Désidératas dès potron-minet [Libre]

Odéline regarda le phénomène qu’était Maeko disparaître, un peu songeuse encore, puis se secoua et mit en branle, un peu en retard, son rituel matinal. Avant qu’elle n’ait eu le temps de dire ouf, elle était déjà à l’orphelinat à distribuer baisers, petits déjeuners, câlins et mots doux, et c’est toute la journée qui s’enchaîna ainsi. Pourtant, à chaque instant de calme fugace, Kyril s’imposait. Son visage roublard semblait lui sourire dans son esprit, et elle essayait d’imaginer ce qu’il avait pu vivre depuis elle.
Comment pourrait-elle ne pas le barber avec son quotidien routinier, lui qui devait vivre mille tumultes avec Alanna ? Cette question la hantait. Il l’avait quittée jeune mariée vagabondant au gré de ses envies, il allait la retrouver veuve responsable d’une centaine de personnes, des enfants plein les pattes et aucune aventure dans son sac … Elle craignait de le décevoir. De ne plus être conforme à celle qu’il avait connue. Et en même temps, elle mourrait d’envie de le contacter, de partager de nouveau, avec lui. De goûter à son second degré, à son ironie, à son regard décalé, à sa sagesse amusée. De rattraper tout ce temps bêtement perdu.
Mais lui, l’avait-il attendue ? Et s’il lui avait envoyé des missives pendant tout ce temps, sans qu’elle le sache ? Et s’il croyait qu’elle l’avait oublié, lui en voulait ou pire, était morte ? Était-il au courant de la guerre de l’Ombre ?
Et à chaque accalmie, cette foule de questions revenait tempêter sous son crâne, la rendant folle d’angoisse et d’excitation, mais aussi un peu migraineuse. Lorsqu’arriva enfin l’heure où, les enfants couchés, elle rentra chez elle et put s’attabler à son bureau, elle avait déjà écrit des dizaines de brouillons dans sa tête.
Pourtant, une fois assise, face à la feuille, plume à la main … Rien. Impossible.
Lorsqu’elle ouvrit la bouteille pour n’y découvrir aucun message, la situation empira. Kyril n’avait donc même pas essayé de la contacter … Sentant monter les larmes de frustration, elle finit par chiffonner la feuille déjà toute raturée, et partit se faire un thé. Se massant les tempes, elle se força à le boire tranquillement sur un fond de musique douce, et à essayer de faire le vide, de se détendre, de ne plus penser. Elle voulait simplement se laisser voguer, dériver. peu à peu, sa respiration s’apaisa, son mal de tête se fit plus lointain. Elle sentit ses épaules se décrisper un peu.

Elle était prête.

Odéline retourna à son bureau, expira doucement, et posa la plume sur le papier. Les mots coulèrent avec une certaine facilité, liés par son écriture rondelette.

“Kyril,

J’espère que tu vas bien, et qu’Alana aussi. J’ai découvert récemment que ton cadeau renfermait un second enchantement et que l’on pouvait communiquer … Peut-être que tu me l’avais dit, je ne sais plus. En tous cas, si tu me l'avais dit, ça s’est perdu avec la foule d’informations de ma journée de mariage, je suis désolée.
Beaucoup d’années ont passé, Elysion a essuyé une nouvelle guerre, je suis devenue veuve et j’ai monté un orphelinat, mais je ne t’ai pas oublié. Tu m’as beaucoup manqué, et tu me manques encore, et j’aimerais pouvoir te revoir, ou au moins communiquer un peu avec toi, ce qui explique cette missive. J’espère que tu vas bien, que tu as vécu de belles aventures. Je me régale chaque jour de la vue de ton navire dans sa bouteille, et cela fait le bonheur des enfants pour lesquels j’invente des aventures dont tu es le valeureux héros. Je suis certaine qu’elles n'arrivent même pas à la cheville des vraies, mais tant pis !
On m’a récemment dit que l’enchantement lié à la bouteille pouvait peut-être permettre de retrouver des disparus, et entre la guerre et les portails sauvages, ce n’est pas ce qui nous manque … Crois-tu qu’il serait possible de dupliquer cet enchantement sans abîmer ce cadeau merveilleux ?

En espérant te retrouver bientôt,

Ta dévouée,

Future Déesse du savoir.”

Après une dernière relecture, elle glissa la lettre dans la bouteille, qu’elle referma ensuite. Souhaitant de tout son coeur que le message arrive à bon port, elle ferma très fort les yeux dans une forme de prière. Puis, elle éteint une à une chaque lumière, et alla se glisser entre ses draps, essayant de trouver le sommeil, aidée par la lecture d’un livre pour se distraire de ce qui l’occupait tant.

A peine entrée dans la bouteille, la lettre d'Odéline se met à briller, puis à rapetisser, jusqu'à n'être plus qu'un minuscule point lumineux qui volette jusqu'à la miniature enchantée du navire, disparaissant vers l'une des écoutilles.
Le message était délivré.

Quelques heures plus tard, peu avant l'aube, il y eut un bruit curieux - comme un "plop" ! - et la lettre réapparut, sortant enroulée de la bouteille avec force, finissant au sol.
La même lettre envoyée par Odéline.
Avec un message en plus, griffonné à la hâte et en très gros au verso du message.

Sans trop savoir quand, Odéline avait fini par sombrer dans le sommeil. Assise, la bouche entrouverte, sa poitrine se soulevait à un rythme régulier tandis que ses paupières tremblaient au rythme des mouvements de ses yeux alors qu’elle rêvait. Dans sa main, abandonné sur le couvre lit, il y avait encore son livre, ouvert. Elle s’était manifestement endormie en plein milieu d’une phrase.
C’est peu avant que le soleil ne se lève qu’un curieux bruit l’éveilla en sursaut. De la bouteille posée sur sa commode venait de jaillir la lettre qui reposait à présent sur le sol. Il fallut à peine un instant à Odéline, qui ne se souvenait pas de s’être endormie, pour se remettre les idées en place. Lorsqu'elle réalisa qu'une lettre était arrivée, elle fit en sorte de sortir si vite du lit qu’elle se prit dans les draps, s’emmêla et tomba sur le plancher. Après avoir gémi de douleur et grogné de frustration elle parvint à s’extraire de sa prison de tissus au prix de contorsions tout à fait ridicules, et à se remettre sur pied.
Immédiatement, elle courut jusqu’à la lettre, qu’elle ramassa, fébrile, avant de la décacheter, et de découvrir … sa propre lettre. Sentant les larmes lui monter aux yeux de déception et de tristesse, elle essuya rageusement ses yeux d’une main tremblante en se demandant ce qui avait bien pu se passer: Kyril était-il furieux qu’elle ne l’ait pas contacté avant et avait renvoyé sa lettre ? N’était-il plus sur le navire ? Etait-il … mort ? Les jambes coupées par tant d’émotions si rapides, elle se laissa tomber sur le fauteuil de sa chambre, lâchant la lettre, qui révéla alors son dos et le message qu’elle avait loupé seuls les Grands Rois savaient comment.
Remarquant alors ces deux mots, elle fronça les sourcils, et récupéra la lettre. Armée de sa plus belle plume, elle écrivit “Odéline Belgan, Elysion” et y ajouta son empreinte digitale, dans le doute. Puis, elle royal la lettre de nouveau, la recacheta, et la remit dans la bouteille, tout en s’identifiant à voix haute se demandant bien comment cela fonctionnait.
Puis, elle regarda l’heure, et soupira. Il était trop tard pour qu’elle se rendorme sereinement, et de toute façon, elle était trop excitée et intriguée à présent. Alors, elle entreprit d’enlever son pyjama, se changer, enfiler ses chaussons, ouvrir ses volets puis enfin, de descendre prendre son petit déjeuner sans se départir de sa bouteille.

A mesure qu'Odéline faisait sa routine matinale, la lettre enfermée dans la bouteille se mit à briller, rapetisser avant de disparaître au fin fond de la miniature. La première réaction fut que les voiles de la reproduction enchantée du navire se ferlèrent, et que le léger tangage qui reproduisait les mouvements du véritable Marikshar, quelque part dans un autre monde, se figea également.
Puis...
Plop !
La lettre surgit une nouvelle fois de la bouteille comme un diable hors de sa boite, atterrissant sur la table au milieu des tartines.

C'était toujours la même lettre, qui commençait à avoir quelques marques de brûlures magiques en raison de son exposition répétée à un enchantement complexe, et un peu froissée de ses vols successifs, surtout des atterrissages dans des tartines.
Un nouveau message avait été écrit juste après le nom signé - et empreinté - d'Odéline.

Et soudain, lorsqu'elle s'apprêtait à croquer dans sa première tartine, une lettre réapparut, atterrissant pile au milieu de son assiette et se recouvrant ainsi comme une grande de confiture. Odéline jura, maugréant avec toujours la tartine entre les dents, et s'empara du papier.
Manifestement, ils en faisaient des économies sur le Marikshar car c’était toujours sa lettre, de plus en plus brûlée par le transport qui lui revenait, avec un autre mot dessus ! La tartine beurrée et confiturée toujours entre les dents à moitié croquée, elle débarrassa la lettre de la marmelade dans laquelle elle avait trempé et avec un sourire s’imagina Kyril en diplomate des plus guindés, en costume et bardé de médailles. Elle finit de croquer sa tartine, reposa la lettre et reprit le pain dans une main pour lâcher tranquillement. Un sourire roublard aux lèvres, elle pesait le pour et le contre à laisser la bouteille là où elle était et à se régaler de voir son ami atterrir en plein dans le beurre.
La perspective était plaisante et la scène hilarante dans son esprit, condensant elle renonça. Pourquoi ? Certainement pas pour épargner Kyril (après tout, cela lui aurait fait du beurre à manger, et tout le monde aimait le beurre), mais pour épargner sa table. En effet, son ami n’avait plus grand chose à voir avec l'adorable renardeau montré la veille par Maeko, et vu sa taille, son poids et la puissance de la propulsion de ce qui sortait de la bouteille … Il y avait de bonnes chances que la table cède. C’aurait été dommage, d’autant qu’elle n’en avait pas d’autre, que ça ferait du bazar et qu’il faudrait ensuite tout nettoyer.
Elle exécuta donc la consigne et plaça la bouteille au milieu de la pièce tout en allant réparer le thé préféré de Kyril. Elle avait toujours sa tartine à la bouche, la reprenant à la main dès lors qu’elle avait croqué dedans, la remettant entre ses dents dès qu’elle avait dégluti et besoin de dégager ses mains.
Il ne lui restait plus qu’à attendre.

A aucun moment Odéline ne s’imagina que le message pouvait être sérieux, et que quelqu’un ou quelque chose d’autre que Kyril pouvait jaillir soudain au milieu de chez elle au petit matin.

Zap ! Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz !
Crac !
Kapoué !

L'étrange série de sons provenait de la bouteille posée au sol, ressemblant à des craquements d'origine électrique.
Petit à petit, une lumière bleutée apparut dans la miniature du navire enfermé à l'intérieur de la bouteille, qui alla en gagnant en intensité jusqu'à soudain jaillir dans un petit éclair, traversant l'air pour se fixer à un bon mètre au-dessus du sol. S'élargissant en tourbillonnant de plus en plus vite jusqu'à former un anneau vertical grand comme un miroir sur pied, la lumière crépitait en émettant un vrombissement de plus en plus aigu. Des éclairs remplirent le centre d'une lueur blanche et laiteuse - d'aucuns diraient, brumeuses - et Odéline se retrouva avec un portail au milieu de sa cuisine.

Quelque chose fit ballotter le portail et, tout à coup, une silhouette humanoïde apparut... avant de s'écrouler face contre terre dans une magnifique chute !
C'était une femme, assez fine et élancée, vêtue d'une combinaison verte foncée la recouvrant de la tête aux pieds, ainsi que d'un drôle de masque à visière et respirateur lui cachant le visage, mais laissant libre ses longs cheveux noirs et bouclés.
La femme émit un "Ow..." étouffé alors qu'elle avait la tête contre le plancher, avant de se redresser lentement, regardant autour d'elle, sa visière et son masque cachant son expression. Elle se figea en découvrant la cuisine, Odéline et les tartines.

- Okay... ça a l'air respirable ici. Bonjour bonjour ! Je viens en paix, rassurez-vous ! Un moment, je vous prie...

Elle se releva sur ses jambes, épousseta sa tenue avant de trifouiller un côté de son masque, parvenant finalement à l'enlever pour révéler son visage.

La femme ôta son masque, révélant son visage aux jolis yeux marrons, à la peau pâle et à la bouche qui semblait figée dans un sourire malicieux.
Elle fit face à Odéline et s'inclina poliment.

- C'est bien vous qui avez envoyée une lettre par ce petit artefact ? Si ce n'est pas vous, navrée de vous avoir sans doute fait peur.

Un bip sonore l'interrompit, et elle jeta un œil à l'appareil qu'elle avait à son poignet. Elle appuya sur plusieurs boutons à sa surface, avant de re-focaliser son attention sur Odéline, souriant poliment.

Il y eut toute une série de sons étranges, ressemblant un peu à ceux de certains cristaux efferians quand on les mettait trop près les uns des autres (selon Odéline en tous cas), et peu à peu, la bouteille émit de la lumière qui se transforma en portail brumeux qui aurait tôt fait d'engloutir les tartines (qu’Odéline protégea d’ailleurs par réflexe). Et soudain, un truc vert s’effondra du portail.

*Un sapin mou ? Pourquoi Kyril est devenu un sapin mou ?*

Odéline se rendit très vite compet cependant que ce n’était pas un sapin mou, mais bien un humain (une femme, si elle en croyait ce que lui montrait la combinaison). Par contre les boucles brunes ne ressemblaient pas à Alana (ou alors elle avait fait une sacrée couleur), et le corps ne ressemblait pas à Kyril (ah, vraiment ?).
Odéline était donc un peu médusée, et regarda le sapin mou qui n’était pas un sapin mou mais une inconnue masquée se relever, regarder sa cuisine, se figer. Lorsque le sapin-mou-qui-n’était-pas-un-sapin-mou-mais-une-inconnue-masquée lui parla, la propriétaire des lieux fronça les sourcils: elle était persuadée d'avoir déjà entendu cette voix, et ce ne fut pas le dévoilement du visage du sapin-mou-qui-n’était-pas-un-sapin-mou-mais-une-inconnue-masquée qui la détrompa.

“Maeko ??!” s’exclama-t-elle, avant de se mettre à lui tourner autour.

Odéline était très surprise: Maeko était vraiment la dernière personne qu’elle s’attendait à voir !

“J’y comprends rien, c’est toi que Kyril a envoyée ? Ou alors, Kyril et toi, vous êtes la même personne ? Kyril, t’as changé ! Non, non, c’est pas possible …” Elle s’arrêta, reprit une tartine, en tendit une à la nouvelle venue. “Mais … Je comprends pas … Où est Kyril ? Où est Alana ? Comment tu t’es retrouvée ici, je croyais que …”

En pleine réflexion, elle croqua dans sa tartine.

“En tous cas, j’ai bien fait de bouger la bouteille, je voulais faire une blague à Kyril et qu’il atterrisse dans le beurre, mais ça aurait ruiné ta combinaison ! Tu veux un thé ? J’avais fait le préféré de Kyril, mais je peux t’en faire un autre !”

Odéline tenait toujours la tartine de Maeko à bout de bras. Et soudain, une révélation.

“Mais … pourquoi tu me vouvoies, et pourquoi t’avais peur de pas pouvoir respirer ? Et tu sais bien que j’ai envoyé la lettre tu … Attendez … Vous êtes … Un double ?” finit-elle par interroger, soudain très suspicieuse alors qu’elle comprenait qu’elle avait sans doute bourdé. “Où … Où est Kyril ? Que lui est-il arrivé ?”

Ceci dit, elle tendait toujours la tartine.

La Maeko-qui-n'était-pas-Maeko cligna des yeux plusieurs fois sous l'assaut acoustique de la jeune femme blonde.
Elle semblait beaucoup s'amuser en vérité. Avant de répondre à Odeline, elle baissa la tête et ses yeux pétillèrent en découvrant la miniature du Marikshar toujours posée au sol.

- C'est donc avec ça que tu as pu envoyer cette lettre incompréhensible ? Alana l'avait évoquée... mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi adorable !

Elle se baissa et ramassa la bouteille pour l'inspecter de plus près.
Ramenant ses cheveux en arrière, ses oreilles fines et pointues d'elfe apparurent, signe que ce n'était définitivement pas Maeko.
Ramenant son attention sur Odeline, la femme sourit.

- Oh, navrée. Je vais devoir décliner pour les tartines, je viens de déjeuner, et ce genre de truc - Elle pointa du doigt le Portail - me retourne toujours un peu l'estomac. Par contre, je ne dirais pas non à une tasse de thé, si cela ne t'embête pas.

Accrochant son masque à sa hanche - comme Maeko le faisait avec son masque lunaire - la femme sourit plus franchement.

- Le masque était juste une précaution, on ne sait jamais sur quel genre d'environnement on peut tomber en traversant un portail.
Bref, comme je te l'ai dit, ta lettre est apparue d'un coup de notre côté, et aucun traducteur n'a pu la décoder plus que de quelques mots.
Tu as créé une jolie petite panique ! Huhu...

Elle marqua une pause, avant de s'incliner poliment.

- Mais j'oublie mes manières. Je suis Maeko. Mais étant donnée les circonstances, tu peux m'appeler Nyele, pour éviter la confusion.
Comment connais-tu Maeko ?

Ce n’était pas Meko, mais ça lui ressemblait beaucoup, y compris dans la malice, les gestes. Odléine la regardait, un peu circonspecte, cherchant toujours comment diable cette femme avait pu remplacer Kyril et pourquoi elle lui parlait de lettre incompréhensible alors qu’elle parlait la même langue qu’elle et qu’Odéline écrivait très bien. Et soudain, quelque chose, peut-être les oreilles, peut-être le nom, peut-être le sourire, peut-être tout ça, peut-être autre chose, fit “clic” dans l’esprit d’Odéline.

*Clic.*

Elle regarda deux fois la nouvelle venue, en clignant des yeux. Puis:

“Tu es l’autre Maeko ! La femme de l’autre Béhékine ! Le co-propriétaire du Marikshar qui est comme le cube de Maeko !”

Elle ne répondait évidemment pas du tout à Nyele, mais elle venait de vivre une sacrée révélation !

Les yeux de la femme s'agrandirent de surprise à l'exclamation d'Odeline.

- Comme le... cube ?

Elle éclata de rire. Franchement et entièrement, se pliant presque en deux, les mains sur les côtes et les yeux se remplissant de larmes joyeuses.
Il lui fallut presque une minute pour se remettre. Elle souffla un grand coup, essuya ses yeux et secoua la tête.

- Tu es bien informée. Il va a-do-rer la comparaison !
Je suppose que c'est Kyril qui t'en as parlé, hmm ? Ça fait beaucoup d'informations sur un sujet censé rester confidentiel, mais bon... ce n'est pas comme si ça risquait de faire du mal à qui que ce soit...

Elle fit une brève pause avant de reprendre un poil plus sérieusement

- Bref, Kyril va bien. Mais ce n'est pas lui qui a la garde du Marikshar et il n'était pas présent pour recevoir ta lettre.
Cela étant dit... ta réaction en me voyant me laisse penser que tu as rencontré Maeko il n'y a pas longtemps. Je me trompe ?

De manière complètement inattendue et incompréhensible aux yeux d'Odéline, elle déclencha un fou rire chez l’Autre Maeko qui était décidément originale que la Vraie Maeko. Elle la regarda donc avec de grands yeux surpris, ne sachant pas trop quoi faire. Elle hocha la tête à ses questions, et tiqua lorsqu’elle mentionna Maeko. Enfin, pas elle. L’autre. mais pas elle, la vraie. Enfin elle était vraie aussi mais … Bref vous avez compris: lorsque la Maeko-qui-n’était-pas-Maeko-mais-Nyele-mais-qui-était-Maeko-aillleurs-et-qui-portait-une-combinaison-verte mentionna la Maeko-qui-n-avait-plus-de-Lampion-et-qu-il-ne-fallait-pas-mentionner, Odéline tiqua un peu, ce qu’elle cacha en sortant les thés pour que la femme y fasse son choix.

“Vous voulez quel thé ? J’en ai plein !” proposa-t-elle. “Vous pouvez vous asseoir hein.”

Non, Odéline ne tentait pas de gagner du temps, c’est faux.

“Tant mieux si ça va lui faire plaisir ! J’espère qu’il ne ressemble pas vraiment à un sube actuellement … Parce que le Béhékine de mon monde a tendance à changer d'apparence souvent, alors peut-être que le votre aussi ! Bref. C’est effectivement Kyril qui m’a parlé de tout ça, quand on est allés récupérer votre bateau. Mais, pour ma défense, je l’avais assailli de questions, avec Aëlia, la pirate qui nous accompagnait ! On s’est approchées pas à pas avec chacune une question, il ne pouvait plus fuir ! Ca a un peu retourné le cerveau d’Aëlia, mais moi, un peu moins. J'aimerais bien visiter d’autres mondes, et rencontrer votre Béhékine, voir qu'il est un peu comme le mien, mais aujourd’hui on a des portails sauvages ici, mais on a pas le droit de les franchir, y a que Aëlia qui peut parce que c’est son travail ! Bref, euh … Vous vous partagez la garde du Marikshar comme on se partage la garde d’un enfant quand one st séparés ? Ou plutôt comme on se partage la garde d’un mur d’enceinte ? Et non, non, ça faut longtemps pour Maeko ! Vraiment longtemps …Enfin, dans notre monde en tous cas !” ajouta-t-elle en comptant dans sa tête.

Cela faisait, et c’était vrai, un peu plus de douze ans qu’elle avait rencontré Maeko. Elle n’était pas sûre que cela puisse être qualifié de “long” partout, mais au vu de la durée de vie classique sur Elysion, c’était un peu loin quand même.

S'asseyant à table, Nyele sourit poliment sous l'avalanche de paroles d'Odeline. Ses yeux brillaient d'une lueur amusée tandis qu'elle sélectionnait un thé.

- J'imagine la scène d'interrogation... Kyril a de nombreux talents et qualités, mais c'est assez facile de lui tirer les vers du museau.

Elle fit un clin d'oeil à Odeline, ses doigts jouant avec la cordelette du sachet de thé.

- Les mondes sont différents, mais pas plus que visiter un nouveau lieu ou pays. Au moins, il y a certaines choses qui ne changent pas d'un monde à l'autre.

Nyele marqua une courte pause, tapotant sur l'appareil à son brassard distraitement, avant de désigner le navire en bouteille :

- Mais je gage que je ne suis pas celle que tu voulais voir, pas vrai ? Comme je te l'ai dit, ta lettre est arrivée de notre côté sans prévenir et on a pas réussi à complètement la décoder.
Quel était ton message pour le poilu ?

Etonnamment, l’attitude très calme de la femme parvint un peu à calmer Odéline. Elle finit par s’asseoir face à elle, et fit couler l’eau dans les tasses pour le thé, s’en refaisant un au passage. Elle hocha même la tête à la petite explication sur les différents mondes, se disant qu’Aëlia tenait le même genre de discours et qu’elle trouvait ça un peu étrange: il n’y avait bien que les gens qui pouvaient aller de mondes en mondes pour ne pas trouver ça extraordinaire !
Pourtant, lorsque l’Autre Maeko mentionna “le poilu” Odéline eut, juste un instant, un doute ce qui donna lieu à:

*Poilu est le nom donné au soldat combattant de la guerre de 1914-1918 de l’Ancien Temps, aussi connue sous le nom …
-Non. C’est Kyril.*

“Sans vouloir paraître impolie, non, je ne m'attendais pas à vous !” confirma-t-elle. “Je voulais juste dire à Kyril que … qu’il me manquait. Et que je ne l’avais pas oublié. J’ai découvert en fait récemment qu’on pouvait envoyer des messages avec la bouteille, alors j’en ai profité pour donner quelques nouvelles.” expliqua-t-telle en secouant son sachet de thé dans son eau avant de l’égoutter et de le mettre de côté. Elle était assez nerveuse comme ça, inutile d’ajouter trop de théine. “J’ai aussi cru comprendre que l'enchantement de la bouteille pourrait permettre de retrouver des gens disparus … Et je me demandais s’il était possible de dupliquer l'enchantement, sans abîmer le cadeau ?”

De toute façon, quitte à ce que la femme soit là, autant ne pas laisser passer l’occasion.

Nyele faisait des huits dans son thé en train d'infuser avec la cordelette du sachet.
Son sourire fut resplendissant lorsqu'elle répondit à Odeline :

- C'est adorable ! Il t'a fait forte impression ?
Il n'est pas disponible pour le moment, mais nous lui transmettrons ta lettre dès que nous le reverrons, promis.
Pour ta question, tout dépend de comment Alana a travaillé...

Elle sortit le sachet de thé de sa tasse, fit un joli petit noeud après l'avoir enroulé avec la cordelette. Puis elle prit la miniature pour l'inspecter de très près, allant jusqu'à utiliser son appareil de poignet pour la scanner, un rayon large de lumière violette la parcourant de toute part. Elle tapota ensuite sur son appareil en chantant doucement.
Elle se figea une demie-seconde avant de déposer la miniature sur la table et de sourire une fois de plus à Odeline.

- Est-ce qu'elle t'a dit qui elle veut retrouver ?

Odéline répondit avec un grand sourire à la question de Nyele:

“Oui, évidemment ! En même temps, il est extraordinaire !” déclara-t-elle à propos de Kyril. Puis, soudain un peu plus méfiante: “C'est-à-dire, pas disponible ? Que fait-il ? Où est-il ? Et … qui est “nous” ?” ajouta-t-elle.

Elle avait soudain un peu peur que Kyril ne soit pas tout à fait en sécurité. Après tout, des alliés auraient pu se retourner contre lui et … Non, elle ne devait pas paniquer, pas inventer des histoires sans queue ni tête. Elle devait garder la tête froide, et tenter de comprendre où était son ami, et pourquoi il n’avait lui-même jamais envoyé de nouvelles.
Observant la nouvelle venue scanner sa miniature, la tapoter, la regarder sous toutes les coutures, elle se tendit imperceptiblement. Elle avait de plus en plus peur que ce merveilleux cadeau soit abîmé … Pourtant, quand Nyele lui posa la question fatidique, Odéline releva la tête vers elle, avec ses grands yeux innocents tout à fait surpris:

“Qui ça ?” demanda-t-elle, sincèrement étonnée car venant de sortir d’un moment de réflexion.

Nyele but tranquillement une gorgée de thé, arquant un sourcil lorsqu'elle en apprécia la saveur. Reposant la tasse sur la table avec un geste qui paraissait presque cérémonieux tant il était mesuré, elle fit un clin d’œil à Odéline :

- Merci pour le thé. Il est délicieux. Kyril va bien, je te rassure. Il est juste occupé, loin du Marikshar. Suffisamment pour que le joindre ne se fera pas dans l'immédiat.

L'elfe marqua une pause, puis croisa ses mains sur la table, ajustant sa posture pour se mettre bien droite. Elle sourit à Odéline, même si son regard se fit un peu plus perçant. Elle avait l'air tout à coup plus âgée tandis qu'elle déclarait :

- Je suppose que c'est elle qui t'a demandée de ne pas révéler son passage ? Respecter son choix est tout à ton honneur, Odéline. Seulement...
Elle tapota l'appareil qui avait scanné la miniature avant de poursuivre :
- Il y a les empreintes de Maeko et les tiennes sur le verre de la bouteille, datées au même moment. Hier matin, pour être exacte. Je ne suis pas ton ennemie, Odéline, ni celle de Maeko. Alors jouons franc-jeu, d'accord ?
Elle pencha légèrement la tête sur le côté, son sourire malicieux refaisant surface, la faisant ressembler comme deux gouttes d'eau à la femme étrange qui était venue implorer Odéline la veille de lui confier la miniature enchantée.

Spoiler:

Il y avait un certain décalage entre la mesure dans les geste de l’Autre Maeko et ses clins d’oeil, ses regards parfois mutins, amusés. Sa manière de souffler le chaud et le froid, de passer de la plaisanterie au sérieux en un clin d’oeil et de répondre aux questions sans vraiment y répondre tout en devinant tout ce qui se cachait sous les propos d’Odéline titillait beaucoup cette dernière. Elle avait la sensation d’être disséquée par l’inconnue dans son salon, et, il fallait l’admettre, ce n'était pas vraiment pour lui plaire. Cependant, elle touchait juste, et confirmait également que Maeko, quelle que soit la dimension, était à la fois trop perspicace et un nid à mystères.
Vaincue, Odéline soupira et déposa les armes. Si la science s’en mêlait, elle ne pouvait plus résister.

“Très bien.” soupira-t-elle.

Elle but un peu de thé, tripotant sa tasse. Elle ne savait pas trop que dire, que taire.

“Vous pouvez me montrer comment fonctionne votre machine ? Comment fait-elle pour dater les empreintes ? Et comment faites-vous pour le savoir ?” demanda-t-elle enfin. “Je vous raconte tout, ensuite, si vous voulez.”

Sa curiosité naturelle reprenait le dessus, face à cette machine inédite dont sa voix ne savait rien, manifestement.

La femme afficha une expression un peu circonspecte et jeta un œil à son bracelet avant d'avouer :

- Honnêtement, je ne sais pas trop comment il marche. Je suis une artiste peintre à la base, tu sais, alors tout ce mambo-jumbo technologique, je n'ai jamais réussi à comprendre comment ça marche. Je sais m'en servir, mais le comment...
Je crois que ça a un lien avec la dégradation des empreintes, un truc du genre...

Elle haussa les épaules, avant de sourire plus franchement, comme si elle s'amusait d'une vieille blague :

- Si mon savant fou de mari était là, tu te serais déjà endormie sous son flot d'explications sans doute.
Bref, cette machine ne s'est jamais trompée jusque-là, et elle est paramétrée pour reconnaître les empreintes de Maeko sur tout ce que je lui mets sous le scanner.