[Terminé] Un tour de Manège [libre]

Au cri d'Odéline, Kyril sursauta, revenant brusquement dans le présent.
Il tenta de stopper sa chute en reformant son "tapis" mais, dans la précipitation, il ne parvint pas à garder le contrôle de son pouvoir mental.
Cet échec eut des effets... spectaculaires.

Le kitsune fut brusquement projeté dans les airs, selon un angle étudié - mais pas du tout fortuit, croyez-moi - qui le fit passer entre les différentes barres maintenant les chevaux du carrousel. Il tournoya en poussant un cri de surprise, et alla s'écraser à près de dix mètres de là.
- Ouch !

Les gens le regardaient, stupéfaits par la scène.
Kyril grommela, et tenta de se relever en secouant la tête pour s'éclaircir les idées.

- It hurts more than the last time this happened...

Les yeux toujours en train de rouler dans leurs orbites, Kyril s'assit et vérifia que tout fonctionnait toujours bien.
Avec un aplomb impressionnant, il revint ensuite vers Odéline en marchant tranquillement, l'air de rien.

- Désolé pour ça. Ça ne te dérange pas que je reste en dehors du manège le temps que tu termines ton tour ?

Odéline vit Kyril s’envoler de façon spectaculaire entre les barres des chevaux de bois, puis s’écraser non loin dans une drôle de position, avant de se relever en secouant la tête, les yeux roulant dans les orbites.

*Wow. Ca c’est du sport extrême … Il est trop fort ! Je veux ! Je veux ! Je veux ! Je veux ! Peut-être que Siffroy saurait comment faire …*

Puis son cerveau se mit –enfin- en marche normalement …

*Le pauvre ! Il s’est peut-être fait mal !*

Elle était tentée de descendre de son manège lorsqu’il revint vers elle tranquillement, plein d’une assurance qui impressionna la jeune fille qui le regardait avec des yeux ronds. Il lui proposa de l’attendre là, le temps qu’elle finisse son tour.

- Non, non vas-y …

Ceci dura un moment et du coup, elle disait un mot à chaque fois qu’elle passait devant lui, ce qui, reconstitué, donnait :

- Dis Ky … ril Com … ment … tu fais … ça ?

Ou, plus clairement :

- Dis, Kyril, comment tu fais ça ?

Puis elle sauta à bas de son cheval de bois, alla le rejoindre et appuya sa question morcelée d’un « Hein ? » très impressionné.

Kyril était en train de lisser la fourrure de ses queues avec son museau lorsqu'il entendit la question entrecoupée d'Odéline.
Il sourit, et attendit qu'elle l'ait rejoint pour se tourner vers elle.

- C'était un accident, en fait. Je fais de la télékinésie, je déplace les objets par la pensée. Je m'étais fait un "tapis" sous les pattes pour tenir sur le cheval de bois sans glisser mais... j'ai perdu ma concentration et... ça a fait boum.

Ca lui faisait toujours bizarre de décrire ses pouvoirs à quelqu'un, même s'il essayait de faire ça de façon nonchalante.
Pour lui, ce don était un peu une tricherie, par rapport aux autres qui n'avaient que leurs mains pour agir sur le monde. Bon, c'était pratique, parfois, surtout pour manipuler des objets délicats, mais tout de même...
Et puis, ça le fatiguait aussi : d'ailleurs, il sentait poindre un méchant mal de crâne, là, tout de suite.

De la … quoi ?

*La télékinésie est la faculté paranormale de pouvoir déplacer un objet par la seule pensée.
-Para quoi ?
- C’est ce qui se dit des phénomènes hypothétiques, hors de la normalité, que la science actuelle ne pourrait expliquer. *

Odéline regarda le renard d’un air impressionné, très impressionnée.

- Wow …

Elle cligna des yeux.

- C’est épatant ! Et tu fais ça juste avec tes pensées ?

Elle lui sourit. C’était nouveau pour elle, jamais elle n’avait entendu parler de telles choses … C’était fou. Siffroy lui-même ne lui en avait jamais dit mot.

C'était difficile à voir en raison de sa fourrure mais Kyril était en train de rougir devant l'expression ébahie et impressionnée d'Odéline.

- Moui, hmm... ce n'est pas grand chose tu sais. Je ne suis certainement pas le seul à pouvoir faire ça, surtout dans le coin. Et puis... ça m'a valu pas mal de problèmes quand j'étais plus jeune...
Mais... si tu veux vraiment savoir... oui, c'est par la pensée que ça marche. Concentration, volonté et beaucoup d'entraînement.

Il sourit, un peu rêveur, en se rappelant qu'au tout début, il ne pouvait soulever que quelques grammes pendant une poignée de secondes avant de s'effondrer. Depuis, il avait largement amélioré son record...
Maintenant qu'il y repensait, ça devait bien faire dix ans qu'il n'avait pas trouvé quelque chose qu'il n'arrivait pas à soulever, et seuls les usages trop rapides et répétés de son don ainsi que les "pertes de contrôles" étaient capables de l'épuiser.
Jusqu'où allaient ses dons aujourd'hui ? Une fois sa mission accomplie, il faudrait qu'il se penche sur cette question.

- Mais j'y pense, tu n'as jamais vu quelqu'un avec un don particulier ? Il me semblait que tout le monde en avait un dans le coin.

Il lui expliqua un peu son don, évoqua des problèmes, ce qui lui fit hausser les sourcils. Des problèmes ? Pourquoi donc, lui qui avait l’air si gentil ?
Le renard eut un sourire rêveur qi lui fit elle-même sourire, puis il lui demanda si elle n’avait jamais vu quelqu’un avec des dons. Elle réfléchit un instant.

- Si ! Souvent … Je crois. J’ai un peu de mal à les repérer, en fait, parce que ça ne me semble par extraordinaire, vu que je ne sais pas ce qui est ordinaire. Et puis, en général, ils s’envolent pas de façon non maitrisée !

Elle lui fit un clin d’œil.

Kyril sourit, amusé par cette dernière remarque.

- Oui, c'est vrai. Mais il faut dire que je suis un incorrigible fanfaron, je me fais toujours remarquer !
....
C'est une remarque intéressante que tu fais là : qu'est-ce qui est ordinaire, là où tout le monde peut faire des choses extraordinaires ? Hmm...
Enfin, ne fais pas attention, j'ai la tête en vrac après ce vol plané.

Il souffla un peu, et changea brusquement de sujet :

- Dis, tu ne saurais pas s'il y a une fontaine dans les environs ? J'aurai bien besoin de me rafraichir...

Elle rit aux paroles du kitsune, auto-présenté comme un incorrigible fanfaron. Il en avait si peu l’air ! Puis il dit une phrase énigmatique, qui évoqua quelque chose en Odéline. Elle le regarda très sérieusement.

- C’est l’extraordinaire qui est ordinaire alors, et ce qui était avant l’ordinaire devient incroyable, comme tout ce qui sort de toute norme.

Un nuage sembla s’écarter de son regard, et sa voix, son sourire redevinrent plus enfantins, plus adaptés à son image.

- Une fontaine … Ho sûrement … Mais je me perds si vite que je serais incapable d’en trouver une. Par contre, j’ai une maison non loin si tu veux ! Avec beaucoup d’eau, et même des trucs à manger !

Elle lui souriait.

En entendant Odéline parler soudain avec cet air sérieux, Kyril s'immobilisa.
Des cheveux blonds, de grands yeux bleus et des propos encyclopédiques... ça lui rappelait tellement sa Dame que sa mission en solitaire lui donna l'impression de peser mille fois plus lourd sur ses épaules !
Son sourire, mitigé et un peu mélancolique, s'éclaira pourtant lorsque Odéline l'invita chez elle.

- Ce serait avec plaisir ! Mais seulement si ça ne te dérange pas !

C'était étrange de dire ça à quelqu'un qui vous invitait, mais le kitsune enchaina aussitôt d'un ton plus surpris :

- Mais... tu as une maison à toi ?

Il se releva, prêt à la suivre.

Le renard à plusieurs queues eut un sourire étrangement triste qui s’éclaira pourtant aux paroles d’Odéline, et lorsqu’il accepta sa proposition. Elle lui sourit.

- Evidemment que ça ne me dérange pas : je ne t’inviterais pas sinon !

Son ton aurait pu être moqueur, mais il n’en était rien : c’était jute terriblement sympathique. Elle enchaina immédiatement, tout en commençant à se diriger vers chez Siffroy, en faisant signe au kitsune de la suivre.

- Oui ! Enfin, plus ou moins. Je n’y suis pas seule. Et puis elle est plutôt à Siffroy en fait mais bon … Siffroy c’est celui chez qui j’ai atterri, quand je suis arrivée ici. Il m’a trouvée sur son canapé, et depuis je vis chez lui. Il aime bien je crois, parce que je m’occupe de la maison, et que j’aime bien ça. Il est gentil Siffroy, il est très gentil avec moi. Il n’est pas là en permanence, parce qu’il a du travail au Palais, mais quand il est là, c’est chouette, et puis il fume la pipe et c’est drôle. Et du coup, sa maison c’est un peu la mienne. Elle est chouette, sa maison ! Il y a plein de bibelots dedans, parce qu’avant de vivre là, Siffroy, il a fait beaucoup de choses, il a été très jeune lui aussi, et il a ramené plein de choses de ses voyages, et tout est dans sa maison, et c’est joli, parce qu’il y a plein d’objets bizarres, qu’on voit jamais ailleurs. Et il y a plein de livre aussi, et des couleurs ! C’est pas toujours pratique à nettoyer, mas c’est pas grave, c’est tellement joli … Depuis que je suis là, il y a souvent des fleurs aussi, parce que moi, j’aime bien les fleurs, ça fait joli dans une maison, je trouve. Non ? Ah tiens, c’est là !

Tout en parlant, monologuant, plutôt, ils avaient parcouru tout le chemin. Elle sourit à Kyril, et ouvrit la porte, l’invitant à entrer.

Kyril suivit donc la jeune Odéline dans les rues, en s'amusant de ce flot ininterrompu de paroles qui sortait de sa bouche.
Il avait toujours un peu mal au crâne suite à son dernier "exploit" mais il récupérait doucement.
Ca ne le gênait pas assez pour l'empêcher d'apprécier la promenade, c'était déjà ça.

Une fois arrivé devant la porte ouverte, le kitsune prit le temps de s'essuyer les pattes sur le paillasson, avant d'entrer à la suite d'Odéline.
La première chose qu'il nota furent les odeurs : de bois, de tabac, de pâtisseries et surtout, de fleurs.
La maison était accueillante, pour sûr !

- C'est une belle maison, tu as raison. Tu aurais pu atterrir dans moins bien.

Il secoua la tête, avant de s'étirer, observant les divers objets de collection dont Odéline avait parlé. Son regard s'attarda sur certaines pièces, mais il ne fit pas de commentaires. Ca aurait été impoli de sauter partout et de s'extasier devant chaque objet... même si c'était probablement ce qu'il aurait fait plus jeune en pareilles circonstances.

- Ce doit être quelqu'un de très gentil, ce Siffroy, pour héberger chez lui quelqu'un qui tombe du ciel dans son salon.

Odéline eut un rire léger lorsqu’il complimenta sa maison, et e mit à hocher la tête de façon très vive lorsqu’il évoqua la gentillesse de Siffroy, après que son regard fut passé sur moult objets divers et variés appartenant à son cher vieux monsieur.

- Oh oui ! En fait, au débit il a été surpris, et m’a proposé de rester, juste quelques temps, et il fallait que je l’aide pour les tâches ménagères et tout, mais ça s’est éternisé. Ca fait quelques mois maintenant. Il est chouette Siffroy ! Il est un peu vieux, et il fume la pipe, alors ça sent souvent dans la maison, et il a toujours plein d’histoires à raconter, c’est très chouette, moi j’aime beaucoup. Il sait plein de choses, et il a toujours plein d’idées, alors parler avec lui, c’est bien, c’est agréable. Il râle un peu des fois, surtout quand je fais des choses qu’il n’aime pas –comme ramener les trois quarts de la ville chez lui, ou danser avec un démon, ça il n’aime pas-, mais en général, il est très drôle. Là je pense qu’il est au château, avec la Reine.

Elle sourit au kitsune, puis se rappela de façon soudaine le but de sa visite.

- TU veux boire ? Dans quoi je peux te servir ? Tu préfères de l’eau, de l’eau froide, du lait, du jus de fruits, du sirop … ? OU un truc chaud, du café, du thé … ?

Elle reprenait de façon presque instinctive son rôle de petite maîtresse de maison, réfléchissant de même au ragoût de ce midi –agneau et petits légumes-.

Le débit de paroles enjouées d'Odéline était difficile à suivre, mais quelques éléments attirèrent l'attention du kitsune.
Surtout un, qui le surprit au plus haut point :

- Toi, tu as dansé avec un démon ?

Imaginer une jeune fille si gentille et innocente dans les bras d'un être démoniaque lui donnait un drôle de goût dans la gueule. Comme apprendre qu'un enfant avait joué avec un serpent venimeux...
Souriant ensuite en la voyant prendre le rôle de maîtresse de maison, Kyril déclara :

- Du thé m'irait très bien, s'il te plaît. Servi dans une tasse ou un petit bol une bolinette conviendra tout à fait. Et... hmm... au risque de paraître impoli... est-ce que tu aurais du tofu grillé pour aller avec ?

Lorsqu’il lui demanda, surpris si elle avait dansé avec un démon, elle hocha la tête avec vigueur, mais n’eut pas le temps de répondre, absorbée par sa recherche de ce qu’était le tofu.

*Le tofu est une pâte blanche un peu fade et peu odorante que l'on fabrique à partir du lait de soja. On fait cailler le lait, puis on presse la pâte ainsi obtenue afin d'en extraire l'excédent d'eau. Le tofu est très riche en protéines, il peut même servir de substitut à la viande ou au poisson dans le régime alimentaire des végétariens.*

Odéline fit une grimace, puis son visage s’illumina. Elle alla regarder dans le frigo. Victoire ! Oui, c’était cela le bloc blanc qui était là depuis longtemps déjà et dont elle ne savait que faire … Elle regarda la date. Ah oui sauf que … Non en fait. C’était périmé depuis près de deux ans. Elle mit le bloc à la poubelle avec une grimace. 
Tout en sortant un bol bas qu’elle remplit d’eau fraiche au renard, elle lui dit :

- Mon tofu n’est pas grillé, et en plus il périmé, désolée … Je peux t’offrir autre chose avec, à la place ? J’ai fait du gâteau des anges ce matin si tu veux !

Elle lui fit un grand sourire.

Kyril regarda le tofu périmé tomber dans la poubelle avec une expression déçue.

- Dommage, dommage... c'est le genre de spectacle qui fait pleurer un kitsune, mais si ce tofu est resté aussi longtemps sans être mangé, ce n'est plus vraiment du tofu...
*soupir*
Du gâteau des anges ? Nom d'un gorille géant ! Avec un nom pareil, ce gâteau doit valoir le coup !

Kyril s'assit dans la cuisine, observant les déplacements d'Odéline avec un grand sourire. Ses trois queues ondulaient tranquillement dans son dos et lui faisaient presque une auréole de fourrure couleur flamme.

- Tu as besoin d'aide ? Qu'est-ce que tu vas boire toi ?

Le ton était badin, mais cachait une inquiétude : il ne voulait pas manger ou boire seul lorsqu'il était invité chez quelqu'un.

Kyril poussa un long soupir à fendre les cœurs de pierre qui attrista fortement Odéline. Elle fut cependant contente qu’il soit tenté par son gâteau. Il était blanc, léger, mousseux à souhait, avec des pralines roses et des framboises soigneusement cachées dedans. Elle le sortit, et en coupa deux parts.

- Non, non, je me débrouille ne t’inquiète pas ! De l’eau, comme toi. Tu as déjà vu un gorille géant ? Ca a quelle taille ? Ma voix ne semble pas connaître ça …

La dernière phrase avait un ton un peu triste et déçu. Ce n’était pas drôle quand sa voix ne lui répondait pas, trouvait-elle. Elle lui souriait pourtant. Elle porta les deux parts de gâteau, et en posa une devant le kitsune aux queues flamboyantes.
Elle alla ensuite leur chercher de l’eau, qu’elle disposa également sur la table.

Kyril souriait, amusé qu'elle ait réagi à l'expression qui était passée dans son vocabulaire depuis des années, et aussi parce qu'il savait pourquoi la "voix" d'Odéline ignorait ce qu'était un gorille géant.

- C'est normal, il n'y en a pas ici. J'ai habité pendant un moment dans une petite ville au milieu d'une forêt, et il y avait des gorilles géants dans cette forêt. Des fois, l'un d'eux attaquait les voyageurs, ou rentrait dans la ville, car ils sont très hargneux et territoriaux. Ils sont gros comme des petits éléphants... et aussi bougons que des rhinocéros.
Le garde-chasse de la ville avait tellement souvent affaire à eux qu'il disait "nom d'un gorille géant" à chaque fois que quelque chose le surprenait. Et à force de l'accompagner pour l'aider, j'ai pris l'expression à mon tour.

Voyant arriver la part de gâteau, le kitsune se lécha les babines, mais il attendit patiemment qu'Odéline ait terminé ses préparatifs avant de goûter.
Il afficha soudain un air confus, comme pris d'un doute :

- Hmm... je ne sais plus ce que je t'avais répondu tout à l'heure... étais-ce de l'eau ? Ou du thé ?
C'est ça d'être vieux, la mémoire flanche parfois...

Odéline l’écouta très attentivement lorsqu’il lui parlait des gorilles géants. Elle retenait toutes ses paroles, son cerveau semblait les imprimer. Sa Voix pourrait lui ressortir cela aussitôt qu’elle en aurait besoin espérait-elle. Mais cela laissait des questions en suspens …
Le léchage de babines de Kyril la fit sourire. Voilà quelque chose qui lui faisait plaisir. A sa phrase suivante pourtant elle se décomposa. Elle chercha dans sa mémoire et … oui, elle s’était trompée.

- Oh ! Excuse-moi, c’était du thé ! Cette histoire de tofu m’a détournée et … Je vais te faire du thé ! J’arrive tout de suite, désolée, vraiment …

Elle reprit le bol d’eau, qu’elle transféra dans une casserole et mit à chauffer, toute honteuse. Cependant, des questions lui tournaient en tête, et elle ne put les retenir plus.

- Kyril … Tu vivais où avant ? Comment tu es venu ici ? Et pourquoi ? Tu voulais voyager ? Ou c’est à cause de ta mission ? Il y avait beaucoup de créatures différentes ? C’était comment chez toi ? C’est très loin ? Pourquoi tu dois retrouver un bateau ? Tu es vraiment vieux ?

Alors que l’eau chauffait, elle le regardait très intensément.

- Oh, mais inutile de t'excuser ! Le tofu périmé m'a secoué aussi ! Sûrement à cause de cela que j'ai eu un doute...

L'explosion de questions qui jaillit soudain de la bouche d'Odéline comme une éruption volcanique fit rire le kitsune.

- Cela faisait un moment qu'elles te trottaient dans la tête, non ? Je vais avoir du mal à répondre à tout en restant compréhensible !
Commençons par la fin, c'est plus drôle. J'ai 49 ans, si tu veux savoir. Pour être plus précis, j'ai 49 ans de souvenirs, je suis peut-être plus vieux en fait, j'en sais rien.
Une légende court sur les kitsune comme quoi on gagnerait une queue supplémentaire tous les cent ans de vie. Du coup, j'ai peut-être 240 ans, qui sait ? Mais comme il y a plusieurs éléments qui tendent à démonter cette partie de la légende, cette hypothèse tient plus de la blague que d'autre chose !

Il marqua une pause, hésitant presque malgré lui à révéler d'où il venait et pourquoi il était là.

- Je ne suis pas d'ici. Après, j'ai bien peur de ne pas pouvoir te donner d'adresse exacte. Mais je suppose que je suis là pour les deux raisons, par envie de voyager et parce que ma mission l'exige. Je cherche à retrouver une amie, qui m'a "emprunté" mon navire sans me le demander.

C'était bien vague, mais il espérait que la curiosité d'Odéline serait un peu satisfaite.
L'eau de la casserole commença à bouillir à cet instant.

Odéline écouta très attentivement les réponses de Kyril. Alors, un autre monde existait bel et bien. C’était déjà très, très bon à savoir. Cela lui ouvrait de nouvelles possibilités quant à ses origines, bien qu’elle ne s’en aperçoive pas encore. Cette histoire d’âge et de mission l’intriguait toujours. Cependant, elle n’eut pas le temps de poser plus de questions. Elle entendait le sifflement de l’eau. Elle se détourna donc avec un sourire, et arrêta le gaz avec précautions, avant de prendre la casserole, et de verser l’eau chaude dans le bol. Elle prépara ensuite des feuilles de thé, qu’elle mit dans une petite boule pour les faire infuser dans l’eau. Cela avait tellement plus de goût ainsi !
Elle plongea donc la boule dans l’eau, laissant apparente et non immergée la chaînette permettant de la récupérer sans se brûler une fois le thé assez infusé. Elle porta le tout, qui réchauffait très sérieusement ses mains, au kitsune avant de s’asseoir face à lui avec un joli sourire.

- Et voilà ! Tu veux du sucre au fait ?

Elle lui sourit de nouveau, et attrapa du même coup la boîte à sucres, la posant sur la table. Elle prit également sa cuillère, qu’elle fit tourner un peu entre ses doigts, afin de ne pas attaquer tout de suite sa part de gâteau.

Le kitsune observa un instant l'eau du bol prendre une belle teinte cuivrée, avant d'incliner la tête en direction de son hôtesse.

- Merci. Je préfère goûter le thé nature avant de chercher à rajouter quelque chose.
En attendant, puis-je découvrir ce gâteau au nom céleste ?

Le kitsune rapprocha doucement l'assiette contenant sa part d'un coup de patte et renifla longuement la pâtisserie avant d'en prendre une bouchée dans sa gueule. La légèreté de la mousse et la saveur fruitée le fit gronder de plaisir. En revanche, il eut un peu de mal à croquer les framboises et les pralines astucieusement cachées dans le gâteau, car n'arrivant pas à les croquer, ces ingrédients avaient la fâcheuse manie de rouler dans sa gueule.
Cette lutte lui donnait un air concentré tout à fait comique.

- Délicieux ! Absolument délicieux ! C'est ta voix qui t'a appris cette recette, ou c'est Siffroy ?
Si ça ne te dérange pas, j'adorerai te piquer la recette.

Alors qu’Odéline savourait avec délices sa part de gâteau, Kyril semblait avoir un peu de mal avec le sien. Elle rit gentiment en le voyant lutter. Sa cuillère s’était suspendue dans la contemplation amusée de ce combat alimentaire. Enfin, il parla, et les yeux d’Odéline se mirent à pétiller de joie lorsqu’elle entendit le compliment du kitsune. Elle rit un peu.

- Ni l’un, ni l’autre ! C’était dans un livre, que j’ai trouvé là hait, dans les affaires de Siffroy. Il ne se rappelait même plus de sa présence. Et je m’en sers très souvent ! Il y a de supers idées dedans !

Elle se leva et alla le chercher dans son armoire, et le fut glisser vers le kitsune.

- Tiens si tu veux le feuilleter.

En attendant, elle reprit une bouchée de gâteau en souriant. Il fallait avouer que ce n’était pas mauvais, aussi sourit-elle.

*Siffroy sera ravi ce soir en rentrant ! J’espère qu’il n’aura pas eu une trop dure journée …*

Faussement vexé, Kyril tira la langue à Odéline lorsqu'elle rit de sa bataille de bouche.
La fraicheur du gâteau était en train de dissiper son mal de crâne. Du coup, le kitsune n'hésita pas à se servir de sa télékinésie pour soulever et tourner les pages du livre de cuisine.
Il feuilleta ainsi l'ouvrage distraitement tout en mangeant.

Au bout d'un moment, il reposa le livre sur la table et dirigea sa télékinésie vers la tasse de thé qui lui était destiné.

- Les recettes qu'il y a dans ce livre sont... intéressantes. Oui, je crois que c'est le mot. Oh ? Mais ça ne va pas du tout ça !

Il venait de jeter un oeil au fond de sa tasse, et d'y voir apparamment quelque chose qu'il n'appréciait guère. Le kitsune fit voler sa cuillère jusque dans la tasse et remua énergiquement le liquide.
Vérifiant le fond de la tasse, il sembla satisfait et but une gorgée avant de sourire.

- Je n'allais quand même pas boire une tasse dans lequel les résidus de thé dessinent un signe de mort, pas vrai ?

La grimace du kitsune la fit rire un peu plus, d’un rire frais de grande gamine. Elle aimait bien ces mimiques, qui la faisaient toujours beaucoup rire. Elles montraient pour elle l’humour et la joie de vivre en quelque sorte, et la rassuraient un peu, quelque part, tout au fond. Elle le regarda feuilleter le livre de recettes en picorant dans son gâteau. Puis il s’arrêta, et elle s’arrêta avec lui, et écarquilla les yeux lorsqu’il lui parla de signes de mort.

*Ce sont des évènements ou des tracés particuliers, changeants selon les cultures, interprétés comme étant un présage de mort, ou d’un évènement néfaste. C’est de la superstition.
- De la quoi ?
-  La superstition est une croyance religieuse irrationnelle, un attachement inconsidéré aux doctrines et prescriptions qui sont du domaine du sacré, ainsi qu’une croyance irrationnelle à l'influence, au pouvoir de certaines choses, de certains faits, à la valeur heureuse ou funeste de certains signes et l’ attachement excessif, le soin trop méticuleux porté à quelque chose. C’est contraire à la raison.
- Mais d’où viennent-ils ? Quels sont-ils ?
- Ils ne viennent que de l’esprit des hommes, et changent selon les cultures. *

Devant l’absence manifeste de réponse plus approfondie de la voix, elle posa la question à Kyril.

- Mais … Comment ces signes sont-ils venus au fond de ta tasse ? Ils sont vraiment mauvais ?

Ses grands yeux bleus brillaient de curiosité.   

[Nos sujets tournent beaucoup autour de la boustifaille en ce moment moi je trouve xD]

[C'est un mal ? ]

Le kitsune lui tira de nouveau la langue, malicieux, avant d'expliquer d'un ton amusé :

- Tu ne connais pas l'adage ? Le hasard fait bien les choses ?
D'ordinaire, je ne fais pas attention à ce genre de choses, mais étant donné ma mission, il faut que je mette toutes les chances de mon côté. On ne sait jamais...

Il lapa ensuite un peu de thé, réussissant à ne pas en mettre partout - il avait de l'entraînement ! - puis il eut l'air de se rappeler quelque chose :

- J'ai remarqué qu'il y avait plein de fleurs fraiches dans la maison. C'est ton ami Siffroy qui les achète, ou toi qui va les chercher ?