BàT IF XVIII - Épreuve 2 par Kaoren & Loutre

1er Rubéen, vingt-sept cent quatre-vingt… sept, huit, ou peut-être quinze ; l’année importait moins que le jour. Elle n’en était qu’une nouvelle parmi tant d’autres, pour tous ceux qui ne tourmentaient pas leur esprit à les compter. Mais le jour, lui, était spécial : il était à la fête.

L’aube n’en était encore qu’à ses balbutiements, mais la liesse s’était déjà emparée de toute la cité d’Élysée ; des grandes places marchandes aux faubourgs les plus éloignés, les gens sortaient de chez eux pour se rencontrer et festoyer ensemble. À renfort d’embrassades et de verres de vin, on défiait amicalement la fraîcheur des nuits minosiennes, dont même la saison froide n’ôtait rien à la douceur.

Au palais, l’agitation était plus grande encore. Domestiques, gouvernants et gardes royaux se croisaient d’un pas pressé, fignolant aux quatre coins du bâtiment les préparatifs de la somptueuse réception qui devait s’y tenir. Les cuisines défournaient des miches de pain frais, les loges relisaient leurs registres d’invitations, et au cœur de toute cette activité, la grande salle achevait de décorer ses colonnades pour accueillir son bal prestigieux. Et partout, des responsables aux titres renommés s’assuraient que rien n’entacherait la réputation de celle qui était à l’honneur aujourd’hui : la reine Beldura.

Son nom résonnait dans toutes les artères du palais ; on s’arrachait ses instants précieux depuis son réveil, on allait la chercher jusque dans les jardins royaux pour lui faire approuver un détail, l’avertir d’un changement, ou lui rappeler son emploi du temps du jour. Ses conseillers se succédaient devant elle, lui passaient leurs instructions sous un manteau de courbettes protocolaires, puis s’éclipsaient avec diligence. Même quand le dernier d’entre eux disparaissait, les Montagnes Déméter lui renvoyaient l’écho de son nom que l’on réclamait encore et encore.

« Vous êtes une reine adulée, l’interpella une voix d’enfant à côté d’elle, profitant d’un instant de sa solitude. Vous avez derrière vous des années dont vous pouvez être fière. »

On aurait pu croire que les immenses feuillages suffiraient à la cacher, elle qui était si frêle, mais ils finissaient toujours par la retrouver. A croire, qu’ils sentaient son odeur malgré les milliers de fleurs suaves pour la dissimuler. Oh, elle aurait dû le savoir, après tant d’années de règne mais … renoncer à la moindre bribe d’intimité, n’était pas chose aisée.

Le Palais était une fourmilière. C’était la fête la plus marquante pour la royauté; c'était aussi celle que Beldura appréciait le moins. Elle détestait cette mise à l’honneur, comme l'entre soi curial que sous-entendait le Couronnement. Plus encore depuis qu’elle n’avait plus d’appui fidèle …
Alors, vainement, la Reine de Minos avait tenté de fuir la fête qui était peut-être la plus importante pour une souveraine, se réfugiant dans les jardins. Peine perdue …

Fermant les yeux, elle rejeta un instant la tête en arrière, non loin de se masser les tempes. Un conseiller venait de partir après qu’elle ait dû choisir entre des serviettes de table crème ou écru, et une nappe sable ou chamois. Elle venait de tirer un trait sur l’idée d’avoir un moment seule, de se décider à revenir entre les murs du palais. Beldura prenait un moment pour se préparer à affronter toute cette effervescence.
C’est dans cet instant d’entre-deux qu’une voix d’enfant vint la faire sursauter.
Elle découvrit près d’elle un garçon mince, dégingandé, aux cheveux roux mi-longs, et au visage un peu émacié. Beldura était persuadée de ne jamais l’avoir vu, mais lui semblait la connaître. Sa remarque lui arracha un sourire triste.

“Les minosiens aiment l’image qu’ils ont de moi, c’est un portrait qu’ils adulent.”

Elle ferma les yeux un instant.

“J’imagine que vous faites référence aux guerres, à l’indépendance de Minos, à la reconstruction lorsque vous parlez de fierté ? C’est très gentil à vous, jeune homme, mais … C’est une histoire de conseillers, bien plus que de royauté. Je ne peux m’accaparer ainsi leur travail.”

Plus de dix ans après son couronnement, il fallait croire que la Reine de Minos ne se sentait toujours pas plus légitime qu’au premier jour.

Bien qu’il fût l’initiateur de cette conversation, le jeune garçon semblait n’écouter que d’une oreille les réponses de la reine. Le dos à moitié tourné, il chatouillait du doigt l’une des plantes majestueuses du jardin royal, promenant le regard sur ses feuilles comme s’il cherchait à y lire quelque chose. Mais aux derniers mots de Beldura, d’un ton posé, il finit par rétorquer :

« Les échos m’ont rapporté des constats bien différents. Si la guerre de l’Ombre avait été une histoire de conseillers, comme vous semblez le prétendre, alors qui était cette reine aux cheveux flamboyants que l’on vit, au sommet des combats, prendre la tête des forces de l’Alliance et défier en personne l’incarnation de Hölle ? Et quel goût amer aurait eu son triomphe si, contre l’avis de sa cour et de son peuple entier, elle n’avait pas plaidé la cause de son innocente ennemie après que l’Ombre l’eut quittée ? »

Il lança un bref regard à son interlocutrice, un sourire discret sur son visage, puis se retourna vers les sentiers du jardin et commença à marcher en effleurant les plantes sur son passage.

« Je pourrais vous en conter, moi, des histoires de monarques régnant à l’ombre de leurs conseillers. D’où je viens, on leur connaît beaucoup de noms : Ubu, Lear ou Assuérus, pour n’en citer que quelques-uns. Je n’ai pas la chance de connaître la vôtre depuis longtemps, mais du peu que j’en sais, vous avez accompli plus de choses ces quelques années qu’aucun de ces trois-là le fit de tout son règne. Même dans les heures les plus sombres d’Elysion, vous avez milité pour une paix et un pardon dont pas un de vos semblables ne voulait entendre parler. Contre l’appel des sirènes de la guerre, vous avez fait régner toutes les valeurs que Minos se targuait de défendre, et jusqu’aux dernières heures de cette crise, pas un de vos conseillers ne m’a semblé aussi minosien que vous l’avez été. »

C’était étrange cette manière d’être. Il semblait absent malgré sa propre présence, et pourtant, sans cesser de caresser les plantes, il apportait des réponses étonnamment précises, étonnamment renseignées, étonnamment soutenues. Beldura, elle, ne parvenait pas à quitter ce mystérieux interlocuteur du regard. Il en savait tant sur elle … Certes elle était une personnalité publique, mais un tel niveau de renseignements était impressionnant. D’instinct, comme mue par une certaine fascination, elle le suivit dans les sentiers des jardins. Il semblait la mener vers une destination connue de lui seul, l’hypnotisant au rythme de ses mots qui trouvaient en la souveraine un étrange écho.

“Si j’ai combattu Hölle, c’est grâce à Séléné Saralondë et à ses alliés; ce sont eux aussi qui m’ont permis de lui survivre. Si j’ai milité pour la paix en temps de guerre, c’est grâce à Siffroy Belgan, et à l’histoire de Minos. Si j’ai fait en sorte que mes anciens ennemis soient graciés, c’est car je les ai connus avant, c’est car je connais leurs amis et qu’ils me l’ont demandé.” contesta-t-elle. “Je ne connais pas les noms que vous me citez, mais je suis persuadée d’une différence entre eux et moi: ils voulaient de ce poste, ou il leur était destiné, en tous cas, ils s’y étaient préparés. C’est très certainement toute la différence entre eux, et moi. Si vous savez tout ce que vous dites, vous savez forcément comment j’en suis arrivée là. J’ai tout improvisé, je n’ai fait qu’écouter ce qu’on me disait, et essayer de rester fidèle à ce qu’on attendait d’une Reine de Minos.”

En silence, elle continua à le suivre, écoutant le bruit de leurs pas qui changeait en fonction des pavés, du revêtement, ou de la terre sur laquelle ils progressaient à travers les plantes luxuriantes du trésor qu’étaient ces jardins.

“Je me dois d’être plus minosienne que n’importe qui, non pas parce que c’est ce que je suis, moi, mais car je suis Minos aux yeux du monde. Je ne suis qu’une image, une incarnation.”

À mesure que sa végétation défilait, le jardin s’efforçait de donner raison à Beldura ; les arbres élyséens qui surplombaient la cour faisaient progressivement place à une flore beaucoup plus variée, aux formes et aux couleurs venues des quatre coins des trois continents. La reine, elle, n’avait que sa grande robe de cérémonie pour s’imposer parmi elles, en timide effigie de la fantaisie minosienne.

À quelques pas devant elle, le garçon continuait de triturer les feuillages en l’écoutant à distance. Pendant qu’elle terminait son plaidoyer, il s’arrêta sur un petit parterre de violettes, qui poussait discrètement à l’ombre d’un pylône de marbre.

« Vous savez, reprit-il le regard posé sur les fleurs, il ne s’agit pas de l’avoir voulu ou d’y être préparé. Vous dites que vous devez vos engagements à Siffroy, mais vous omettez qu’il n’a pas plus demandé à devenir conseiller que vous à devenir reine. »

Il s’accroupit vers les violettes pour en cueillir une au hasard, avant de la contempler.

« On raconte chez moi une histoire semblable à la vôtre. Le nom de son héroïne, Perséphone, ne vous dira certainement rien – peut-être reconnaîtrez-vous celui de sa mère, Déméter – ; elle fut enlevée, alors qu’elle était sortie cueillir des fleurs, par un roi qui s’était épris d’elle et voulut en faire sa reine. »

Se relevant, il reporta son regard vers son interlocutrice.

« Rien ne l’avait prédisposée au trône, mais sitôt qu’on l’y eut assise, bien malin qui pouvait affirmer qu’elle n’était pas née dessus. Elle convenait à son rôle, simplement, comme vous convenez au vôtre. »

Et lui tendit sa violette.

« Vous étiez minosienne avant d’être reine, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Minos vous a désignée pour la gouverner. De la même façon que j’ai cueilli cette violette parmi tant d’autres, mais en m’assurant de la cueillir dans le bon parterre, Minos vous a choisie parmi les Minosiens, car les Minosiens sont bons, et ainsi doit l’être leur reine. »

Comment, par les Grands Rois, savait-il tout cela ? Et d’où venait-il ?
Tant de questions brûlaient les lèvres de Beldura, questions que pourtant, elle ne parvenait pas à en poser une seule. Rendue muette par une mystérieuse force, elle éait incapable de verbaliser les interroigations qui la taraudaient là où son interlocuteur semblait décidé à lui faire explorer toute sa vie à la lumière d’un regard neuf et à revisiter l’histoire de Minos.

Pourtant, à la mention de Perséphone et Déméter, la jeune souveraine haussa les sourcils, surprise. On lui avait toujours dit que la toponymie d’Elysion venaient de légendes immémoriales dont on avait perdu le souvenir. Alors, comment lui les connaissait-il ? Un détail pourtant, accrocha encore plus son attention, la détournant de l’origine mystérieuse du garçon qui lui faisait face.

“Perséphone était reine que par son roi. Et finalement, c’est sa mère, et non elle, que nous avons retenu. Était-elle une si grande reine que vous le dites, alors ?” demanda-t-elle en se saisissant de la violette qu’il lui tendait. “Merci pour cette fleur; je n’ai pas grand chose à voir avec elle, et pourtant j’aurais sans aucun doute préféré rester au milieu d’elle et ses semblables.”

Avec un sourire distant, elle laissa revenir à elle les souvenirs de sa vie d’avant, celle où elle n’était personne, où elle n’était une petite marchande de fleurs. Elle avait parcouru du chemin depuis …

“En me donnant un royaume, et un rôle, la couronne m’a tout pris: mon histoire, mes amis, mon fiancé, mon indépendance, mon identité. Je ne m’en plains pas: j’aurais pu avoir une vie affreuse, et ce n’est pas le cas. Mais connaissez-vous un souverain que son rôle rende si misérable ? Qu’en penseraient mes sujets ?”

Etrangement, elle ne le regardait plus alors qu’elle semblait accepter qu’il ne venait pas de la même réalité qu’elle. Tout l’attention de la souveraine était fixée sur cette violette qu’elle faisait tourner entre ses doigts comme si elle contenait en elle seule toutes les réponses du monde.

“Est-ce ainsi, là d’où vous venez ?”

D’un air toujours décontracté, le garçon se retourna à demi vers le carré de fleurs.

« Les violettes, en tout cas, y sont les mêmes qu’ici. », répondit-il simplement.

Il se dirigea de nouveau vers celles-ci et se pencha pour en cueillir une autre, qu’il garda cette fois contre lui.

« Les bouquets que l’on en fait ne m’ont pas l’air si différents non plus. On se soucie rarement de quelle fleur on y fait trôner au sommet, parmi celles dont on dispose. Si l’on pouvait leur poser des questions, peut-être certaines envieraient-elles la position d’une autre ; cela ne les rendrait pas moins belles dans la leur. Toutefois… »

Il fixa la reine un instant, la dévisageant tour à tour avec la violette qu’elle tenait dans la main.

« J’entends bien que la vôtre puisse vous peser dessus. Qu’une fleur trop fragile puisse menacer de se plier, sinon de craquer, quand on l’agence mal parmi les autres. Le garçon illustrait avec la sienne, sans aller jusqu’au bout du pliage ; il se contentait de la courber doucement. Mais vous, reprit-il en relâchant son emprise, je ne crois pas que vous soyez vraiment de celles-là. Si vous étiez si prompte à plier, c’est déjà toute brisée que l’on vous aurait couronnée. »

À nouveau sur son massif de violettes, il en chercha une qui avait été piétinée ou endommagée. Il en trouva une becquée à la racine par un oiseau qui avait dû y chercher sa graine.

« Vous dites que la couronne vous a tout pris ; je crois savoir qu’on vous a pris bien des choses avant elle. Vous n’en étiez pas à votre première épreuve, bien loin de là. Mais le jour où le trône vous a cueillie, vous étiez restée indiscernable de toutes les fleurs qui vous entouraient. Peut-être aviez-vous le pétale un peu plus cendré et la tige un peu plus tremblante, mais qui pouvait deviner que vous aviez échappé à l’incendie du carré qui vous avait vu naître ? »

Beldura laissa un fin sourire étirer ses lèvres nues.

“A quelle biographie que je ne connais pas avez-vous donc eu accès ?” murmura-t-elle à l’adresse du garçon.

Ce qu’il venait de lui asséner, personne ne le savait, ou presque. Ceux qui en avaient connaissance étaient morts, en réalité, tués par le désespoir, l’âge ou la violence des hommes. Alors, pourquoi le fait que ce garçon sache cela ne la surprenait pas tant, comme s’il était une forme de conscience matérialisée aimant parler par images ?
Elle le scruta un instant, étrange miroir masculin, chétif, roux et avec pour seule arme une violette et une vision du monde un peu à part. Pourquoi ne l'effrayait-il même pas, elle qui avait si peur des hommes ? Pourquoi ne s’en méfiait-il pas, elle qui craignait tout alors même qu’il n’y avait aucune explication à son arrivée et à ses savoir ? Oui, vraiment, seule cette explication lui paraissait valoir quelque chose: il était un peu sa conscience et son anxiété lui donnait des visions.
Puis, la Reine eut un soupir léger.

“Qui aurait pu deviner, surtout que j’avais moi-même déclenché cet incendie n’est-ce pas ? Qui aurait pu deviner que ma route était jonchée de cadavres depuis toujours ? M’auraient-ils nommée reine, alors, moi qui ai incinéré les miens, moi qui ai provoqué la mort de mon tortionnaire avant de tant désespérer mon sauveur qu’il y a laissé la vie, moi qui ai même mené une Etoile à sa perte ? J’ai plus de cadavres dans mes placards que n’importe quel minosien de leurs listes et c’est car ils l’ignorent que je suis leur Reine, car sinon c’est sur Rhadamanthe qu’ils m'auraient catapultée, et non sur un trône.”

Cette fois-ci, c’est plus franchement qu’elle se tourna vers l’inconnu.

“Pourquoi êtes-vous là?”

Etait-il un signe de sa propre fin qui approchait ? Un de ses fantômes envoyés pour faire réfléchir avant sa mort prochaine ?

Le garçon émit un léger soupir.

« Je suis là pour la même raison que tous les serviteurs de ce palais, lui répondit-il : pour vous accompagner. »

Il amorça de nouveau quelques pas, le dos tourné, sur un sentier s’enfonçant plus loin dans la végétation.

« Aujourd’hui, la reine de Minos doit se montrer parfaite aux yeux de tous, et tout le monde ici s’affaire à ce que ce soit le cas. Les boulangers défournent du pain frais pour le distribuer aux indigents, car la reine doit se montrer généreuse aux yeux du peuple ; les secrétaires se préparent à l’accueil des invités du palais, car la reine doit se montrer courtoise aux yeux des grands d’Elysion ; les ensembliers décorent pompeusement la salle de bal, car la reine doit se montrer puissante face aux défis menaçant son pays ; et pour parfaire le tout, vos conseillers tissent votre routine et vos moindres discours, pour s’assurer qu’aucun mot, ni aucun geste, ne vienne entacher l’image de cette reine que tous s’acharnent à édifier. Et moi, derrière tous ceux-là, je viens poser le clou final, et je m’assure que la reine soit parfaite même à ses propres yeux. »

Arrêté dans sa marche par une branche tombante, le garçon se retourna encore un instant pour terminer son discours :

« Alors je vous dirai simplement cela : il n’est jamais trop tard pour mériter d’être reine. Quelques crimes qu’ait commis Beldura par le passé – et je vous trouve sévère de tous vous les attribuer –, ils ne quitteront jamais l’enceinte de ce jardin ; il n’existe en Elysion que des gens qui les ignorent et d’autres qui connaissent la pureté du cœur qui les a perpétrés. Mais en tant que reine, vous avez protégé votre peuple de l’Ombre, vous avez rendu justice à qui la méritait, vous avez fait régner les valeurs dont Minos était fière, et surtout… »

Il souleva la branche pour se préparer à passer dessous.

« Vous avez fait en sorte que personne n’ait à revivre ce que vous avez vécu. »

Il y avait dans ce discours un certain impressionnisme qui la saisit. Il venait de décrire avec une étonnante précision vivace la vie du palais et de Minos en cette journée à part, tout en réussissant à l’intégrer à ce tableau dont elle cherchait perpétuellement à s’exclure. Un sourire étira les lèvres de Beldura, illuminant un peu son visage si pâle.

Il faisait partie de ce cercle très restreint de ceux qui avaient compris, et, plus restreint encore, de ceux qui avaient réussi à mettre un peu de baume sur son coeur écorché. C’était une qualité aussi rare que précieuse, et la jeune femme ferma les yeux un instant pour savourer la sensation qui l’emplissait: une certaine douceur, comme si ses angoisses se retiraient un peu, comme si sa culpabilité se taisait un instant.
Le ressac incessant s’était tu.
Il n’y avait plus d’obstacles, soudain. C’était plus doux, plus fluide, plus léger.

Lorsqu’elle dessilla les paupières, il n’était plus là, avalé par la luxuriante végétation des jardins du palais royal. Pourtant, Beldura était persuadée de ne pas avoir rêvé. Quelle autre explication, sinon, pour cette violette dans sa main qu’elle regardait avec un sourire ?

“Merci.” murmura-t-elle, avant d’accrocher la fleur à son corsage, comme pour se donner du courage.

Ce garçon, cet inconnu, avait réussi à un petit miracle à lui tout seul, et elle espérait bien le revoir un jour, lui poser les questions auxquelles il n’avait pas répondu. Mais pour l'instant, il était temps. Il était temps que Beldura Glow redevienne la Reine de Minos, et il était temps, peut-être, de cesser de porter ce rôle comme elle porterait un costume un peu trop grand.
C’est la tête haute et le dos droit que la souveraine du plus petit continent d’Elysion s’éloigna des jardins, pour aller rejoindre les préparatifs de la cérémonie du jour. Dans les articles du lendemain, on la décrirait comme rayonnante, se demandant si un homme était derrière tout cela, sans se douter d’à quel point on avait tort et raison à la fois, sans se douter que la Reine s’était engagée sur un chemin de paix avec Beldura.