Désidératas dès potron-minet [Libre]

Le Refuge.
Un lieu hors du monde.
Loin de tout.
Loin des conflits.
Une bulle de douceur.
Pour oublier un temps les traumatismes, les peines, les douleurs.
Comme un manteau sale que l'on accrocherait à l'entrée.

Pour les enfants perdus, les orphelins, les gens souffrant trop intimement pour les hôpitaux.
Un lieu hors du monde.
De paix.

Il était très tôt.
Tout le monde dormait encore, dans une ambiance paisible où même les pires cauchemars semblaient moins violents.
Dans la maison de celle qui avait rendu ce lieu possible, la lumière de la cuisine était allumée. Sur une chaise, la femme était assise.
Cheveux noirs, hirsute, cascadant en bataille jusqu'à la moitié de son dos. Robe noire à bustier, laissant nus épaules et bras. Ses bottes, sous la chaise, avaient l'étrange allure d'avoir supporté des centaines de kilomètres, et d'être parfaitement neuves.
Elle était assise à la table de la cuisine.
Son visage, d'habitude toujours souriant malicieusement, avait l'expression lointaine et sérieuse des jours graves. Ses yeux marrons, d'ordinaire rieurs, étaient profondément cernés, et elle fixait ce qu'elle tenait entre ses mains.

Une bouteille en verre.
Contenant une réplique de navire.
Qui bougeait doucement sous une houle imaginaire, les voiles s'agitant sous un vent inexistant.

La femme était assise dans la cuisine.
Elle attendait.
Sans bouger.
Sans ciller.

Il était très tôt. A vrai dire, les premiers rayons de soleil n’avaient pas encore tout à fait commencé à percer la nuit violette qui entourait le Refuge, mais déjà un chant d’oiseau, au lointain, se faisait entendre. Le petit-matin arrivait, à son rythme, et cela signifiait pour Odéline qu’il était temps de se lever.
Elle sortait toujours très tôt du lit. C’était important, pour elle, car c’était l’un des seuls moments de calme qu’elle avait dans la journée, et qu’elle avait appris à apprécier. Siffroy se levait tôt, lui aussi, et, quelque part, c’était avec lui qu’elle avait pris cette habitude. A sa mort, elle n’était pas parvenue à s’en défaire, mais le début avait été très dur. Se retrouver ainsi confrontée à la solitude lui avait donné la sensation de tomber dans un abîme de vide. Mais aujourd’hui, ça allait mieux. Elle avait déménagé, les lieux étaient moins marqués par l’absence de son défunt mari, de feu son grand amour. La vie avait repris son cours, doucement. Et Odéline se levait toujours très tôt.
Elle glissa ses pieds dans des mules, défit sa tresse du bout des doigts, et rattacha ses cheveux en chignon. Ensuite, elle ouvrit les volets de sa chambre, puis des autres pièces de l’étage, afin de faire entrer la lumière, et ouvrit les fenêtres, afin d’aérer. Sentant un courant d’air frais, elle revint dans sa chambre enfiler une veste légère par-dessus sa chemise de nuit, et en profita pour récupérer l’ouvrage qu’elle lisait en ce moment et qui l’avait suivie la veille au soir jusque sur sa table de nuit. Après un bâillement, elle descendit l’escalier, une main sur la rampe, l’autre sur le livre.
Elle passa aux toilettes, puis se lava les mains, le livre posé en équilibre sur le rebord du lavabo. Elle le glissa ensuite dans une poche de sa veste qu’il alourdissait considérablement et déformait un peu, puis alla ouvrir en bas aussi volets, rideaux et fenêtres. Elle aimait laisser l’air se renouveler dans sa maison, sentir les odeurs du monde encore endormi. Les plantes sentaient plus fort, lui semblait-il à ce moment-là. De plus, on n'était qu’au début de la saison chaude et il avait plu cette nuit (elle avait entendu la pluie tambouriner sur son toit, et un regard sur les pavés de la place principale, vide et brillante de pluie, le lui confirma), aussi les odeurs semblaient décuplées. La jeune femme prit uen grande inspiration, et sourit.
Odéline entra ensuite dans la cuisine, toujours assez mal réveillée. Elle ouvrit la porte en baillant, s’attendant à se retrouver dans le noir. La cuisine étant la pièce où elle commençait véritablement sa journée, c’était toujours la dernière qu’elle ouvrait, passant par toutes les autres avant. Ainsi, son thé du matin ne lui en semblait que meilleur, sa tartine grillée plus croustillante.
Pourtant, ce matin, la cuisine était plongée dans la lumière, le plafonnier allumé. Pourtant Odéline était persuadée qu’elle n’avait rien laissé allumé la veille en allant se coucher. C’était sans doute cette femme assise à sa table et sui tenait dans les mains le cadeau de mariage de Kyril, qui l’avait allumée. la propriétaire des lieux s’apprêta donc à préparer un second thé quand soudain …

*Comment ça, une femme ?*

Et elle s’arrêta net alors que cela la percutait soudain: il y avait une inconnue chez elle, tranquillement installée dans sa cuisine, qui tenait dans ses mains un de ses cadeaux de mariage. Une inconnue étrangement familière, certes, mais …

“Euh … Bonjour ? Pardonnez-moi ces questions, mais … que faites-vous là, comment êtes-vous entrée, qui êtes-vous et que voulez-vous ? Et … pourriez-vous reposer cette bouteille ? j’y tiens beaucoup …”

Odéline, mal réveillée et très surprise ne reconnaissait pas son interlocutrice au premier coup d’oeil. En même temps, ça avait été rapide, et ça commençait à faire longtemps. Elle lui disait bien quelque chose ceci dit ! Pour autant, elle n’en oublia pas son hospitalité, pour aussi incongrue que soit la situation:

“J’allais me faire un thé. Vous voulez quelque chose ? Thé, café, lait chaud, eau, jus de fruit ? Une tartine ?”

Elle n’était pas assez réveillée pour être inquiète, et il fallait croire qu’être bon hôtesse l’aidait à processer cette intrusion à son rythme.

La femme ne réagit qu'aux premières paroles d'Odéline, tournant la tête vers elle avec une expression étrangement assez peu amicale.

- Tu es gonflée, Odéline. Tu vis dans une bulle qui s'agrandit de jour en jour au pas de ma porte, je te signale.

Son expression s'adoucit et elle afficha un sourire.

- Mais je reconnais que c'était impoli de ma part de rentrer dans ta cuisine comme ça. Navrée...
Je prendrais volontiers du thé, merci. Est-ce que le goût est différent à chaque fois ?

La femme souleva la bouteille d'une main, et la fit doucement danser dans les airs, comme une enfant jouant avec une figurine. Les voiles de la figurine de navire bougeaient plus vite, donnant l'impression que le Marikshar volait de nouveau.
Les yeux de la femme restaient fixés sur la reproduction enchantée.

- Je suis venue te demander de me confier cet objet. J'ai besoin d'extraire l'enchantement pour...

Son visage et sa main se crispèrent, ses ongles crissant légèrement sur le verre de la bouteille.
Elle soupira.

- J'en ai... vraiment besoin...

Une bulle ? Mais de quoi parlait-elle donc, et pourquoi cette expression courroucée qui ne lui disait rien de bon ? Odéline regarda la femme en plissant les yeux tout en remplissant sa bouilloire. Bon sang, elle lui disait vraiment quelque chose !
Cependant, quand la femme souleva la bouteille dans les air et la fit bouger dans les air comme une enfant jouerait avec une figurine, l’expression d’Odéline se fit paniquée alors qu’un frison lui parcourut le dos quand l’inconnue fit crisser ses ongles sur le verre.

“Posez-la s’il vous plaît. J’y tiens beaucoup, je le répète.” Fait assez extraordinaire, le ton d’Odéline était un peu ferme, presque dur. “Je ne veux pas vous la confier. J’y tiens beaucoup, je le répète encore, et je ne veux pas prendre le moindre risque d’altérer cet objet qui m’est précieux.”

Elle soupira.

“Si vous voulez étudier mon cadeau de mariage, il faudra le faire chez moi, sous ma surveillance, et me le rendre en parfait état.”

Parfaite minosienne, elle n’imaginait même pas une possibilité où la femme la forcerait à accepter sous la contrainte.

“Et j’aimerais bien savoir … comment êtes-vous entrée et qui êtes-vous ?” insista-t-elle un peu en mettant l’eau à chauffer, et en sortant ses différents thés pour les mettre sur la table devant l’inconnue. “Tenez, choisissez ce qui vous inspire. Ils n’ont qu’un seul goût, mais euh … en fonction de comment vous le laissez infuser, ça change beaucoup.” sourit-elle.

*Eh. Mais … Elle m’a appelée par mon prénom !*

“... On s’est déjà vues, non ?”

La femme écouta Odéline devenir de plus en plus insistante en gardant une expression étonnamment neutre.
L'ombre d'un sourire fit remonter les coins de sa bouche pourtant, lorsqu'elle lui demanda si elles s'étaient déjà vues. Avant de répondre, la femme abattit la bouteille qu'elle tenait délicatement jusque là contre la table dans un mouvement rapide et sec, provoquant un grand bruit... mais absolument aucun dégât sur le verre, ni sur la reproduction enchantée à l'intérieur.

- La tendance d'Alana à vouloir m'arrêter est discutable, mais personne ne peut lui enlever ça ; elle est douée avec ses enchantements.

Elle posa la main sur la bouteille, laissant l'objet sur la table. Elle sélectionna un sachet de thé sans sembler y porter plus d'attention que cela, avant de hausser les épaules :

- Je suis entrée en créant une porte. Rien de transcendant donc.
Tu as déjà entendue parler de moi, ça j'en suis certaine. Mais nous n'avons jamais été présentée face à face. Je te connais un peu plus... c'est que je garde toujours un oeil sur ceux et celles ayant voyagé avec mon navire.

Elle laissa passer un instant, puis soupira avant de reprendre en passant une main devant ses yeux fatigués :

- Écoute... c'est vraiment important pour moi que je puisse accéder à l'enchantement contenue dans cette bouteille...

Odéline commença à bailler mais fut interrompue immédiatement par le mouvement sec de la femme abattant la bouteille sur la table … sans pourtant lui provoquer aucun dégât. Cette dernière partie ne soulageait pas Odéline, qui sentait la moutarde lui monter au nez de manière … fort désagréable et tout aussi inhabituelle. Elle plissa les yeux de amnière fort peu sympathique en direction de la femme, qui, elle gardait une expression bizarrement neutre.
Pourtant, quand celle-ci mentionna Alanna, puis son bateau, elle finit par faire le lien.

“Maeko ! Vous êtes Maeko, celle qui a coincé le Marikshar dans les montagnes !” puis il y eut un instant de flottement et “Vous n’étiez pas chez moi quand Garmyr s’est blessé, par hasard ? On a joué aux cartes, vous avez un petit dragon et un cube, non ?”

L’eau commençant à bouillir, elle servit les tasses et coupa du pain, puis mit du beurre sur la table. C’est que le petit déjeuner n’allait pas se faire tout quel, et, qu’elle ait mangé ou non, il faudrait assurer la journée, peu importait si Maeko lui avait tenu la jambe pendant deux heures de plus.

“Eh bien, important ou pas, vous n'emportez pas mon cadeau de mariage. je vous l’ai dit, si vous voulez l’examiner, ce sera ici, et avec moi. Ou vous demanderez à Kyril et à Alana de vous en faire une reproduction !”

Un peu plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu, elle s'interrompit, et se radoucit en avalant un baillement.

“Et arrêtez de me faire des peurs pareilles en me faisant croire que vous allez le casser. Vraiment.”Odéline regarda Maeko, et lui tendit sa tasse. “Tenez, votre thé. Une tartine ? J’ai des confitures, et des fromages.”

"Maeko ! Vous êtes Maeko, celle qui a coincé le Marikshar dans les montagnes !”
La femme hocha la tête, un embryon de sourire qui ressemblait à celui qui lui était plus habituel étirant ses lèvres.
“... Vous n’étiez pas chez moi quand Garmyr s’est blessé, par hasard ? On a joué aux cartes..."
Le sourire se fit plus malicieux, alors qu'elle semblait se remémorer l'épisode
"...vous avez un petit dragon..."
Le sourire disparut et se transforma en grimace. Elle eut un mouvement de retrait sur sa chaise, comme si elle venait de recevoir un coup de poing en plein ventre.
Elle ne sembla pas entendre le reste des paroles d'Odéline, luttant visiblement pour garder le contrôle de ses émotions.

"... une reproduction."
Ses poings ne se desserrèrent qu'à ce mot, laissant apparaître une plaie sur la paume qu'elle gardait posée contre la bouteille, saignant légèrement là où ses ongles venaient de percer la peau.
Elle paraissait plus tendue, tout à coup, mais accepta le thé avec un "Merci" à peine plus fort qu'un murmure, et refusa les autres propositions de petit-déjeuner d'un mouvement de main.
La femme finit par inspirer à fond et par fournir une once de début d'explication :

- Ta bulle est trop protégée et trop instable pour que je fasse une reproduction ou ce que je dois faire avec ton... cadeau de mariage ici, Odéline.
Je ne veux pas le détruire, je veux juste récupérer l'enchantement qui le relie au véritable Marikshar... le détourner pour... retrouver la trace de quelqu'un qui m'est cher. Ça ne changera rien pour toi, mais j'ai préféré venir te demander la permission. Tu as aidé le petit à récupérer notre navire. Tu mérites cette politesse.

Odéline nota, surprise, les différentes récations de la femme, au visage soudain très expressif. Manifestement, le sujet du petit dragon était douloureux, sans qu’Odéline ne sache pourquoi exactement. Elle s’empressa de servir son thé à Maeko, avant d’elle-même s’asseoir et commencer à préparer son petit-déjeuner en écoutant les explications de celle qui s’était dans le plus grand des calmes introduites chez elle. Finissant de beurrer une tartine avec soin, elle demanda:

“Qu’est-ce que vous voulez dire par “ma bulle” ?”

Elle finit d’étaler la matière grasse, et attrapa la marmelade d’agrumes.

“Je comprends que vous en ayiez besoin, mais … ca m’embête par rapport à Kyril. Pourquoi vous l’appelez “le petit” d’ailleurs ?” demanda-t-elle dans un sourire. “Qui avez-vous besoin de retrouver, et comment l’enchantement de mon cadeau de mariage pourrait-il vous y aider ?”

Curieuse, elle n’avait aps tout à fait l’intention de laisser Maeko filer sans quelques explications.

La femme but une gorgée de thé, son regard un peu dans le vague dirigé vers la bouteille en verre sur la table.
Elle soupira et ferma les yeux un instant, comme si elle cherchait ses mots.

- Cet endroit est une bulle, Odéline. Gonflée par la magie de Séléné comme une baudruche sur le tissu de la réalité. Une fausse manip, un sort de trop et pop ! Tout le monde se retrouve à l'entrée dans une joyeuse pétarade.
Ta bulle déborde aussi jusque devant chez moi, mais c'est un autre sujet...

Le thé semblait l'apaiser un tantinet.
A la mention de Kyril, elle ne put s'empêcher de sourire et elle plongea son bras entier dans son sac, le ressortant finalement avec une photo entre les doigts, qu'elle fit glisser sur la table vers Odéline. On y voyait un petit renardeau assis, la fourrure rousse et blanche légèrement ébouriffée comme s'il venait de courir partout, un bout de langue sorti de sa gueule et les yeux fermés, l'expression joueuse évidente. Surtout, il avait deux belles queues touffues sans sous-entendus d'aucune sorte et qui paraissaient flamboyantes.

Spoiler:

- Il n'est pas beaucoup plus grand aujourd'hui, malgré ce qu'il semble croire.

Son sourire se fit un peu plus lointain, alors qu'elle se perdait dans ses souvenirs un instant.
Puis, la femme retrouva son sérieux, et plongea son regard dans celui d'Odéline

- Combien de fois est-ce que tu utilises l'enchantement contenu dans cette bouteille, Odéline ?

Une fois la marmelade sur le pain beurré, elle croqua à belles dents dans sa tartine en écoutant les explications de Maeko avec une mine aussi circonspecte que possible quand on est mal réveillée et qu’on prend son petit-déjeuner tout à la fois. Odéline savait bien que son orphelinat était un peu dopé à la magie, mais elle n’avait pas vraiment pensé à ce qui se passerait en cas d’une fausse manipulation.

*Et il ne vaut peut-être mieux pas y penser …*

Se reconcentrant sur son interlocutrice, elle déglutit, puis posa sa tartine afin d’attraper sa tasse de thé. Elle voyait bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez Maeko, sans pouvoir réussir à mettre le doigt dessus. Cepejdant lorsque la femme lui tendir une image d’un petit Kyril, Odéline se sentit fondre devant tant de mignon rassemblé au même endroit, et ne put s’empêcher d’émettre une série de bruits mignons proche du piaillement inaunible.

“Oh qu’il est mignon ! A croquer ! Vous l’avez connu comme ça ?” s’enquérit-elle.

Puis Maeko lui demanda très franchement son utilisation de l’enchantement. Odéline fronça les sourcils.

“Comment ça ? Je regarde la bouteille tous les jours pour m'assurer que le navire est en bon état, et que Kyril est en sécurité … Et je m’en sers quotidiennement, pour raconter des histoires aux enfants. Je leur imagine les aventures extraordinaires du vaisseau, modifiées en fonction de ce qu’on voit dans la bouteille. Il y a un autre enchantement à l'œuvre encore ?”

Les vibrations acoustiques provoquées par les piaillements d'Odéline, à la vue de la photo d'un Kyril tout mignon choupinet, semblèrent faire vibrer la silhouette de la femme sur place.
Elle ferma les yeux un instant, comme si elle souhaitait résister à une vague de nostalgie, puis sourit :

- Oui, il était petit comme ça quand je l'ai rencontrée...

Elle secoua la tête et écouta la propriétaire des lieux expliquer ce qu'elle savait de l'enchantement du navire miniature. Il y eut un silence perturbant après sa question, durant lequel la femme but lentement de son thé. Son sourire avait disparu, et elle fixait sans ciller Odéline. Finalement, elle laissa échapper un soupir :

- Hmmm... Il n'aurait pas voulu que je mente à ce sujet...
Oui, Odéline, il y a un autre enchantement. La connexion qui existe entre le Marikshar et cette reproduction permet non seulement à la miniature de reproduire l'état du navire et ses mouvements dans la bouteille, mais permet aussi de créer un conduit permettant de transmettre un message, d'envoyer... une lettre par exemple. Une bouteille à la mer contient souvent un message, après tout...

La femme ferma les yeux un instant pour se masser l'arête du nez. A la voir aussi lasse, il était difficile de deviner qu'elle était un concentré d'énergie chaotique en temps normal.

- C'est... ce second enchantement que je souhaite hacker et détourner. Cela va certainement le supprimer de la miniature au passage.

Concentrée sur la photo, Odéline n’avait pas perçu la vibration de la femme à ses cris sur-aigus. Cependant, ses propos retinrent toute son attention, alors détournée de l'image de mini-Kyril (pourtant tout à fait fascinante). Elle fronça les sourcils, autant face aux propos de Maeko que face à sa lassitude. Pourquoi diable Kyril ne lui avait rien dit ? Et était-il possible qu’elle ait loupé un message ? Elle déglutit, assez lentement.

“Maeko … Qui as-tu perdu ?” demanda alors Odéline, qui était d’instinct passée au tutoiement.

Elle ne pouvait que supposer que c’était quelqu’un de très important au vu de la manière dont la femme sembalit se démener pour pouvoir le contacter. Pour autant, elle n’était pas certaine de pouvoir l’aider. La relation entre Maeko et Kyril smebalit chaotique, et Odéline n’était pas certaine que son ami apprécierait qu’elle donne à la femme ce qu’elle cehrchait (car qui diable pouvait prévoir ce qu’elle allait bien pouvoir ne faire ?). La jeune femme laissa son regard dériver vers la bouteille, toujours posée près de Maeko. Du bout des doigts qui n’avaient pas touché la tartine, elle le affluera, se demandant ce que pouvait vivre Kyril en ce moment même, s’il pensait à elle lui aussi, et si cette bouteille contenait un message qu’elle aurait loupé. Et si elle ne contenait rien … Se pouvait-il que Kyril l’ait simplement oubliée ? Ou bien avait-il un problème ?
Fermant fort les yeux, pressant ses paupières l'une contre l’autre, elle fit en sorte de chasser cette idée horrible. Non. Kyril allait bien, comme le lui prouvait le Marishkar en parfait état dans la bouteille, et il ne l’avait pas oubliée, ne l’avait pas éjectée de sa vie. Il était juste pris par ses aventures. Tout simplement. Oui. Tout simplement.

“Et … est-ce qu’on ne pourrait pas demander à Kyril et Alanna leur aide, via l’enchantement, plutôt que de détourner et abîmer leur cadeau ?”

Non, c’était faux, Odéline ne voyait pas du tout là une occasion de recontacter Kyril.

La femme se figea entièrement en entendant la question d'Odéline portée par ce tutoiement. Elle se crispa comme si elle venait de recevoir un coup de poignard en plein cœur, et une ombre passa dans ses yeux, terrible et implacable, celle d'un être prêt à tout pour accomplir une seule et unique tâche, s'animant de sa seule détermination pour la mener à bien.
Sa voix était pourtant basse et presque timide, comme une enfant perdue ou prise en faute, lorsqu'elle répondit :

- J'ai perdu mon ancre... ma lumière... mon Lampion...

Elle eut un mouvement de poitrine, comme un sanglot sans larmes, ou comme si dire ces quelques mots à voix haute venaient de lui déchirer quelque chose à l'intérieur du corps.
Soudain, son expression se ferma, et son regard était trop parfaitement neutre lorsqu'elle secoua la tête

- Je dois le retrouver. Je sais que je peux le retrouver. Mais j'ai besoin de ça. Elle montra de la main le navire dans sa bouteille. Kyril et Alana ne peuvent pas m'aider. Ne voudront pas m'aider. Surtout Alana... elle est trop attachée à sa foi envers l'ordre naturel des choses pour m'aider. Pah ! Si elle savait !

La femme secoua vivement la tête, ses cheveux volant autour d'elle.
Elle reprit sa position initiale et plongea son regard dans les yeux d'Odéline :

- Je t'en prie, Odéline. Y a-t-il quelque chose que je peux t'offrir en échange de cet objet ?

La douleur fut soudaine, visible, perçante. odéline ne pouvait passer à côté, et ne pouvait qu’être touchée par ce qu'elle voyait. Elle sentit sa détermination chanceler, se fissurer face à ce qu’exprimait Maeko dans sa voix, dans son corps, dans son regard, dans ses mots.
Odéline connaissait la douleur de la perte, et elle ne la souhaitait à personne. Sauf qu’elle, elle ne pouvait en aucun cas espérer retrouver l’amour perdu. Elle serra les lèvres un instant, tentant de chasser la tristesse qui l’étreignait soudain, la gangue qui menaçait de lui faire exploser le coeur.

Un soupir.
Une inspiration.
Un battement de paupières.

Odéline retrouva un sourire, son regard plongé dans celui de Maeko. Elle lui sourit.

“Tu peux me permettre de revoir mon ami Kyril. En lui demandant de nous aider.” Elle fit une petite pause, et reprit: “J’ai entendu ce que tu as dit. Mais personne ne peut rester indifférent à une telle douleur; Tu crois que si Kyril perdait Alanna il ne remuerait pas ciel et terre comme tu le fais ? Et que si Alanna perdait Kyril elle resterait indifférente ? Je suis persuadée du contraire. Comment peut-on parler d’ordre naturel des choses quand on voit ce qu’on traverse ? On influe tous sur ce qui se passe. Et si l’ordre naturel des choses était très justement que tu retrouves Lampion ?” Elle prit la main de Maeko. “Je suis certaine qu’on pourrait les convaincre. Moi aussi j’ai perdu un être cher, que je ne pourrai pas retrouver. J’ai besoin de mes amis, parce que je n’y arrive pas tout le temps. Et Kyril fait partie de mes amis. Mais je ne suis même pas sûre qu’il sache qu’il y a eu la guerre, qu’il sache que Siffroy est mort …”

Se rendant compte qu’elle tenait la main de Maeko fermement, alors qu’elle la connaissait à peine, elle la lâcha.

“S’il te plaît Maeko.” ajouta-t-elle pourtant.

La femme écouta Odéline sans beaucoup réagir, mais retira un peu brusquement sa main lorsque la propriétaire des lieux la lâcha.
Elle ferma ensuite les yeux, se pinça l'arête du nez et soupira.

- La vue que tu as d'eux est vraiment... rafraichissante. Naïve, aussi.
Je... ne peux pas te permettre de revoir Kyril. Le risque qu'ils tentent de m'arrêter est trop grand. Et sans Lamp... Elle s'arrêta une fraction de seconde avant de reprendre. C'est un risque que je ne peux pas me permettre de prendre.

Elle pointa du doigt le navire dans sa bouteille, son regard devenant lointain comme si elle regardait autre chose qu'un bel objet de décoration.

- Tu peux leur envoyer un message, tu sais ? La miniature est reliée à l'original, et la configuration des voiles me dit que le Marikshar est en train de naviguer actuellement. Ils sont donc à bord et susceptibles de recevoir ta lettre.

Odéline fit la moue aux paroles de Maeko. Elle ne voyait pas Kyril et Alanna comme la femme face à elle les voyait, c’était évident. Il semblait tout aussi évident que son “invitée” ne cèderait pas. Le problème, c’était qu’Odéline non plus n’avait aucune envie de céder. La jeune femme comprenait très bien que Maeko craignait de ne pas retrouver Lampion, et que Kyril et Alanna contrecarrent son projet. cependant, elle n’avait aucune envie de sacrifier le seul lien qu’elle avait encore à son ami, un de ses derniers amis, là où il suffisait de demander à Alanna pour pouvoir reproduire cet enchantement … Ou simplement, de le chercher ailleurs !
Cependant, Maeko lui donna une nouvelle information, qui lui fit hausser les sourcils.

“Un … Un message ? Mais comment ? En le glissant dans la bouteille comme dans une boîte aux lettres ?”

Son visage exprimait sa surprise. En creux, elle se demandait aussi s’il était possible qu’elle ait loupé des messages par ce biais.

La femme haussa les épaules, expliquant comme si elle énonçait là une évidence :

- Bien sûr. Ils ne t'ont pas dit que tu pouvais utiliser cette bouteille pour leur envoyer des lettres ?

Elle leva un sourcil, mi-surprise, mi-amusée par l'idée. Puis, elle soupira.

- Si tu dois les contacter... je te demande juste de ne pas leur dire que tu m'as vue. Je n'ai pas envie de les affronter. Pas... maintenant.

Odéline, ébahie par la réponse de Maeko ne sut pas quoi répondre et resta simplement là, bouche bée à regarder la bouteille. Un poisson hors de l’eau.
Elle craignait plus que tout d’avoir loupé des messages de Kyril et Alanna. Elle ne se souvenait absolument pas qu’on lui ait parlé de ça (et en même temps, sa journée de mariage avait été si dense qu’il était possible que des informations soient passées à travers les mailles du filet, depuis le temps …). Elle soupira, et regarda Maeko, son visage reprenant peu à peu contenance.

“Je ne … me souviens pas de ça, en tous cas.” soupira Odéline. “Mais pourquoi voudraient-ils t’affronter, Maeko ? Il ne vous serait pas possible de simplement … Discuter et faire la paix ?”

La jeune femme avait du mal à comprendre ce qui pouvait sous-tendre une telle relation qui semblait profondément abîmée. Elle était persuadée que tout pouvait se réparer. Et elle ne voulait pas s'avouer vaincue, pas déjà ...

La réaction d'ébahissement d'Odéline fit rire la femme, comme malgré elle.

- Huhu... Imagine donc ! Ils ont du attendre tes lettres, et penser que tu les avais oubliés !

Elle secoua la tête. La femme avait l'air de parfaitement s'imaginer la scène, et de s'en amuser beaucoup.

- Avec Alana qui prône la séparation des mondes, elle a du refuser que Kyril te recontacte. Et comme il ne sait pas dire non à sa Dame...

Elle retrouva doucement son sérieux, observant la reproduction enchantée de son navire dans la bouteille pendant un moment.

- Ils veulent m'arrêter, c'est tout. Mais je ne vais pas abandonner mes projets simplement car ils pensent que c'est une erreur, voire un blasphème pour certains...
La paix, c'est bien beau, mais elle n'entre pas en ligne de compte.

A ce qu’évoquait Maeko, le visage d’Odéline se décomposa alors qu’elle se sentait soudain paniquer. Pourtant, immédiatement, Maeko la rassura (à sa propre manière, certes, et peut-être bien involontairement). La panique reflua un peu, et Odéline fronça les sourcils.

“Alana peut prôner ayant qu’elle le voudra la séparation des mondes, il n’empêche qu’actuellement Elysion et d’autres mondes ne cessent d’entrer en collision ! Les portails en ont bien la preuve …” soupira-t-elle. “Aëlia peut en témoigner … Et on a tout intérêt à entrer en contact avec nos voisins non ? Cela ferait tant de connaissances en plus ! Et puis, cela peut permettre de construire une paix inter-mondes, d’empêcher des invasions … Comme est-ce que cela pourrait ne pas entrer en ligne de compte ?!” Elle soupira. “Je ne comprends pas qu’on veuille séparer les mondes, alors qu’eux-mêmes n’en ont manifestement pas envie. Sais-tu … pourquoi Alana est de cet avis ?”

Odéline aurait bien demandé ses projets à Maeko, mais elle avait comme un doute sur le fait que la femme lui réponde.

“Pourquoi retrouver Lampion serait une erreur ou un blasphème ? Quels sont tes projets Maeko ?” finit-elle par demander, finalement, se jetant à l’eau.

Puis, Odéline but une gorgée.

La femme eut un geste évasif de la main.

- Alana n'est pas sans contradictions. Ni hypocrisie. Elle prône la séparation des mondes, mais elle-même a bien profité de ce genre de voyages...
Enfin bref... ils veulent m'arrêter. Et je ne veux pas m'arrêter. Au final, pas besoin de chercher plus loin.

Elle fit une pause lorsqu'Odeline lui posa cette dernière question et, pour la première fois depuis un moment, elle retrouva son sourire malicieux habituel le temps de dire :

- Huhu... Bien essayé.
Mon projet et retrouver Lampion sont deux choses différentes, et je dois faire le second avant de reprendre le premier. Je suis poursuivie pour le premier, et ne peux donc pas demander d'aide ailleurs qu'ici pour le second, sous peine de me voir empêchée de faire l'un et l'autre.

Évoquer Lampion lui vola son sourire.
Le silence retombant, la femme observa Odeline, guettant sa réaction.

Odéline eut une grimace en mâchonnant sa tartine. Personne n’était exempt de contradictions, elle la première. Elle ne pouvait s’empêcher, pourtant, de repasser en boucle ses rares entrevues avec Alana, et ses moments avec Kyril, ce qu’il lui avait dit, à la lueur de ce que racontait Maeko. C’était un miroir un peu étrange, légèrement déformant, et elle n’était pas certaine d’aimer ce qu’elle y voyait.
Elle déglutit, prit un peu de thé. Elle arrivait à la fin de sa tasse, et hésitait à s’en resservir une. En même temps, la discussion n'arrivait-elle pas elle aussi à son terme ? Elle posa un peu brutalement sa tasse, tout en étant rassurée par le sourire de son interlocutrice qui disparut pourtant bien vite.
Embêtée, Odéline pinça les lèvres un instant, soupira, regarda Maeko, termina sa tasse d’un trait.

“Je suis désolée Maeko. Mais je ne peux pas prendre le risque de perdre mon seul lien à Kyril. Je veux bien t’aider, mais à mes conditions. Il faut passer par Kyril et Alana. Je suis persuadée que la situation peut être résolue autrement que selon ce que tu imagines. Si on se heurte à un refus complet de leur part, alors j’envisagerai autre chose.”

Peu habituée à tenir un tel discours, Odéline avait la voix étonnamment ferme et le visage un peu fermé, décidée à ne pas se laisser attendrir, malgré son envie de toujours tout céder.

La femme ferma les yeux plusieurs secondes. Lorsqu'elle les rouvrit pour plonger son regard dans celui d'Odéline, il y avait une forme d'acceptation - et de froideur aussi - dans ses yeux.

- Soit, Odéline. Ta maison, tes règles.

Elle se leva, serra son sac contre elle.

- J'espère juste que c'est la bonne décision. Je vais rester dans les parages quelques jours. Si tu dois les contacter avec la bouteille, je te demande juste de ne pas mentionner m'avoir vue. C'est important.

Qu’est-ce qui surprit le plus Odéline: sa propre fermeté ou la capitulation de Maeko ? Un instant interdite, elle resta muette, histoire de dénigrer sa propre victoire. Clignant des yeux, il lui fallut plusieurs secondes pour complètement intégrer la nouvelle: elle allait reparler à Kyril, ou au moins essayer. Elle allait retrouver son ami.
Elle sourit à Maeko, incapable pour l’instant de contenir sa joie, mais faisant tout son possible pour ne pas la rendre trop éclaboussante.

“Merci Maeko. Je ne leur dirai pas en les contactant ne t’inquiète pas. Et je ferai tout mon possible pour te procurer un enchantement comme celui-ci, je te le promets.”

Elle se leva face à elle.

“Tu sais où me trouver. Pense simplement à toquer, la prochaine fois.” glissa-t-elle dans un sourire.

Elle savait déjà que son esprit serait occupé toute la journée, à tenter de savoir s’il y avait déjà un message dans la bouteille, et à trouver quoi dire à Kyril, et à Alanna, quoi leur demander. Ce serait une très longue journée, elle n’en doutait pas. Mais étonnamment, cela lui avait fait plaisir de revoir l’étrange femme. Comme une forme de normalité qui revenait par cette intrusion …

La femme semblait songeuse, et le sourire et la joie d'Odeline glissèrent sur elle sans faire de pli.
Elle revint au présent un instant pourtant, visiblement surprise par la promesse de la maîtresse de maison de tout faire pour trouver un enchantement similaire à la bouteille, le cas échéant.

- ... Merci...

Son éternel sourire malicieux refit surface quand Odeline lui demanda de toquer la prochaine fois.

- Huhu... Promis. Tu peux aussi m'appeler en prononçant mon nom trois fois devant un miroir si besoin.

Elle fit un clin d'oeil à Odeline et se dirigea vers la porte, sortant sans plus de chichis ni d'explications. Elle disparut vers la sortie du Refuge.