[Terminé] Tu as bien tout noté ?

"L'air était frais, la montagne était fraîche et je me sentais encore plus frais. Comme tous les jours certes, mais ce jour-là encore davantage ! La goule se pointe donc sur le toit, sortant sa tête immonde du grenier, prête à la baston. J'aurais pu avoir peur, mais vous me connaissez, rien, que dalle, nada, toujours à fond. Elle saute, je la réceptionne en salto et bim coup de pied retourné, allez-retour chez sa madre, enfin je ne sais pas si les goules en ont une, mais bref, bam, morte. Village sauvée, allez on passe au suivant !

- Mais qu'est-ce que tu racontes ... C'était la semaine dernière et elle t'a étalé la face contre le sol. T'es pas mort simplement parce que tu te relèves toujours comme un possédé flippant et que la goule s'était déjà barré. De toutes façons, nos parents veulent plus qu'on traîne avec toi, tu crains, t'es bizarre et t'es probablement pas net avec les mineurs. Venez les gars, on se tire ...

- Mais non mais revenez ! Je m'en fais toute une armée de goules ! Et j'ai jamais tripoté de gosses bordel !"

Trop tard, j'étais de nouveau seul. - Bordel, les montagnards sont vraiment d'immondes ploucs. Mais rien à battre, je vais les convaincre et ils paieront pour que je leur fasse ne serait-ce qu'un sourire ces fils d'inceste ! De toutes manières, le style héros, je l'ai, là où ça pèche, c'est la communication - Je taillais alors la route vers le poste de milice. Faisant fi à l'intérieur des regards condescendants des bouseux en armure, je prenais en main l'affiche avec la prime la plus élevée. - Ok, un minotaure maitrisant la magie gravitationnel et pouvant potentiellement raser un village, que ce soit à la masse ou en faisant pleuvoir des rochers. Parfait pour s'échauffer - Je sortais alors du bled pour me rendre sur les lieux où la bestiole avait été observé pour la dernière fois. Toutefois, un individu attira mon attention tandis que je traversais la place principale. Il était bien trop sapé pour appartenir à ce trou. Il écrivait. Je filais à sa rencontre.

"Hey ! Tu es manifestement bien trop malin pour perdre ton temps ici ! J'ai besoin d'un maître écrivain tel que toi ! Je suis un héros vois-tu, mais lorsque j'explique ma grandeur aux glandus d'ici, personne ne capte vraiment. Avec ta plume et mes exploits, changement de statut et succès assuré ! Allez, viens, il y a un minotaure à occire. Je le démonte et tu en fais le prologue de ma légende ! Ne t'inquiète pas, je cherche la gloire, pas l'argent. Tu pourras te baigner dans les droits d'auteur !"

Vous le savez certainement, Jacob à ce que vous pouvons appeler "la grosse tête". Il se sent obligé de tout cataloguer, de tout rédiger. Si une chose existe, il doit l'avoir vu, ou au minimum, entendu. C'est son petit coté monsieur "je sais tout". Bref, il y avait ces légendes histoires locales, le genre qui quitte rarement leur petite région, mais qui sont toujours intéressant à entendre, au moins pour le folklore. Et il n'est pas rare qu'elles dissimulent également une part de vérité.

Le problème, c'est que loin de la ville, et surtout dans un froid relatif, l'écrivain était bien en dehors de son élément. Heureusement, il n'avait pas besoin de se mettre en danger. C'était une simple collecte d'informations (légales, pour une fois). Des prises de notes. Le retour aux bases, ce qui était plaisant.

On vient le déranger. Un individu qu'il qualifiera plus tard d'étrange et de bien bizarrement accoutré. Mais pourquoi pas, le particulier attire le bizarre. La vie est bien trop agitée pour être une simple succession de choses "normales", si cette normalité existe bel et bien.

Lui ne l'a jamais trouvé.

"Vous êtes ?"

Un héros, d'accord. C'était la théorie, pas la pratique. Ceci lui rappelle les petits jeunes qu'il rencontrait parfois aux entrainements. Plein d'entrains, et audacieux. Il y a relativement peu de vétérans audacieux, pour des raisons évidentes.

Mais ses romans gagnent toujours à avoir des personnages secondaires… mémorables.

"Je ne crains que mon statut soit déjà assuré. Pour une personne relativement inconnue, vous êtes remplis de confiance."

Il n'était pas fou : si le héros y passait, lui allait certainement le suivre dans sa tombe.

"Je ne suis pas vraiment fait pour le travail de terrain."

C'était… à moitié un mensonge. Disons qu'il restait à bonne distance de toute action.

"Ah je vois. Tu me prends pour un blaireau quoi. Ok l'écrivaillon, je comprends tes doutes. Reste ici deux minutes s'il te plait. Je vais te montrer un truc qui devrait titiller ta plume."

-Les gens ont la fâcheuse tendance à se sous-estimer les autres. C'est encore pire avec les pas trop cons.- Je ne pouvais pas vraiment me permettre de juger, le monde était peuplé d'abrutis et quand on faisait la connaissance de quelqu'un, il y avait une chance indéniable qu'il en soit un. Pour autant, je n'aimais pas qu'on ne me prenne pas au sérieux, même si j'en avais l'habitude, surtout quand j'avais un projet en tête. Je laissais derrière moi le lettré et pénétrais dans la taverne. L'odeur de sueur et de viandes trop faisandées m'informa immédiatement que j'allais trouver ce que je voulais.

"Bien ! Ecoutez-moi tous ! J'ai besoin de prouver ma force à un péteux de la ville. Les plus costauds vous me suivez à l'extérieur et vous essayez de me casser la figure. Si ça peut aider, dites-vous que j'ai couché avec votre mère. Qu'elle soit morte n'est pas une excuse, je suis pas du genre fine bouche."

 -La psychologie, je maitrise- Rapidement, je sortais en compagnie de cinq gros bras. Bien que le festival commence. Le premier bourre-pif me fit chanceler, le croche-patte qui suivit me conduisit au sol ...

Alors qu'une multitude de bottes allait de nouveau plonger sur son visage, Shonen se saisit de la première et envoya balader son possesseur. D'un splendide saut carpé, il se relava et fit craquer ses doigts.

"Bon j'imagine que l'autre débile a encore fait n'importe quoi ... Allez, c'est un mauvais moment à passer mais je vais devoir vous occire."

En tout cas, c'est que Shonen pensa mais personne ne le comprit car pour une raison inconnue lorsqu'il parlait, on entendait qu'un étrange chuintement désagréable. Qu'importe la seconde d'après, il sautait et dans un grand écart parfait, frappait les mentons de deux de ses assaillants à la fois, les plongeant dans l'inconscience. Avant que les deux derniers ne puissent réagir, il les contourna et les frappa violemment, en même temps encore, dans le foie, les faisant recracher leur repas, puis s'écrouler dans ses restes liquides. Shonen commença alors à ressentir des picotements et s'écroula à son tour.

"Hum, je vais encore avoir un sacré mal de tête ... Bon, alors ça t'impressionne ça ? Tu aimes ma maîtrise du terrain ?"

Je l'avais fasciné, c'était certain.

"Ecrivaillon". Si Jacob savait rester calme et impassible, là,il fronça les sourcils. D'accord, d'accord, tout le monde ne pouvait connaitre son nom, mais il se sentait véritablement insulté. Pas vexé, insulté. La nuance est importante. Et il n'allait pas mentir : s'adresser ainsi à celui qui allait écrire ses "louanges" n'était pas très malin. La vengeance viendra plus tard.

Il laissa donc couler, écoutant les manières de faire l'inconnu.

Lui, il allait être nommé loupiotte. Il n'était définitivement pas une lumière. Insulter les autres pour avoir son combat qu'il doit imaginer épique…

Si le métier de l'espion était basé sur le mensonge et la tromperie, ici, rien, absolulement RIEN n'était à sauvé. Il n'y avait pas un semblant de réalité sur lequel s'appuyer pour présenter le jeune sous un beau jour. Bon, il exagérait, à croire que se faire tabasser comme un gros naze réveille un semblant d'instinct de survie et de combat. Soit il était un très bon acteur, soit… Soit le Correspondant n’en avait aucune idée.

"Je vais dire impressionnant, oui."

Mais pas dans le bon sens du terme.

"Mais je ne vois pas en quoi tabasser de parfait inconnu qui né-on rien demander ne prouve quelque chose."

Dis celui qui n'a que quelques notions de défense.

"T'es dur en affaire ma parole ... Bon, très bien. Que veux-tu sir écrivain ? Dis-moi, ce que je peux faire pour te convaincre. Désigne une cible, en prenant un recherché, un monstre ou un individu particulièrement peu recommandable, je suis héros pas tueur à gage. Je lui fais sa fête et toi tu fais de ma gloire ta quête ! Bref, je bafouille pas trop mal, tu vois, alors tu peux bien m'accorder un test ?"

Durant tout l'échange, je n'avais pas manqué de bomber le torse, fallait pas passer pour un faiblard, même si mine de rien ça piquait encore un peu tous ces coups ...

"Et tu sais les parfaits inconnus, c'était pas des enfants de chœur. J'ai choisi cette taverne parce qu'elle a la fâcheuse tendance à recueillir les types les plus pourris jusqu'à la moelle sur des lieux à la ronde. Mon style n'est pas très académique mais mes intentions sont louables. Mais si personne n'entend parler de moi, il me sera difficile de les aider ... Allez, laisse-moi une occasion !"

"Il n'y a pas que le combat dans la vie."

Des personnes peu recommandables, Jacob en connaissait plein. Et il osait presque se mettre dans la liste. Le monde est cruel et dangereux, de toute façon.

"Et de toute manière je ne connais aucune personne qui mérite d'avoir un tel héros aux fesses."

Si le héros était le bon adjectif. Il avait encore des doutes.

"Le test, c'est surtout pour m'assurer que je ne vais pas mourir en te suivant."

C'est le plus important. Il se répète. Surement. Il s'en fiche. Il y a des priorités à respecter.

Surtout que l'autre insiste.

Et l'écrivain est assez malin pour savoir qu'il ne va pas le lâcher.

Il soupire.

"Bien. Mais il t'est nécessaire de comprendre que j'écris la vérité, je ne vais point m'amuser à chanter tes louanges en permanence."

C'est de bonne guerre. Le mensonge ne peut tenir longtemps, surtout s'il désire aider les autres : ça deviendrait plus dangereux qu'autre chose.

"Ne t'inquiète pas sir écrivain, la vérité avec moi est en permanence sujette à louanges ! Je vais te fournir de quoi étaler ton plus beau style sur des pages et des pages !"

A peine avais-je terminé, pas peu fier, ma dernière réplique qu'une roche immense, vint s'abattre non loin de nous. Le hurlement guttural qui suivit était parfaitement identifiable. Le minotaure avait quitté ses montagnes à la recherche de bagarre. J'étais prêt à lui fournir.

"Ok, monsieur de la plume, c'est le moment pour toi d'aller affuter tes méninges à l'ombre. Je vais l'étaler mais ça risque d'être violent, genre grabuge de cataclysme. Laisse-moi remettre tous mes os en place, hum, erk, aïe, ok, c'est parfait. C'est parti "rayon enflammé de la mort !" "

La formule n'amena pas l'effet escompté, pas plus que mon geste. Bon, la maitrise du feu demeurait capricieuse. Tant pis, il restait les poings. Alors que j'entamais ma course vers la monstrueuse vache, cette dernière me faucha au niveau des tibias d'un fourbe et redoutable mouvement de queue. Un balayage de grande classe dans les faits. A peine le temps de remettre mon menton en place que c'était désormais une pluie de phalanges qui s'abattait sur moi. Je ressentais désormais une proximité certaine avec l'existence des crêpes. Je parvenais malgré tout, plus ou moins, à rouler sur le côté.

"Bon. Tu gagnes le premier tour Marguerite. Mais je vais te broyer les os, te plier en huit et te faire boire ton sang ! Tu vas ..."

Je n'avais pas le temps de parapher ma dernière provocation. Elle m'avait déjà saisi d'un doigt fort agile et se servait désormais de mon être comme d'un étrange instrument à percussion voué à frapper le sol d'une manière très rythmé. Avec bravoure, je me recroquevillais et parvenais à la mordre. De retour au sol et complètement sonné, je m'écroulais.

"Bon, j'espère que tu t'es bien amusé, gros steak. Il est temps de te ramener à ta nature première. Celle de plat riche en protéines."

Shonen d'un bond souple se projeta au niveau du front de l'immense minotaure. Ce dernier tenta de le ramener à ses pieds via sa magie de gravité, mais qu'importe, Shonen était au-delà de la magie et de la physique. D'un tonique mouvement, Shonen détendit entièrement sa jambe droite et frappa avec violence l'homme-animal. Probablement commotionné, ce dernier s'écroula rasant dans le même temps le temple du village.

"Alors les bouseux, impressionné ?"

Mais personne n'écoutait Shonen. Un temple parmi les plus précieux héritages architecturaux des précédents millénaires venait d'être détruit. Shonen sentait la tension montait peu à peu mais avant de partir, il avait bien mérité de récupérer sa prime.

"Damoiseau du crayon. Ils ne comprennent rien à l'art ici. Je récupère la prime et on se tire vers de nouvelles aventures. Je compte sur vous pour trouver un nom plein d'élégance pour mon coup de pied sauté."

La prime récupérée (plus ou moins de force), Shonen était prêt pour la castagne !

Non, non. La vérité était loin, bien loin, et en tendant l'oreille, Jacob pouvait l'entendre mourir. Mais qui était-il pour critiquer, lui qui jouait souvent avec elle ? Elle n'est jamais très consistante, et change de livre en livre. Elle est usée et abusée, la pauvre.

Peut-être que c'est elle, qui envoie une créature remettre les choses en place. Rappeler qui est le patron ici. Ici, ça n'est certainement pas l'écrivain. La nature gagne toujours à la fin, d'une manière ou d'une autre. C'est là ou il était très content de garder une distance raisonnable avec l'action.

Il ne savait pas si le jeune (il semblait jeune) était courageux, inconscient, ou un savant mélange des deux. Lui cherchait une échappatoire, au cas ou. Oui, la confiance régnait.

Elle régnait encore moins après le premier échange de coups. Un échange a un sens unique. Mais le héros avait survécu. Sans dire que c'était impossible, c'était surprenant. Et une bonne nouvelle, bien évidemment. De plus, la théorie de "se faire tabasser pour mieux se relever" semblait de plus en plus réelle.

"Impressionné, c'est sur."

Peu de personnes pouvaient affronter un tel monstre et survivre. Encore moins survivre relativement intact. La construction qui était juste à côté ne l'était plus, intacte.

Ce qui était la priorité, Jacob n'allait pas mentir. Voir un pan d'histoire s'effondrer devant soi n'était pas satisfaisant.

"L'art demande souvent de garder l'art qui existe déjà."

Un principe de base. Mais bon, il n'allait pas insister. C'était peine perdue.

"J'en trouverai un."

Mais il avait des questions.

"Et/ou avez-vous appris à vous battre ainsi ?"

Car c'était… particulier. Et pour une fois, ça n'était pas véritablement une critique.

"Je n'ai pas appris mon ami à la pointe aiguisée. Quand je suis là, tout devient simple. J'ai juste à vouloir et des dizaines de possibilités s'ouvrent à moi. Honnêtement, et je dis ça sans me vanter, je ne pense pas que je puisse perdre. Le seul problème, c'est que je ne reste jamais bien longtemps. J'ignore pourquoi. Mais peu importe, je reviens toujours quand c'est nécessaire, d'ailleurs je crois qu'il est temps pour moi de vous laisser ..."

Shonen s'écroula alors. L'instant d'après il se relevait.


Un mal de crâne terrible mais habituel me tiraillait. Devant moi, l'écrivain me fixait. S'il n'était pas parti, c'est certainement qu'il était enfin disposé à m'accompagner. Je me rappelais alors d'une mission qui pouvait l'intéresser.

"A quelques jours d'ici, se trouve une étrange "académie". Une bande de débiles priant l'ombre s'est regroupée là-bas. Qu'est-ce que vous pensez d'aller rétablir la justice là-bas ? A coup sûr, ça ferait parler !"

L'inconnu disait pouvoir "voir" le futur, et il l'avait présenté d'une telle manière que c'était l'évidence même. Qui ne pouvait pas lire le futur, après tout ? Et pourtant, tout ceci se contredisait. S'il pouvait apercevoir des possibilités, pourquoi fonçait-il souvent dans les mauvaises ? Il y avait une incohérence qui dérangeait l'écrivain. Une pièce - surement plus - de ce puzzle lui échappait, et il n'arrivait pas à mettre sa main dessus… du moins avant que l'autre lui explique plus ou moins tout.

"Si c'est bel et bien ce que je pense, vous gagnerez à rester plus longtemps."

Et lui aussi. Question de survie.

Et merde, l'autre avait gagné sa véritable attention. Bordel.

"Je présume que certains ne sont pas démotivés par l'état des choses."

Jacob était bien trop calme à ce sujet. L'habitude. Mais c'était une information très intéressante.

"Si je peux me défendre, je vais vous laisser faire le gros du travail."

Il n'allait pas mentir. Il s'agit de rester loin de l'action.

"Ceci me permettra de mieux mettre en perspective vos actions."

Un grossier mensonge, personne n'est dupe ici. Mais il était partant, c'était toujours ça.

L'écrivain était décidé, c'était tout ce dont j'avais besoin. L'académie des illuminés n'était pas toute proche et la route promettait d'être longue, en particulier avec le temps tout pourri des montagnes environnantes. Jacob, j'avais fini par capter son nom, disait ne pas savoir se défendre et ça m'arrangeait bien. Si on pouvait se faire attaquer par n'importe quelle saloperie de bandit en route, ça ne pouvait que rajouter un haut-fait de plus à gratter pour lui. Et s'il se sentait redevable, c'était encore mieux que je me disais. Mais bon, la vie était ce qu'elle était, merdique, et pas un pet d'attaque en route. Au moins, la demeure des demeurés pointait enfin le bout de sa vilaine façade. J'avais hâte de tout ravager pour rétablir la beauté de la lumière.

"Bon, mon brave Jacob. Ou Monsieur Amakiir. Tu préfères peut-être qu'on reste formel. Bref, les méchants sont en contrebas. Juste à prendre le petit chemin entre les collines et bim, les voilà. J'ai besoin que tu puisses voir correctement mais je ne veux pas que tu te fasse rétamer non plus. Donc tu peux te planquer là-haut, sur la petite crête. Tu peux t'approcher aussi mais s'ils sont trop nombreux, il y a un risque pour toi. Comme tu veux quoi !"

Je n'avais pas été des plus éloquent, mais il était temps de toutes manières d'avant tout faire parler mes autres talents. Je m'élancais sur le chemin, prêt, comme toujours, à la bagarre.

Il ne savait pas quelle appellation il préférait. Est-ce que choisir était tellement malin ? À vrai dire ? Non, pas vraiment. Autant laisser le "jeune" choisir, c'était plus simple. Et surtout, surtout, ne pas y prêter attention. C'est mieux pour son esprit.

Ce dont il était certain, c'est qu'il n'était pas brave. Aucunement brave. Il y avait une raison pour laquelle il n'était jamais au cœur de l'action, et qu'il avait une tendance à la fuir. Il était un homme d'esprit, non d'action.

"Si je me fais "rétamer", je ne pourrai raconter ta fabuleuse épopée."

"Fabuleuse", oui. Il n'allait pas insister ni montrer un signe d'ironie.

"Je vais m'arranger. Si je hurle, c'est qu'il faut venir me sauver."

Il avait de l'expérience avec le danger, mais ceci ne voulait pas dire qu'il voulait la montrer. Il n'était qu'un civil, pas vrai ? Il devait agir en tant que tel.

Les fanatiques étaient nombreux mais pas vraiment bien organisés. Je prenais quelques mauvais coups mais sans m'écrouler pour autant. Ce n'était décidément pas de grands combattants. La situation commença toutefois à devenir nettement plus inquiétante quand des portes de l'académie surgit brusquement une immense catapulte. Mal réglée, elle envoya son projectile bien au-dessus de moi, mais il atteignit toutefois la crête où j'avais laissé Jacob. Mince. Tout écrabouillé, il allait certainement écrire nettement moins bien.

Je me précipitais furieux pour abattre l'odieux machine. Une balayette manchette de l'un des adversaires, pas si maladroit, me calma bien vite. Je tentais de le cramer, mais comme d'habitude, les flammes ne sortaient pas.

"Bordel"

Ils étaient désormais toute une joyeuse bande autour de moi. Ils dansaient d'une certaine manière mais c'était ma tronche qui leur servait de parquet. Et ce qui devait arriver, arriva ... Les coutures autour de mon cou explosèrent et ma tête commença à rouler. Il y eut un certain vent de panique parmi les assaillants. Surtout lorsque je me mis à les insulter copieusement. Mais bon, je perdais vite mon énergie alors ...

"Vous trouvez ça marrant, bande de fils de Personne qui travaille tard ? "

Shonen redressa son corps décapité tout en donnant quelques mandales au passage. Des mandales assez maladroites par ailleurs, tant se coordonner avec la vision de sa tête située à plusieurs mètres n'avait rien d'évident. Malgré tout, le travail était fait. Les manants étalés, Shonen se servit des fils usés de leurs vêtements et d'une aiguille qu'il avait toujours sur lui pour recoudre piteusement sa tête.

"Mais quel trou du cul que cet Agonie ..."

Le raccommodage difficilement exécuté, il repartit sur ses pas pour voir si Jacob allait bien, sa tête dodelinant dangereusement à chaque pas.

Cette dualité devenait de plus en plus apparente, surtout pour Jacob. Quelque chose ne tournait pas rond, mais pour une fois, ça n'était pas une mauvaise chose.

Du moins, pas pour lui directement. Le jeune s'était ENCORE fait tabasser. Ça ne faisait que la deuxième fois de la journée.

Mais lui devait faire attention à sa personne. Et de sa vie, il n'avait jamais eu aussi peur. Rester en alerte est important, mais ce type de projectile fait relativement peu de bruit. C'est ce qui se passe quand on ne fait pas attention. Et l'excuse de "ça l'avait raté de peu" n'est pas très importante quand l'on parle d'un énorme projectile uqi fait trembler la terre à l'impact.

En résumé, l'écrivain n'avait pas vu grand-chose du combat, et était un peu en vrac. Et par "un peu", c'était "beaucoup". Autrement dit, quand on entendit que le combat était fini, il n'était pas très rassuré… jusqu'à voir qui était le vainqueur.

Ouf.

Il aurait préféré éviter tout ceci, tout de même.

"Le projectile a été assez poli et sympathique pour s'écarter de ma route."

Il ironisait pour tenter de se détendre. Sans trop de succès, hélas. Quant à l'autre, quand il était différent… il était vraiment différent. Professionnel, presque. Ce qui était plaisant. Enfin, presque, si l'on omettait le gamin puéril qui "l'accompagnait". Un héros acheté, le deuxième offert !

"Je suis écrivain, pas médecin."

Et heureusement qu'il avait une certaine résistance face à l'horreur. Pourtant, il s'attela à la tâche, se débrouillant un peu mieux qu'un citoyen sans aucune connaissance dans le domaine. De toute manière, il n'acceptera aucune question.

"Des manuscrits sont toujours intéressants."

Très intéressant. Autant pour le pays que pour son intérêt personnel.

"Je note, si vous devenez incompétent, je me barre."

C'était déjà prévu de toute façon. Pas fou.

"Je connais des tonnes de personnes qui seraient très intéressées de vous rencontrer."

Est-ce qu'il était invincible ? Il donne presque cette impression. À voir si c'était réel, toutefois. Et ses compétences martiales étaient réelles, bien qu'aléatoires.

C'était surnaturel. Complètement surnaturel. Jacob pensait avoir vu beaucoup de choses étranges dans sa vie, mais c'était un autre niveau maintenant. Le jeune était définitivement une personne qu'on désire en tant qu'allié, pas qu'ennemi. Il semblait réellement invincible.

Le pire, c'est qu'il y retournait, presque la bouche en cœur. Jacob était faible, physiquement parlant, et il n'était pas très résistant à la douleur, alors il avait bien du mal à comprendre comment l'autre vivait avec ceci.

Enfin, comment il le vivait bien. Il était au milieu de la mêlée, à nouveau, et s'occupait de ses adversaires avec des méthodes... étranges, mais efficaces. En combat, le seul résultat qui compte, c'est de rester en vie, si possible sans trop en prendre plein la tronche.

La première condition fut remplie avec brio. La deuxième ? Bien moins. Une fois la poussière retombée, tout le monde était part terre, dans un état... variable. Certains n'allaient jamais se relever. Pour Jacob, le boulot était maintenant simple : installer son ami un peu plus confortablement, et en attendant qu'il se réveille, attacher les survivants. Il était bon en extraction d'information, mais pas en interrogatoire... Sauf quand il avait de quoi écrire, et pas trop de témoins.

Dommage pour les pauvres gars.

"Ils ne bougeront plus mais moi non plus je ne vais pas très bien ... Mes bras n'obéissent pas et je ne vois plus très bien. C'est frustrant, sieur écrivain tu sais, de redevenir chenille après le papillon. T'as la classe et l'instant d'après, beh ... Tu pues la merde. Hum ... Shonen n'y est pas allé de main morte, je pourrais peut-être vaincre vraiment toute une armée ! Après, tu t'en rends peut-être pas compte parce que j'encaisse mais la vérité, c'est que j'ai pas la moindre idée des limites de mon habileté. Je ne sais même pas d'où elle vient. Je ne sais pas d'où je viens non plus ... Bon ça casse la tête de penser à tout ça ! Merci de t'occuper des mecs, et fais-toi plaisir au niveau des recherches ... et pas d'inquiétudes ! Je sens déjà que ça revient plus ou moins. Plus moins que plus actuellement mais je vais me refaire ! Comme à chaque fois ! Comme à chaque fois ..."

J'essayais de garder l'air stylé du mec qui pèse devant Jacob mais le truc, c'est que j'avais salement morflé. Et pour la première fois depuis un bon moment, le fait de ne rien savoir, d'avoir un putain d'esprit vide, ça me les broyait sacrement. Presque envie de chialer bordel. Mais ça jamais. Et puis ça m'était revenu comme à chaque fois que je touchais le fond. De toutes manières, c'est logique on rebondit forcément, ne serait-ce qu'un peu quand on s'écrase ... Je m'étais un peu souvenu de sa tête. Plus nettement que d'habitude. C'était bien une meuf donc. Mon seul souvenir ... Je me disais alors mais ça ferait une quête de batard ça de retrouver la dame de ma mémoire fracassée !

"Eh, Jacob. Quand t'auras fini ... Je crois que j'ai une idée du genre à poétiser des tronches pour les millénaires à venir !"

"Vous êtes en vie, ce qui est déjà beaucoup au vu des évènements qui viennent de se dérouler."

Il n'avait pas entièrement conscience de ce point-là, qui était pourtant le plus important d'après Jacob.

Chacun ses priorités.

"Mais j'espère bien ne jamais repartir de zéro."

Ce qui sous-entend une perte de contrôle sur ses capacités. C'est terrifiant à imaginer, même pour lui.

"Et donc tu ne sais rien de ton alter ego à part son nom ? C'est... particulier."

Une véritable énigme.

Un mystère.

Un mystérieux héros.

Il est le premier à dire que la réalité n'a pas besoin d'être modifiée pour devenir de la fiction. Tout est une question de présentation. Il avait un parfait exemple sous les yeux.

Mais son passé ne semblait pas l'inquiéter. Pourquoi pas.

Point positif, l'accalmie laissait suffisamment de temps à l'écrivain pour fouiller à loisir, identifier quelques documents et les garder avec lui. Il allait décortiquer ceci plus tard, plus en détail. S'il y avait une nouvelle menace, il était nécessaire d'agir rapidement.

"Poétiser des tronches, hum ?"

Il avait peur de la suite.

"C'est-à-dire ?"

"Bon, ma mémoire, tu vois c'est un gruyère. Enfin, non il y a quasiment que des trous et même pas la matière pour en faire un fromage ... Bon, je m'embrouille, j'ai les fils qui se touchent et j'ai un peu de mal quand il s'agit d'exprimer les choses précisément ... Mais bref, ce que je veux dire, c'est que j'ai quasi aucun souvenir. Je me souviens de m'être réveillé au milieu d'un tas de cadavres. J'ai appris un peu plus tard que ce charnier, c'était le résultat d'une des batailles de la guerre contre l'ombre. J'étais dans un tel état que rapidement je me suis mis à m'habiller comme tu le vois là pour moins effrayer les gens. Ouais, tu t'étais peut-être dit que c'était pour le côté mystérieux et tout, mais oui un peu, mais surtout parce que je ressemble à rien. Non, vraiment, mon corps c'est la cicatrice d'une cicatrice ... Après le point positif, c'est Shonen. Je sais pas grand chose de lui, si ce n'est qu'il apparait quand je perds connaissance ... Parfois, il me parle un peu même quand je suis devant toi mais jamais grand chose. On est un peu comme enfermé chacun dans une pièce différente, mais si on gueule fort près du mur, l'autre entend ... Enfin comprend quelques trucs quoi ... Oui c'est pas très clair mais c'est difficile à expliquer ... Et à part ça, le corps bousillé, la deuxième personnalité, les supers pouvoirs et bah ... Il y a ma volonté d'aider les gens mais vraiment genre ça m'obsède et mon seul souvenir ... Mais il est très flou ... J'étais très proche d'une meuf ... Enfin je crois et je désire encore plus qu'aider le monde ... C'est de la retrouver mais j'ai pas beaucoup d'indices ... Elle a l'air chicos en tout cas ... Donc je me disais si je te la décris, toi qui connais sans doute plein de riches avec tes bouquins, tu pourrais peut-être m'aiguiller ou alors si ça te dit rien ... Eh bien, on pourrait commencer par voir les notables du coin ... Si je les aide, il y aura peut-être moyen d'accéder à plus d'infos ..."

Ça faisait beaucoup d'information d'un coup, informations qu'il faut trier, compartimenter. Certaines choses étaient bien plus intéressantes que d'autres.

"Donc en théorie, u pourrait être une personne affiliée à l'Ombre, mais tu ne t'en souviens pas."

S'il ne mentait pas. Mais soit il jouait très bien la comédie, soit c'était la vérité. Comme agent dormant, il y avait mieux.

"Peut-être qu'en trouvant la bataille, on pourrait avoir une idée de ton nom. Mais quelque chose me dit que ça n'est pas très important."

Pourquoi ça le serait ? S'il est une nouvelle personne, autant en profiter. Ça n'est pas tout le monde qui peut réinventer sa vie.

"Pour le masque, je comprends."

On ne survit pas à tout ceci intact. Autant mentalement que physiquement.

"J'aimerais bien dire que je comprends, mais je ne suis pas dans cette situation, donc je ne vais pas faire semblant. Et j'imagine que c'est complexe à expliquer."

Une communication entre les deux êtres possible, mais limité, et aléatoire. C'était ce que Jacob retenait.

"Aider les autres est toujours une bonne chose."

Chacun sa manière. Pour l'écrivain, c'était très indirect.

"Je doute de la connaitre, mais j'ai des contacts. Si ça me dit quelque chose, je pourrai vous diriger vers la bonne personne."

D'après l'écrivain, on vit et l'on meurt par la qualité de son réseau. Surtout dans son autre profession.

"Bon ... Eh bien ... Elle est jeune ... Blonde ... et je sais pas, j'ai l'impression, enfin la sensation plutôt, d'un grand froid. Peut-être est-ce lié à l'endroit où elle vit ou à autre chose ... Après pour mon nom, oui, ça m'était bien venu à l'esprit de regarder les registres mais franchement, c'était une belle boucherie là où je me suis réveillé ... Pas moyen de savoir quel pauvre gars qui s'est fait trucider était mon ancien moi ... Et puis, ça va peut-être te paraitre bizarre ... Mais en plus de Shonen, j'ai parfois des flashs ... Genre des souvenirs qui viennent d'un coup et qui ne me paraissent pas être les miens. Après, c'est sûr, je me souviens de rien, donc c'est compliqué à dire, ce qui est à moi ou non mais parfois, ces ... images ... J'ai vraiment l'impression qu'elles ne vont pas ensemble ... Un peu comme si c'était les morceaux de plusieurs personnes différentes ... Bref, ce que je suis, c'est un sacré bordel ... Bon, après tout ça, j'ai besoin d'un peu de repos. Il y a une petite ville pas très loin d'ici avec une bibliothèque assez renommée apparemment ... Oui dans un bled c'est bizarre, mais elle est spécialisée dans les informations sur Crannsliabh ... Tu pourrais y bosser tranquillement pendant que je me repose une ou deux journées et ensuite, on repart sur une autre mission ou vers l'un de tes contacts si une idée te vient ?"

La description était vague, ce qui n'était pas très étonnant. Elle pouvait correspondre à beaucoup de personnes. Il est vrai qu'elle collait étrangement à une jeune femme que l'écrivain connaissait, mais la coïncidence était bien trop grande. De plus, pas question de donner des informations qui n'étaient pas confirmées. Les théories sont gentilles, mais ne font pas toujours avancer les choses.

"Peut-être que ce sont ses souvenirs mélangés aux vôtres ?"

Un peu comme les rêves qui créer des choses étranges ? C'est possible. Ça n'est pas comme si Jacob était un véritable spécialiste.

"Je peux faire ça."

Candi il y réfléchissait, ça n'était pas forcément du temps perdu.

"J'ai connu pire comme job que chroniqueur personnel."

L'idée l'amusait plus qu'il n'y pensait.

"Espérons que je trouve quelque chose qui pourra t'aider."

L'espoir fait vivre... et le jeune était définitivement vivant. Peut-être un peu trop, vu son état.

"Yes ! Je savais que je pouvais compter sur toi ! En attendant, j'te propose qu'on parte crécher dans un petit village pas loin et toucher notre récompense. Le boulot est fait ici, ça sent la bonne prime avec un petit bonus en prime !"

Fallait maintenant se tirer, je me relevais péniblement et trottinais jusqu'à la sortie. Sur le chemin, un mec bougeait un peu trop à mon goût et un bon coup dans sa marotte lui cloua le bec et le reste du corps sur le sol.

"Faut qu'on pense à dire à la milice de se bouger. Ils sont tenaces manifestement les bougres. A ton avis, ce genre de performance de combat hyper stylée, ça l'impressionnera quand je la reverrai ?"

Le jour commençait à décliner et il était plus que temps de partir.

"Je pars devant. A la vitesse où je marche tu devrais pas trop galérer à me retrouver."