La Loutre sur l'Interforum 12 - Epreuve 4

Lorsque le Limier était rentré dans son salon en tenant à la main ce rectangle de papier, une étincelle dans son regard si morne, Eden avait bien compris qu’il se passait quelque chose d’exceptionnel. Jamais il n’aurait osé la déranger pour un simple problème de facteur. Il ne connaissait que trop bien les conséquences de la colère de sa maîtresse.
Elle haussa un sourcil surpris lorsqu’il lui expliqua que la lettre s’était matérialisée sur la pelouse du manoir dans un flash de lumière blanche, et qu’il n’avait pu détecter aucun envoyeur, ni aucun signe de magie. Comme si la missive était arrivée, directement, d’une autre dimension à son jardin. De plus en plus intriguée, elle prit la lettre et l’ouvrit. C’était un parchemin, légèrement usé, à la teinte marron. De bonne qualité, il était épais, et doux au toucher. L’écriture, cependant, ne lui paraissait pas être à la plume, ce qui attira son attention. Pourtant, c’est ce qu’elle lut qui l’emplit de joie, et un sourire mauvais étira ses lèvres si rouges sur sa peau si blanche. Elle ne voyait que deux options: soit elle avait affaire à un plaisantin (mais qui serait assez doué en magie pour matérialiser une lettre sur sa pelouse et tromper toutes les défenses magiques du manoir, et les siennes ?), soit la lettre venait d’ailleurs. Et tout semblait pointer vers cette seconde solution …
Évidemment, qu’elle avait entendu parler d’autres mondes. Elle ne pensait simplement pas que l’occasion se présenterait, si belle, sur un plateau. Comme son Père serait content ! Comme il serait fier d’elle ! De nouveau, elle serait sa préférée, et détrônerait tous les autres ! Elle s’accorda un instant de réflexion, puis dans un état intense d’excitation, alla à son bureau, et prit sa plus belle plume.

“Elysée, 24 Asherien 2786,

Chère Mère-Grand,

Tu ne peux imaginer la joie qui m’emplit à la lecture de ta providentielle missive. Enfin ! Enfin un signe du Ciel ! Enfin, les Grands Rois répondent à mes suppliques ! Ô Mère-Grand, toi qui a nourri tout Elysion à ton sein, toi qui as fait grandir et sculpté chacun des Minosiens, toi qui es à l’origine de toute la beauté de ce monde, toi qui as si bien su en saisir tous les aspects, tu étais, sans aucun doute, la plus apte à comprendre mes souffrances et mes errances !

Elysion a bien changé depuis ton départ. Tu es présente dans tous les cœurs au quotidien, mais de nombreux Rois et de nombreuses Reines se sont succédé après toi. De nouvelles villes ont été construites, et de nouveaux territoires découverts. Si les peuples ont guerroyé durant des siècles, aujourd’hui, de nombreux traités de paix ont été conclu ; c’est ton influence, j’en suis certaine qui les a motivés. Elysion est un monde en paix, et Minos est un paradis pour ceux qui y vivent.

Mais, Dame d’Ebène, je sais où tu es, car je viens de cet endroit. Je me suis perdue, ô Judy, et je n’aspire, depuis des décennies qu’à retrouver mon monde, mon univers. Je n’ai jamais compris comment j’étais arrivée ici, mais j’ai vite compris que tu étais, de tout leur panthéon, la plus douce, la plus tendre, la plus sage. Je te supplie, ô Mère-Grand, de m’apporter ton aide, j’appelle de mes vœux ta charité. Viens me chercher, je t’en conjure ! Minos est paradisiaque, mais tout me manque de ma vie d’avant, depuis cette explosion qui m’a fait passer dans un portail magique et arrachée à tout ce que j’ai aimé et connu jadis.

Je t’en prie, je t’en supplie, fais-moi signe de nouveau, accepte de venir me chercher, accepte de me ramener chez moi. Si tu me réponds, je t’enverrai des coordonnées où me rejoindre.

Ta dévouée, perdue et désespérée,

Nende.”

Dans un soupir béat, elle posa sa plume, et referma son encrier. Elle posa calmement le buvard sur le tissu de mensonges qu’elle venait de tracer, et en fit un rouleau, avant de le refermer d’un ruban. Puis, elle sonna, et Angel Dust apparut si vite à sa porte qu’on aurait juré qu’il attendait derrière.

"Pose-la exactement où tu as trouvé la première."

Sans un regard supplémentaire, un bonheur inquiétant peint sur le visage, elle partit contacter son Père et les autres Enfants. Il était temps.

D’un coup d’oeil, elle guettait régulièrement ce coin de pelouse si précieux. Si cela restait inexpliqué, ses Frère et Soeurs et elle-même avaient pu déterminer qu’il s’agissait sans doute là d’une minuscule instabilité de l’espace-temps, reliant deux mondes et deux époques. Un trou de ver. Cela expliquait le flash blanc qu'avait évoqué le Limier à l’arrivée et au départ des deux lettres. Et surtout, c'était pour eux une opportunité incroyable. De l’autre côté, il y avait quelqu’un, de l’autre côté il y avait un monde. Et ce monde leur tendait les bras, il ne tenait qu’à eux de franchir cet espace pour partir à sa conquête. Leur pouvoir ne connaissait aucune limite. Associés, ils pouvaient vaincre tous les obstacles. Un monde supplémentaire sous leur contrôle, voilà qui était une belle perspective, voilà qui plairait au Père, voilà qui leur donnerait la possibilité de lever la plus puissante des armées, voilà qui leur permettrait de faire d’autres conquêtes et de faire, encore et encore, grossir leur empire.
Lorsqu’un flash blanc se fit voir dans le jardin de son manoir, elle y dépêcha Dust alors même qu’elle mettait à la porte un amant à la recherche d’un peu trop de faveurs. S’il avait de l’influence, son importance était comparable à celle d’un grain de sable face à l’apparition d’un nouveau message.
Quand enfin le Limier lui confia la missive lorsqu’enfin elle put la lire, elle se sentit frissonner d’une joie aussi rare que malsaine. A la lecture des inepties répandues sur le parchemin, ses lèvres se retroussèrent de dégoût. Soit la personne face à elle était d’une naïveté confondante, soit c'était un stratège éclairé. Peu importait. Dans les deux cas, elle l’écraserait.
Prenant sa plume, elle déroula la stratégie prévue par le Père.

“Elysée, 27 Asherien 2786,

Chère Mère-Grand,

Ta réponse m’emplit d’une joie indescriptible. Si tu savais durant combien de temps j’ai guetté un signe ! Merci, Dame d’Ebène, de m’accorder ton inestimable attention.

Je suis si heureuse de savoir que mon monde te permet de continuer à répandre tes bienfaits comme tu l’as fait sur les terres Elysionniennes.  Je sais, pour avoir lu les Grands Livres d’Elysion que ton influence a toujours été bénéfique. Comme j’aime le récit de ta tendresse triomphant de Merlin, l’Homme d’Acier de Rhadamanthe ! Comme j’admire la légende de ta négociation pour la paix avec Erwin et Liane d’Eaque ! C’est toujours ta bonté qui a triomphé, et je ne doute pas un instant que le mal succombera face à toi, face à la lumière que tu portes en ton sein depuis toujours. Ta guilde l’emportera et tes proches et toi serez portés aux nues. Peut-être seras-tu canonisée, déifiée, comme tu l’as été ici, Judy ? Mon monde ne pourra qu’être meilleur avec ta présence pour guider la conduite quotidienne de son peuple.

Ma hâte de retrouver ma terre natale grandit à la lecture de chacun de tes mots. Elysion m’a accueillie, évidemment. Les Minosiens sont si gentils ! Mais les toits en or de la ville d’Elysée, la splendeur du marbre du palais, la coquetterie des maisons, même le fantastique, l’onirique pont d’Albus ne suffisent pas à combler le manque qui chaque jour me ronge. Si Hypnos semble toujours s’étendre et sa tour toujours s’allonger, si la capitale semble toujours bruisser plus forts de milliers de voix, rien ne remplacera jamais en mon coeur la langue de mon peuple.

Je t’en prie, Mère-Grand, viens me chercher. Il y a sur Elysion une zone connue de tous pour ses instabilités magiques, et je crois que ce serait pour toi un endroit idéal où arriver. Chaque lune, des phénomènes inexpliqués arrivent au centre du Désert Phobos, qui parcourt (t’en souviens-tu ?), tout Rhadamanthe. Je t’en supplie, retrouve moi à cet endroit, demain, le 28 Asherien.

Je t’attendrai,

Ta fidèle, heureuse et espérante,

Nende.”



Lorsqu’elle fut satisfaite, elle plia la missive en trois, et somma le Limier, qui, respectant son rôle, accourut. C’était à lui d’aller poser la lettre. Elle, elle devait se préparer.
Il fallait être parfaite, lorsqu’elle irait dans l’autre monde. Il fallait être sublime, quand elle les soumettrait. Oh, évidemment il y avait un risque que personne ne vienne. Ils y avaient pensé. mais à présent, ils savaient. Ils savaient qu’un autre monde existait. Ils savaient qu’un passage était possible. A partir de cet instant, ils pouvaient y aller. Et si personne ne venait, elle se ferait un plaisir de retrouver le plaisantin qui avait écrit les lettres, et de l'annihiler, cellule par cellule. Le sourire qui étirait ses lèvres ressemblait plus que jamais à un poignard sanglant.

Eden Inferno avait un nouveau jouet et était tranquillement en train de se familiariser avec cette tablette de technologie efferiane en testant un jeu que lui avait montré une de ses Soeurs où, sur un quadrillage, il fallait aligner plusieurs membres qui disparaissaient alors. A vrai dire, c’était plsu prenant que ce qu’elle avait anticipé, aussi lâcha-t-elle un juron des plsu étonnants dans la bouche d’une femme si élégante lorsqu’un message s’afficha sur son écran, bloquant sa partie.
Pourtant, lorsqu’elle l’eut lu, elle se rendit compte qu’il y avait plus intéressant encore que le message lui-même: ses données d’envoi. Alors que la technologie efferianne pouvait localiser le lieu d’envoi de n’importe quel message, la localisation était totalement inconnue, et n’existait pas sur Elysion. On lui avait certifié que cela ne pouvait arriver, et après qu’elle eut contacté la compagnie LutherCorp qui avait vendu cet artefact technologique, elle en eut la confirmation. Un sourire mauvais étira alors ses lèvres si rouges sur sa peau si blanche: la lettre venait d’ailleurs. Evidemment, qu’elle avait entendu parler d’autres mondes. Elle ne pensait simplement pas que l’occasion se présenterait, si belle, sur un plateau.
La jeune femme s’accorda un instant de réflexion, puis commença à taper une réponse.

“De: Nende
A: Judy
Le: 24 Asherien 2786
Posté de: Rhadamanthe

Chère Mère-Grand,

Tu ne peux imaginer la joie qui m’emplit à la lecture de ta providentielle missive. Enfin ! Enfin un signe du Ciel ! Enfin, les Grands Rois répondent à mes suppliques ! Ô Mère-Grand, toi qui a nourri tout Elysion à ton sein, toi qui as fait grandir et sculpté chacun des Minosiens, toi qui es à l’origine de toute la beauté de ce monde, toi qui as si bien su en saisir tous les aspects, tu étais, sans aucun doute, la plus apte à comprendre mes souffrances et mes errances !

Elysion a bien changé depuis ton départ. Tu es présente dans tous les cœurs au quotidien, mais de nombreux Rois et de nombreuses Reines se sont succédé après toi. De nouvelles villes ont été construites, et de nouveaux territoires découverts. Si les peuples ont guerroyé durant des siècles, aujourd’hui, de nombreux traités de paix ont été conclu ; c’est ton influence, j’en suis certaine qui les a motivés. Elysion est un monde en paix, et Minos est un paradis pour ceux qui y vivent.

Mais, Dame d’Ebène, je sais où tu es, car je viens de cet endroit. Je me suis perdue, ô Judy, et je n’aspire, depuis des décennies qu’à retrouver mon monde, mon univers. Je n’ai jamais compris comment j’étais arrivée ici, mais j’ai vite compris que tu étais, de tout leur panthéon, la plus douce, la plus tendre, la plus sage. Je te supplie, ô Mère-Grand, de m’apporter ton aide, j’appelle de mes vœux ta charité. Viens me chercher, je t’en conjure ! Minos est paradisiaque, mais tout me manque de ma vie d’avant, depuis cette explosion qui m’a fait passer dans un portail magique et arrachée à tout ce que j’ai aimé et connu jadis.

Je t’en prie, je t’en supplie, fais-moi signe de nouveau, accepte de venir me chercher, accepte de me ramener chez moi. Si tu me réponds, je t’enverrai des coordonnées où me rejoindre.

Ta dévouée, perdue et désespérée,

Nende.”


Après avoir appuyé sur entrée, elle contacta le Père, et ses Enfants, et reprit sa partie. 4 globes oculaires explosèrent dans un “argh”, créant un combo avec six fémur qui firent “urgh” et trois crânes qui émirent un “iiik”. Satisfaite, elle sourit. Ses points augmentaient vite.

Niveau 253, et des milliers de points accumulés. En déshabillé dans ses draps de soie bordeaux, la Réprouvée passait assidûment les niveaux de ce jeu -elle ne devait pas se laisser battre par ses Frères et Soeurs, qui eux aussi jouaient. Pourtant, cette fois, lorsqu’un message s’afficha et bloqua sa partie, elle ne jura pas, non. Un frisson de joie, sentiment rare, lui parcourut la nuque.
La personne qui se faisait passer pour le Roi Erwin répondait. Et soit elle était d’une naïveté confondante, soit c'était un stratège éclairé. Peu importait. Dans les deux cas, elle l’écraserait.
Si personne n’avait su lui répondre quant au pourquoi ce message lui était arrivé, et si l’expéditeur recevrait sa réponse, cela avait bien confirmé l’existence d’autres mondes qu’elle n’avait auparavant que soupçonnés. Cette nouvelle avait évidemment fait la joie du Père et des autres Enfants, et ils avaient à présent à ce sujet de grands projets. De l’autre côté de ce message, il y avait quelqu’un, de l’autre côté il y avait un monde. Et ce monde leur tendait les bras, il ne tenait qu’à eux de franchir cet espace pour partir à sa conquête. Leur pouvoir ne connaissait aucune limite, associés, ils pouvaient vaincre tous les obstacles. Un monde supplémentaire sous leur contrôle, voilà qui était une belle perspective, voilà qui plairait au Père, voilà qui leur permettrait de lever la plus puissante des armées, voilà qui leur permettrait de faire d’autres conquêtes et de faire, encore et encore, grossir leur empire.
Elle pianota dans le vide un instant, comme pour échauffer ses doigts, puis, d’une main experte déroula sur l’écran la stratégie du Père.

“De: Nende
A: Judy
Le: 27 Asherien 2786
Posté de: Rhadamanthe

Chère Mère-Grand,

Ta réponse m’emplit d’une joie indescriptible. Si tu savais durant combien de temps j’ai guetté un signe ! Merci, Dame d’Ebène, de m’accorder ton inestimable attention.

Je suis si heureuse de savoir que mon monde te permet de continuer à répandre tes bienfaits comme tu l’as fait sur les terres Elysionniennes. Je sais, pour avoir lu les Grands Livres d’Elysion que ton influence a toujours été bénéfique. Comme j’aime le récit de ta tendresse triomphant de Merlin, l’Homme d’Acier de Rhadamanthe ! Comme j’admire la légende de ta négociation pour la paix avec Erwin et Liane d’Eaque ! C’est toujours ta bonté qui a triomphé, et je ne doute pas un instant que le mal succombera face à toi, face à la lumière que tu portes en ton sein depuis toujours. Ta guilde l’emportera et tes proches et toi serez portés aux nues. Peut-être seras-tu canonisée, déifiée, comme tu l’as été ici, Judy ? Mon monde ne pourra qu’être meilleur avec ta présence pour guider la conduite quotidienne de son peuple.

Ma hâte de retrouver ma terre natale grandit à la lecture de chacun de tes mots. Elysion m’a accueillie, évidemment. Les Minosiens sont si gentils ! Mais les toits en or de la ville d’Elysée, la splendeur du marbre du palais, la coquetterie des maisons, même le fantastique, l’onirique pont d’Albus ne suffisent pas à combler le manque qui chaque jour me ronge. Si Hypnos semble toujours s’étendre et sa tour toujours s’allonger, si la capitale semble toujours bruisser plus forts de milliers de voix, rien ne remplacera jamais en mon coeur la langue de mon peuple.

Je t’en prie, Mère-Grand, viens me chercher. Il y a sur Elysion une zone connue de tous pour ses instabilités magiques, et je crois que ce serait pour toi un endroit idéal où arriver. Chaque lune, des phénomènes inexpliqués arrivent au centre du Désert Phobos, qui parcourt (t’en souviens-tu ?), tout Rhadamanthe. Je t’en supplie, retrouve moi à cet endroit, demain, le 28 Asherien.

Je t’attendrai,

Ta fidèle, heureuse et espérante,

Nende.”

Lorsqu’elle fut satisfaite, elle appuya sur envoi, et aussitôt, se remit à son jeu.
Demain, elle se préparerait. Il fallait être parfaite, lorsqu’elle irait dans l’autre monde. Il fallait être sublime, quand elle les soumettrait. Le sourire qui étirait ses lèvres ressemblait plus que jamais à un poignard sanglant.