Epreuve 2 - Damned Town & Elysion

   

Je levais rapidement les yeux vers la source de ce bruit qui commençait déjà à me taper sur les nerfs. Il s’agissait d’une horloge. Et le bruit qu'elle faisait était insupportable. Je poussais alors un long soupir en me massant l’arrête nasale. J’étais assis depuis maintenant une bonne heure sur une chaise inconfortable à observer la même table en métal et le même rapport d’incident. Je commençais à perdre patience et un flic allait finir par prendre un gnon s’ils me faisaient attendre plus longtemps.

C’était précisément à ce moment que la porte de la salle d'interrogatoire s’ouvrait. Il y avait deux policiers. Le premier condé à passer la porte était un vieux flic à l’allure bedonnante, et il était accompagné d’un collègue à lui, plus svelte, et plus jeune aussi. Les deux avaient l’air grave, comme un matin au cimetière. Je me souviens avoir laissé s’échapper un ricanement qui s’évada par mes narines dans un raclement narquois.


Je levais alors les yeux vers l’aîné. Il me regardait d’un air sévère et un brin colérique. Mon visage se fendit d’un sourire nonchalant avant de lui répondre.


Vu sa gueule, le flic semblait pas réceptif à mon humour. Dommage, ça aurait été bête de passer un bon moment. Les deux s’assirent en face de moi, de l’autre côté de la table.


Je haussais les épaules.


Je le défiai ensuite du regard. Ils me faisaient pas peur.

/Hrp/ Oui pour les commentaires simples et approfondis et la lecture à voix haute. /Hrp/

Elle se tenait droite, sagement posée sur sa chaise, poupée de porcelaine, robe rouge, beaux cheveux noirs. Eux demeuraient debout, tous les deux, visages grossiers, l’un large, l’autre pas, insignes sales. Elle avait un peu froid, la salle était grise, humide, sans forme ; un vilain nuage. Rien à voir donc et rien à entendre non plus… Si leur musique.


Le premier faisait régulièrement claquer sa langue. Le second tapotait sans le savoir sur le dossier posé sur la table au même rythme. Un orchestre risible. Répugnant. Ils lui donnaient envie de vomir. Il fallait qu’elle s’en aille.


« Ce sera encore long ? »


Elle avait dit ça l’air de rien, sourire tordu et mutin, poitrine légèrement avancée. Claque-langue s’agaça, son nez non plus rouge mais violacé. Le pianoteur grogna, pluie de notes crispantes se réverbérant dans son corps sec.


« Vous vous prenez pour qui au juste ? On vous découvre sur une scène de crime, l’air hagard, peut-être rêveur… En tout cas suspect voire sordide et vous trouvez qu’on vous gâche votre journée ? Qu’est-ce que vous faisiez là-bas et depuis combien de temps ?


— Oh, c’est ce détail qui vous turlupine… Je suis arrivée, j’ai levé la tête, à l’horloge 17 h 23. Je n’ai vu le corps qu’après, il gigotait encore… J’ai pris son pouls … Son cou comme tout son être étaient si amochés… Ma robe est rouge oui, mais mes gants étaient blancs… Heure du décès quelques minutes plus tard. Voilà, c’est tout… Vous devez être un peu poètes pour vous intéresser à d’aussi petits détails… »

 Pendant un moment, ils ne dirent rien. Bouches ouvertes, laides, un air encore plus idiot. Elle passa sa main droite sur ses tempes et les frotta, soucieuse. Mère allait s’inquiéter si elle tardait trop à rentrer. Claque-Langue frappa sa chaise. Elle sursauta.


« Mais espèce de folle furieuse ! Tu n’en as pas marre de te moquer de nous ! On sait très bien que tu sortais avec lui ! Les voisins t’ont identifiée ! Alors, tu te mets à table ou on doit te dégorger le gosier avant ? »

Qu’est-ce que je me faisais chier. Les questions tournaient en rond et je me demandais bien où est ce qu’ils allaient bien pouvoir essayer de me niquer. En-tout-cas, je pouvais voir que ma réponse leur faisait pas plaisir. Comme si j’allais donner du grain à moudre à ces trous du cul. Le jeune faisait la moue et l’ancien avait le visage tordu en un rictus mécontent.


Je me redressais sur ma chaise, sortais mon paquet de cigarette, et tapai le fond pour faire sortir un tube. Je le prenais aux lèvres avant de l’allumer avec le briquet rangé dans la poche intérieure de mon imperméable. Le tout sous le regard médusé des deux agents.


Je tirais ensuite quelques taffes avant de souffler un long filet de fumée vers le plafond. Je baissais ensuite le menton pour refaire face à mes interlocuteurs.


Je reprenais ensuite une bouffée de nicotine. J’appréciais beaucoup l’air contrit des deux flics. Je sais pas ce qui se passait, mais ça avait pas l’air de leur faire plaisir. De quoi illuminer ma journée.

« Vos gants ! Oui ! Vos fameux gants ! Où sont-ils ? Vous ne les avez pas sur vous, hein ? Personne ne les a vus d’ailleurs ! Pourquoi ? Très simple, on vient de les retrouver dans une poubelle, dans une rue non loin de l’appartement ! Ensanglantés et brûlés sur les extrémités des doigts ! Vous quittez enfin vos grands airs ?


— De quoi parlez-vous ? Oui, je les ai jetées et alors ? Ils étaient fichus, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Je n’ai pas comme vous un goût fétichiste pour les ordures… Oh ne vous sentez pas insulté, ces penchants s’associent parfaitement avec votre figure…


— Oh, continuez de jouer l’idiote, ça nous amuse ! Faites comme si vous ignoriez la nature de l’arme du crime ! Les traces de brûlures ne trompent pas ! Vous lui avez ouvert le crâne à coup de grille-pain, telle la garce hystérique que vous êtes ! »




« Comment on peut tuer avec une boule à neige ? »

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Je prenais une pause pour achever de finir ma clope que j’écrasais ensuite dans un cendrier de poche. Je dévisageais les deux policiers l’un après l’autre. Je pouvais lire la tension sur leurs visages.

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Les deux policiers affichaient tous deux un air dépité. Ils savaient que j’étais dans le vrai. J’avais l’impression de voler leurs cadeaux de Noël. J’aurais presque pu culpabiliser tiens.

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Avec leur tête de chiens battus, les deux représentants de la loi sortaient de la pièce. Ils étaient confus. Je pouvais même entendre le début de leur conversation alors qu’ils s’en allaient. Quelle négligence ! Le plus mince démarra, ses traits trahissaient son inquiétude et son inexpérience.

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Les chuchotements se poursuivirent dans le couloir, j’avais beau avoir l’ouïe fine, je ne pus saisir que le début de la réponse de ce que je suppose maintenant être son binôme.

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« Si on arrive à… »

Elle n’entendit pas le reste, mais s’en moquait. Il faisait moins froid, le chauffage était enfin allumé. Elle s’enroula un peu plus dans son châle, puis déplaça sa chaise vers le mur le plus proche. Elle y posa sa tête et s’endormit du sommeil silencieux des serpents.


Claque-langue et le pianoteur qui étaient sortis quelques instants la trouvèrent donc paisiblement endormie. Le premier étouffa un juron tandis que le second frappait nerveusement le sol de son pied gauche. C’est lui qui le premier céda à l’emportement :


« Je n’en peux plus de cette fêlée… On peut certainement relancer la garde à vue. On a de quoi faire avec ses gants et son attitude de démente, mais pour quel résultat …


— C’est une mare de merde cette affaire et on a même oublié comment nager… Elle n’a pas un éclat de verre sur elle, pas une trace de sang sur sa robe et on ne peut pas prouver qu’elle avait une relation avec la victime… Cette connerie de “j’ai entendu du bruit et je l’ai vu mort” et puis…


— Et puis il y a le pire oui… L’autre allumé. Plus on avance plus leurs histoires sont symétriquement faites pour nous faire chier… Et pas un témoin n’est capable d’avoir vu les deux ! Même les caméras ont décidé de nous broyer les…


— Oui, oui, t’énerve pas… On y arrivera pas mieux comme ça… Peut-être que Porcelaine va finir par craquer et nous lâcher quelque chose. Faut qu’on s’accroche, il nous reste encore un peu de temps.


— Très bien, continue de la cuisiner, moi, je reste près de la porte, sa présence… Elle me fait peur bordel. Je sais que c’est qu’une bonne femme… Mais bordel, j’avais pas ressenti ça depuis l’enfance…


— Je sais mon gars, moi aussi, moi aussi… »

C’est ça que j’adore avec les chiottes dans les commissariats. On entend absolument tout. Cette pause vidange était une des plus instructives que j’avais pu avoir.




Voilà qu’ils se sentaient pousser des ailes. Sur le moment, je n’y avais pas prêté attention, trop occupé à pas me faire coffrer. Si ça arrivait un jour, Dragon allait de faire poêler les roustons à feu vif. Cependant, avec le recul, ça sent le vice de procédure à plein nez. Peut-être que ces flics avaient plus de couilles que je pouvais le croire.

Quoi qu’il en soit, c’était pas le moment de flâner. Je venais de terminer ma besogne. Je remontais prestement ma braguette. Et je retourne en compagnie de l’agent chargé de me garder à l’œil pour revenir dans la salle d’interrogatoire.

« Il reste bien cette dernière preuve…  


— L’utiliser serait complexe… Tu sais très bien pourquoi on ne l’a pas sortie jusqu’à maintenant.


— Quand on est au dos au mur, il faut abattre ses dernières cartes. Voyons comment la sorcière réagit lorsqu’on lui lance l’un de ses sorts à la figure… »


Claque-langue frappa contre le mur en hurlant. Elle se réveilla en sursaut et manqua de perdre l’équilibre. Courroucée, elle le fixa, les pupilles dilatées, prêtes à mordre.


« Désolé princesse, l’hôtel est fermé, mais rassurez-vous, j’ai pour vous occuper un peu de lecture. Une dame sophistiquée comme vous doit bien aimer ça le beau monde des lettres, non ? dit Claque-langue en ricanant et en plaquant devant elle un texte grossièrement écrit.


— Vous ne vous demandez pas où nous l’avons trouvée n’est-ce pas ? reprit Le pianoteur d’un air suffisant.


— Dans la hotte du père Noël ? » chuchota-t-elle en dévoilant ses canines effilées.


Cette fois-ci, Claque-langue n’y tint plus. Il l’attrapa par le col et frappa sa tête contre la table. Elle n’eut pour toute réaction que de remettre sa chevelure en place, et d’essuyer son nez blessé avec quelques feuilles du dossier.


« J’en peux plus sale petite conne, vas-y, lis et raye de ta figure ta petite satisfaction de merde !


— Très bien, très bien. J’imagine que savoir lire, c’est au-dessus des compétences de la police… alors :


“Je vais te crever”


Un soir, tu verras ma silhouette fine apparaitre au bout de ta ligne.


J’avancerai alors et mes cheveux couleurs de nuit seront pour toi une première insomnie.


Quand tu ouvriras ta porte, mon visage d’os t’indiquera ta fin précoce.


Et ma jeunesse furieuse emportera ta vieillesse creuse.


Hum, il y a plus ou moins des rimes, mais ce n’est pas de la grande poésie. Et la graphie est aussi honteuse que le sens du vers de cet individu. Ce sera tout ou vous avez encore d’autres bavures en stock ? »

Quand ils revinrent dans la pièce, les deux condés étaient colères, très colères même. L’affaire se passait pas comme ils le voulaient. La conversation que j’avais surprise dans les toilettes ne jouait pas en leur faveur. J’étais curieux de connaître l’abracadabrant stratagème qu’ils avaient élaboré pour essayer de me coincer. Ils se rassirent à leurs places respectives.


Je laissai s’échapper un rire gras. C’était tout ? Décidément, les humains étaient d’une incompétence folle.


Un rictus narquois se fendait sur mon visage.


Mes interlocuteurs affichaient maintenant une mine déconfite. Ils étaient vaincus. Sans plus de cérémonies, je fus relâché après une petite heure de procédures. Je prenais le temps de respirer à pleins poumons l’air frais du voile nocturne qui s’était à présent abattu sur la ville. Je prenais même le temps de m’allumer une petite clope. Quelle histoire de merde cette affaire quand même. C'est la dernière fois que je rends service à un vieil ami.

Une autre personne sortie du commissariat à quelques mètres de moi. Je jetai un œil dans sa direction et croisai son regard. Je lui adressai un petit signe de tête entendu, avant de disparaître dans les ruelles enténébrées, en chemin vers une prochaine affaire qui n’attendait que moi.

Le temps commençait à être vraiment long. Les effets secondaires d’une telle situation devenaient d’ailleurs problématiques. Elle s’était mise sans s’en rendre compte à claquer sa langue d’une manière profondément vulgaire et a tapoté les accoudoirs de sa chaise en rythme comme un ersatz d’hyperactif insupportable. Il fallait qu’elle sorte au plus vite.


« Alors toujours pas décidée à coopérer ? Répéta Claque-langue pour la énième fois.


— Je reconnais que le texte peut faire penser à ma personne. Mais il reste très imprécis. Et puis vous pensez réellement que j’écris aussi mal. Vous pouvez briser tous mes doigts si cela vous chante et me demander ensuite de recopier le dictionnaire… La moindre lettre je peux vous l’assurer sera un chef-d’œuvre à côté du torchon infâme que vous exhibez en salivant. Et puis… Si vous ne l’avez pas sortie avant, c’est bien qu’il y a autre chose non ? »


L’instant d’après, un homme, laid, mais moins que Claque-langue et Le pianoteur entra. Il brandit un document devant les deux idiots et ceux-ci, déconfits, le laissèrent passer.


« Vous êtes libre, venez avec moi. »


Elle lui emboita le pas. Il lui expliqua que les enquêteurs avaient multiplié les erreurs. Ils l’avaient frappé, mais également, ils n’avaient pas révélé qu’ils avaient retrouvé des empreintes différentes des siennes sur la lettre. De plus, avant même de la présenter, des analyses graphologiques avaient déjà montré que ce n’était pas son écriture. Les empreintes n’avaient pour le moment pas mené à l’arrestation d’un suspect, mais leur nature étrange, comme si elles venaient de deux êtres à la fois, était une particularité très rare, ce qui limitait fortement les possibilités. Même si des doutes planaient encore sur elle, ils étaient donc obligés de la laisser partir, et d’accepter le fait qu’elle s’était rendu d’elle-même pour aider l’enquête.


Lorsqu’elle sortit, la nuit venait à peine de tomber. Elle échangea un regard avec un homme sorti manifestement quelques instants avant elle et qui n’avait pas l’air d’un policier. Elle lui sourit. Il y avait manifestement encore de nombreux hommes intéressants dans cette ville…