Epreuve 7 - Kaoren [Esquisse] & Tila [Miradelphia]

TW : Violences de toutes sortes (agression, meurtre, viol, you name it) suggérées tout au long du RP.

Introduction:

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Les heurts se chevauchaient ;
Son corps balançait
D’un tremblement humain
Sans issue ;

L’écho grondait
Sans respirer
Sous un nuage lourd ;

Les sens s’agitaient
En quête d’un repère ;

L’inconnu étouffait.

Easel retira son bandeau.

Des clameurs puissantes éclataient sous la foule, résonnant frénétiquement entre les grands couloirs urbains. À droite, devant, derrière, les gens apparaissaient et disparaissaient, se bousculant et chahutant sans considération. On parlait de plus de choses qu’une seule paire d’oreilles n’en pouvait entendre, et de rues en rues, on prenait plus de directions qu’un seul pas n’en pouvait suivre. Au sommet de la scène, le ciel était rayé de bandes de couleurs, où des fanions brodés se disputaient les vents avec les feuilles jaunissantes ; et jusqu’au pied des immenses bâtiments, la lumière pleuvait, d’oranges et d’ors flamboyants.

On secouait la Gardienne ; on s’excusait ou non d’avoir marché sur sa grande robe noire ; elle lançait ses regards de haut en bas, de droite à gauche, des arbres verdoyants aux piliers décorés, en frayant à sa silhouette un chemin parmi toutes ces autres. Au loin, de grands édifices sombres culminaient partout où l’horizon se montrait encore. Il n’y avait qu’eux ici à tenir en place ; les visages, les voix, les profils, partout autour, se transformaient constamment au fil des pas d’Easel. Entre les passants, sa démarche se perdait. Ses yeux glissaient vivement sur les flux et reflux de cette vague humaine, retournant parfois chercher les silhouettes de ces édifices lointains.

Puis dans une direction, spontanément, une ouverture se creusa ; Easel s’engouffra ; l’air revint peu à peu, la vue se dégagea, et elle posa la main contre un mur.

Hors du mouvement, elle se mit à respirer plus doucement. Le vacarme ne cessait pas derrière elle, mais il ne lui inondait plus qu’un seul sens. D’autres jambes venaient raser les plis de sa robe, mais de moins près, et à intervalles moins réguliers. Elle leva lentement les yeux ; les voix continuaient de défiler. Elle commença à longer la paroi à son flanc, à contresens de ces figures qui s’agglutinaient sur l’autre. La pierre lui appuyait sous les pieds, d’autant plus fort que ses enjambées s’agrandissaient ; de plus en plus rapidement, elle s’éloignait de la cohue ambiante. Les silhouettes se dispersaient progressivement, le cours des discussions s’éclaircissait.

Au premier tournant, une artère plus sombre vint l’accueillir ; les vents les plus calmes s’y réfugiaient, à défaut d’un abri plus silencieux ; la lumière, elle, n’osait y pénétrer qu’à tâtons. D’autres passants, moins nombreux, y faisaient aussi leur chemin par groupes de quelques têtes. Easel se logea derrière le virage, la respiration forte et le bras tremblant.

Puis un hurlement survint, auquel répondit un autre ; derrière un champ de vision obstrué, deux paires de bras s’agitaient, s’empoignaient férocement, se rendaient coup pour coup. À chaque mouvement, un nouveau cri parvenait à dépasser le chahut ambiant, qui poursuivait imperturbablement son cours. Les figures qui bloquaient la vue formaient des rangs de plus en plus denses autour de la scène ; certaines passaient, beaucoup s’arrêtaient devant. Bientôt, il n’y avait plus que les voix pour la décrire. Et quand il n’y en eut plus, les rangs se dispersèrent de nouveau. L’une des paires de bras gisait au sol, l’autre s’élevait dans les airs sous ses propres clameurs. Easel avança de quelques pas, puis recula spontanément d’autant. Elle porta la main devant sa bouche, se retourna, et s’enfonça plus profondément encore dans la ruelle.

Il y eut d’autres hurlements ; le vent en portait d’autant plus qu’Easel progressait. À chaque fois, elle ne se retournait qu’un instant, avant de reprendre sa progression d’un pas plus hâtif. Quand il ne resta plus que des cris, elle rebroussa à nouveau chemin. Elle s’arrêta quelque part où le vacarme ambiant était assez épais pour les couvrir, sans être lui-même plus strident. L’air reprenait sa douceur avec peine. Un mur se plaqua contre son dos, et ses jambes commencèrent à glisser.

Affalée au sol, sa robe ternie par la terre, la Gardienne faisait piteuse impression ; elle jetait des regards dans toutes les directions, auxquels répondaient toujours les mêmes images de rues sordides et de foules précipitées ; et puis du vacarme se distingua une voix, suivie d’un visage affolé, et de mains propres qui frottaient ses vêtements salis. Entre les indifférences ambulantes, elle s’excusait, plus sincèrement qu’aucun passant ne l’avait fait jusqu’ici. Easel appuya ses paumes sur le sol pour se redresser, mais la pierre escarpée l’en punit immédiatement ; les bras lui tremblèrent, elle ramena ses mains à sa bouche sous des yeux froncés, et demeura assise pendant que la voix continuait de lui parler.

Quand l’air commença à s’apaiser, après qu’elle se fut tue, les mains de l’étrangère devenues plus lentes et celles d’Easel moins tremblantes, la Gardienne releva la tête ; pendant que tout autour, entre les grands murs noircis, le vent portait des bruits violents et des odeurs dangereuses, leurs deux regards se croisaient calmement. Loin des poings s’entrechoquant, des doigts se dévêtant, et bientôt des éclats d’acier blanc se rougissant, les yeux d’Easel cherchaient eux-seuls savaient quoi dans ces traits qui l’observaient, patiemment, pendant qu’elle tentait enfin sa réponse :

« Vous vous trouvez… »

Mais le ciel au-dessus d’elle l’interrompit ; sous la farandole de couleurs vives qui le tranchaient, il était toujours bleu. Il ne s’animait pas d’une fresque rose d’images chaotiques, comme à son habitude ; les images chaotiques, il les avait jetées au sol ; il les faisait pavaner inlassablement autour de la Gardienne, et de cette dénommée Solange. Ce n’était pas le ciel, ni le sol, au-dessus desquels l’Esquisse l’avait toujours surplombée ; même eux portaient des atours étrangers.

« Nous ne sommes pas dans l’Esquisse. », finit-elle par répondre sibyllinement. Derrière son interlocutrice, le tumulte continuait de la haranguer, à renfort de bruits sourds et de visions absconses. Peu de mots trouvaient son chemin vers elle, dans ce désordre absolu ; elle secoua brièvement la tête, respira avec force les quelques brises qui daignaient encore lui chatouiller le nez, puis avec difficulté, s’efforça enfin de se redresser.

Debout, elle promena une dernière fois son regard sur le flot de figures inconnues qui coulait devant elle ; il y en avait toujours de nouvelles, toujours plus bruyantes, toujours plus agitées ; elles ne cessaient d’inonder l’instant, où qu’elle regardât, de leurs milliers d’indomptables petits boucans. Au bout du compte, c’est la tête plongée dans une main qu’elle parvint enfin à reprendre la parole :

« Nous ne sommes pas dans l’Esquisse, répétait-t-elle. Elle haletait encore entre chaque phrase. Je… je ne sais pas où nous sommes. Je ne reconnais pas le ciel, ni les murs, ni les gens. C’est comme si… Elle renvoya à nouveau ses yeux au-dessus d’elle. Comme si nous étions dans le ciel. Comme si Mère nous avait envoyés dans… »

Sa voix faiblit rapidement au fil de son discours, et à la faveur de la cacophonie ambiante, les derniers mots furent dévorés aussitôt qu’ils furent prononcés ; c’est le visage aux yeux tremblants de la Gardienne qui dut en porter le message.

L’expression paralysée, la Gardienne se laissait porter par la main de Solange à travers les rues hurlantes. Elle n’avait répondu à ses questions que par des mouvements de tête erratiques, qui peinaient à ressembler à des hochements. Ses jambes se contentaient de courir derrière celles de sa compagnonne en guise d’approbation, tandis que ses yeux glissaient sur les murs et les passants qui défilaient à leurs flancs.

Les silhouettes filaient de plus en plus rapidement, et l’air avait de plus en plus de mal à rattraper les poumons d’Easel. Tout ce paysage claustré en devenait flou ; les yeux qui l’entouraient n’avaient plus le temps d’apparaître, ils étaient passés avant même que se fût montrée leur couleur. Les mots de Solange lui glissaient également dessus, sans trouver le temps de lui faire résonner leur sens. Les masques et les armes occupaient bien des pans de sa vision, mais aucun de son esprit. Elle courait, simplement, sans qu’une destination l’appelle. Les rues s’obscurcissaient, les figures se dispersaient, et progressivement, les bandes colorées se raréfiaient dans le ciel, qui retrouvait l’unité de son bleu oppressant.

Alors la Gardienne s’arrêta net, tirant fermement le bras de sa compagnonne, et se jeta dans une galerie couverte qui se présentait sur leur droite. Elle y fit quelques pas précipités, affaiblis, puis rompit enfin sa course, le souffle irrégulier, les mains sur les genoux et les yeux braqués au sol.

L’endroit était sombre, hors de vue du ciel, et poursuivait devant en s’obscurcissant. Derrière, les bruits se faisaient plus étouffés, il n’y avait plus que leur écho à parvenir jusqu’ici. Quant à l’air, il était devenu lourd, nimbé d’amères odeurs, mais au moins, il revenait. Easel, encore tremblante, l’aspirait à grandes bouchées. Après quelques-unes, elle finit par balbutier :

« Ça ne peut pas… elle inspira un grand coup. Ça ne peut pas être une punition… La liberté, ça ne peut pas être une punition… Mère punit en contraignant, pas en libérant. »
Sa respiration commençait à se régulariser. Péniblement, elle releva la tête vers sa compagnonne pour continuer :
« Tous ces gens, dehors, ils sont libres… ils font ce qu’ils veulent… Ça ne peut pas être une punition, ça doit être… une épreuve… Une épreuve de liberté… »

Et silencieusement, ses lèvres se répétaient ces derniers mots en boucle.

La main de la Gardienne frissonnait, mais une grande bouffée d’air froid tenta de la redresser ; ses yeux ricochèrent vers ceux de sa partenaire, et d’un hochement de tête, elle se remit à la bravoure des Odélians. Les deux femmes jaillirent de leur abri, Solange en première ligne. Easel tenait son regard braqué au sol, pour ne plus voir défiler que les pavés et la terre qui s’infiltrait entre eux, ponctués régulièrement par l’image de ses jambes pendulant à toute vitesse. Le ciel bleu les surplombant, les silhouettes diffuses les entourant, ne se manifestaient plus que par leurs cris devenant de plus en plus sourds.

Le halètement de ses poumons reprenait, et bientôt, les pavés se transformèrent en marches montantes. Les efforts qui s’opposaient à sa course s’intensifièrent, la douleur sous ses pieds aussi. Mais après une dernière enjambée, les dalles redevinrent plates, et les pas d’Easel ralentirent avec ceux de sa compagnonne. Ses yeux se risquèrent à se relever pour contempler, derrière une assemblée poursuivant ses indénombrables chemins, un imposant édifice de pierre délavée qui découpait le ciel. Ses pas ralentirent.

« Mère nous abritera… ici ? », lâcha-t-elle à bout de souffle.

« Maintenant… ? »

Easel regardait autour d’elle, tremblante. Les piliers s’enfonçaient plus haut que ses yeux ne pouvaient les suivre, à travers un dôme d’ombre les toisant avec splendeur. Les échos étaient plus écrasants encore qu’à l’extérieur, chaque bribe de cri s’y trouvait répétée cent fois. Et devant elle et sa compagne, sous des traits indiscernables, une imposante figure de marbre les narguait.

Les joues trempées d’Easel cherchaient son regard, entre les hurlements lointains qui tentaient de la rattraper ; les yeux écarquillés, la voix vacillante, elle finit par gémir :

« Mère, protégez-nous de cette liberté… »

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