[Terminé] Sur la plage abandonnée, couture et coup de soleil [sp Tapahari & Crocs]

[Ce sujet prend place directement après celui-ci. Bonne lecture ! ]

Nous étions en Nephtalien 2786 et il faisait très beau. Très, très beau. A l’Académie, c’était le temps de césure, et Senea avait décidé d’en profiter pour explorer un peu le monde. Elle était partie avec quelques camarades voir Albus et son pont de plus près (les dessins qu’ils en avaient fait étaient tous plus étonnants les uns que les autre), et avait passé du temps sur les plages de sable fin minosiennes, profitant de la douceur absolue de l’air, de la température idéale de l’eau, bref, des joies de la saison chaude. Elle aurait bien voulu faire un petit détour par Rhadamanthe, afin de pouvoir observer les crêtes des montagnes, qui parait-il, déchiraient le ciel, mais au vu de la situation géopolitique un peu tendue, elle avait renoncé. Par contre, elle avait mené à bien un de ses projets: aller sur l’Archipel. Sa rencontre avec Tapahari lui avait donné envie d’en savoir plus sur cet espace, et ses habitants, leur culture, leur mode de vie, leurs croyances; Et puis, elle aurait bien voulu revoir la chamane, et pourquoi pas, Crocs (surtout ses garçons). Elle n'avait cependant pas vraiment d’adresse et se voyait assez mal déambuler d’îles en îles en demandant Tapahari. La Fille de l’Eau froide avait donc pris sa décision: elle allait faire un parcours d’îles en îles, et apprendre, noter, dessiner tout ce qu’elle pouvait. Si elle retrouvait la chamane, tant mieux, sinon, elle reviendrait au moins un peu moins ignorante.

C’est donc ainsi que Senea se retrouvait allongée sur le dos, des lunettes de soleil sur le nez, un maillot de bain, lézardant tranquillement au soleil. Elle avait prévu après cette pause dorage de pilule de s’habiller afin d’aller faire une petite randonnée dans la jungle de cette île où elle avait tout juste été déposée. La végétation était si luxuriante que cela la fascinait. N’y avait-il donc aucun hiver, sur ces îles ? La glace ne prenait-elle jamais rien dans sa gangue ? Les saisons semblaient avoir moins de prise et le temps passer plus lentement, sur ces îles. Elle avait déjà rencontré beaucoup de monde, et avait un carnet de dessins déjà presque entièrement plein. A vrai dire, discuter n’avait pas toujours été facile: si les gens étaient plutôt accueillants au premier abord, ils n'étaient cependant pas toujours très causants, et elle n’avait pas voulu se montrer insistante, ou intrusive. Ce qu’elle avait appris sur leur mode de vie -et sur leur cuisine, surtout, lui avait cependant paru très riche. Elle avait encore du mal à comprendre certaines organisations, d'autant que ceci semblait différer d’île en île et même de village en village.
Un grand bruit, proche de quelque chose qu’on déchirait, vint cependant troubler ses pensées déjà un peu ensommeillées sous le soleil, et elle sursauta. Ce fut d’un bond qu’elle se mit sur ses pieds, enroula autour de sa taille le tissu coloré sur lequel elle prenait le soleil jusque là. Elle remit sur ses épaules son sac à dos, et se chaussa rapidement après avoir épousseté le sable de ses pieds avant de partir en direction de ce vacarme. Elle voulait rester assez discrète: si quelqu’un pouvait avoir besoin d’aide, ça pouvait tout aussi bien être un danger qui se manifestait, et elle ne tenait pas à se jeter dans la gueule du loup. Elle marcha le long de la plage sous couvert de la jungle naissante, à pas pressés, rapides, vers la source du bruit.

Sur le sable était étalé un immense monstre, au-dessus duquel on avait dressé un parasol de fortune. Autour, il y avait des vapeurs odorantes, et des gens s’agitaient. Près de la créature sanguinolente, à la respiration manifestement difficile -elle entendait son ton rauque de là où elle était, une jeune femme semblait s’activer, coudre.

*Tapahari et Crocs! Mince !*

Sans y réfléchir beaucoup plus, lunettes de soleil encore sur le nez (lequel rougissait sous l’effet d’un coup de soleil dont elle n’avait pas encore conscience), elle dévala l’espace qui la séparait d’eux.

Ex … Excusez-moi … Je connais Tapahari et Croc, je suis Senea … J’étais sur la plage, j’ai entendu du bruit et … Bref. Est-ce que je peux vous aider ? Je maîtrise le froid, cela peut aider à réduire les douleurs, les contusions …

Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle pourrait faire, mais il était certain qu’elle ne pouvait pas rester cachée, les bras ballants, lâchement.

La nouvelle de l'accident de Béhékine avait fait le tour de l'île en moins d'une heure, et une grande majorité des habitants avait mis de côté ses activités pour venir constater, aider ou soutenir les opérations de secours. Le "Vieux Père" comme ils l'appelaient dans leur langue était certes une présence distante, mais perçue par tous en protecteur bienveillant.
Alors les insulaires avaient accouru, apportant de quoi soigner le Membraneux bestial avec eux.
Au final, c'était pourtant la chamane seule qui s'occupait des soins proprement dits. Et honnêtement, elle savait que Béhékine n'accepterait pas que quelqu'un d'autre s'occupe ainsi de lui.
Une chaine humaine s'était mise en place, amenant eau douce, linges, outils et matériel divers sur les lieux. Même une cuisine éphémère était en train de se construire, montrant l'intention des habitants de rester là à veiller leur protecteur aussi longtemps que nécessaire.
La carcasse du Brûleur avait été trainée plus loin et plusieurs hommes travaillaient déjà à la dépecer pour récupérer tout ce qui pouvait l'être. L'air en était rendu plus respirable.

Tapahari s'accorda quelques secondes de pause pour s'éponger le front et tenter d'évacuer le stress accumulé dans ses épaules, ses bras et ses mains ; elle ne devait pas trembler...
Puis elle reprit son ouvrage, point par point, millimètre par millimètre, elle refermait délicatement les griffures les plus nettes et propres parsemant le corps massif de son mentor, usant d'une aiguille chirurgicale héritée de sa mère et de sa grand-mère, et d'un fil qu'elle espérait suffisamment solide pour cette tâche.
La peur ressentie en le découvrant dans cet état - inconscient, blessé et son sang coulant sur le sable - avait à peine diminuée. Elle avait réussi à le ramener, mais elle savait que cela avait été de justesse. L'idée qu'elle aurait pu trouver son mentor, son ami, mort sur cette même plage la terrifiait.
Sans le soutien et la présence de sa tribu autour d'elle, la chamane se serait laissée aller à pleurer, de peur et de soulagement mêlés. Mais elle ravalait régulièrement cette boule d'émotions pour pouvoir terminer ses soins au plus vite.

Heureusement, Béhékine s'était endormi, vaincu par l'épuisement et anesthésié par la fumée de la potion que Tapahari avait laissée juste sous son nez. A chaque inspiration légèrement ronflante, il en avalait une grande quantité, ce qui l'aiderait à se stabiliser. La chamane surveillait de près son état mais pouvait recoudre ses plaies sans qu'il gigote trop ou pire, tente une nouvelle fois de se remettre debout.
Même ses garçons n'étaient plus que des silhouettes brumeuses indistinctes, immobilisés autour de leur Père, amenés dans un état second par la même potion.

Tapahari ne pouvait pas espérer recoudre toutes les blessures et devrait se contenter de nettoyer au mieux les plus profondes avant de les bander avec un cataplasme.
Elle avait tremblé devant les griffures - longues et formant de deux à quatre lignes parallèles plus ou moins profondes - mais le cuir de son mentor était épais et la majorité n'était pas si grave après une inspection plus poussée. Surtout que les plaies avaient arrêté de saigner quelques minutes après qu'elle ait donnée au Membraneux bestial les fumées de la potion.
Les brûlures sur son museau et ses pattes mettraient plus de temps à guérir, mais restaient plus impressionnantes que graves.
En revanche, la morsure sur l'épaule de Béhékine avait fait frémir la chamane : jusqu'à l'os à plusieurs points, les chairs et les muscles percés par une multitude de pointes, arrachées en partie. L'articulation était dans un état terrible, saignait doucement mais sans discontinuer... et Tapahari ne voyait pas trop comment elle allait pouvoir soigner ça.

Entre deux ronflements de Béhékine, elle entendit du mouvement derrière elle, des éclats de voix puis...
Cette voix ?! Sénéa ?
Tapahari se retourna pour découvrir que, non, ce n'était pas son esprit qui lui jouait des tours : la femme qui l'avait aidée avec une grande patience et bienveillance lors de ses recherches à l'Académie était bel et bien là. La femme qui avait su charmer les garçons de Béhékine.
Elle portait une tenue légère, sa peau et ses cheveux clairs dénotant fortement avec les insulaires qui s'étaient mis entre elle et un Béhékine blessé.
Par les Anciens, que faisait-elle là ?
Le visage et les mains couverts du sang de son mentor, Tapahari héla les membres de sa tribu, leur signifiant que tout allait bien avant de s'adresser plus directement à Sénéa en l'invitant à s'approcher :

- Sénéa ! Je suis surprise et ravie de vous voir ! Je ne sais pas quel esprit facétieux vous a conduit ici aujourd'hui, mais votre pouvoir peut être utile, si vous voulez bien m'aider.

La chamane accueillit Sénéa avec joie, n'hésitant pas à lui saisir doucement le bras dans un geste reconnaissant... qui laissa des traces de sang d'un certain Membraneux bestial sur la peau claire de la Fille de l'Eau froide.

- Est-ce que vous pourriez regarder cette blessure à son épaule ? Je n'arrive pas à stopper le saignement mais peut-être qu'avec votre magie... un peu de froid en surface pour refermer les vaisseaux sanguins ?
Et... est-ce que vous savez si les Brûleurs sont porteurs d'un venin ou tout autre toxine ?

Tout en parlant, Tapahari montrait, nettoyait, acceptait un linge propre d'une femme avec un mot de remerciement, chauffait son aiguille sous une flamme pour la stériliser une nouvelle fois... bref, elle faisait tout ce qu'elle avait à faire pour soigner son mentor et éviter de trop penser à ce qui avait failli arriver.
Les nébuleux garçons de Béhékine réagirent tout doucement à l'arrivée de Sénéa, se tournant progressivement vers elle comme des tournesols cherchant le soleil.

Très vite, on s’interposa entre elle et Tapahari. Ce n’était pas vraiment surprenant: Senea imaginait que Tapahari était membre de cette tribu, et que Crocs en faisait partie d’un manière ou d’une autre, et l’arrivée d’une étrangère à un moment qu’elle devinait être critique, tendue, difficile, n’était pas vue d’un bon oeil. Cependant, elle avait été entendue par la chamane, qui dispersa les personnes venues vers elle, et permit à Senea de s’approcher d’elle et de son patient. Elle fut rassurée de percevoir la joie de Tapahari à son arrivée; elle aurait été très embêtée si elle s’était révélée plus gênante qu’autre chose. Le sang qui recouvrait les mains et le visage de la jeune femme la fit cepenant grimacer, et elle s eposa un instant la question: était-elle vraiment prête à faire face à ça ? La réponse vint pourtant d’elle-même: oui./ Elle était là, il n’y avait plus le choix. Quand Tapahari lui saisit le bras dans un geste reconnaissant, y laissant une empreinte de sa main indistincte en traces de sang, Senea se sentit pâlir un peu, mais fit face à elle-même, et s’approcha de ladite blessure que lui désignait la chamane.
Elle n’y connaissait strictement rien, mais ne put que grimacer. C’était très laid. La peau, pourtant épaisse, était déchiquetée jusqu'à l’os à plusieurs endroits, laissant apparaître, à vif, les chairs abimées et sanguinolentes. Alors qu’elle allait demander ce qui diable avait bien pu imposer ça à un colosse comme Crocs, Tapahari lui apporta la réponse sur un plateau d’argent: un Brûleur.
Ce simple mot suffit à la faire frémir. Depuis toute petit, les Brûleurs hantaient les histoires horribles qu'on lui avait racontées, allégories du danger, de la sauvagerie, de la bestialité, de la monstruosité. Ils étaient redoutés par tous, et, si elle n’en avait jamais croisé un, celui qu’elle avait vu empaillé lui avait très largement suffi. Immense, avec des proportions dignes du serpent géant, mais sans écailles, doté de dents prêtes à déchiqueter le monde (ou l’épaule de Crocs, manifestement) et de flagelles qui faisaient partie des armes les plus dangereuses de leur monde, il lui arrivait encore de le retrouver dans ses cauchemars, comme une gamine l’aurait fait (il allait sans dire qu’elle détestait ça, évidemment). Cependant …

Il ne me semble pas que les Brûleurs soient porteurs de poison … Normalement leur gueule et leurs flagelles leur suffisent, je crois … Mais j’admets que je ne suis pas très renseignée …

Elle n’ajouta pas que si elle n’était pas renseignée, c’est car elle en avait peur, car elle avait un peu honte; pour elle c’était un comportement de petite fille, et c’était assez ridicule. Elle renifla un peu, et regarda encore la blessure, sentant ses tripes se nouer à cette vue. Un instant son regard dériva, et croisa les garçons, arrêtés, stoppés, un peu transparents, inconsistants, mais la tête tournée vers eux. Cette fois, c’est son coeur qui se serra. Elle ne pouvait pas laisser Crocs et ses garçons dans cet état, il fallait qu’elle agisse.

Je peux essayer mais je n’ai jamais fait ça. Je n’ai jamais agi sur le corps des gens, sur leur sang, et j’ai un peu peur à l’idée de l’amocher encore plus, ou de le faire souffrir. Mais je peux essayer, en appliquant mes mains sur lui, ou bien … Ou bien si vous avez un tissu peut-être, où mettre de l’eau, on pourrait faire une sorte de compresse de glace. Je ne sais pas ce qui serait le plus efficace, c’est à vous de me dire. Vous pourriez peut-être me guider ?

DEs yeux elle suivait les gestes précis et rapides de Tapahari, impressionnée.

La chamane ne cacha pas son soulagement d'apprendre que les Brûleurs n'étaient, à priori, pas venimeux. Mais elle attendit d'avoir terminé de recoudre la plaie sur laquelle elle plissait les yeux avant de sourire à Sénéa :

- C'est une bonne nouvelle. Merci, cela fait une chose de moins à surveiller.

Tapahari se tourna vers la blessure à l'épaule de son mentor, écoutant les doutes et propositions de Sénéa.

- Une compresse froide ? J'aurais dû y penser, plutôt que vous infliger le défi de refroidir la peau directement. Excellente idée. Oui... une compresse sera plus facile à retirer si trop froide pour la blessure... et... oh !

Une jeune femme venait de lui tendre un grand linge détrempé avec l'eau qu'ils avaient fait bouillir au préalable.
Tapahari la remercia, de nouveau consciente que tout le village ou presque se tenait autour d'eux et étaient prêts à aider aussi.
En quelques gestes experts, elle plia le linge à la bonne taille et le posa sur l'affreuse blessure qui saignait toujours.

La chamane et tous les membres de la tribu retinrent leur souffle lorsque Sénéa déploya sa magie sur ce linge, observant le processus dans un silence seulement interrompu par le discret va-et-vient des vagues du lagon... et le beaucoup moins discret va-et-vient de la respiration ronflante du Membraneux amoché.
Tapahari triturait nerveusement ses amulettes et rapprochait peu à peu son visage du linge refroidi pour être certaine de voir le moment où le froid ferait effet, l'instant où les saignements s'arrêteraient. Sur une blessure de cette profondeur, en faire trop avec les soins risquerait d'être pire que le mal.

Alors que Sénéa appliquait encore ses pouvoirs sur le linge, Tapahari ne put s'empêcher de saisir le textile du bout des doigts pour en soulever un coin. Elle découvrit les chairs blessées rendues blanches sous l'effet du froid et de l'humidité, les saignements réduits presque complètement.
Elle sourit à la Fille de l'Eau froide :

- Ça a fonctionné ! Vous pouvez vous arrêter sans crainte. Merci pour votre aide, du fond du coeur !

Une vague de murmures soulagés parcourut la foule de villageois présents et, à en juger par le regard que tous portaient désormais sur Sénéa, la visiteuse serait toujours considérée comme invitée d'honneur sur l'île, et traitée avec tous les égards.
Tapahari claqua dans ses mains et reprit son travail sur les autres blessures de son mentor, redoublant d'ardeur mais sans trace de la nervosité qu'elle affichait un peu plus tôt ; maintenant que Béhékine ne perdait plus son sang en continu, elle était bien plus confiante dans ses chances de le soigner.
Surtout lorsqu'on lui tendit un pot empli d'une mixture brune à l'odeur sucrée.

- Vous êtes vraiment un cadeau des Esprits aujourd'hui, Sénéa. Votre aide aura été décisive.
Qu'est-ce qui vous a amenée dans ce coin du monde ?

Tout en parlant, Tapahari profita de l'arrivée de son onguent pour soigner plus en profondeur la blessure déjà bien commencée par Sénéa, appliquant sa mixture sur les chairs meurtries et retirant le linge gelé au fur et à mesure, formant une couche de protection qui, en séchant, isolerait les chairs à vif et accélérerait la guérison.
Il ne fallut pas longtemps pour terminer, et la chamane offrit finalement un sourire plein de reconnaissance à Sénéa... avant de se figer et de balbutier :

- Oh... navrée, je n'avais pas... remarqué... tout à l'heure...

Elle désigna du doigt les traces sanguinolentes qu'elle avait "offerte" à la Fille de l'Eau en l'accueillant dès son arrivée.

Très vite lorsque Tapahari eut accepté son idée, un linge mouillé leur fut amené et Senea put l'appliquer sur les chairs traumatisées, avant de le refroidir.
Elle n’avait jamais utilisé ouvertement son pouvoir devant autant de monde, surtout des gens qui comptaient sur elle. Habituellement, elle l’utilisait pour des raisons ornementales, seule ou en coulisses, ou bien pour des raisons pratiques (comme lors des Jeux Olympiques), parfois quand elle avait trop chaud, ou pour se distraire. Autrefois, avec Oigean, elle l’utilisait aussi pour jouer des tours, de plus ou moins bon goût. Cette fois-ci, elle avait une vraie bonne raison de créer du froid, et si elle se loupait trop méchamment, c'était tout de même une vie qu’il y avait en jeu, il fallait donc qu’elle se concentre et fasse attention.
Par chance, elle était habituée à manier ses pouvoirs avec une certaine finesse, et savait mesurer son don. Par contre, dans cette situation précise, elle ne savait pas exactement ce dont il y avait besoin, aussi se concentra-telle uniquement sur la température du linge, qu’elle parvenait à ressentir sous ses doigts, toujours un peu faussée car elle n’était pas très sensible au froid (en clair: si elle trouvait le linge froid, il était trop froid). Tous sens aux aguets, elle concentra le froid au bout de ses doigts, en contact avec le tissu mouillé. Lentement, elle sentit comme un flux circuler, alors que chacun de ses poils semblait se hérisser, aux aguets. Il lui sembalit que de petits courants électriques couraient le long de sa colonne vertébrale, partant de sa nuque, entourant sa tête, et descendant le long de son dos, pour repartir le long de ses bras, irriguer ses doigts, dont le froid sembalit émaner, peau blanche contre linge blanc peu à peu refroidi. Si cela lui sembla durer une éternité, un hiver entier, il lui suffit en réalité du temps d’une respiration pour amener l’eau contenue dans les fibres du tissu à la température voulue, et lorsque Tapahari lui confirma l'efficacité de l’opération, elle relâcha sa respiration dans un soupir qui lui fit prendre conscience que, durant tout ce temps, elle avait retenu son souffle.
La tête lui sembla lui tourner un bref instant, mais sans qu’elle ne vacille, et très vite un sourire s’inscrit sur son visage: elle était heureuse d’avoir pu être utile, en ces circonstances difficiles, dramatiques. C’était si rare, cette sensation d’être au bon endroit, au bon moment. La sensation d’être, pour une fois, parfaitement là où avait besoin d’elle. Balayant les remerciements d’un geste de la main, elle assista ensuite Tapahari du mieux qu’elle le put, au même titre que tous ceux qui s'agitaient autour d’elle et Crocs.

Non, non ne dites pas ça enfin ! En réalité, j’étais venue dans l’idée de vous revoir vous, Crocs et vos garçons, mais, ne sachant pas où vous trouver j’avais décidé de faire un parcours d’îles en îles, et d’en profiter pour en apprendre plus sur …

Voyant la mine soudain désolée de Taphari face aux traces de snag sur son bras, qu’elle avait déjà poubliées, elle regarda alternatiement son bras et la femme afce à elle:

Ca ? Non, non ce n’est rien ! Ne vous excusez pas, enfin, il y a bien d’autres choses à penser ! Je me nettoierai avec un peu d’eau, voilà tout.

Elle aurait bien dit "J'en ai vu d’autres”, comme une vraie baroudeuse, mais ce n’était vraiment pas son cas, alors elle se tut.

Vous … vous savez comment c’est arrivé ?

Son ton était angoissé, presque gêné, alors que de la tête, elle avait désigné Crocs, et ses garçons en stase.

La chamane avait souri en entendant Sénéa parler des garçons de son mentor, notant l'emploi du "vos" juste avant comme si elle et Béhékine étaient les parents des cinq créatures...
Après réflexion, c'était un peu le cas, mais l'idée lui paraissait étrange exprimée de cette façon. Le "couple" qu'ils formaient n'était pas vraiment dans cette catégorie.
Tapahari était néanmoins flattée et surprise que Sénéa ait entrepris ce voyage dans le but de les retrouver.

- Et bien, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue sur l'Archipel !

Elle s'inspecta à son tour, découvrant pour la première fois à quel point elle était couverte de sang, pâlit en se rappelant que ce n'était pas le sien et ce qui avait failli arriver, retrouva des couleurs en se souvenant que son mentor était hors de danger. Puis, après cet ascenseur émotionnel, elle soupira :

- Je suppose que je vais vous suivre pour le nettoyage. Un bain à l'eau de mer ne vous dérange pas ? Sinon, il y a un bassin d'eau douce à quelques minutes de marche d'ici, dans la jungle.

La chamane se passa une main sur le visage, se frottant les yeux qui étaient lourds de fatigue.
Maintenant que l'urgence des soins était passée, son stress retombait et la laissait épuisée. Vidée même.
Tapahari salua plusieurs insulaires qui vinrent la féliciter pour son travail et elle leur expliqua plus en détail que la situation était sous contrôle, que leur "Vieux Père" n'était plus en danger. Plusieurs groupes repartirent alors vers le village, la vie insulaire et le travail que cela demandait ne pouvait attendre davantage maintenant que l'urgence était réglée.
Il ne resta bientôt plus qu'une dizaine de personnes, les femmes ayant assistée la chamane pour les soins, quelques enfants et adolescents qui auraient raté l'événement pour rien au monde et ceux qui étaient en train de dépecer le Brûleur.

Tapahari garda les yeux sur son mentor ronflant et les garçons en suspens tout en répondant à Sénéa :

- Un Brûleur. Il a dû le croiser pendant qu'il chassait. Il se rend souvent sur le continent pour ça. Il a même ramené la carcasse...

Elle pointa du doigt la direction où, après une large trainée sanguinolente dans le sable et une dune, des voix d'hommes leur parvenait, ainsi que des bruits de coup un peu mous et répétés tandis que le Brûleur était mis en pièces dans les règles de l'art. La tâche répugnante se faisait à l'écart pour des raisons d'hygiène et par respect pour Béhékine.
Ce n'était pas dans le tempérament des insulaires que de laisser autant de matériaux pourrir sur place.

- C'est la première fois qu'il revient avec de telles blessures...

La chamane frissonna, horrifiée à l'idée que son mentor et ami aurait pu mourir aujourd'hui, sur cette plage où même avant, lors du terrible combat qui l'avait opposé au Brûleur.
Elle inspira et expira profondément pour reprendre le contrôle de ses émotions avant de parvenir à sourire :

- Mais grâce aux Esprits du Voile et à votre aide, il n'y a plus trop à craindre !

Elle hésita un instant, puis s'approcha de la grosse tête de son mentor, pour récupérer la potion tranquillisante qui fumait toujours. Accroupie, elle laissa ses doigts se promener une seconde dans la courte fourrure sous le museau de Béhékine, avant de se relever pour faire face à Sénéa, une expression plus détendue sur le visage :

- Il sera ravi de devoir rester au repos le temps de sa guérison !
Si nous allions voir pour ce bain ? Il me semble que les habitants du continent ont parfois la peau fragile avec l'eau de mer salée. Que préférez-vous ? La lagune ou la retenue d'eau douce dans la jungle ?

Senea sourit quand Tapahari lui souhaita la bienvenue. Sacré accueil en effet ! La voyant pâlir elle tendit le bras vers elle pour lui poser une main sur le bras en signe de soutien, mais Tapahari reprit tout à la fois des couleurs la parole, interrompant son élan, et alors qu’elle allait lui répondre, des insulaires arrivèrent. Senea se tut donc, et les laissa discuter entre eux. Tapahari avait manifestement un rôle très important dans sa tribu, et elle se doutait que, si le rôle de Crocs était peut-être moins précis, il était une figure forte aussi pour les insulaires. A la mention de la chasse et du Brûleur, Senea grimaça. Quelle idée d’aller chasser le Brûleur ! Elle se doutait, cependant, que la féroce bête n’était pas l’objectif de chasse de Crocs, mais l’idée qu'il l’ait affronté, tué, et ramené, au péril de sa propre vie, l’impressionnait assez. Elle ne s’était jamais demandé si la viande de la bête était comestible, mais l’inverse aurait été un peu étonnant. Manifestement, les insulaires savaient quoi en faire, si on en croyait les bruits mous qui leur parvenaient de l’autre côté de la traînée de sang. Voyant de nouveau la chamane frissonner d’effroi, cette fois Senea posa la main sur son bras en signe de soutien. Même sans bien la connaître, elle voyait à quel point l'événement l’avait secouée, et à quel point elle était épuisée, vidée. Elle la suivit du regard alors qu'elle récupérait la potion sous le museau de Crocs, prenant peut-être pour la première fois conscience, alors que Tapahari caressait fugacement l'énorme museau, d’à quel point la créature qu'elle avait un soir croisée sur un toit était réellement gigantesque (et donc d’à quel point il était surprenant qu’une relation si forte se soit nouée entre lui et la chamane). Lorsque son interlocutrice se releva, elle arborait une expression plus détendue, qui rassura la Fille de l’Eau.

La lagune m’ira parfaitement, ne vous en faites pas. Je ne crois pas craindre l’eau salée. Ce serait ironique, pour une Fille de l’Eau, de ne pas pouvoir supporter les bains de mer ! conclut-elle dans un sourire. Je vous suis.

L’idée de passer un petit moment seule avec Tapahari, de lui permettre de se détendre un peu après l'événement traumatisant qu'elle venait de vivre, les efforts qu’elle venait de fournir, lui convenait très bien. Cela lui allait d’autant plus qu’elle-même ne s’était pas vraiment attendue à ça lors de son voyage, et avait bien besoin d’un petit temps de calme pour se remettre. Elle n'aurait jamais imaginé que quitter la Cour pour aller étudier l’art à l’Académie puisse un jour la mener à soigner une énorme créature sur une place de l’Archipel en compagnie d’une chamane et d’insulaires.

Sénéa lui offrit en silence son soutien en lui posant une main sur le bras, et Tapahari lui sourit pour la remercier, hochant légèrement la tête. Elle était un peu gênée, car elle ne connaissait pas tant Sénéa que cela. Mais elle sentait bien que la compassion de cette dernière était sincère.
La lagune choisie, la chamane prit un instant pour expliquer ce qu'elles comptaient faire aux femmes qui étaient restées, et ces dernières proposèrent aussitôt sans qu'elle leur demande de surveiller l'état de Béhékine le temps qu'elle serait éloignée. Rassurée et reconnaissante, Tapahari fit ensuite signe à Sénéa de se joindre à elle et elle s'éloigna sur la plage, en direction de l'eau d'un bleu très clair agitée de vagues minuscules.
Tout en avançant, elle ôta son chapelet d'amulettes avec grand soin, s'arrêta une seconde pour les déposer avec délicatesse au sol.
Puis elle ôta sa robe dans un seul mouvement, se mettant à nue mais gardant son habit dans les bras.
Elle n'aimait pas ça, mais son vêtement avait vraiment besoin d'être nettoyé, plus encore qu'elle-même.

Elle s'avança dans l'eau, marchant sans vraiment ralentir, appréciant le contact du sable entre ses orteils et celui plus réparateur de l'étendue azur contre sa peau et ses muscles.
Tapahari allait se retourner pour poser une question à Sénéa, lorsque soudain, des cris enjoués retentirent derrière elle, suivi du bruit se rapprochant d'une véritable cavalcade dans le sable... et une dizaine d'enfants de tout âge se joignirent à elles pour se baigner aussi, sprintant dans l'eau et jouant, criant, riant, et s'éclaboussant !
La chamane rit, riposta à plusieurs éclaboussures avant de finalement lancer à Sénéa, se tournant légèrement vers elle mais son regard dérivant souvent vers les jeux des enfants :

- Rien ne les arrête ! Vous êtes-vous déjà baignée dans la lagune ?

Le groupe turbulent s'éloigna tout doucement des deux adultes, au gré des jeux de poursuite. Si bien que Tapahari put finalement commencer ses ablutions proprement dites puis, assise dans l'eau qui lui arrivait au nombril, elle commença la tâche ardue qu'était le nettoyage de sa robe, le tissu rouge flottant dans le courant autour d'elle.

Elle laissa Tapahari discuter avec quelques femmes de l’île et la suivit dès qu'elle se mit en route. Il fallait admettre qu’en arrivant, elle n’avait pas vraiment pensé à admirer la plage, et elle fut épatée un instant par la lagune. Du sable blanc et fin, une eau limpide et d’un bleu pur, à peine agitée de quelques vaguelettes créant un doux clapotis. Imitant Tapahari, elle se débarrassa de son sac à dos, du paréo qui lui servait de jupe, de ses lunettes de soleil, et de son maillot de bain (qu’elle garda à la main pour le rincer). Elle ne savait pas trop si c’était ça qu’il fallait faire, mais dans le doute, elle préférait imiter l’autochtone. Au moins, elle pourrait justifier sa boulette, si ça en était une, sans passer pour une imbécile. De plus, elle n’avait strictement aucun souci à se montrer nue à d’autres femmes, et à voir d’autres femmes nues (là où les corps d’hommes la gênaient un peu plus). Au Palais, il y avait des sortes de bains communs unisexes, et elle y allait souvent, ce qui l’avait habituée à voir des corps de femmes. Ca ne l’empêcha cependant pas de penser fugacement qu’elle trouvait Tapahari très belle. De plus, depuis qu'elle était étudiante, il arrivait qu’elle dessine ou peigne des nus. Elle n’avait cependant jamais posé, pas encore assez à l’aise avec son propre corps pour cela.
Suivant toujours la chamane, elle entra à sa suite dans l’eau dont la température, parfaite, ne déclencha même pas un frisson. Elle allait soupirer de bonheur d’enfin retrouver son élément de prédilection, quand un bruit de cavalcade lui fit tourner la tête. Des enfants ! Elle se retint d’esquisser un mouvement de recul. Elle n’avait jamais été trop à l’aise avec les enfants, alors en plus, des enfants nombreux et qui chahutaient … Ce n’était vraiment, vraiment, vraiment pas sa tasse de thé. Si Tapahari jouait avec eux, manifestement à l’aise, Senea resta un peu en retrait, espérant fort qu’ils s’éloignent rapidement. Quand enfin ils commencèrent à être moins près, elle se détendit un peu alors que Tapahari lui parlait. Elle lui répondit en faisant elle aussi ses ablutions:

Je vais d’île en îles depuis quelque temps à présent. J’étais sur la plage de l’autre côté de votre île quand j’ai entendu du bruit, alors je suis venue. mais je ne me suis jamais baignée ici ! C’est très beau.

Puis, captant le regard de la chamane sur les enfants, elle se permit de lui dire:

Pardon, je suis indiscrète mais … Avez- vous vos enfants parmi ce groupe ?

La peau de Sénéa, bien plus claire que celle des habitants de l'Archipel, brillait au soleil. Ce qui la rendait, par contraste, presque exotique dans la région.
Tapahari se souvenait avoir vue des statues de marbre blanc lors de ses bref passages à Hypnos et Minos, autour de fontaines notamment, et elle voyait une certaine ressemblance avec la silhouette fine et la peau pâle de Sénéa. Même si la Fille de l'Eau avait quelques signes de rougeur ici et là, là où le soleil avait déjà mordu assez fort...
La chamane leva les yeux de son ouvrage sur sa robe lorsque sa compagne d'ablutions lui révéla qu'elle avait entendue ce qu'il se passait alors qu'elle était "de l'autre côté de l'île."

- Mais... à quelle distance exactement étiez-vous ? Si vous étiez vraiment de l'autre côté de l'île, cela représente une très grande distance ! Quel bruit avez-vous entendue ?

Est-ce que Sénéa n'avait pas été précise dans son explication, ou est-ce que quelque chose l'avait guidée jusqu'au lieu des soins ?
La deuxième question, plus personnelle, la fit sourire :

- Non, ce n'est pas indiscret, rassurez-vous. Et non, aucun enfant n'est le mien, même si j'ai assisté à la naissance de la majorité d'entre eux, pour accompagner leurs mères. Sur le continent, je crois que vous appelez ce rôle... sage-femme ?

Dire à haute voix qu'elle avait assisté à la naissance de tous ces enfants - à une ou deux exceptions près seulement - mit un peu les choses en perspective pour la chamane, qui se rendit compte qu'elle tenait cette fonction depuis une bonne portion de sa vie déjà. C'était étrange de se dire que ses mains avaient été les premières qui avaient tenu nombre de ces enfants dès leur venue au monde, juste avant qu'elle ne les dépose dans les bras de leurs mères.
Son sourire se fit pensif un instant, puis elle soupira et demanda sur le ton de la conversation :

- Comment se passent vos études ? Vous vous êtes entrainées dans votre art ?

Senea éclata de rire:

Non, je crois que je n’étais pas si loin, c’est plus selon la manière dont je l’ai perçu ! J’ai entendu un grand bruit, comme quelque chose qui se déchirait, si on veut qui m’a tirée de la sieste dans laquelle je commençais à sombrer. Je me suis levée, et j’ai essayé d’aller vers le bruit, c’est comme ça que je vous ai trouvés. Au bruit.

Elle mettait de l’eau sur ses bras, sa nuque, sa poitrine, avant de s’immerger totalement, ne laissant que la tête à l’extérieur pour pouvoir écouter Tapahari. Elle hocha la tête à l’explication de Tapahari. Ainsi elle était la sage-femme de sa tribu ? C’était fascinant ! Cela devait demander tant de courage, de sang-froid, d’empathie, de connaissances, de gestes techniques … POurtant, elle n’avait aucun doute: al femme face à elle était plus que capable de faire ce genre de choses à al perfection. De toute façon, il suffisait de regarder tous ces enfants, en pleine forme … La Fille de l'Eau se dit que cela devait avoir un côté très émouvant, qu’elle ne connaîtrait, et ne comprendrait, sans doute jamais. Pourrait-elle un jour avoir une utilité réelle, comme celle de Tapahari ? Sans doute non … La chamane l’impressionnait beaucoup. Elle sentaut naître en elle une grande admiration pour cette femme, sans doute à peine plus âgée qu’elle.
Lorsqu'elle l’interrogea sur son art, Senea la regarda, surprise, et sourit:

Oui ! Je suis en vacances actuellement, car c’est la belle saison et que j’ai validé mon année, mais je ne cesse pas de m'entraîner, j’ai suivi vos conseils ! J’ai mes carnets, je vous montrerai si vous voulez ! venir ici m’a permis de découvrir autre chose. Il faudrait aussi que j'apprenne à être plus instinctive, moins dans la technique et le figuratif, mais c’est compliqué. Moins compliqué ceci dit, c’est certain, que votre rôle ici ! Vous êtes l’équivalent de tant de professions différentes à Hypnos, c’est incroyable …

Sous l’eau, elle frottait ses membres un peu, afin d’en enlever sueur, sable et sang. En réalité, elle profitait surtout de la caresse de son élément sur sa peau.

La chamane s'immobilisa une seconde suite à l'éclat de rire de Sénéa, puis elle sourit :

- Oh, je comprends mieux. Vous avez dû entendre le moment où la toile a été installée pour faire un peu d'ombre... je devais demander, pour être sûre.

Tapahari était rassurée d'apprendre que c'était quelque chose de tout à fait normal qui avait attirée Sénéa, au lieu d'un éventuel Esprit du Voile. Certes, elle restait persuadée que la présence de la Fille de l'eau était une bénédiction et un cadeau des esprits pour son aide décisive avec son mentor... mais une intervention plus directe de la part d'un Être du Voile aurait nécessité qu'elle enquête - ce n'était jamais anodin - pour rendre service en retour. Or, elle voulait se concentrer sur son mentor, sentant qu'elle allait avoir fort à faire, le connaissant, pour le forcer à rester au repos.
Ses mains travaillaient seules sur son vêtement, triturant le textile centimètre par centimètre pour le nettoyer.
Ainsi, elle pouvait continuer à discuter avec Sénéa :

- Avec joie, j'avoue être curieuse de votre art. Ça ne vous dérange pas ?
Il y a des artistes sur l'Archipel aussi, avez-vous pu en rencontrer certains peut-être ? Un des plus réputés dans la région est Ishem ; il fait des gravures sur bois et sur la pierre magnifique ! Il vit sur l'île à quelques heures d'ici, à l'ouest.
Hmm... navrée mais je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous voulez dire par "valider votre année" ? Je ne suis pas très familière des apprentissages du continent...
En revanche, je suis certaine que vous arriverez à user de votre instinct. Il faut toujours un peu de temps pour faire tout à fait sienne des techniques et un savoir, pour faire taire la voix du professeur et écouter la vôtre, mais vous y arriverez vite, vue votre vivacité d'esprit.

La chamane écarta d'un geste les compliments de Sénéa à son égard. Mais si le rose léger qui lui colorait les joues était une preuve suffisante, les mots l'avaient touchée :

- Allons, je ne fais que veiller à ce que tout se passe correctement dans la région. J'aide, je conseille et je rassure, mais je n'interviens vraiment que très rarement, fort heureusement.

Tapahari avait toujours eu un peu de mal à définir son rôle au sein de l'Archipel. Pour elle, il était naturel qu'il y ait un chamane pour s'occuper de la bonne marche des choses, de la bonne entente entre les habitants et la nature, de la bonne santé spirituelle et des rapports avec le Voile.
Elle avait pris ce rôle un peu poussée par sa mère et sa grand-mère, sans remettre en question cette voie presque taillée pour elle. Ou bien étais-ce elle, qui avait été taillée pour ce rôle ?
La chamane baissa un instant les yeux sur sa robe qui définissait presque autant sa fonction que son savoir, puis secoua la tête.
Qu'aurait-elle pu faire d'autre ?
Puis, reportant son attention sur Sénéa, elle nota de nouveau la peau blanche de cette dernière qui semblait briller sous l'effet du soleil et de l'eau. Elle fronça les sourcils :

- Vous n'avez pas peur de vous faire brûler par le soleil ? Peut-être devrions-nous trouver un endroit un peu plus à l'ombre ?

Senea regarda Tapahari un instant, surprise: sûre ? Sûre de quoi ? Qu’est-ce que la chamane pensait qui aurait pu mener l’étudiante vers elle sur la plage ? Senea y réfléchissait encore, en se passant de l’eau sur les bras afin d’en faire partir toute trace de sang (et, sans qu’elle en ait conscience, de crème solaire) lorsque la chamane lui parla de son art. Elle hocha la tête.

Évidemment que ça ne me dérange pas ! Je ne vous l’aurais pas proposé sinon. Et c’est bien vous qui m’avez conseillé de continuer à m'entraîner, après tout, ce ne serait que justice pour vous voyiez le résultat de vos conseils ! Quant à Ishem … Ça ne me dit rien … Je ne suis peut-être pas encore passée par son île ! Mais ça m’intéresse beaucoup …

Senea n’était pas vraiment familière des techniques de gravure, encore moins sur bois que l’on disait plus fragiles, plus éphémères et que l’on pratiquait peu dans un but artistique. Aussi, ce que lui disait Taphaari l’intéressait beaucoup: elle avait tant à apprendre, tant à découvrir ! L’Archipel semblait être une source d’inspiration et d'émerveillement permanent, ce qu’elle n’aurait pas vraiment imaginé. Les compliments de la chamane lui firent immédiatement monter le rouge aux joues, qu’elle tenta de dissimuler comme elle le pouvait (sans grande efficacité). De la part de Tapahari, qui l’impressionnait beaucoup, cette remarque la touchait énormément (plus sans doute que la chamane ne l’imaginait) à tel point qu’elle en oublia de lui faire l’explication sommaire du système scolaire du continent à laquelle elle réfléchissait. La jeune femme sourit à l’explication de Tapahari sur son propre rôle: elle avait l’impression que al cahamne minimisait quelque peu sa propre importance, sans aucun doute par modestie mais également car elle n’avait peut-être pas conscience de tout ce qu’elle faisait se disait Senea. D’ailleurs, Crocs aurait peut-être un tout autre avis sur la chose … En regardant la femme face à elle, Senea se demanda sie lel avaiat toujours su qul était son rôle, si elle l’avait choisi, ou y avait été poussée. Avait-elle toujours désiré devenir la chamane de l’île, s’y était-elle toujours préparée ? Était-ce une fonction que l’on se transmettait, pour laquelle on était choisi, élu, ou bien à laquelle on postulait comme on postulerait à un emploi ? Y avait-il des attributs particuliers, un vêtement, un accessoire qui permettrait de définir la fonction ? Il y avait tant qu’elle ignorait complètement …
La question, pragmatique, de Tapahari la ramena soudain à la réalité, et elle regarda sa peau, surprise.

Ah mince ! J’ai l’habitude d’appliquer une protection, mais, avec l’eau, elle a dû disparaître …

Elle se toucha le nez, qu’elle sentait tirailler. Elle s’aspergea un peau d’eau, afin, au moins, de rafraîchir sa peau, et mit aussi de l’eau sur sa tête, prenant soudain conscience du risque d’insolation. Trouvant que cela ne suffisait pas, elle se baissa, de manière à s’immerger complètement, avant de ressortir de l’eau, trempée et souriante avec la sensation de retrouver son élément.

Au moins, ça rafraîchit, déclara-t-elle à la chamane. J’ai rougi, vous trouvez ? J’ai du mal à m’en rendre compte … Mais c’est vrai que j'ai la peau très claire, et sensible au soleil … Je n’ai pas autant l’habitude du plein air que vous ! ajouta-t-elle en souriant.

Tapahari sourit en apprenant que ses conseils avaient bénéficié à Sénéa, un peu étonnée malgré elle que ce fut le cas.

- Oh, ravie d'entendre que mes conseils vous ont été utiles. C'est une déformation professionnelle, parfois j'en dis sans en savoir assez sur un sujet pour être d'une quelconque aide...
Peut-être que vous avez déjà vu le travail d'Ishem dans votre visite de l'Archipel : il réalise des décorations sur les pirogues des pêcheurs, ou des objets du quotidien. Offrir en cadeau une de ses réalisations est fréquent pour les grandes occasions.
Il est souvent loin de son atelier, mais si vous avez l'occasion, il serait ravi de vous parler de son art !

Amusée, tout autant qu'inquiète, elle regarda Sénéa s'immerger complètement pour réapparaître un instant plus tard et, à sa question, elle cessa son action de nettoyage pour poser sur elle un oeil plus attentif :

- Votre nez et... vos épaules sont un peu rouges, oui...
Nous devrions vraiment retourner à l'ombre. Et cette robe est assez propre comme ça.

La chamane hésita une seconde puis, imitant Sénéa, elle se laissa tomber en arrière pour s'immerger au moins une fois totalement. Elle laissa l'eau la nettoyer quelques secondes puis elle se redressa, les cheveux trempés dans les yeux. Les écartant d'une main pour pouvoir voir, son expression détendue se changea en surprise et ses yeux se posèrent sur un point derrière Sénéa.
Une silhouette de petite taille se tenait assise sur l'eau, à peine à un mètre de la fille de l'Eau. Composée de brume parcourue d'étincelles brillantes, la créature chétive au faciès inhumain et aux yeux noirs les observait sans ciller.

- Bob ?

Le regard de la chamane se dirigea aussitôt vers là où reposait son mentor, mais elle n'y vit que la grande forme toujours allongée de Béhékine, et les personnes qui le veillaient étaient tranquillement assises à l'ombre.
Bob cligna des yeux. Lentement.

Elle eut soudain particulièrement conscience d’être nue et sous le regard de Tapahari. Elle se sentit rougir assez fort, soudain un peu gênée, mais pas que, sans savoir déterminer ce qu'elle ressentait exactement (ni le chercher non plus).  Un instant, elle se demanda si ce que Tapahari voyait comme rouge était réellement l’effet du soleil ou bien celui de son rougissement soudain. Pourtant, avant même qu’elle n’ait pu répondre, ou qu’elles aient esquisser un mouvement, le regard de Tapahari se perdit derrière elle. Senea la regarda, surprise, avant de se retourner d 'un coup lorsqu’elle prononça le nom de Bob.
En effet, à un mètre d’elle, Bob était là, assis sur l’eau, et parcouru d’étincelles. Il les regardait de ses grands yeux noirs, sans ciller, et là où Tapahari regarda vers là où reposait son mentor, Senea eut pour premier réflexe de se rentrer dans l’eau jusqu'aux épaules, de nouveau très consciente de sa propre nudité. Elle ne savait pas vraiment la nature du lien entre Crocs et ses garçons, et craignait soudain qu’ils partagent un lien mental permettant au “père” de voir ce que voyaient ses garçons. Et elle n’avait pas vraiment envie que l’image d’elle nue ne s’imprime dans le cerveau de la créature, tout de même.
Puis, elle se rendit compte d'une chose: si Bob était là, c’était très certainement que Crocs allait mieux ! Plus tôt, les garçons étaient là, oui, mais semblaient comme figés.

Eh coucou toi, fit-elle en s’adressant à Bob, qu’elle rejoignit en deux brasses. Comment tu vas ? Et Crocs, comment va-t-il ? C’est lui qui t’envoie nous chercher ?

Elle souriait, et se retourna vers Tapahari:

Vous voulez qu’on aille le rejoindre sur la plage ?

Son Père dormait.
Ses frères dormaient aussi.
Lui s'était réveillé seul, ses lumières l'aidant à dissiper les effets de cette potion. Ça avait été difficile...
Il avait regardé son Père dormir quelques minutes sans bouger.
C'était rare que le monde le fasse réagir en profondeur pour quoique ce soit.
Mais il avait eu peur, en voyant son Père se battre et être blessé.
Il n'aimait pas avoir peur.
Ce n'était pas agréable.
Heureusement, les blessures de Père avaient été traitées, et il dormait d'un sommeil profond et paisible.
Il était doué pour juger du sommeil des autres.
Il savait.

Puis son regard s'était tourné vers le petit groupe de femmes qui cuisinaient non loin, à quelques pas de Père.
Sa tête avait continué à tourner jusqu'à fixer la plage et la lagune, et les deux silhouettes qui se baignaient.
Il s'était levé, et les avait rejointes.
Curieux.
Et il aimait bien Sénéa.
Elle avait de belles étincelles. Et une couleur amusante.
Il s'était assis derrière elles.
Puis elles l'avaient vues.

--------------

Bob cligna des yeux. Lentement.
Seules le mouvement de ses étincelles, plus rapide, témoigna de son excitation de revoir Sénéa. Ce fut ainsi que Tapahari l'interpréta, dans tous les cas.
La Fille de l'Eau savait parler aux garçons : elle avait eu la bonne idée de s'immerger en partie pour être au niveau de la frêle créature.
La chamane se mit debout, cheveux et peau ruisselante, plissant les yeux pour tenter de discerner un mouvement du côté de son mentor.

- Je ne vois pas de mouvements... mais j'aimerais aller voir. Vous pouvez rester vous baigner, bien sûr ! Rien ne vous oblige à sortir de l'eau ! Sauf peut-être le risque d'un coup de soleil...

Tapahari enfila sa robe avec difficulté, le tissu alourdi par l'eau lui collant à la peau et se montrant peu coopératif. La robe ainsi trempée en devenait moulante, s'ajustant à ses formes et la gênant un peu pour marcher, mais la chamane savait qu'elle sècherait très vite... et ne se voyait pas attendre davantage.
Puis elle secoua la tête avec vigueur, transformant ses cheveux en un joyeux imbroglio qui dégoulinait déjà moins.
Elle s'avança jusqu'à n'être plus qu'à quelques pas de Bob, puis lui sourit en inclinant doucement la tête, une main sur le coeur :

- Marche-rêves, c'est gentil d'être venu nous rejoindre. Et si on allait voir comment va ton Père ? A moins que tu ne veuilles rester ici, si Sénéa veut se baigner encore un peu ?

Il y eut plusieurs secondes durant lesquelles la créature brumeuse ne réagit pas vraiment, si bien que la chamane se demanda si tout allait vraiment bien avec Bob, puis il se mit debout s'avança vers elle... et mit sa petite main dans la sienne.
Tapahari sourit, comprenant le message et...
Bob tendit sa main libre vers Sénéa, ouverte comme un enfant demandant à ce qu'on lui tienne.
Imperceptiblement, Tapahari se tendit : certes, Bob contrôlait beaucoup mieux son pouvoir de paralysie mais... avec tout ce qui leur était arrivé aujourd'hui...
Devait-elle évoquer son doute, et prévenir Sénéa ?

Alors que Senea était immergée dans l’eau, Tapahari s’était levée, ruisselante, et cherchait à localiser Crocs. Lorsqu'elle lui proposa de rester dans l’eau, de continuer à se baigner, la jeune fille secoua la tête, en souriant à Bob: elle n’allait pas les laisser y aller sans elle, tout de même ! C’était trop important pour Tapahari pour qu’elle la laisse tomber, et de toute façon, elle se serait sentie un peu bête, seule dans l’eau, et n’aurait sans doute pas osé revenir vers la chamane ensuite. Elle les suivrait, point
Le temps qu’elle pense tout cela, son amie avait déjà enfilé sa robe rouge empesée d’eau, qui lui collait à la peau, soulignant ses formes (et Senea ignora sa bouche qui s'assèchaient un peu, mettant cela sur le compte du sel, et du soleil), avant de s’ébrouer.

*Ça va demander un sacré démêlage tout ça …*

Les cheveux de Tapahari étaient un joyeux chaos qui gouttait, et Senea n’était pas certaine qu’en y passant la main, on ne se retrouve pas coincé. Mais pourquoi donc serait-elle allée lui passer la main dans les cheveux ?!
Durant ce temps, Tapahari avait attrapé la menotte de Bob, qui lui tendait sa main libre avec des étincelles ressemblant à une demande, dans la position d’un enfant. Attendrie, Senea lui sourit, remit son maillot de bain, se leva et lui saisit la main, tout en parlant:

Evidemment que je vais vous accompagner, tout de même ! Bob me manquerait trop, sinon, ajouta-t-elle dans un sourire.

Etonnamment, elle eut la sensation d’un bourdonnement dans son crâne, comme lorsque, très fatiguée, elle retenait un bâillement, ou s’empêchait de tomber de sommeil. C’était un peu étrange, car justement, elle s’était beaucoup reposée ces derniers temps … Peut-être que les événements avec Crocs l’avaient plus fatiguée qu’elle ne l'aurait cru ? Tout de même …
Faisant de son mieux pour ignorer cette désagréable sensation, elle progressa vers la plage avec Bob et Tapahari.

L’eau ne te dérange pas Bob ? Tes frères et toi n’y êtes pas sensibles ?

Elle savait d'expérience que le brouillard sur l’eau, et a fortiori l’eau salé n’était pas très stable.

Tapahari avait observé Sénéa avec un peu plus d'attention, cachant son regard plus insistant derrière un sourire suite à sa remarque douce pour Bob.
Mais son invitée ne tomba pas inconsciente au contact de la frêle créature, preuve que son inquiétude n'était pas fondée. Si ses frères semblaient toujours dans un état second, Bob semblait normal et capable de contrôler ses pouvoirs. Peut-être grâce aux étincelles qui le parcouraient et lui donnaient de la force ?
Le talent de la chamane pour comprendre comment la magie de son mentor et de ses garçons fonctionnait était médiocre au mieux, alors elle n'allait rien affirmer. Ce n'était pas vraiment son domaine...

L'interrogation de Sénéa sur le rapport entre les garçons et l'eau lui fit pencher la tête sur le côté, observant la silhouette de Bob qui évoluait juste au-dessus de la surface comme un petit nuage. Elle fouilla dans sa mémoire et finit par dire :

- Je ne crois pas les avoir déjà vus avoir un contact franc avec l'océan, même s'ils s'éclaboussent parfois par jeu...

Par respect et pudeur, elle posait rarement des questions sur les capacités ou le fonctionnement des garçons à son mentor. Elle avait soudain un peu honte de son ignorance, sentant que cela impactait sans doute ses rapports avec eux...
Alors que leur trio revenait sur le sable, la chamane se pencha et ramassa son chapelet d'amulettes. Elle lutta un instant pour les replacer autour de son cou, usant de sa seule main libre, l'autre serrant doucement celle vaporeuse de Bob.
Elle ne se sentit pleinement habillée que lorsqu'elle sentit enfin le poids familier des amulettes à son cou. Bien plus que sa robe rouge, c'étaient les objets rituels qui définissaient le plus sa fonction et son rôle au sein de l'Archipel.

Les insulaires veillant sur Béhékine observaient leur approche attentivement. La symbolique de voir Sénéa au même plan que leur chamane, une main jointe à celle d'un des garçons de leur "vieux Père," ne passa pas inaperçue. Suite à l'aide de la Fille de l'Eau et des paroles de Tapahari, c'était cette vision qui cimentait Sénéa comme une amie et une invitée de marque de l'Archipel.
Bob venait d'introniser Sénéa, en quelque sorte.
De l'adouber. De faire sa chevalièrisation.

Tapahari resta concentrée sur la grande silhouette allongée de Béhékine. Il n'avait pas bougé et semblait dormir paisiblement.
Elle échangea un regard et un hochement de tête avec l'une des femmes restées proche, lui confirmant non-verbalement que rien n'était arrivé pendant qu'elles se baignaient.
Se rapprochant davantage, elle se détacha de Bob et alla inspecter rapidement l'état de son mentor. Elle fut soulagée de voir que les blessures semblaient bien réagir à ses soins. Celle de l'épaule surtout, était propre et s'était à peine remise à saigner sous le cataplasme ce qui était bon signe et un véritable mieux comparé au flux ininterrompu avant l'aide providentielle de Sénéa.
Les quatre garçons étaient toujours immobiles aux alentours. Pourtant, leurs enveloppes brumeuses étaient mieux définies et de petits mouvements dans leurs membres, sous leurs paupières fermées laissaient penser qu'ils reviendraient à eux bientôt.
Béhékine dormait, ronflait même. Elle comprenait qu'il devait être épuisé, mais elle devrait le réveiller, de force, pour s'assurer définitivement qu'il était en voie de guérison.
Ce qui s'annonçait délicat.

Elle allait se retourner vers Sénéa pour partager avec elle ses intentions et la remercier une nouvelle fois pour son aide décisive lorsqu'on leur apporta à toutes les deux une assiette fumante et odorante contenant du riz blanc parfumé par du poisson et une sauce aux couleurs riches et épicée.
Tapahari remercia l'arrivée soudaine du repas, se rendant compte qu'elle avait terriblement faim, le stress lui ayant coupé toute sensation jusque-là.

- J'espère que vous aimez les épices, Sénéa.
... Merci encore pour votre aide. Votre magie a fait un véritable miracle ici.

Bob serra un peu plus fort la main de la Fille de l'Eau - sa prise passant donc de "indétectable" à "insignifiante" - puis se dégagea à son tour d'elle, avant d'aller vaquer à ses occupations d'observation de ses frères immobiles, de son Père et de ses blessures. Comme à son habitude, il était difficile de le voir faire, tant il se déplaçait sans bruit et sans prévenir.

Senea sentait sur elle le regard de Tapahari, et ne comprenait pas trop ce que ça lui faisait, décidant qu’elle n’avait pas le loisir de s'appesantir là-dessus. Sans lâcher Bob, caressant même peut-être légèrement sa menotte de son pouce, elle écouta la réponse de Tapahari (tout en se demandant bien pourquoi diable elle avait tant envie de bailler). Elle hocha la tête avec un sourire en imaginant les jeux des garçons dans l’océan. Ils avaient un côté enfantin étonnant, en sachant qu’ils émanaient de Crocs …
Alors que Tapahari luttait pour remettre ses amulettes, Senea hésita à lui proposer de l’aider, mais le temps qu’elle se décide, la chamane avait terminé. Elle avait peur que ce soit inapproprié de toute façon./ Ces amulettes semblaient faire partie de Tapahari, en plus d’être des objets sacrés, et elle n’avait sans doute pas très envie qu’une quasi-inconnue vienne les tripoter. Ce serait, sans aucun doute, rentrer bien trop avant dans son intimité.

On les observait alors qu'ils approchaient, et Senea calque son attitude sur celle de Tapahari, en plus effacée. Elle ne voulait pas être le centre de l’attention, et sentait bien qu’entre son statut d’étrangère et la magie dont elle faisait preuve, il en faudrait peu pour qu’on se concentre un peu sur elle. Elle sentait qu’il y avait un côté solennel à la situation, et ne pipa mot alors que Tapahari se détachait de Bob, et fatalement, d’elle-même, pour aller vérifier l’état de Crocs sur la plage. Sans en avoir conscience, elle retint son souffle, serrant un peu plus la main de Bob, d’ailleurs.
La jeune femme ne détacaha pas son regard de la chamane lors de l’examen, sans réellement comprendre ce uq’elle en voyait. Elle avait cependant l’impression que le bilan était positif, que ce soit par l’absence de plaie sanguinolente, les légers mouvement des garçons, ou l’air plus détendu de la chamane lorsqu’elle se dirigeait vers Senea, qui ne parvenait pas à détacher d’elle son regard.

Cet instant fur brisé par des insulaires qui leur apportaient à manger, une assiette odorante dont la fumée suffit à réchauffer le menton de Senea alors que la chaleur se transmettait déjà à la main qui tenait le plat. Son nez s’emplissait d’épices, d’odeurs fortes et délicates à la fois qui semblaient la tapisser de l’intérieur. Les couleurs étaient vives, telles celles d’un tableau fauve. De manière soudaine, Senea sentit la salive lui emplir la bouche, et son estomac émit un gargouillis quelque peu sonore alors qu’elle remerciait la personne ui lui avait apporté à manger. Elle hocha la tête aux propos de Tapahari, et lorsque Bob lui lâcha la main juste après l'avoir serrée un peu plus fort, elle mit une seconde main sous l’assiette.

C’est normal, Tapahari. Je n’allais pas rester sans rien faire ! C’est la première fois que j’ai utilisé ma magie pour du soin, et je suis heureuse que ce soit vous qui m’ayiez guidée.

Cette affirmation était très sincère, et , pour dissimuler son embarras face à une telle déclaration, elle brandit son couvert, le plongea dans l'assiette, en ressortit poisson sauce et riz, qu’elle goûta. Elle gémit légèrement face à l’explosion de saveurs, puis se sentit rougir. Elle n’était en effet pas habituée aux épices à ce point, et il y avait dans sa bouche une légère brûlure. Rien de trop fort, mais suffisamment pour qu’elle le sente !

C’est très bon ! J’aime beaucoup les épices, c’est très goûteux ! je n’en ai juste pas vraiment l’habitude. La cuisine est bien différente de celle dont j’ai l’habitude à Hypnos … Où trouvez-vous les épices ? Dans la forêt ? Ou vous les cultivez ? Ou bien vous les achetez ?

Elle était réellement curieuse.

Tapahari s'assit en tailleur dans le sable pour manger, et invita Sénéa à l'imiter.
Sa réponse produisit une réaction de surprise de la part de la chamane :

- Vous n'aviez jamais usé de votre magie ainsi ? Félicitations à vous une nouvelle fois alors, votre intervention semblait parfaitement maîtrisée, pour une nouvelle expérience !
Concernant les épices, nous entretenons leur pousse dans la jungle. Le résultat ne permet pas d'en faire commerce, mais agrémenter nos plats peut se faire presque quotidiennement. Je sais que ceux qui n'y sont pas habitués peuvent ne pas supporter certains mélanges.
Mais au goût et à l'odeur ici... *la chamane renifla un instant son plat, son air concentré évoquant le serval dont elle pouvait emprunter l'apparence* vous ne devriez pas craindre grand chose ; les cuisinières de ce plat ont pensé à vous.

Tapahari sourit aux femmes rassemblées non loin, qui mangeaient aussi tout en discutant et en leur laissant une certaine intimité.
Le succès du plat auprès de Sénéa sembla faire très plaisir aux cuisinières, qui rirent gentiment des sons de contentement produits par la Fille de l'Eau.

- Si vous voulez, je pourrai vous préparer un assortiment d'épices et d'herbacées pour des infusions !
...
C'est un changement de sujet abrupt, mais peut-être que vous saurez m'aider sur ce problème aussi... Je connais mon mentor, et je sais qu'il ne va pas tenir sagement en place le temps de se remettre de ses blessures. Seulement, je ne vois pas comment l'empêcher de trop bouger. Je réfléchis depuis tout à l'heure mais... est-ce que vous auriez peut-être des idées ? A deux, on pourrait certainement trouver une solution.

Son regard s'égara un peu vers son mentor endormi, puis vers les garçons en état second.
Elle se figea.
Un, deux, trois, quatre...
La chamane tourna la tête à droite et à gauche, elle se pencha sur le côté pour avoir un angle de vue derrière Sénéa, sans sembler trouver ce qu'elle cherchait.

- Où est passé Bob ? Il était avec vous il y a de cela quelques secondes, non ?

Le trop discret être de brume n'était visible nul part autour d'elles.

En vérité, Bob n'était pas loin du tout.
Son talent avait toujours été dans les interstices, les entre-deux, les moments de transition.
C'était grâce à cela qu'il pouvait plonger quelqu'un dans un état entre réveil et sommeil, qu'il servait de passerelle à ses frères lorsqu'ils devaient se réincarner... ou qu'il était aussi discret. Il se déplaçait souvent à la limite des champs de vision, ou dans le temps situé pendant les clignements de paupières.
Après avoir lâché la main de Sénéa, il s'était rapproché de ses frères et de son Père endormis, avant de se glisser dans le dos du corps massif du Membraneux Bestial, posant sa main chétive sur la nuque de ce dernier, là où il avait coutume de venir se percher.

Il dormait.
Mais ce n'était pas un bon sommeil. Il le sentait.
Il savait.
Il ne sentait pas de rêve derrière ces yeux fermés.
Il n'aimait pas ça.
Mais Père était fatigué. Il dormait pour récupérer de l'énergie.
Il avait moins peur maintenant, mais il n'aimait pas voir Père dormir comme ça. Sans rêver.
Père avait besoin d'énergie pour se réveiller.

Bob regarda sa main, son bras, parcouru par ces étincelles brillantes et mouvantes.
Il se figea, et les étincelles convergèrent de tout son corps vers son bras, jusqu'à se concentrer dans sa paume, libérant une lumière de plus en plus vive.
Dans une vivacité qui lui était tout à fait étrangère, Bob plaqua sa petite main tout contre la nuque de son Père.
Il y eut un minuscule flash - adorable, vraiment - et les étincelles se dispersèrent sous la peau du Membraneux bestial, leur passage rendu visible pendant une fraction de seconde le long des veines, muscles et tissus.
Le corps de Béhékine se tendit, eut plusieurs soubresauts...
Puis ce dernier ouvrit les yeux, avant de s'écrier :

- Ow ! Ow ! Ow ! Ow ! Par les Sept Enfers, ça fait un mal de chien !

Continuant de grogner et de vocaliser sa douleur, le Membraneux bestial parvint finalement à se redresser un peu.
Sa queue battait loin derrière lui dans son agitation, menaçant de renverser la pergola improvisée.
Un brin confus, il regarda autour de lui, découvrant Bob qui était tombé sur les fesses dans le sable, puis les gens derrière lui. Surtout...

- Jeune fille ? Et... Séné-aaahhh !

Sa voix s'étrangla alors qu'il se crispait de nouveau, sa patte à l'épaule blessée agitée de tremblements se rappelant douloureusement à son bon souvenir.

Lorsque Tapahari la complimenta, elle ne put s’empêcher de rougir. Le compliment de la chamane la touchait tout particulièrement, sans doute car elle la sentait sincère, d’une part, mais également car le soin était son métier, et un compliment de sa part en valait donc mille autres. Tout au fond, elle sentait qu’il y avait peut-être autre chose, mais ignora, peut-être même involontairement, ce sentiment. Elle sourit à la chamane entre deux bouchées, pour lui témoigner toute sa gratitude, et écouta attentivement ses explications autour des épices, hochant parfois la tête. Elle rit un peu même lorsque Tapahari renifla le plat, et sourit avec elles aux femmes non loin, afin de les remercier, tout en leur faisant un pouce en l’air pour leur signifier l’étendue de son appréciation.
Elle allait accepter avec joie la proposition de Tapahari lorsque son changement de sujet la prit de court et lui fit cligner des yeux de surprise. Elle se tourna même vers le fameux mentor, se demandant bien comment maintenir Crocs immobile. Ne serait-ce que par sa masse et sa force manifeste, elle craignait que ce soit difficile. De plus, comment une créature pareille supporterait-elle la sensation d’être limité dans ses mouvements ? Mal, elle en était quasiment certaine …

Euh … Mis à part lui gratouiller le nez comme on ferait à un chat je …

Elle ne plaisantait qu’à moitié, inspirée en réalité par l’apparence du monstre, mélange de plusieurs bêtes impressionnantes dans lesquelles il lui avait bien semblé reconnaître un félin gigantesque. Pourtant, l’attention de Tapahari semblait se porter sur tout autre chose, et l'imitant, Senea se retourne pour tenter de voir ce qu’elle pouvait bien chercher en changeant d’angle ainsi, jusqu’à ce qu’en effet l’absence de Bob la frappe. Cependant, avant qu’elle n’ait pu répondre, un autre événement arriva. Crocs devint lumineux une fraction de seconde -avait-elle rêvé ce moment ?- et fut agité de soubresauts. Immédiatement, Senea se redressa, abandonna son assiette et se leva, prête à se précipiter vers lui, arrêtée soudain par les yeux soudain grands ouverts de la créature. Par les Grands Rois, comme il était impressionnant ! Elle en eut un frisson, redoublé par les cris qui déchirèrent l’air immédiatement. Pantoise, elle l’observa se redresser, défiant toutes ses blessures et contusions afin de se tenir debout très certainement, quoique sans succès, sa queue menaçant grandement l’installation des insulaires.
De nouveau, elle sursauta. Elle avait eu quand il avait eu son nom la réaction exacte d’une petite fille prise en flagrant délit de bêtise par son instituteur: elle s’était redressée, avant de se précipiter. Elle n’était pas habituée à entendre son nom prononcé dans un cri comme celui-ci, mais elle avait bien vu, oui, que c’était sa patte blessée qui s’agitait, douloureuse.

Doucement, doucement … lui dit-elle. J’aurais préféré vous revoir dans d’autres circonstances, mais je suis contente de vous voir vivant, Crocs. Vous permettez que j’essaie de vous soulager ? lui demanda-t-elle ensuite.

Elle avança ses mains vers l’épaule blessée, prêtez à les retirer s’il ne voulait pas de son aide. Mais dans le même temps, elle coula un regard un peu désespéré à Tapahari. Elle avait proposé son aide un peu vite, et craignait de mal faire, si elle faisait seule. De ses grands yeux bleus, elle suppliait la chamane de l’aider, elle, à aider Crocs à avoir moins mal.

En temps normal, elle s'inquiétait rarement des pérégrinations de Bob, habituée à le voir apparaître et disparaître au gré de ce qui attisait sa curiosité ; il était en cela le plus proche des Êtres du Voile qu'elle avait côtoyée pendant des années, dans sa façon d'être insaisissable.
Mais, aujourd'hui n'était pas du tout normal, alors ne plus voir Bob l'inquiétait.
Sénéa se joignit à elle pour chercher du regard la frêle créature.
Puis, tout alla très vite.
Un flash. Un grognement de douleur. Béhékine se réveilla, en sursaut, dans la douleur et la confusion.
Dans son agitation, il tenta de se relever, mais risquait fort de se blesser lui-même !

La chamane fit signe aux autres femmes présentes de s'éloigner - ce qu'elles firent pour se mettre hors de portée des mouvements agités de la queue de son mentor, déménageant en un instant leur cuisine improvisée - tandis que Sénéa s'avançait vers Béhékine pour tenter de le calmer.
Heureusement, ce dernier n'avait pas réussi à se mettre debout, empêché par son épaule blessée et sans doute aussi par son état de fatigue.
Mais tout de même, par les Anciens ! Il était absolument irrécupérable à vouloir se relever dès son réveil !
Plus qu'une grattouille sur le museau, comme l'avait proposé Sénéa, elle allait le ligoter !
La situation se calmait, heureusement, et Tapahari s'avança à son tour, comprenant ce que Sénéa voulait essayer de faire et hochant la tête pour l'encourager suite à son regard hésitant :

- C'est une bonne idée. Mais gardez votre froid loin de la blessure, cette fois. Il vaudrait mieux viser le haut de l'articulation, là où se trouve le nerf... je vais, vous guider, si vous voulez...
Noble esprit, ne bougez plus, vous n'êtes pas en état. Nous allons soulager la douleur...
- Non... pas de magie...

La chamane se figea, et son expression se durcit.
Son mentor était affalé dans le sable, la respiration laborieuse et haletante à cause de la fatigue et de la douleur, couvert de blessures qu'elle venait de passer plus d'une heure à recoudre dans le stress, Sénéa avait le moyen et la bonté de pouvoir diminuer sa douleur... et il refusait ?
Il était tellement... têtu ! C'en était impoli, même !

- Ne faites pas l'enfant, je suis sûre qu'il ne faudra qu'un instant. Sénéa ? Vous êtes prêtes ?
- Non ! Arrêtez !

Il y avait une pointe d'urgence dans la voix de son mentor, mais la chamane décida de l'ignorer, agacée, comme un parent qui décide de forcer la main d'un enfant récalcitrant. Sénéa pourrait très facilement anesthésier la patte douloureuse du Membraneux Bestial avec sa magie, elle en était certaine.
L'expression résolue, elle attendait la réaction de la Fille de l'Eau, prête à guider ses mains vers le bon endroit pour figer un temps la douleur qu'elle supposait terrible dans l'épaule de son mentor.


[Je passe le tour de Béhékine sur ce coup. A toi ^^ ]

Alors que Tapahari semblait tout à fait approuver son idée, et que déjà Senea plaçait ses mains comme le lui avait indiqué la chamane, Crocs refusa immédiatement qu’on fasse usage de magie sur lui. Surprise, Senea ôta ses mains, reculant d’un pas, regardant Tapahari comme pour chercher ce qu’elle devait faire, attendant ses indications, comme l'aurait fait une apprentie. Elle ne s’attendait pas du tout à cette réaction, et ne savait pas du tout quoi en faire. Pourtant la chamane insista, et Senea remit ses mains, malgré la protestation de Crocs allongé. Pourtant, au moment même où elle allait activer sa magie, anesthésier par le froid l’épaule déchiquetée qui devait être terriblement douloureuse, la pensée de cette même douleur éclaircit son esprit. Elle ôta ses mains, recula un peu.

Non. Je suis désolée, Tapahari, mais je ne peux pas, pas s’il ne veut pas. Personne n’aime souffrir ainsi, je crois et … Il y a sans doute une très bonne raison pour que Crocs refuse ainsi mon intervention … N’est-ce pas, Crocs ?

Il y avait dans le ton de la question de Senea une véritable inquiétude, mêlée à une certaine tension. Elle craignait de décevoir la chamane, sans s’expliquer pourquoi donc cela lui tenait autant à coeur. Elle espérait donc que l’explication de Crocs serait bonne, car sinon, elle se sentirait sans doute très mal d'avoir ainsi de états d’âmes alors que celle dont c’était le métier, et qui lui semblait bienveillante, à l’écoute, et dans le respect du patient, semblait prête à passer outre les récriminations de la créature face à elle.

Un frisson parcourut l'échine du Membraneux Bestial, un écho de la brillance de Bob passant sous sa fourrure, et il s'apaisa visiblement en entendant Sénéa hésiter et éloigner ses doigts de son épaule blessée.
Il avait quelques secondes de flottement pour s'expliquer et il en profita, parlant lentement et d'une voix rauque, essoufflée :

- Vos intentions sont bonnes et je vous en remercie. Vraiment. Mais... je n'ai pas encore assez de forces pour absorber ta magie, Sénéa. M'en transmettre plus serait une dissonance dangereuse...

Distraitement, il nota la présence proche des insulaires qui s'étaient éloignées un peu précipitamment suite à ses gesticulations, semblant prêtes à aider pourtant. Avec la toile installée comme une tente au-dessus d'eux pour les protéger du soleil, Béhékine comprit que beaucoup étaient venus en hâte pour lui porter secours.
Sentant une certaine émotion lui nouer la gorge, il laissa tomber pour le moment l'idée de se lever et se laissa retomber couché dans le sable, luttant un instant pour trouver une position à peu près confortable avec son épaule.
Il avait toujours mal, mais il était conscient maintenant pour repousser la douleur d'un effort de volonté et la garder au loin.

La petite main de Bob vint tapoter son front, l'inquiétude et l'épuisement se partageant les traits de la créature brumeuse tour à tour, sa silhouette vidée de toute étincelle le rendant plus frêle d'aspect que jamais.
Béhékine tourna la tête pour découvrir ses autres garçons non loin, à peine mieux définis et quasiment immobiles, leurs Essences à peine suffisantes pour les animer sans cette fraction de pouvoir qu'il était trop faible pour partager avec eux dans l'immédiat. Eux aussi avaient besoin de repos.
Le Membraneux bestial ouvrit la gueule en grand, prit une longue inspiration qui sonna presque comme un râle et ses cinq garçons se désagrégèrent, devenant cinq petites sphères luisantes qui vinrent en un instant s'enfoncer dans sa gorge.
A l'abri dans leur "chambre".
Le retour de leur Essence s'accompagna d'un léger regain de magie, qu'il accueillit avec un soupir de soulagement.

Il faisait de son mieux pour le cacher mais Béhékine s'inquiétait beaucoup de l'état dans lequel il se retrouvait, exsangue de magie alors que c'était la seule chose qui faisait fonctionner ce corps...
Que son duel contre le Bruleur l'ait poussé à ce point dans ses derniers retranchements était une mauvaise surprise, et il n'en comprenait pas la raison. Il se promit d'enquêter pour trouver les réponses dès que possible.
Il capta le regard de Tapahari posé sur lui et son coeur se serra en voyant son expression incertaine. De nouveau, cette culpabilité l'enserra, plus gênante que sa douleur physique. Il s'en voulait vraiment de lui avoir fait peur ainsi...

- Tu m'as déjà sauvé, jeune fille. J'ai juste besoin de repos à présent, pour refaire mes réserves.
Ce corps suit ses propres règles...
...
En attendant, j'avoue que j'ai été très surpris de te voir Sénéa ! Qu'est-ce qui t'amène dans cette région du monde ?