfants heureux, les garçons ! Tant que vous ne leur montrez pas comment grimper au plafond, on devrait s’en sortir, conclut-elle dans un grand sourire.

Bitey était le plus attentif des garçons aux paroles d'Odéline, le plus intéressé à l'idée d'aller rencontrer de nouveaux enfants, potentiellement faciles à effrayer et à influencer pour s'amuser. Son esprit, très créatif dans le domaine des tours pendables, carburait tandis qu'Odéline parlait.
Puis elle précisa qu'il ne pourrait pas apprendre aux enfants à grimper au plafond...
Bitey afficha aussitôt un air tellement déçu que Scratchy et même Itchy vinrent chacun poser une main sur ses épaules pour le réconforter. Si Bitey avait pu parler, il aurait certainement exprimé sa déception avec un "Caramba ! Encore raté !" bien senti.

Ce fut finalement au tour de Screechy d'enfin comprendre de quoi ils étaient en train de parler, son esprit volatile réagissant au mot "danse" et "acrobatie."
Il fit aussitôt la roue et bondit en direction de ses frères, effectuant un entrechat très bien imité... et atterrit sur Bitey qui bascula, entrainant Itchy et Scratchy avec eux. Les quatre terminèrent leur course tout contre la grosse patte de Béhékine, passant très près au final de renverser une nouvelle fois le ragoût que dégustait Tapahari.
Le Membraneux bestial sourit malgré lui, et attendit que le "Screeeeeeeeeeee !" cesse de résonner pour commenter :

- Ça tombe bien, ils ont un peu d'expérience dans ce domaine. Ils sont aussi doués pour improviser, mais le cadre que tu viens de leur donner va beaucoup les aider tout de même.
J'ignore quand exactement nous pourrons organiser cette rencontre, mais ça se fera dès que je pourrai me passer d'eux pendant un temps. Je te ferai parvenir un message quelques jours en avance... Ton orphelinat est facilement trouvable pour quelqu'un qui ne l'a jamais vu ?

Itchy saurait sûrement s'orienter dans Elysée et trouver l'orphelinat pour laisser un message pendant une de ses livraisons de lettres à la Reine de Minos. Si le bâtiment était reconnaissable, car son garçon ne pouvait demander son chemin à un badaud...
Ses garçons se remettaient d'aplomb, l'incident de leur chute et l'enthousiasme toujours débordant de Screechy venant contrebalancer la déception de Bitey.
Screechy et Scratchy - gagné par l'enthousiasme de son frère - se mirent doucement à improviser des pas de danse de plus en plus rythmés, projetant leurs membres avec énergie sans sembler se décider à beaucoup se déplacer. [Charleston ^^]

Habitué presque aux facéties des créatures brumeuses, Béhékine ne se laissa pas démonter et répondit à l'interrogation d'Odéline sur une possible répétition de ses visites sur l'Archipel :

- C'est un long voyage pour venir jusqu'ici... mais si tu veux repasser un jour, ce serait mieux de ne pas t'infliger la traversée de la jungle et de se contenter de la plage ou de la lagune. Si Tapahari est d'accord pour me transmettre la nouvelle de ton arrivée via mes garçons, bien sûr...

Béhékine baissa la tête vers la chamane toujours installée entre ses pattes.

La chamane s'était à moitié redressée lorsque les facéties de Screechy avaient manqué faire effet boule de neige pour venir la percuter.
Le danger écarté, elle reprit se position, amenant son museau juste au-dessus de son bol de ragoût et inspirant profondément, sans parvenir à s'extirper tout à fait du museau le parfum d'agrumes qui provenait de la fourrure de Béhékine.
Pourquoi diable sentait-il autant ça ? Un accident pendant la préparation du repas ? Elle n'avait pas trop de mal à imaginer un ou plusieurs des garçons lui renverser du jus de fruit dessus par accident pourtant... elle ne voyait pas d'agrumes parmi les plats qu'il avait préparé avec soin !
Tout à ses interrogations, elle n'écoutait que d'une oreille la conversation.
Ce fut le souffle chaud de son mentor le long de son dos qui la ramena au présent et lui fit lever les yeux. Elle découvrit la danse étrange mais enthousiaste de Screechy et Scratchy, ce qui lui fit pencher la tête sur le côté dans sa confusion.

- Mrrrraaaaa....? Oh... Hmmm... Bien sûr... mmmrraaa... aucun souci. Et si tu sollicites l'aide du Poisson-Globe pour revenir, Odéline, tu n'arriveras pas à l'improviste et nous pourrons t'accueillir comme il se doit à chaque fois.
Avec les garçons, en plus de la danse de Screechy et des leçons de Bitey, je sais que Itchy et Bob savent aussi faire un spectacle de leur cru... mmmrraaa...
Sénéa avait bien aimé, vous vous souvenez, jeunes et nobles esprits ?

En réponse, Itchy secoua doucement ses épines dorsales, produisant un son doux de crécelle, puis il sembla interroger Bob du regard, jusqu'à ce qu'il semble y avoir une entente invisible entre eux deux...
La créature brumeuse se saisit d'une de ses épines, l'arracha d'un geste vif et la lança dans les airs au-dessus du duo dansant Screechy et Scratchy. L'épine brumeuse se désagrégea en une multitude de particules qui retomba en neige, bientôt suivi par une dizaine d'autres épines qu'Itchy lançait avec des mouvements précis et sûrs.
Bob tendit sa petite main vers cette semblance de neige autour de ses frères, et les particules s'illuminèrent, de la même énergie qui faisait briller l'intérieur de son enveloppe.
Le spectacle était surprenant, sans doute aurait-il été encore plus visible sans la présence du soleil qui noyait la lueur lunaire des efforts de Bob... mais il restait étonnant.

- Mmmmrrrrraaaaagnifique !

La déception de Bitey était très visible (et peut-être un peu inquiétante, mais il fallait admettre qu’elle n’en avait cure). Cependant, ceci fut vite effacé par une approbation acrobatique de Screechy, qui fit siffler Odéline d’admiration alors que les garçons allaient s’écraser contre la patte de Béhékine (Odéline eut d’ailleurs très peur pour le ragoût de Tapahari, qui finirait sans doute étalé par terre avant qu’elle n’ait réellement pu y toucher si personne ne le retirait de la zone à laquelle les garçons pouvaient facilement accéder)(Tapahari elle-même, d’ailleurs, avait bien de la chance d’être à l’abri entre les pattes de Béhékine, sinon Odéline était prête à parier qu’elle aurait été embarquée dans l’entrelacs des petits acrobates contre son gré !). La jeune femme hocha consciencieusement la tête aux propos de béhéline, très concernée, évidemment, par ce que ses petits aciolytes feraient uen fois à l’orphelinat. Elle lui aurait bien répondu, cependant les garçons de brume se lancèrent dans une chorégraphie qui absorba son attention suffisamment pour qu’elle en oublie ce qu'elle voulait dire, et elle en raccrocha les wagons que lorsque Béhékine eut repris la parole, loupant d’ailleurs ses premiers mots. Ces créatures étaient aussi infatigables que fascinantes par les Grands Rois !
Entrevoyant dans ce que lui disait Béhékine la possibilité d’un accueil plus chaleureux et surtout plus simple lors d’une prochaine visite, Odéline reporta toute son attention sur la chamane serval, installée entre les pattes de son ami, espérant de tout son coeur qu’elle approuverait cette idée. Cependant, celle-ci avait l’air au moins aussi distraite qu’Odéline, et mit un peu de temps à revenir tout à fait à leur conversation, ce qui ne fit qu’accentuer l’impatience de la jeune fille, qui manquait, il fallait l’admettre, de trépigner. Pourtant quand Tapahari donna son accord, proposant même que le bateau les prévienne de son arrivée, elle ne put que taper des mains de joie, un immense sourire affiché sur son minois enfantin. Pourtant la chamane n’avait pas terminé, et avant qu’elle ne puisse les remercier, Tapahari proposa aux garçons de leur faire une démonstration de spectacle, mentionnant un autre nom, qui évoqua immédiatement quelqu’un à Odéline. Mais déjà, un doux son de crécelle se faisait entendre, formant une mélodie pour la danse de Screechy et Scratchy. Itchy créa de la neige de brume, rapidement illuminée par Bob, ce qui donnait un rendu tout à fait féérique et surréaliste à cette scène inattendue qui fit arrondir les yeux de surprise à odéline. Dès que Tapahari les complimenta, Odéline accompagna cela d'applaudissements bien sentis. Certes le soleil gâchait un peu leur effet mais …

C’était très joli ! Très très très très joli ! Si vous voulez, à l'orphelinat, nous pourrons éteindre le lumières,et ainsi, les enfants pourront profiter pleinement de votre spectacle ! Je suis certaine qu’ils vous adoreront ! Préparez-vous à repartir avec plein de dessins … conclut-elle avec un sourire. Je suis certaine que vous trouverez facilement l’orphelinat. C’est une grande maison colorée, à la façade décorée, très proche de là où je vis … Il me semble que vous connaissez l’adresse n’est-ce pas ? D’ailleurs, c’est une jeune fille nommée Senea qui a fait toute une partie des décorations ! Je pense qu’elle y est encore, pour les finitions … Ce n’est pas un prénom très courant, c’est peut-être la même personne ! Elle est étudiante à l’Académie, elle travaille vite, et est très efficace, pas très bavarde ceci dit, presque un peu froide, mais elle a l’air gentille ! En tous cas, merci beaucoup pour vos propositions. J’espère que vous viendrez bientôt, les garçons, et que je pourrai repasser vous voir. Ce sera sans doute le plus simple pour prendre de snouvelles !

Elle se doutait bien que son ami n’avait pas très envie de revenir sur Minos, ou même sur un des continents. Il serait plus simple qu’elle se déplace, à coup sûr !

Les deux danseurs finirent leur numéro, et parvinrent presque à s'incliner et à rester humble (non) sous les applaudissements de leur enthousiaste public.
Ayant ainsi dépensé une partie de leur énergie, les cinq garçons finirent par se regrouper ensemble aux côtés de leur Père, au calme, Itchy seul restant debout et prêt à faire le service auprès de Tapahari ou Odéline si besoin.
Lorsque la nouvelle Directrice d'orphelinat amena un nom en particulier sur la table, les cinq garçons se tournèrent dans un ensemble parfait vers elle. Le Démon bestial aussi, même s'il restait plus mesuré :

- Oh ? Sénéa ? Le monde est petit... Mes garçons sont fans de son travail aussi, alors ça devrait les motiver d'autant plus à venir voir ton orphelinat. C'est surprenant d'entendre son nom sur un projet Minosien. Enfin, j'imagine que si tu as réussi à alpaguer son altesse Sérénissime Saralondé, une artiste d'Eaque n'est pas si étonnant.
Ils devraient pouvoir trouver, si c'est dans le même quartier que ta maison.

Béhékine posa une seconde son regard sur Tapahari qui semblait également surprise d'avoir entendue parler de Sénéa, s'il en jugeait par les oreilles dressées du serval qui restaient obstinément tournées vers Odéline. Un peu roublard, il sourit :

- J'y pense tout à coup et, j'espère ne pas être impoli en faisant ce rapprochement entre vous deux... saviez-vous que vous avez toutes les deux un don similaire de compréhension ? Jeune fille, Odéline peut parler aux animaux comme tu le fais avec tes rituels.

Il laissa passer une ou deux secondes, puis ajouta :

- Est-ce que vous voulez manger autre chose ? Nous avons des fruits, des boissons plus fortes si vous voulez, et même du fromage, importé d'Albus.

Le regard du serval n'avait pas bougé du spectacle, et avait suivi le moindre mouvement des garçons, jusqu'à ce qu'ils terminent et aillent s'asseoir sur le côté, épuisés mais ravis de leur numéro. Tapahari ne pouvait applaudir comme Odéline, aussi elle se contenta de produire plusieurs miaulements très courts et aigus, se surprenant un peu elle-même par son exubérance. Son esprit-serval se mêlait beaucoup à sa psyché aujourd'hui...
Elle allait replonger vers sa dégustation de ragoût - vraiment, c'était épicé exactement comme elle aimait, et son sens du goût mélangé à son odorat, sous cette forme, sublimaient d'autant plus les saveurs pour les rendre quasi-irrésistibles ! - lorsque Odéline évoqua un nom en particulier.
Tapahari se figea et fut une sixième paire d'yeux qui se posa sur la jeune femme blonde.
Sénéa ? Vraiment ? Elle avait réalisé les décorations de l'orphelinat ?
Comme son mentor, elle s'interrogeait sur cette étrange chance facétieuse.

Elle ignorait si ce serait possible, mais elle avait un peu plus envie de voir cet orphelinat, l'envie de découvrir l'oeuvre réalisée par Sénéa venant renforcer sa curiosité naturelle.
Peut-être qu'elle pourrait profiter du jour où les cinq garçons iraient faire leur visite pour se joindre à eux, même si elle avait conscience que c'était une logistique bien plus complexe pour son mentor de l'envoyer elle, plutôt que seulement les créatures brumeuses...
A bien y réfléchir, elle sentait presque son envie d'aller voir l'orphelinat comme un caprice, sans doute peu digne de son entrainement de chamane...
Si le déplacement s'avérait trop délicat pour son mentor, elle n'insisterait pas. Pas trop.

Puis, son mentor lâcha comme si de rien n'était une phrase qui lui fit l'effet d'une bombe ! Le serval ne put retenir son enthousiasme et elle se releva à moitié, manquant se cogner le haut du crâne contre la mâchoire de Béhékine penché sur elle :

- Mmmrrrraaaaa ? C'est vrai, Odéline ? Grâce à quels rituels ? Qui te les a appris ? Je pensais que c'était un art perdu sur le continent !